Présidence de M. Alain TOURRET, président

MM. Kessler, Moreau et Laborde sont introduits.

M. le président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du président, MM. Kessler, Moreau et Laborde prêtent serment.

M. Denis KESSLER : Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, Mesdames, Messieurs les députés, la MNEF n’appartient pas à la Fédération française des sociétés d’assurance. Nous ne disposons pas d’informations particulières - nous n’avons d’ailleurs pas de raison d’en avoir - en dehors de ce que nous avons pu lire dans les journaux et des rapports officiels qui ont été publiés ; nous ne sommes donc pas aptes à apprécier la situation de cet organisme.

En revanche, nous considérons qu’il convient peut-être de voir, dans les déboires de la MNEF, les conséquences du système mutualiste tel qu’il fonctionne actuellement. C’est ce point que je souhaiterais développer.

Le monde mutualiste est assez complexe. Il faut distinguer les mutuelles d’assurance régies par le code des assurances, de la Mutualité " 1945 " qui est très spécifique et qui n’existe qu’en France ainsi qu’en Belgique. La spécificité française se mesure au fait qu’il n’a pas été possible, pendant longtemps, de décider si ces organismes relevaient des directives européennes d’assurance " Vie " et " non Vie ".

Le débat a été tranché au début des années quatre-vingt-dix. A la demande de la Mutualité française, les organismes mutualistes ont été déclarés comme relevant des directives assurances au niveau européen. Etant déjà à l’époque en poste, j’étais partie prenante à ce débat, et je rappellerai que Pierre Bérégovoy nous avait consultés sur l’introduction de la mutualité dans les directives assurances. Nous avions donné un avis positif, à condition qu’il y ait transposition des directives dans le droit français et égalisation fiscale. Depuis sept ans, cette condition n’est toujours pas remplie.

Ce qui s’est passé à la MNEF s’explique certainement pour partie par le fait que les dispositions régissant la mutualité permettent que ce type de difficultés puisse exister.

Il s’agit d’organismes intervenant sur le marché de la protection sociale complémentaire - ils agissent également sur le régime de base, mais par délégation -, sachant que cette protection sociale relève avant tout des décisions des individus concernés qui peuvent ou non compléter les garanties offertes par les mécanismes obligatoires de la sécurité sociale.

D’autres institutions interviennent sur ce marché de la protection sociale complémentaire : les sociétés d’assurance - qu’elles soient anonymes ou mutuelles - et les institutions de prévoyance qui relèvent du code de la sécurité sociale. Ce qui veut dire qu’en France des organismes intervenant sur le même marché relèvent de trois codes différents : le code de la mutualité, le code de la sécurité sociale et le code des assurances.

S’agissant de la garantie complémentaire par rapport aux dépenses de soins et de biens médicaux - les derniers chiffres datent de 1997 -, la mutualité représente 7,1 %, les assurances 3,1 % et les institutions de prévoyance 1,7 %, le fait notable étant la croissance de la part de la mutualité.

Le problème est le suivant : ces trois organismes interviennent sur un même marché, mais sans jouer le jeu de la concurrence. Je parlerai tout d’abord des privilèges fiscaux.

Nous avons chiffré les privilèges fiscaux dont dispose à l’heure actuelle la mutualité " 1945 " à environ 10 milliards de francs par an. Ces aides vont de l’économie de la taxe de 7 % sur les contrats d’assurance maladie, à l’exonération de la taxe professionnelle, des taxes d’apprentissage, de la taxe ORGANIC, de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur les excédents, aux problèmes de TVA, sans parler des fonctionnaires et des personnels mis à disposition. Ces avantages fiscaux ne sont pas étrangers sur une longue période à l’évolution des parts de marché que j’ai indiquée précédemment.

La mutualité a d’autres avantages, et j’en prendrai un exemple : le contrôle. Nous avions souhaité une commission de contrôle identique pour les institutions de prévoyance, les mutuelles et les sociétés d’assurance - puisqu’elles pratiquent les mêmes opérations qui relèvent des mêmes directives européennes. Nous n’avons pas été suivis sur ce point, et deux commissions de contrôle ont été maintenues : l’une ayant une très longue expérience, la commission de contrôle des assurances, l’autre dépendant du ministère des affaires sociales.

J’avais tout de même convaincu les pouvoirs publics de l’époque qu’un seul président devait présider les deux commissions afin d’assurer l’unité de jurisprudence. Cela a été fait mais aujourd’hui nous avons toujours deux commissions de contrôle, la commission de contrôle des assurances semblant mieux fonctionner que celle dépendant du ministère des affaires sociales.

