(extrait du procès-verbal de la séance du mardi 20 mars 2001)

Présidence de M. Bernard Cazeneuve, Président

M. Bernard Cazeneuve, Président : Votre audition, Messieurs, résulte de certaines de nos interrogations concernant la fabrication des armes incorporant de l’uranium appauvri. Un article du mensuel « Sciences et Avenir » de décembre 2000 a fait état de l’entreprise que vous dirigez en tant qu’importateur et utilisateur d’uranium appauvri.

Sur ce thème, nous avons déjà entendu des responsables de la Délégation générale pour l’Armement (DGA). Nous souhaitons toutefois en savoir plus sur le processus industriel particulier à cette filière de production d’armes de guerre.

Votre entreprise est une des nombreuses filiales du groupe de la Compagnie Générale des Matières nucléaires (COGEMA). Il nous paraît utile que, dans un court exposé, vous nous présentiez le rôle de votre société, son poids économique et financier, ses principales spécialités et ses grands clients. Nous poserons un certain nombre de questions qui concernent plus particulièrement les sujets dont notre mission d’information a à connaître. Il s’agit de définir les conditions dans lesquelles les troupes françaises auraient pu se trouver exposées à des risques chimiques ou bactériologiques durant le conflit du Golfe. Cette mission a été étendue au conflit des Balkans.

Quel que puisse être le degré de confidentialité qui entoure généralement le type d’activités qui sont celles de votre société, nous comptons sur vous pour éclairer notre mission d’information sur certains points essentiels.

M. Henri Staeger : M. le Président, Madame et Messieurs les députés, je suis président de quatre sociétés de la COGEMA, la société SICN et ses trois filiales : At-Nutech, Mécachimie et Mécagest. La société SICN a été créée en 1958 par le groupe financier ALSPI, sur la base de son établissement d’Annecy qui s’appelait « Société Alsacienne de Construction Mécanique » (SACM).

La Société Industrielle de Combustibles Nucléaires (SICN) a été créée pour fabriquer les combustibles de centrales nucléaires, plus particulièrement de la filière graphite gaz. De 1958 à 1990, elle a fabriqué successivement les combustibles nucléaires de la filière graphite gaz tout en envisageant de fabriquer les combustibles oxydes de la filière rapide sur son établissement de Grenoble.

Depuis 1991, SICN ne fabrique plus de combustibles nucléaires puisque ces deux filières ont arrêté leurs activités. Elle est devenue une société de mécanique qui exerce son métier dans deux types d’activités :

 fabrication de composants mécaniques sur plan des clients, sans responsabilité de conception et avec uniquement une responsabilité de mise en _uvre ;

 conception et réalisation d’équipements spéciaux : sur la base d’un cahier des charges du client, nous fabriquons une machine qui répond à des objectifs, en général, fonctionnels.

Nous avons aujourd’hui trois établissements - Annecy, Grenoble et un établissement dans le village de Codolet, près de Marcoule -, et trois filiales - At-Nutech [implantée à Voisins le Bretonneux (78) et Mérignac (33)], Mécachimie [implantée à Beaumont-Hague(50)], et Mécagest [implantée à Valognes (50) et Saint-Sauveur-le-Vicomte (50)].

Le chiffre d’affaires de SICN SA est de 277 millions de francs pour un effectif de 410 personnes. Avec les filiales, nous réalisons 655 millions de francs de chiffre d’affaires pour un effectif cumulé de 770 personnes.

Notre activité est aujourd’hui largement répartie entre le marché nucléaire et les marchés industriels.

L’établissement d’Annecy, qui vous intéresse plus particulièrement aujourd’hui, comporte cinq lignes de production :

 une ligne de mécanique générale qui fabrique des objets en acier inoxydable pour divers marchés ;

 une ligne de rectification mécanique de haute précision : les métaux sont travaillés avec des précisions de l’ordre du micron ;

 une ligne de revêtement de surface par projection thermique plasma qui dépose des matériaux céramiques ;

 une ligne de fabrication de quartz ;

 une ligne de métallurgie uranium métal mettant en _uvre l’uranium métal par fonderie sous vide, déformations plastiques à chaud, usinage et contrôle.

Le chiffre d’affaires de l’établissement d’Annecy s’élève à 108 millions de francs pour l’année 2000, dont 13 millions plus particulièrement issus de l’activité uranium métal, soit environ 12 %. Les effectifs sont de l’ordre de 150 personnes.

S’agissant du cadre réglementaire, l’établissement d’Annecy est une installation classée pour l’environnement : 27 arrêtés de classement ICPE ont été pris depuis 1961. Les arrêtés préfectoraux, qui réglementent le fonctionnement de l’établissement d’Annecy, datent de 1993 et 1994. Une autorisation de détention d’uranium a été délivrée par le Haut fonctionnaire de Défense. C’est également un point sensible départemental, catégorie 3.

Pour ce qui concerne l’activité de l’uranium métal, c_ur de notre propos, nous approvisionnons de l’uranium métal qui nous vient soit de France, soit de l’étranger, y compris des Etats-Unis. Cet uranium métal est appauvri ou naturel, c’est-à-dire jusqu’à 0,7 % d’uranium 235. En règle générale, il est appauvri à 0,2 %, voire 0,3 % d’uranium 235.

