Alors que les drogues saisies sont officiellement incinérées dans la plupart des pays du monde, l’Iran a choisi de recycler les opiacés dans le but de les commercialiser. Cette pratique est autorisée par l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) qui cependant essaie de la décourager car elle constitue une concurrence "déloyale" à l’égard des producteurs légaux d’opium comme l’Inde. Ainsi l’usine Temad, située au kilomètre 20 de l’autoroute Téhéran - Karaj à l’ouest de la capitale iranienne, produit quatorze substances de base destinées à l’industrie pharmaceutique. Il y a un an environ, l’Iran a demandé à l’OICS l’autorisation de produire trois opiacés : phosphate de codéine, noscapine et sulfate de morphine. L’envoyé spécial de l’OGD en Iran a pu visiter l’usine en fin de la journée, lorsque les locaux se vidaient et que seule une ingénieur chimiste, voile noir sur blouse blanche, travaillait encore au fond de son labo : elle versait une poudre cristalline dans un tube à essais, dernier test sur un échantillon de phosphate de codéine dont 150 kilos, enfermés sous clé, sont destinés à l’exportation, principalement en Grande-Bretagne, au Canada ou au Japon. Le sulfate de morphine est, lui, utilisé dans les hôpitaux de la République islamique. Le coût de production d’un kilo de cette substance est d’environ 40 dollars, alors que son prix sur le marché mondial est de 400 dollars le kilo. Le sulfate de morphine a rapporté, en l994, 500 millions de rials (830 000 francs) à l’usine. L’exportation de noscapine et du phosphate de codéine ont signifié une entrée de près de cinq millions de francs. Si les bénéfices sont aussi importants c’est que ces substances sont exclusivement élaborées à partir des saisies considérables opérées sur le sol iranien. "C’est amplement suffisant pour notre approvisionnement" a déclaré, à l’envoyé de l’OGD, M. Ekhteray, le jeune directeur de Temad, debout dans le hall de son usine où règne une forte odeur de solvant. Il affirme recevoir, sur une année, autour de 50 tonnes d’opium (d’une teneur d’environ 10 % en morphine base) et de 10 tonnes de morphine base (donnant cinq tonnes de sulfate de morphine). Les livraisons, une moyenne de huit par mois, sont faites par les forces de police qui surveillent l’acheminement de la drogue jusqu’à une grande cuve de brassage où elle subit son premier "nettoyage". Plusieurs jours après la dernière livraison, une odeur âcre, caractéristique de l’opium, s’échappe de la cuve. Après que M. Ekhteray a brisé les scellés qui interdisent l’entrée d’une des chambres de séchage, un ingénieur ouvre la lourde porte. Sur de grands plateaux rangés les uns au-dessus des autres, plus de 100 kilos de poudre blanche - brunâtre, destinée à être transformée en codéine, achèvent de sécher... Mais tout l’opium, la morphine ou l’héroïne en provenance de l’Afghanistan et du Pakistan qui entrent en Iran ne finissent pas dans l’usine de Temad. La plus grande partie de l’opium et de la morphine franchit la frontière turque pour être transformée en héroïne dans les laboratoires clandestins de ce pays (La Dépêche Internationale des Drogues n°40). Les consommateurs iraniens affirment également pouvoir trouver en permanence et "très facilement" ces drogues, même si régulièrement Pasdarans (gardiens de la Révolution) et forces de police font des descentes surprises dans les endroits chauds. Les données précises sur le nombre des "toxicomanes" sont rares et contradictoires. En 1991, les autorités ont affirmé à des représentants du Programme des Nations unies de contrôle international des drogues (PNUCID) que leur pays comptait 200 000 héroïnomanes et 400 000 opiomanes. En 1993, elles déclaraient à la presse qu’il existait un million de "drogués" aux opiacés en Iran et elles ont avancé le chiffre de 500 000 devant l’envoyé de l’OGD. Ce chiffre prenait-il en compte les fumeurs occasionnels ? L’opium semble en effet redevenir à la mode dans les milieux aisés, comme il l’était avant la révolution islamique, plus comme un "must" des fins des soirée chics que comme une toxicomanie. En revanche, il existe dix-sept centres de désintoxication qui accueillent chacun un millier de personnes en moyenne, majoritairement des opiomanes. La plupart des personnes, qu’elles soient volontaires ou conduites dans les centres à la suite de leur arrestation, sont issues des couches populaires - chômeurs, marchands du bazar ou anciens militaires - et ne déboursent pas plus de 5 à 10 francs, soit le prix d’un paquet de cigarettes, pour se procurer leur opium quotidien (envoyé spécial de l’OGD en Iran).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 47