Autre problème de distorsion de concurrence, celui de la délégation de gestion de la sécurité sociale. Nous n’avons pas la possibilité d’avoir de délégation de gestion de la sécurité sociale pour les salariés du secteur privé. Nous trouvons tout à fait anormal que cette délégation de gestion existe pour les fonctionnaires et les étudiants et pas pour les autres. Un certain nombre de mutuelles relevant de la FNMF disposent donc de remises de gestion par délégation, fixées de manière que je qualifierais de spécifique. Or nous aimerions faire le même type d’opération avec les remises de gestion pratiquées par la CNAM. La Cour des comptes a d’ailleurs écrit, à ce sujet, des choses tout à fait fondées en ce qui concerne le montant arbitraire des remises de gestion.

Il n’y a aucune raison, dans une démocratie, qu’il y ait délégation de gestion pour les fonctionnaires et les étudiants, et pas pour les salariés du secteur privé.

Bien entendu, la confusion, dans un organisme qui réalise à la fois des opérations de base de manière délégataire - avec les remises de gestion - et de la protection sociale complémentaire qui relève du marché, peut être à l’origine des dysfonctionnements dont la presse s’est fait l’écho et qui justifie votre commission d’enquête.

En ce qui concerne les assurances, nous sommes organisme délégataire uniquement pour les non salariés. Nous avons un organisme, le CAMEX, qui couvre la sécurité sociale de base pour les exploitants agricoles. Je peux vous assurer que cet organisme, qui fonctionne aussi avec des remises de gestion, ne fait aucune opération de marché. Ses comptes ne correspondent qu’à des opérations de sécurité sociale, contrairement, me semble-t-il, à ce qui existait à la MNEF.

Dernier exemple de distorsion de concurrence : dans la fonction publique la mutualité dispose d’un monopole de fait et certains instruments, tels que la mise à disposition de fonctionnaires ou les précomptes des cotisations, nous semblent faire obstacle à la libre concurrence.

Pour vous donner un exemple concernant la MNEF, en 1994 un dossier a été déposé devant le Conseil de la concurrence, considérant qu’il existait une sorte de monopole de fait, l’accès aux étudiants étant pratiquement impossible. En effet, les cotisations de la MNEF étaient collectées par les agents comptables des universités ; lorsque vous alliez vous inscrire, vous versiez en même temps votre cotisation à la MNEF et vos droits d’inscription pratiquement au même guichet. Malheureusement, le Conseil de la concurrence s’est déclaré incompétent. Mais nous considérons que ce n’est pas parce qu’il est incompétent que le problème n’est pas important et nous affirmons que les modalités des collectes des cotisations posent un véritable problème de distorsion de concurrence.

La situation que je viens de décrire ne peut pas perdurer avec l’Europe. La Commission européenne a d’ailleurs souvent demandé à l’Etat français d’appliquer les directives assurances à la mutualité, comme le Gouvernement s’y était engagé. Cela a été fait pour les institutions de prévoyance, par la loi du 8 août 1994, mais toujours pas pour la mutualité.

Excédée, la Commission a décidé de porter l’affaire devant la Cour de justice des communautés européennes. Les dernières informations que j’ai pu recueillir, de la part du commissaire M. Monti, démontrent qu’il est temps de transposer ces directives au monde de la mutualité.

M. Michel Rocard a été nommé par le Gouvernement pour mener une étude sur les conditions de cette transposition. Je ne connais pas les propositions qu’il tirera des auditions qu’il a pratiquées, mais nous considérons que le moment est venu pour la mutualité d’entrer dans le droit commun européen.

Nous avons, dans le domaine fiscal, des contentieux en cours qui seront réglés lorsque la transposition sera effective, mais les distorsions s’aggravent. Le Sénat discute aujourd’hui d’une proposition de loi votée en première lecture par l’Assemblée nationale, relative au fonds de garantie de l’assurance-vie. On crée un fonds de garantie pour les sociétés d’assurance dans le domaine de l’assurance-vie qui ne s’appliquera ni aux institutions de prévoyance, ni à la mutualité. Seule une déclaration dans le préambule précise que ce fonds de garantie sera créé plus tard. Cela va créer une distorsion de concurrence supplémentaire puisque seules les sociétés d’assurance devront cotiser.