Nous transformons cet uranium métal par des opérations de métallurgie, essentiellement de fonderie. Ce matériau fond à très haute température, aux environs de 1 100 ou 1 200 degrés. Nous y ajoutons généralement des éléments d’addition afin de lui conférer des propriétés mécaniques particulières puisque l’uranium métal, lorsqu’il est non allié, ne possède pas de propriétés mécaniques intéressantes. Les éléments d’addition diffèrent selon les applications. Une fois cette fonderie d’alliage terminée, le métal est transformé pour l’amener à des formes au plus proche de la forme finale que nous abordons alors par usinage.

L’usinage de l’uranium est tout à fait classique, par des machines d’usage courant, de la même manière que pour l’acier inoxydable. Ensuite nous procédons au contrôle. La structure métallurgique de l’uranium métal, notamment au niveau de la grosseur des grains, est importante pour les caractéristiques mécaniques ; de même, les traitements thermiques ont beaucoup d’importance pour les caractéristiques mécaniques finales de ce matériau.

Ce matériau possède une haute densité. Toutefois, pour les applications qui nous intéressent, les caractéristiques mécaniques les plus importantes sont l’allongement et la limite élastique. En effet, l’application de perforation demande un allongement important pour accommoder les contraintes de compression, sans fracturation du matériau.

A partir de quelques photos, j’illustrerai les phases de la fabrication globale de l’obus-flèche à uranium appauvri et je vous décrirai la gamme de fabrication que nous utilisons pour cet alliage.

(Projection de photos)

A la réception sur l’établissement d’Annecy, le lingot d’uranium (en provenance de Nuclear Metal Inc, NMI-USA) pèse environ 300 kilogrammes. Il a une teneur inférieure à 0,3 % d’uranium 235 qui lui donne son appellation « uranium appauvri ». Il est également extrêmement pur, du point de vue des impuretés métalliques, critère essentiel pour l’obtention des caractéristiques mécaniques spécifiées par l’application militaire.

Sur cette dernière caractéristique, je précise que ce niveau de pureté ne peut être obtenu, de mon point de vue, qu’en première mise en _uvre et me semble donc totalement impossible à obtenir avec un uranium de retraitement (car chaque opération métallurgique de mise en _uvre pollue le métal de base).

La première opération consiste à faire l’alliage d’uranium. Pour l’application dont nous parlons, il s’agit d’un alliage uranium avec 0,75 % de titane en masse. Cet alliage est obtenu par fusion sous vide des matériaux (uranium et titane), à haute température, dans des moules en graphite (carbone) revêtus par projection thermique d’un matériau (zircone ytriée-céramique) empêchant la carburation de l’uranium à chaud. Les lopins en Uti 0,75 obtenus par coulée font environ 200 millimètres de diamètre, 700 millimètre de long et pèsent environ 450 kilogrammes.

La seconde opération importante consiste à transformer les lopins en barres de 30 millimètres de diamètre par filage à chaud. Pour cette opération, le lopin est chauffé à environ 800 °C (domaine plastique où sa déformation est plus facile) et enverré pour deux raisons :

 la protection de l’uranium chauffé contre l’oxydation de l’air ;

 la lubrification lors du filage ;

A 800 °C, il est placé sous une presse de 1 500 tonnes pour être filé à travers une filière de 30 millimètres de diamètre. Une trempe à l’eau au défilé sur la barre en sortie de filage confère au matériau la structure métallurgique (grains fins) adéquate.

A la fin de cette opération, nous avons des barres d’environ 3 mètres de long et 30 millimètres de diamètre d’uranium/titane à 0,75 % et de structure adaptée.

Le reste des opérations est plus classique puisqu’il s’agit de tronçonnage, de traitement thermique, d’usinage et de contrôle géométrique, sachant que la rectitude du barreau est une spécification géométrique essentielle de ce produit.

Sur cette photo, vous apercevez les filetages qui permettront de venir fixer le sabot de l’obus. Sur la photo du bas, vous avez la flèche telle que nous la livrons à l’établissement de Giat Industries qui se trouve à Salbris. A ce stade, la flèche en uranium est usinée. Elle a une coiffe en acier qui est la pointe, un sabot en alliage d’aluminium et un empennage en acier. Ces trois éléments - coiffe, sabot et empennage - nous sont livrés par Giat Industries. Notre tâche est d’assembler ces trois éléments sur la flèche avant de l’expédier à l’établissement de Giat Industries à Salbris.

J’ajouterai un dernier élément d’information sur la mise en _uvre de cet alliage d’uranium, à savoir qu’il y a un rapport de mise en _uvre de la matière d’un facteur 2. S’agissant d’une flèche qui, une fois usinée, pèsera de 3,5 à 4 kilogrammes, nous sommes obligés de mettre en _uvre le double d’uranium, le reste constituant des pertes en culots de fonderie, déchets d’usinage, etc.

Cette partie concernait la gamme de fabrication. Vous trouverez, joints au dossier que nous vous avons remis, un certain nombre d’éléments, notamment l’historique des livraisons des flèches à Giat Industries.

S’agissant des sigles que vous retrouvez dans le dossier, l’abréviation OFL correspond à la terminologie « obus-flèche » et la numérotation 105, 120 ou 140 au calibre du canon qui reçoit la flèche.

Nous avons démarré les développements des flèches à uranium appauvri en 1995 et nous sommes en arrêt de fabrication depuis 1998 pour le stade de l’usinage et 1999 pour le stade de la fonderie. En effet, Giat Industries nous a demandé d’arrêter les fabrications en raison de difficultés de mise au point des obus-flèches.