Je vous donnerai maintenant deux ou trois précisions concernant la transposition. Il faut se souvenir, comme je l’ai dit, que c’est à la demande expresse de la mutualité qu’elle a été incluse dans les troisièmes directives " Vie " - elle avait très peur de se retrouver rattachée à la sécurité sociale.

Pierre Bérégovoy avait indiqué à M. René Teulade, alors ministre des affaires sociales, que cette demande se traduirait par une application des directives et par le règlement de toutes les distorsions de concurrence. Nous avions un accord avec Pierre Bérégovoy concernant la transposition et le règlement progressif des différentiels - notamment fiscaux. L’idée était que la taxe de 9 %, acquittée par les assureurs et pas par la mutualité, passerait à 7 % puis à 5 %, et éventuellement convergerait vers un taux unique. Pierre Bérégovoy a respecté cet engagement, puisque la taxe est passée de 9 % à 7 % en 1993, mais nous nous sommes arrêtés là.

La mutualité a ensuite changé d’avis : elle ne voulait plus être dans les directives assurances. Le problème est qu’il faudrait, pour ce faire, l’accord de tous les autres pays de la Communauté ; ce qui est impossible.

M. Jean-Louis FOUSSERET : Oui, mais la demande de la mutualité était assortie de conditions que vous n’évoquez pas.

M. Denis KESSLER : Vous me permettrez d’insister sur les points qui m’intéressent ! La Commission européenne avait demandé la transposition. Les troisièmes directives étaient extrêmement claires, et l’idée était la transposition intégrale des directives assurances à la mutualité.

La mutualité a donc souhaité sortir des troisièmes directives et a pensé que l’on pourrait élaborer, au niveau européen, une directive " Economie sociale " - spécialement pour traiter du cas de la mutualité et de sa spécificité. Cette voie a été fermée par les autres pays européens qui ne souhaitaient pas créer un troisième secteur - entre la sécurité sociale et l’assurance. L’Europe n’a donc jamais changé d’avis et souhaite toujours la transposition.

Notre position est claire : nous avions donné un accord de principe sur l’introduction de la mutualité dans les troisièmes directives " Vie ". J’avais une expression qui était la suivante : " Bienvenue au club, le port de la cravate est obligatoire ". Quand je parle du port de la cravate, cela veut dire que la transposition des directives doit être intégrale.

Nous avons le sentiment qu’une transposition complète des troisièmes directives Vie est le meilleur moyen d’éviter de nouveaux problèmes tels que ceux rencontrés par la MNEF. C’est la raison pour laquelle, de manière structurelle, la transposition des directives permettrait d’améliorer la situation.

Tout d’abord, ce serait une spécialisation claire de l’activité d’assurance. Dans les directives, une clarté des comptes est imposée aux assureurs : les opérations figurent dans un compte, et les comptes doivent correspondre à l’activité d’assurance. Cela permet d’établir des bilans et des comptes d’exploitation qui n’expriment que les opérations d’assurance.

Il est évident, à l’heure actuelle, que la confusion - dans les mêmes comptes -, au sein des mutualités, entre ce qui relève de l’assurance et ce qui relève d’autres activités pose des problèmes.

Ensuite, deuxième élément de la transposition, les normes de solvabilité - qui existent pour les institutions de prévoyance et les assureurs. Elles seraient identiques de façon à garantir, à l’égard des mutualistes, la solvabilité des organismes mutualistes auxquels ils adhèrent.

Troisièmement, l’obligation de transparence. Il y a là l’idée d’un plan comptable afin que les opérations soient dûment répertoriées et publiées. La sagesse commence par la comptabilité, monsieur le président !

Tout cela permettrait une concurrence normalisée, certains acteurs d’un même marché ne disposant plus d’avantages. Nous avons le sentiment que lorsqu’on a des rentes, on les utilise mal. Et lorsqu’on est à l’abri de dispositions de protection ou d’avantages fiscaux, il y a une distorsion et cette rente éloigne de la recherche d’une meilleure rentabilité.

Nous considérons donc que cette transposition est indispensable et qu’elle n’exclut nullement le respect de l’identité mutualiste. En effet, cette transposition a eu lieu pour les institutions de prévoyance qui sont des organismes paritaires, régis par un principe non lucratif. Ensuite, il restera à obtenir la suppression des différentiels fiscaux qui continuent d’exister.

Cette transposition aura plusieurs conséquences : liberté de transferts des portefeuilles, liberté de réassurance, plan comptable, marge de solvabilité, clarté entre les opérations relevant de l’assurance et celles dites d’œuvre sociale. Elle permettra enfin de supprimer les cadres dans lesquels la confusion aboutit à des errements.