Nous avons livré, outre les besoins formulés par Giat Industries pour développer et qualifier ce type de munitions, 4 540 flèches en uranium appauvri de calibre 105, destinées à être montées sur l’AMX-30, en 1999. Nous avons également livré 1 560 flèches de calibre 120, en 1997, pour le char Leclerc. Le reste, qui concerne le développement de ces munitions, est aujourd’hui bloqué à différents stades de fabrication, sur le site d’Annecy.

M. Charles Cova, Vice-Président : Quelle est la nature des difficultés techniques rencontrées par Giat Industies ?

M. Henri Staeger : Dans le dossier, vous trouverez les deux lettres que le responsable « Domaine Achats » de Giat Industries nous a adressées pour nous demander de suspendre les fabrications. La première lettre, en date du 9 février 1998, commence ainsi : « Compte tenu des divers problèmes techniques qui affectent la munition OFL 120 Uranium... ».

M. Charles Cova, Vice-Président : Avez-vous connaissance de la teneur exacte de ces problèmes techniques ?

M. Henri Staeger : Je ne peux faire aucun commentaire, la société Giat Industries n’étant pas particulièrement communicative sur ses difficultés internes. Je suppose que ces difficultés tiennent à la structuration de l’arme, notamment au niveau de la liaison entre le sabot et la flèche.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous interrogerons la Société Giat Industries sur ces difficultés.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : Différents journaux ont publié des articles polémiques suggérant que certains obus-flèches contenaient du plutonium et reprochant à nos armées de s’approvisionner aux Etats-Unis qui leur auraient livré de l’uranium appauvri « de mauvaise qualité », voire même des « déchets industriels ». Cela est-il possible ?

Quant à la seconde polémique, j’en ai eu connaissance à la lecture d’un article paru dans un journal spécialisé : cet article indiquait que les Etats-Unis avaient tout intérêt à maintenir la confusion sur la composition des obus-flèches en uranium afin d’avoir la mainmise sur leur commercialisation. Quel est votre avis sur ce point ?

M. Henri Staeger : Concernant votre première question, je vous ai indiqué que nous nous approvisionnons en uranium appauvri métal. Dans la spécification d’approvisionnement jointe à votre dossier, la seule spécification isotopique exigée est de moins de 0,3 % d’uranium 235, ce qui, en termes d’activité radiologique, est la spécification principale.

Ce type d’uranium, avec ses caractéristiques mécaniques et les impuretés métalliques spécifiées au départ, exclut toute possibilité d’utiliser de l’uranium « sale ». Ce ne peut être qu’un uranium de première élaboration. Dans le processus de fabrication, dès la mise en oeuvre de cet uranium, il va se trouver pollué par des éléments qui seront, par exemple, des impuretés de carbone. En effet, l’uranium, bien que fondu dans un moule en graphite, connaît, dès la mise en oeuvre de la fabrication de la flèche - pourtant soumise à un processus de fabrication extrêmement pur - un niveau d’impuretés qui s’élève déjà, après fabrication, à 100 ppm de carbone. Ceci démontre que les spécifications inférieures à 50 ppm sur les impuretés métallurgiques garantissent un uranium totalement pur.

Quant à votre seconde question concernant l’attitude des Etats-Unis, il est extrêmement difficile d’y répondre. Si vous me demandez mon sentiment personnel et non pas celui de président de la société SICN, il me semble effectivement que la confusion est aujourd’hui telle que les Américains feront ce qu’ils voudront, c’est-à-dire qu’ils conserveront leur uranium. Quant aux industriels français, ils attendent les décisions qui seront prises par les pouvoirs publics.

M. Bernard Cazeneuve, Président : De quelle confusion parlez-vous ?

M. Henri Staeger : Je parle de la confusion médiatique, portant sur la relation supposée entre l’utilisation d’une arme en uranium appauvri et les « syndromes » observés chez les militaires engagés au cours de la guerre du Golfe ou dans les Balkans, raison de la création de votre mission d’information.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Ce problème se pose également aux Etats-Unis.

M. Henri Staeger : En effet, cette focalisation médiatique a d’abord concerné les soldats américains.

M. Bernard Cazeneuve, Président : J’aimerais comprendre la logique de vos propos. La médiatisation du « syndrome de la guerre du Golfe » a commencé aux Etats-Unis. Or vous indiquez que ce climat de confusion pourrait conduire les Etats-Unis à continuer à utiliser cette arme, au contraire de la France, bien que ce problème se soit posé aux Etats-Unis avant la France et dans des termes beaucoup plus significatifs. Quelle est la logique de l’argumentation que vous venez de développer ?

M. Henri Staeger : Mon sentiment personnel est que les Américains ont trouvé tant d’avantages à l’utilisation de cette arme qu’ils la conserveront.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : La France dispose d’une grande quantité d’uranium appauvri, que ce soit l’uranium appauvri stocké à Pierrelatte ou maintenant à Bessines. Pourquoi alors utiliser de l’uranium appauvri importé des Etats-Unis ?

M. Henri Staeger : En France, la production d’uranium métal par l’usine de Comurex à Malvési a été arrêtée en 1990. Par conséquent, lorsqu’ont été formulés les besoins d’uranium nécessaire à la fabrication des flèches pour Giat Industries en 1994 et 1995, Malvési ne produisait plus d’uranium métal. Or la fabrication d’obus-flèches nécessite un uranium de très haute pureté. Comme il est hors de question d’utiliser des stocks d’uranium appauvri du tout venant, nous devions disposer d’une usine qui le fabrique sur demande.