M. le Président : Monsieur le président, je vous remercie. Vous placez votre discours sur le plan de la concurrence et de la transparence. Le directeur de la CNAM, que l’on a entendu, articulait le sien autour de la suppression des mutuelles étudiantes qui devraient être rattachées au régime général - ce qui engendrerait des économies de plusieurs centaines de millions de francs.

Soutenez-vous cette idée, ou, dans le souci de concurrence que vous avez développé, estimez-vous que l’on doit maintenir une mutualité qui corresponde aux règles générales de la concurrence ?

M. Denis KESSLER : A système institutionnel inchangé, s’il y a des possibilités de délégations accordées avec des remises de gestion, cela devrait être offert, dans le cadre d’un cahier des charges, à tous les intervenants. Ce cahier des charges devant être élaboré et vérifié, il appartient à la CNAM de mettre en œuvre des procédures de contrôle. Je ne vois pas pourquoi supprimer la délégation dès lors qu’elle est ouverte à tout le monde et qu’elle est faite en respectant un cahier des charges.

Ce qui pose problème, c’est la possible confusion de la délégation de ce régime de base avec des opérations complémentaires. Un même organisme qui réalise des opérations obligatoires par délégation et des opérations facultatives en complément, c’est une distorsion de concurrence. D’où viennent les fonds qui financent les opérations marchandes, dans quel cadre, sous quel contrôle ? Là il y a confusion. La délégation doit donc être accordée à un organisme à but unique délégataire de la sécurité sociale, la protection complémentaire devant relever d’organismes complètement séparés avec des comptabilités séparées, des personnels séparés et des moyens séparés.

Si le système devait évoluer, il conviendrait de reconsidérer le problème de la délégation de gestion et de savoir s’il conviendrait de mettre les organismes en concurrence, et dans ce cas dans quel cadre et avec quelles contraintes.

M. le Président : Quel jugement portez-vous sur les tentatives de certaines mutuelles étudiantes de développer des partenariats financiers avec des grands groupes industriels, tels que Vivendi qui est entré dans le capital de Raspail Participations et Développement, l’une des sociétés holding de la MNEF ?

M. Denis KESSLER : Si une mutualité étudiante décide de réaliser des opérations facultatives à destination de la collectivité des étudiants qui ne passent en rien par un financement public - remises de gestion ou respect d’un cahier des charges correspondant à une obligation de service public -, je n’ai aucune appréciation à porter sur les partenariats éventuels que cet organisme pourrait nouer avec quiconque.

Le problème, ce sont les groupes complexes dans lesquels coexistent des opérations obligatoires et des opérations complémentaires - logement, tourisme, etc. - qui ne relèvent pas de la sécurité sociale, mais du marché.

M. le Rapporteur : Monsieur le président, vous avez beaucoup parlé de la transposition des directives européennes. Dans cette perspective, pensez-vous que l’assurance du risque santé doit répondre à des règles spécifiques, notamment la non-sélection du risque et des assurés ? D’aucuns affirment que s’il y a transposition, la consolidation du risque santé ne devra pas se faire sur l’ensemble de l’entreprise, mais devra représenter un domaine tout à fait à part.

M. Denis KESSLER : Si vous parlez de la Mutualité " 1945 ", hors délégation sécurité sociale, les textes existant à l’heure actuelle permettent de considérer que la transposition est intégrale. Je ne vois pas en quoi cela poserait des problèmes particuliers de sélection. L’adhésion à la mutualité est libre. La construction sociale de 1945 est claire sur ce point : un Français a le droit de s’adresser à l’organisme de son choix pour couvrir les dépenses au-delà de ce que la collectivité rembourse au titre de la sécurité sociale.

M. le Rapporteur : Je me suis peut-être mal exprimé. Ce qui semble poser problème, c’est le fait que les organismes - sociétés d’assurance ou mutuelles - ne puissent pas faire une sélection des personnes en fonction du risque qu’elles présentent, dans le domaine particulier de l’assurance complémentaire santé.

M. Denis KESSLER : La loi des grands nombres joue à partir d’une collectivité d’une trentaine de personnes. Croire que dans le domaine de la complémentaire santé, l’enjeu d’une sélection serait rentable par rapport aux mutualités larges est une erreur car la loi des grands nombres joue et fait converger rapidement vers les risques moyens de la population concernée ! Tout le monde pense que l’assurance est obsédée par la sélection des risques, alors que ce n’est pas le cas.

Le risque joue moins dans le domaine de l’assurance santé où s’appliquent les conditions de la loi Evin que dans le domaine de l’assurance-vie où des personnes viennent assurer des capitaux très importants. Or, dans ce cas, on nous a toujours reconnu le droit de demander un questionnaire de santé afin de s’assurer qu’il n’y a pas absence d’aléa car l’assurance repose sur l’aléa. Si le risque est déjà survenu, il ne peut être question de l’assurer.

Les questionnaires de santé ont été l’objet de longs débats, et il est très rare que le problème de la sélection apparaisse in concreto. Nous avons eu à faire face au problème du sida. Nous avons signé une convention avec les pouvoirs publics dans laquelle nous avons trouvé les formulations qui excluent les discriminations mais qui, en même temps, nous permettent d’exercer notre métier. Il en va de même pour les risques aggravés, c’est-à-dire certains types de maladie.

Dans le domaine de la protection complémentaire maladie, je ne vois pas, à l’heure actuelle, de problème particulier de sélection à souligner. Je dirais même que, de temps en temps, c’est l’inverse qui se produit : la mutuelle des fonctionnaires a la chance de couvrir des personnes qui ont subi avec succès l’examen médical obligatoire d’accès à la fonction publique. Le questionnaire médical devient là tout à fait inutile, la sélection ayant été faite avant !

M. Jean-Louis FOUSSERET : Je ne reviendrai pas sur les directives européennes, vous vous êtes largement exprimé à ce sujet et je comprends bien votre analyse, même si, je le répète, la demande de la mutualité pour entrer dans le dispositif était assortie de conditions que vous n’avez pas rappelées.

Vous avez beaucoup parlé de distorsion de concurrence, disant que " à compétence égale, traitement égal ". Je me dois tout de même de rappeler une différence : les assurances distribuent des bénéfices aux actionnaires, ce qui n’est pas le cas dans les mutuelles. La mutualité ne peut donc pas être comparée à une société d’assurance.

Par ailleurs, vous dites " bienvenue au club ". Je voudrais aller dans le sens de ce que disait Monsieur le rapporteur : j’ai le sentiment que la mutualité ne fait pas ou très peu de sélection par le risque. Il me semble, malgré vos propos, que tel n’est pas le cas dans les sociétés d’assurance. Etes-vous prêt à jouer le jeu et à accepter les mêmes règles que la mutualité, c’est-à-dire aucune différence tarifaire, pas de sélection par l’âge, etc. ?

M. Denis KESSLER : Monsieur le député, vous faites une distinction entre les sociétés de capitaux et les mutuelles. Or les institutions de prévoyance ne sont pas des sociétés de capitaux et sont pourtant couvertes par les troisièmes directives " Vie ".

J’ajoute que c’est une chance que, sur un marché, on puisse s’adresser à l’organisme de son choix. Si la mutuelle, qui n’a pas à rémunérer de capitaux, offre un service de meilleure qualité moins coûteux, tant mieux ! Si les sociétés de capitaux parviennent à rémunérer leurs actionnaires en plus d’offrir un service, tant mieux ! Je ne vois pas pourquoi il devrait n’y avoir qu’une forme de droit de propriété dans le domaine de l’assurance complémentaire.

Le plus important est de savoir si l’on dégage un bénéfice. Vous seriez surpris de constater que les excédents de la mutualité sont souvent supérieurs à ceux des sociétés d’assurance santé.

M. Jean-Louis FOUSSERET : Ils ne sont pas utilisés de la même façon.

M. Denis KESSLER : Certes, mais je crois savoir que le fisc s’intéresse à ces excédents qui auraient dû être l’objet de diminution des tarifs pratiqués par les mutuelles et redistribués.

De même, lorsqu’on prétend que la mutualité n’a pas d’objet lucratif, on ne devrait pas utiliser le terme " commercial " - or le rapport de la Cour des comptes fait allusion à " des dépenses commerciales massives faites par les organismes mutualistes ". En outre, les excédents des mutuelles souvent considérables ne sont pas soumis à l’IS - en tout cas jusqu’à une date récente.

Quant à la sélection, le reproche de sélection forcenée qui nous est fait est un argument des mutualistes pour dire " ici mieux qu’en face ". Dans la réalité, si nous pratiquions une trop grande sélection des risques, nous n’aurions pas de clients.

Nous sommes dans une situation, en matière de couverture complémentaire, où il convient d’offrir aux Français la liberté de choisir l’organisme qu’ils souhaitent, sans que l’arbitrage qui est fait dépende de distorsions fiscales ou réglementaires.