Lorsque nous avons soumis le problème à la COGEMA en 1993-1994, la première idée a été de recourir à une usine du Canada pour fabriquer de l’uranium métal, à partir d’UF4 produit par la France. Or l’uranium produit par les Canadiens n’était pas compatible avec nos besoins en fabrication, notamment pour des problèmes d’impuretés essentiellement gazeuses, des problèmes de pollution à l’hydrogène qui rendaient les allongements beaucoup trop faibles. C’est pourquoi nous avons cherché de l’uranium appauvri américain car les Etats-Unis étaient les seuls à pouvoir fournir de l’uranium à ce niveau de pureté.

M. Frédéric Tona : Si vous le permettez, je voudrais apporter un complément d’information. C’est Giat Industries qui nous a demandé de nous approvisionner auprès des Américains ; notre rôle s’est essentiellement borné à celui d’intermédiaires. A l’époque, la société Nuclear Metal Inc (NMI), devenue depuis Starmet, était en mesure de fournir de l’uranium métal. Nous aurions pu refabriquer de l’uranium à Malvési, mais seulement en reconstruisant une unité, ce qui induisait un investissement. La composante coût avait donc toute son importance, le coût américain étant sensiblement plus faible que le coût français.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : En France, l’usine de Malvési a fabriqué de l’uranium métal.

M. Frédéric Tona : Tout à fait. Jusqu’en 1991, l’usine de Malvési a fabriqué de l’uranium métal naturel pour les combustibles UNGG et de l’uranium métal appauvri pour les militaires, mais pas nécessairement pour des obus-flèches.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : A quoi servait-il alors ?

M. Frédéric Tona : Nous ne le savons pas, notre rôle se bornant à livrer cet uranium. Cette question doit être posée aux militaires.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Selon l’historique de l’article de « Sciences et Avenir », on a fabriqué des obus-flèches en France en 1987, 1988 et 1989. Qui les fabriquait si ce n’est pas votre établissement ?

M. Frédéric Tona : Nous fabriquions uniquement l’uranium métal. D’ailleurs, quand je dis « nous », je commets un abus de langage. Le pôle « mines-chimie » de COGEMA, que je représente, fournissait la matière première en provenance des Etats-Unis. La société SICN, que préside M. Henri Staeger, l’usinait pour le compte de Giat Industries.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Certes, mais la France fabriquait de l’uranium métal depuis 1960.

M. Henri Staeger : L’uranium métal a de nombreuses applications. L’uranium métal, y compris appauvri, est utilisé par le Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) pour des applications nucléaires.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Oui, mais l’uranium appauvri n’est utilisé dans le nucléaire qu’en petites quantités, dans les blindages.

M. Henri Staeger : Je ne parle pas de blindages, mais d’armes nucléaires.

M. Frédéric Tona : Le CEA utilise, me semble-t-il, des blindages pour les armes nucléaires, c’est-à-dire les bombes nucléaires, et non pas pour les obus-flèches.

M. Henri Staeger : L’uranium métal appauvri intervient dans la fabrication des armes nucléaires.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Des obus-flèches à uranium appauvri ont-ils été fabriqués en France, avant 1994 ?

M. Henri Staeger : La fabrication de la flèche nécessite des moyens de production spécifiques tels que la presse de filage à chaud, mise en place à SICN en 1994. Les premières fabrications de flèches filées à SICN sont sorties des chaînes de production en 1995.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Avant cette date, SICN ne fabriquait donc pas d’obus-flèches ?

M. Henri Staeger : SICN n’a pas fabriqué de flèches en uranium filé avant 1995.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Quelle quantité d’uranium appauvri avez-vous importé des Etats-Unis ?

M. Henri Staeger : Nous avons importé 910 tonnes d’uranium appauvri de NMI, en trois livraisons, à savoir 250 tonnes, 60 tonnes, puis 600 tonnes.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Les rapports isotopiques concernant les lots d’uranium appauvri importés des Etats-Unis ont montré la présence d’uranium 236. Dès lors que l’on trouve de l’uranium 236, il s’agit d’uranium de retraitement. Etes-vous d’accord ?

M. Frédéric Tona : C’est en effet une signature d’uranium de retraitement.

M. Henri Staeger : Vous présentez ce point comme une affirmation. Pour ma part, je répondrai par un autre argument. S’il est exact que l’uranium 236 n’existe pas dans la filiation naturelle de l’uranium 238, ce n’est pas pour autant que la présence d’uranium 236 à l’état d’impuretés démontre obligatoirement qu’il s’agit d’uranium de retraitement.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Dans l’uranium appauvri que vous avez importé des Etats-Unis, avez-vous décélé de l’uranium 236 ?

M. Frédéric Tona : Oui, dans une moyenne de 30 ppm.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Lorsque vous avez interrogé les Américains sur la provenance de cet uranium 236, quelle a été leur réponse ? En effet, l’uranium appauvri peut être le résidu de l’enrichissement d’uranium naturel en uranium 235, par ultracentrifugation, comme c’est le cas en France, via Eurodif.

M. Frédéric Tona : Non, il n’y a pas d’ultracentrifugation dans le cas américain. D’ailleurs, c’est ce qui pose problème.

Le Département de l’Energie (DOE) disposait de trois usines : Oak Ridge, Portsmouth et Paducah. L’usine d’Oakridge a été fermée et les deux autres cédées à l’USEC. Ces usines étaient civiles, les usines militaires étant localisées à Hanford dans l’Etat de Washington.