M. Jean-Louis FOUSSERET : Je répète ma question, M. Kessler : acceptez-vous d’assurer une personne en fin de vie au même tarif que les mutuelles ?

M. Denis KESSLER : Si la mutualité souhaite offrir les mêmes garanties quel que soit l’âge, tant mieux ! Il n’y a aucune raison d’imposer les règles mutualistes, qui sont très particulières, à tout le secteur complémentaire.

M. Jean-Louis FOUSSERET : Vous ne répondez pas à ma question.

M. Denis KESSLER : Je réponds tout à fait à votre question. Prenons le cas de l’assurance automobile. Dans ce domaine, certaines mutuelles offrent le même tarif quel que soit le statut de la personne. Sur le même marché, des sociétés proposent des tarifs différents ; or les deux coexistent. Il faut laisser aux assurés le choix en fonction des tarifs pratiqués.

M. Jean-Pierre MOREAU : Il existe des conditions d’âge dans les mutuelles.

M. Jean-Louis FOUSSERET : Bien entendu, mais pas aussi strictes que dans les sociétés d’assurance. Mais il est facile de laisser aux mutuelles les personnes en difficultés et aux sociétés d’assurance les personnes jeunes et en bonne santé !

M. Denis KESSLER : Il est vrai que les personnes en difficulté appartiennent toutes à la fonction publique, ont la garantie de l’emploi, des revenus et de la retraite ! Est-ce là la population à risque en France ?

M. Jean-Louis FOUSSERET : Les mutuelles n’assurent pas que des salariés de la fonction publique. Je connais une personne qui a travaillé trente ans dans une multinationale américaine et qui était mutualiste. Ce que vous dites est totalement faux !

M. André ANGOT : Monsieur le président, vous avez évoqué dans votre propos liminaire la mise à disposition de fonctionnaires auprès des mutuelles. J’ai évoqué ce point devant une personne que nous avons auditionnée et qui n’était pas du tout au courant. Pouvez-vous nous confirmer que cela existe bien, notamment dans la mutuelle de l’éducation nationale ?

M. Denis KESSLER : La question mérite d’être posée aux administrations concernées. Je ne souhaite parler que de ce qui concerne directement mon activité. Simplement, je constate souvent, en lisant la presse mutualiste, que des ardentes suppliques sont adressées au ministre de tutelle pour maintenir la mise à disposition de personnels au motif que les fonctionnaires en question sont particulièrement compétents.

Nous considérons qu’il s’agit d’une distorsion de concurrence extrêmement grave et préjudiciable au bon fonctionnement du marché. Il ne faut pas croire que les mises à disposition se chiffrent en quelques dizaines ou quelques centaines. Il s’agit de plusieurs milliers de fonctionnaires. Et il en va de même pour les grandes entreprises publiques alors que les entreprises commerciales payent les taxes professionnelles, les taxes sur les salaires, etc.

M. André ANGOT : Eh bien sachez que le directeur de la CNAM n’est pas du tout au courant d’une mise à disposition de fonctionnaires auprès de certaines mutuelles.

M. Bruno BOURG-BROC : Monsieur le président, pouvez-vous nous donner votre appréciation sur la CMU ?

M. Denis KESSLER : Depuis 1945, il existe une distinction organique entre les régimes de base et les régimes complémentaires qui relèvent des opérations libres et concurrentielles. Lorsque le débat sur la CMU a eu lieu, nous avons dit que nous étions prêts à prendre en charge les personnes concernées, c’est-à-dire celles qui, pour une raison de ressources, ne peuvent pas accéder à une garantie complémentaire. Nous avons même proposé à Mme Martine Aubry de solvabiliser ces personnes en apportant une contribution financière qui viendrait compléter une contribution de l’Etat, ce qui leur permettrait d’être intégrées dans la mutualité complémentaire.

Nous souhaitions qu’il n’y ait pas de confusion entre le régime de base et les garanties complémentaires. Le scénario partenarial était l’un des trois scénarios proposés par M. Jean-Claude Boulard, le rapporteur du texte. Nous nous étions engagés par écrit, auprès du ministre, dans cette voie, avec la mutualité et les institutions de prévoyance. Nous regrettons qu’à l’occasion du débat on ait créé une " concurrence " entre le régime de base et les organismes de protection complémentaire et une certaine confusion dans les rôles des uns et des autres.