Les Américains ont fait passer de l’uranium de retraitement dans leur système de diffusion gazeuse. Dès lors que vous faites passer de l’uranium de retraitement qui contient entre 4 000 et 6 000 ppm d’uranium 236, cet uranium de retraitement se fixe sur les barrières en céramique servant à la diffusion gazeuse.

Tous les éléments qui passent se fixent dans ces barrières en céramique. C’est pourquoi aujourd’hui, lorsque vous repassez un uranium naturel à l’intérieur des barrières de diffusion gazeuse américaines, vous obtenez une signature en uranium 236. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la norme ASTM de l’uranium dit naturel a été établie à 20 ppm d’uranium 236.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Selon votre explication, la présence d’uranium 236 détectée dans l’uranium importé des Etats-Unis est due à une pollution préalable par de l’uranium retraité dans les chaînes de diffusion. Mais que fabriquent les Américains avec cet uranium de retraitement ?

M. Frédéric Tona : Ils réenrichissaient tout simplement l’uranium retraité. Les électriciens qui avaient des contrats d’enrichissement d’uranium avec le DOE, avaient la possibilité de livrer soit de l’uranium naturel, soit de l’uranium de retraitement. Par conséquent, les Américains, dans leurs contrats d’enrichissement d’uranium, ont intégré la possibilité d’enrichir de l’uranium de retraitement.

Dans l’uranium de retraitement, il reste toujours une quantité d’uranium 235 à faible « burn up », soit 1 à 1,5 %. S’il est à fort « burn up », vous tombez à 0,4 %, et il s’agit alors d’un uranium « appauvri » en opposition à celui qui est enrichi. Quand vous faites passer de l’uranium, par exemple, à 1,2 %, vous le réenrichissez. Entre 0,7 - teneur naturelle - et 1,2 %, vous avez déjà une composante UTS. C’est une matière que vous réenrichissez. C’est ce qu’ont fait les Américains pour le compte des électriciens.

Aujourd’hui, tous les uraniums, même naturels, qui passent directement par les enrichisseurs américains, portent une signature en uranium 236 à leur sortie de l’usine, même s’ils n’en ont aucune à leur entrée.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Dans un article récemment paru dans « Le Monde », il est fait état qu’une étude portant sur la pollution à base d’uranium des obus-flèches lancés par les Américains, effectuée par des experts européens pour le compte de la Communauté européenne, a détecté du plutonium. Comment expliquez-vous cela ?

M. Frédéric Tona : Dans le cadre d’analyses que nous avons effectuées, nous avons trouvé de l’uranium 236, mais pas de plutonium.

Revenons un peu en arrière. Giat Industries nous a demandé de nous approvisionner auprès de NMI. C’est ce que nous avons fait, car c’était la seule source que nous connaissions. Par ailleurs, Giat Industries nous a communiqué les spécifications de l’uranium souhaité, à savoir de l’uranium appauvri avec un taux d’isotope 235 inférieur à 0,3 %, ainsi qu’une liste très stricte sur les teneurs en différents éléments tels que le fer, le chrome, le cobalt.

La société Giat Industries a beaucoup insisté sur ces points, sans jamais se préoccuper de savoir s’il y avait ou non de l’uranium 236. Nous avons effectué des analyses sur les lots d’uranium appauvri livrés par NMI et nous avons découvert un léger marquage. Par rapport à la norme américaine qui est de 20 ppm d’uranium 236 pour l’uranium dit naturel, nous avions trouvé une teneur en uranium 236 de 31 ppm en moyenne. Nous avons pensé à une pollution. En fait, si vous utilisez de l’uranium de retraitement appauvri, vous ne pouvez obtenir le niveau de pureté requis pour les autres éléments, à savoir le fer, le chrome et le cobalt. Lorsque nous avons demandé à notre fournisseur, NMI, la raison de ce léger marquage en uranium 236, il s’est borné à nous indiquer que le DOE lui avait livré, en 1993, 1994, voire 1995, une matière en provenance de l’usine de Paducah.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Est-ce l’explication qu’ils vous ont fournie quant à la pollution ?

M. Frédéric Tona : Non, c’est l’explication que je donne car je la constate. Quand de l’uranium enrichi UF6 nous arrive des Etats-Unis, nous avons toujours un marquage par de l’uranium 236, généralement en dessous de 20 ppm. C’est pourquoi la norme ASTM a été fixée à 20 ppm.

Se pose également le problème des pieds de cuve des cylindres. Quand le cylindre est vidé, il subsiste toujours un fond qui peut contenir de l’uranium 236. Par conséquent, l’uranium UF6, naturel, propre, qui y sera versé, pourra se contaminer. En effet, les cylindres ne sont pas lavés à chaque manipulation car la norme nous autorise quelques ppm d’uranium 236.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Dans votre raisonnement, il y a un élément que je ne saisis pas. S’agissant des obus à uranium appauvri américains, nous avons maintenant la certitude, suite aux analyses effectuées qui ont détecté du plutonium, qu’il s’agit bien d’obus à base d’uranium retraité.

Vous dites qu’il faut de l’uranium naturel, même pollué par l’uranium 236, pour être conforme aux normes sur les métaux, en raison d’un problème au niveau de l’alliage. Dans ce cas, pourquoi les Américains parviennent-ils à fabriquer des obus et pas les Français ?

M. Frédéric Tona : Ce n’est pas que nous ne parvenions pas à fabriquer de l’uranium métal.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Alors pourquoi avez-vous ces normes draconiennes alors que les Etats-Unis utilisent leur uranium retraité, avec divers produits annexes, sans se poser de questions ?