Un protocole d’accord a été signé par M. Jean-Pierre Davant, par le président des institutions de prévoyance et moi-même d’une part, et par le président de la CNAM d’autre part. Il précise que, a priori, la couverture complémentaire, y compris pour la CMU, relève des organismes de protection complémentaire - sauf cas de carence constatée.

Telle est notre position, nous la maintenons et considérons qu’il y a une confusion à demander aux organismes de base de pratiquer des opérations complémentaires, y compris pour les personnes démunies. Par ailleurs, cette confusion n’est pas conforme aux directives européennes.

M. le Rapporteur : Dans le cadre d’une éventuelle transposition des directives européennes, la mutualité étudiante va devoir modifier ses règles de fonctionnement. Il va y avoir une évolution des droits et des devoirs de chacun.

Que pensez-vous d’une évolution des droits et des devoirs de chacun vers un encadrement de la complémentaire maladie limitant les possibilités pour les différentes sociétés - quelles soient assurancielles ou mutualistes - de refuser l’adhésion de telle ou telle personne ?

M. Denis KESSLER : En ce qui concerne les groupes, la loi Evin en précise le sort. Je rappelle qu’il y a des garanties viagères qui encadrent les garanties complémentaires depuis 1989. Encore une fois, il est difficile de dire que c’est complémentaire et que c’est laissé au choix, et après de dire que c’est obligatoire.

Si vous considérez que la protection sociale doit être obligatoire, il faut la confier à la sécurité sociale. La protection sociale complémentaire, en France, relève du libre choix des individus depuis 1945.

M. le Rapporteur : Je vous demande ce que vous pensez du libre choix des sociétés d’assurance et des mutuelles de sélectionner les personnes qui souhaitent adhérer ?

M. Denis KESSLER : C’est la contrepartie du libre choix des individus de s’adresser à tel ou tel organisme ! En effet, les garanties complémentaires sont extrêmement différentes au sein de la mutualité et au sein de l’assurance. Les assurés choisissent le contrat qui correspond à leur souhait de couverture. Les garanties ne sont pas les mêmes, les prix non plus et les contrats sont donc différents. Même au sein d’une grande entreprise, on vous propose trois ou quatre garanties différentes.

M. le Rapporteur : Je suis votre logique lorsque vous dites que les personnes achètent le niveau de couverture qu’elles souhaitent. Mais semble-t-il licite qu’une évolution puisse se faire vers une modulation des tarifs, pour une même garantie, en fonction du risque estimé par l’organisme qui assure - en fait, que l’on arrive à un système de bonus malus ?

M. Denis KESSLER : Ce n’est pas du tout un système de bonus malus. Contrairement à l’assurance obligatoire, on peut payer, dans la protection complémentaire, en fonction du risque. Ne confondons pas l’assurance obligatoire de base dont le financement est fonction du revenu, indépendamment du risque, et l’assurance complémentaire dans laquelle l’on va chercher des garanties contractuelles que l’on paie en fonction du risque. Dans un certain nombre de cas, on propose le même tarif pour tout le monde, très bien ! Dans d’autres cas, on tient compte de tel ou tel élément.

Prenons le cas de la partie complémentaire de l’étudiant. La garantie de base des étudiants est la sécurité sociale. En ce qui concerne la protection complémentaire, on pourrait imaginer que les étudiants puissent s’adresser à l’organisme de leur choix, celui qui leur offre la garantie qui leur convient. Ou même, qu’il ne prenne pas de garantie complémentaire.

Trois libertés fondent le marché de l’assurance complémentaire : liberté de s’assurer, liberté des garanties et liberté de l’organisme auquel on s’adresse. Personne n’est obligé d’offrir ces garanties. Je vais jusqu’au bout de mon raisonnement, monsieur le député : personne n’est obligé d’engager des capitaux pour offrir ces garanties ; on trouve même, sur le marché de l’assurance maladie complémentaire, des assureurs étrangers. Si des assureurs offrent ces garanties, c’est parce qu’ils ont un intérêt mutualiste, commercial voire capitaliste.

Si l’on voulait transformer l’assurance complémentaire en assurance obligatoire cela reviendrait à obliger des personnes à faire ce métier, ou alors il faut étendre la sécurité sociale à ces niveaux de remboursement. Ce n’est pas l’orientation actuelle, ni européenne, ce n’est en tout cas pas une orientation souhaitable.

M. le Rapporteur : Quelle serait, selon vous, une évolution positive du régime de protection sociale étudiant, dans sa forme à la fois obligatoire et complémentaire ?