M. Frédéric Tona : Dans les analyses faites par les Suisses ou la Communauté européenne, dont la presse s’est faite l’écho, on retrouve à peu près la même signature, soit 30 ppm d’uranium 236.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : On trouve également du plutonium 239 dans ces analyses, alors que vous n’avez pas obtenu le même résultat !

M. Frédéric Tona : En effet, nous n’avons pas trouvé de plutonium 239 dans les échantillons analysés.

M. Bernard Cazeneuve, Président : La question qui nous intéresse est double. Nous aimerions savoir si les obus-flèches à uranium appauvri, utilisés sur le théâtre des opérations dans le cadre de la guerre du Golfe et du conflit des Balkans, avaient une composition isotopique qui pouvait ou non mettre en danger la vie de nos soldats.

M. Frédéric Tona : C’est la partie épidémiologique de la question.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Non, il s’agit de l’exposition de nos soldats à des risques ayant pu engendrer des maladies. Le travail épidémiologique, conduit par le Professeur Salamon, n’est pas celui de la mission d’information, même si nous sommes amenés à travailler en étroite liaison avec lui.

Nous avons la réponse à la question que pose Mme Rivasi s’agissant des lots français, car nous avons demandé au ministère de la Défense de nous communiquer la composition isotopique de l’ensemble des obus-flèches à uranium appauvri à sa disposition. Dans la composition isotopique de ces armes, dont vous avez les tableaux sous les yeux, il n’y a pas de plutonium.

M. Henri Staeger : Non.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous avons donc la réponse à la question posée par Mme Rivasi.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Il y a tout de même une présence d’uranium 236 dans ces lots.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Je souhaite que nous portions au compte rendu de cette séance des éléments qui sont incontestables dans la perspective de la rédaction de notre rapport. Aujourd’hui, nous savons très clairement que les obus appartenant à des lots français, dont la composition isotopique nous a été notifiée par le ministère de la Défense au terme de notre saisine, ne contiennent pas de plutonium. Messieurs, vous venez de nous le confirmer par votre exposé. Ils contiennent de l’uranium 236 pour des raisons que vous venez de porter à notre connaissance. Il n’y a donc aucune ambiguïté sur le fait que les lots ne contenaient pas de plutonium, puisque nous en avons la composition.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Il manque tout de même trois lots sur les dix lots existants.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Aujourd’hui, la réalité s’appuie sur les documents qui nous ont été transmis et sur les confirmations qui viennent de nous être apportées. Pour ma part, je ne fais aucune extrapolation quant aux trois lots dont il nous manque les analyses. Elles doivent nous être transmises. Nous pourrons alors poser les questions s’y rapportant.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Nos militaires français ont surtout été exposés à des obus-flèches américains. Par conséquent, reste posée l’hypothèse d’une contamination à base de plutonium et plus vraisemblablement par les poussières produites par les explosions de ces munitions.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Cette question doit effectivement être posée, mais à ceux qui sont en mesure d’y répondre.

M. Henri Staeger : L’industriel français que je représente peut tout à fait vous parler des obus-flèches français, mais pas des armements américains. Je ne sais pas combien de munitions ils ont tiré, ni la composition de ces dernières. De façon certaine, je peux vous confirmer les éléments suivants : nous avons livré des flèches en uranium à partir de 1995, à des fins de développement ; les flèches pour l’AMX-30 ont été livrées en 1999 ; les premières flèches de 120 ont été livrées en 1997.

Par ailleurs, je suis en mesure de vous confirmer que selon les spécifications formulées par Giat Industries, en particulier un allongement supérieur à 16 %, il faut un matériau qui, outre le fait qu’il soit allié à 0,75 % de titane, doit avoir un niveau d’impuretés métalliques tellement bas que c’est un uranium de très haute volée. Il est rare d’avoir besoin d’un uranium avec de telles caractéristiques mécaniques.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Dans l’uranium métal, est-il possible d’additionner du béryllium ?

M. Henri Staeger : J’ai lu, en effet, des articles dans la presse qui font état d’élucubrations sur la composition d’une flèche avec une coiffe en béryllium, justifiant cette association par l’ajout aux caractéristiques mécaniques de l’uranium des caractéristiques de pollution du béryllium.

La coiffe que nous livrons est en acier. De plus, les propriétés mécaniques du beryllium ne me paraissent pas compatibles avec cette application.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Par conséquent, vous ne livrez à Giat Industries que l’obus-flèche, puisque c’est Giat Industries qui se charge de l’assemblage.

M. Henri Staeger : Je vous ai montré une photo de la flèche telle que nous la livrons à l’établissement de Giat Industries, à Salbris. A ma connaissance - mais je n’ai pas assisté aux opérations réalisées par Giat Industries -, cet établissement ne fait que monter la cartouche explosive derrière le sabot, sans toucher à la flèche, car la partie entre la coiffe en acier et le sabot est peinte.

M. Bernard Cazeneuve, Président : M. le Président, je pense que vos réponses très précises, complétées par les éléments que nous demanderons à Giat Industries, nous permettront de faire la lumière sur la composition des obus à uranium appauvri français, et de mettre un terme à certaines contrevérités en la matière.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : L’usine de Malvési était opérationnelle pour fabriquer de l’uranium métal. Pourquoi avoir abandonné cette fabrication d’uranium métal pour l’importer des Etats-Unis ? Pour l’armée, il ne s’agit pas forcément d’une question financière, d’autant que Malvési a une partie civile et une partie militaire.