M. Denis KESSLER : A système institutionnel inchangé, je maintiens que les délégations de gestion devraient être ouvertes. Je ne vois pas pourquoi un organisme de droit privé, comme le sont les mutuelles, est désigné par loi pour être délégataire de gestion ! Dans la construction du droit de propriété, il y a des organismes obligatoires, à caractère administratif, relevant de la sécurité sociale, et des organismes privés. Une mutuelle est un organisme de droit privé. La loi devrait offrir la possibilité d’une délégation à tout organisme respectant le cahier des charges sous contrôle de la personne qui délègue. Rien ne justifie que des organismes de droit privé aient le monopole de la délégation de gestion du régime de sécurité sociale.

Pour la partie complémentaire, il convient de bien séparer les opérations obligatoires de délégation des opérations complémentaires, et de laisser les étudiants choisir leur organisme complémentaire en fonction des garanties, des prix, etc. qu’ils souhaitent

M. André ANGOT : Les mutuelles d’étudiants nous ont confirmé qu’il existait plusieurs classes de cotisation en fonction du risque que les étudiants voulaient faire assurer en couverture complémentaire. Il y aurait cinq niveaux de cotisations.

M. Denis KESSLER : J’ai été auditionné hier au Sénat à propos d’une proposition de loi relative à la couverture des frais de secours pour les municipalités. Certaines personnes pratiquent des sports à risque, tels que le deltaplane, le surf hors piste, la plongée sous-marine ou la spéléologie, et, de ce fait, s’exposent à des risques plus importants qui peuvent entraîner des opérations de secours très coûteuses. Il y a donc un problème spécifique de prise en charge, en cas d’accident, de ces frais de secours qu’une collectivité locale peut être amenée à engager.

Donc quand on parle des niveaux de garanties complémentaires, il faut comprendre que les besoins, les pratiques et les risques de chacun ne sont pas forcément identiques, y compris dans la population étudiante. Les garanties complémentaires doivent donc être adaptées en fonction des besoins.

Que l’on ne me fasse jamais dire, monsieur le président, que je souhaite la disparition de la protection de base, l’obligation d’affiliation, de sécurité sociale ! Bien au contraire. Mais au-delà de cette protection de base, la protection complémentaire relève d’une adéquation fine, assez complexe, entre les besoins et les capacités, entre les comportements et la réalité ; pour cela, l’assuré doit être libre de s’assurer auprès de l’organisme de son choix. A condition que ce choix ne soit pas l’objet de distorsion - comme c’est malheureusement le cas - n’aboutisse pas à des organismes complexes qui mélangent sécurité sociale, protection complémentaire et activités diverses, comme la MNEF.

M. le Président : Si l’une des directives européennes n’est pas appliquée par la France, attaquerez-vous l’Etat français ?

M. Denis KESSLER : Je ne suis pas juriste, mais il est impossible de revenir sur les troisièmes directives " Vie ". Il faudrait l’accord des quinze Etats européens pour adopter une directive d’économie sociale, ce qui est impossible. Ce n’est pas moi qui ai introduit un recours devant la Cour de justice, mais la Commission européenne, avec l’accord de tous les commissaires européens.

La mission de M. Michel Rocard, comme cela a été confirmé par Bruxelles, ne suspend pas les délais de recours de la Cour de justice. La Fédération française des sociétés d’assurance n’a donc aucune responsabilité en ce qui concerne la procédure engagée contre la France pour non transposition de ces directives.

M. le Président : Vous n’êtes pas partie prenante.

M. Denis KESSLER : Les directives devront être appliquées ; je ne vois pas comment la mutualité pourra y déroger. Par ailleurs, les recours ont été introduits non pas par nous, mais par la Commission européenne et le délai, pour le prononcé de l’arrêt de la Cour de justice, est en train de courir.

Je rappellerai que ce problème de transposition des directives à la mutualité a déjà été abordé, en particulier dans un rapport de M. Alain Bacquet, conseiller d’Etat, en 1994, établi à la demande de Mme Veil, alors ministre. A la suite de ce rapport, en 1995, un projet de loi de transposition avait été préparé mais n’a pas abouti

Je ne connais pas les conclusions de M. Michel Rocard, mais je crains que les degrés de liberté espérés par certains n’existent pas. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne est extrêmement déterminée à obtenir cette transposition.

M. le Président : Monsieur Kessler, je vous remercie de la clarté de vos réponses. La commission saura en tirer profit.


Source : Assemblée nationale (France) : http://www.assemblee-nationale.fr