M. Frédéric Tona : Non, l’usine de Malvési est entièrement civile. C’est une question de coût, uniquement.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Combien cela vous coûte-t-il d’importer de l’uranium métal des Etats-Unis ?

M. Frédéric Tona : Moins cher que de le fabriquer à Malvési.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : L’uranium métal américain est-il différent de l’uranium métal fabriqué en France ?

M. Frédéric Tona : En principe, non, mais tout dépend des impuretés qu’il contient.

M. Henri Staeger : Nous avons examiné les caractéristiques de l’uranium métal fabriqué à Malvési. Pour l’application à des obus antichars, deux pollutions nous gênaient s’agissant des impuretés métalliques, notamment les impuretés en silicium. En effet, dans le procédé utilisé sur l’uranium de Malvési, de mémoire, nous devions obtenir un peu plus de 100 ppm de silicium : c’est un taux relativement gênant au niveau des caractéristiques mécaniques de la flèche.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : D’où provenait cette pollution ? De la matière première ?

M. Frédéric Tona : Non, cela provenait certainement du process. A l’usine de Malvési, on fabriquait essentiellement de l’uranium métal naturel pour les centrales graphite-gaz et très peu d’uranium métal appauvri. De plus, entrait en ligne de compte une question de coût. Quand, en 1993, s’est posée la question de savoir si la fabrication se faisait ou pas à l’usine de Malvési, il a été très clair que la société Giat Industries n’était pas disposée à payer le prix demandé.

M. Charles Cova, Vice-Président : NMI est-il le seul fabriquant d’uranium appauvri métal aux Etats-Unis ?

M. Frédéric Tona : Non, il y en a plusieurs. A l’origine, il y en avait deux, Aerojet et NMI-Starmet. L’armée américaine se fournit chez NMI.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Et vous ?

M. Frédéric Tona : Il ne s’agit pas de nous. C’est Giat-Industries qui se fournit chez NMI, Nuclear Metal Inc, dont le nouveau nom est Starmet. Cette société est localisée à Concord et leur usine est située à Barnwell. Il s’agit d’une société privée qui est actuellement en vente.

M. Jean-Louis Bernard : Vous nous avez expliqué que la société Giat Industries avait préféré s’approvisionner aux Etats-Unis. Peut-on supposer que cela soit également dû aux lobbies antinucléaires qui ont donné une image défavorable de la production et du traitement de l’uranium en France ?

L’intoxication au plutonium peut avoir des conséquences. Or, à ma connaissance, que ce soit aux Etats-Unis ou en Angleterre, il n’a pas été démontré de corrélation entre un certain nombre de troubles présentés par les anciens combattants de la guerre du Golfe et une éventuelle intoxication par le plutonium.

M. Frédéric Tona : S’agissant de votre première question, la réponse est négative. En ce qui concerne les lobbies antinucléaires, ils n’ont eu aucun rôle dans le choix de recourir à NMI. Ce fut un choix purement économique.

Quant à la deuxième question, je ne suis pas en mesure de vous répondre.

M. Jean-Louis Bernard : Si je comprends bien, on peut déduire de ces études qu’une intoxication au plutonium à l’occasion de l’utilisation de ces munitions ne peut avoir des effets à court ou moyen terme.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Dix ans se sont écoulés depuis 1990.

M. Jean-Louis Bernard : Justement, je pose cette question pour écarter cette hypothèse par le paradoxe.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Non, pas du tout. Dix ans représentent déjà un long terme pour une contamination.

M. Jean-Louis Bernard : Certes, mais on devrait alors avoir une corrélation : ou cette corrélation existe, ou elle ne peut être constatée.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Pour cela, il faut mener une étude épidémiologique et il n’y en a pas eu en France.

M. Jean-Louis Bernard : Peut-être ; toujours est-il qu’en Angleterre, une étude épidémiologique, actuellement menée en étroite collaboration avec le National Health Service et les anciens combattants de la guerre du Golfe, n’a pas fait ressortir de différence significative en matière de tumeurs malignes, de leucémies, voire de mortalité à dix ans.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Il y a 3 % de mortalité de plus.

M. Jean-Louis Bernard : Ces 3 % sont principalement liés à des accidents de la route.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Il y a un mois, une délégation de notre mission a effectué un déplacement en Grande-Bretagne. Des informations non ambiguës nous ont été apportées sur ce sujet.

M. André Vauchez : Quand la flèche percute un char, que peuvent engendrer les effets thermiques, notamment la transformation totale de la masse d’uranium en poussières ? Quel risque y a-t-il à respirer de telles poussières, avec ou sans plutonium ?

M. Henri Staeger : Je n’ai pas les compétences pour discuter des effets d’une flèche en uranium sur un char. Il conviendrait d’examiner la physique d’interaction entre une flèche à grande vitesse et un char ainsi que les matériaux qui composent un char, y compris les munitions à son bord. Peut-être même faudrait-il procéder à une simulation grandeur nature.

Dans notre secteur, la métallurgie, nous ne sommes pas confrontés à ce type de transformation d’uranium. Nous fondons le matériau à haute température. La phase de poussières ou de mise en poussières par un impact cinétique à grande vitesse n’existe pas. Seul Giat Industries est à même de vous apporter les précisions que vous me demandez.

M. Charles Cova, Vice-Président : Je rebondis sur la composition des métaux qui composent un char. A votre connaissance, dans le blindage des chars, y a-t-il ou non de l’uranium appauvri hors certaines pièces ?

M. Henri Staeger : En France, à ma connaissance, non, que ce soit sur le char Leclerc, ou l’AMX-30. Quant aux Etats-Unis, je ne saurais dire.

M. Charles Cova, Vice-Président : Avez-vous fourni du métal d’uranium appauvri pour la fabrication de blindages ?

M. Henri Staeger : Pour fabriquer un blindage de char en uranium appauvri, il faut un laminoir. C’est une gamme de fabrication complètement différente de celles pour lesquelles nous sommes spécialistes. Comme nous sommes les seuls en France à avoir une installation de métallurgie d’uranium métal, je peux vous confirmer que l’uranium métal n’entre pas dans la fabrication du blindage des chars français.

Il est possible d’imaginer des développements spécifiques, mais aucune fabrication. S’agissant des chars américains, je sais simplement que les Américains ont fabriqué beaucoup de choses avec l’uranium, mais jusqu’où sont-ils allés concernant le blindage ? Je ne saurais vous dire.

A une époque, certains journaux ont joué sur l’attaque-défense, en imaginant que, comme la flèche en uranium perçait le char en acier, il convenait de mettre du blindage en uranium. Ensuite ils ont imaginé, comme la flèche arrivait sur le blindage en uranium sans le percer, d’envoyer des précurseurs afin de soulever la plage en uranium et passer dessous. Ce sont des choses que l’on peut lire dans la presse.

Concernant les chars français, ma réponse est tout à fait claire : SICN étant le seul industriel français travaillant dans le domaine de l’uranium métal, s’il y avait eu du laminage d’uranium en grande série, je l’aurais su.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : SICN est-elle actuellement la seule société en France à fabriquer de l’uranium appauvri en métal ?

M. Henri Staeger : Depuis 1993, oui.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Qui fabrique alors les quilles de bateau en uranium appauvri ou l’uranium appauvri que l’on retrouve au niveau des ailes des avions ?

M. Frédéric Tona : Je suppose que Boeing se fournit aux Etats-Unis.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Par conséquent, vous ne fabriquez que les obus ?

M. Henri Staeger : Jusqu’en 1993, deux industriels français travaillaient sur l’uranium métal : la société Cerca et la société SICN. Depuis 1993, il n’y a plus que SICN puisque Cerca, qui mettait en oeuvre l’uranium métal sur le site de Bonneuil, a fermé ce site et l’a décontaminé.

Concernant nos applications en uranium, nous produisons des lests, nous fabriquons des blindages pour les sources de cobaltothérapie pour les hôpitaux. Pour en revenir aux exemples que vous avez pris, la quille du Pen Duick III, me semble-t-il, a effectivement été fabriquée en uranium en 1990 ou 1991.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Quelles sont les précautions prises par vos travailleurs qui manipulent l’uranium appauvri ?

M. Henri Staeger : Quand ils travaillent sur l’uranium métal, les employés prennent des gants et quand ils travaillent sur le démoulage, c’est-à-dire lors de la séparation du graphite du lingot, ils mettent en plus un masque.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Ce, afin de ne pas inhaler des poussières ?

M. Henri Staeger : Dans les articles de la presse généraliste, on parle de particules microniques. Or les poussières du style oxyde sont plutôt de la taille du millimètre.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : N’y a-t-il pas aussi une phase d’usinage ?

M. Henri Staeger : Non ; ce sont des plaques d’oxyde qui font plusieurs millimètres de diamètre. Il n’y a aucune poussière micronique dans la métallurgie de l’uranium.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Avez-vous fabriqué des obus à base de tungstène ?

M. Henri Staeger : Non ; la seule société qui a fabriqué des flèches en tungstène était une filiale de Giat Industries. Depuis, elle a été rachetée par la société Plansee. Elle s’appelle Cimébocuse.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : De l’obus-flèche à base de tungstène et l’obus-flèche à base d’uranium, laquelle de ces munitions est la plus chère ?

M. Henri Staeger : Je ne sais pas. Il me semble que le procédé de fabrication d’une flèche en tungstène est très complexe. Nous avons trouvé un processus de mise en forme de l’uranium qui, à mon avis, est moins cher que la métallurgie des poudres tungstène. Sans aucune certitude, je dirais que nous sommes un peu moins chers.

Mme Michèle Rivasi, co-rapporteure : Pouvez-vous nous donner un ordre de prix d’un obus-flèche à base d’uranium appauvri ?

M. Henri Staeger : Une flèche en uranium, telle que je vous l’ai présentée, se vend entre 3 000 et 5 000 francs. Il ne s’agit, bien entendu, que du prix de la flèche, hors les autres composantes de l’obus tel qu’il est livré par Giat Industries aux armées.

M. Claude Lanfranca, co-rapporteur : On parle d’uranium appauvri sur les ailes d’avions civils, mais j’espère que cela ne concerne que le lestage ou les freins. Rassurez-nous !

M. Henri Staeger : A ma connaissance, dans les applications de l’uranium métal dans l’aéronautique en France, seules des recherches de développement ont été effectuées sur une partie qui concerne les aérofreins, afin d’éviter le phénomène de flottement. J’entends et je lis par l’intermédiaire de la presse que Boeing aurait installé de l’uranium appauvri sur l’ensemble de sa flotte. Ce n’est pas le cas sur les avions français ou alors, leurs fabricants ne se sont pas approvisionnés chez nous.

M. Bernard Cazeneuve, Président : Nous vous remercions pour vos réponses très précises.


Source : Assemblée nationale (France)