La géopolitique régionale du conflit entre le gouvernement sandiniste du Nicaragua et l’opposition armée des "contras" du Front sud appuyés par les services secrets américains (1984-1986), a fait du Costa Rica une plaque tournante du trafic des drogues et des armes, bien avant les autres pays d’Amérique centrale, à l’exception du Panama. Sa position géographique n’a fait que confirmer par la suite cette vocation d’étape sur le chemin traditionnel de la cocaïne colombienne et, plus récemment, de l’héroïne, vers les Etats-Unis. On peut cependant observer que le rôle du pays tend à s’élargir à de nouvelles fonctions : d’abord comme pays entrepôt-exportateur avec, entre autre, une nouvelle destination : l’Europe ; ensuite comme une importante place du blanchiment de l’argent. Le Costa Rica est aussi, dans la région centraméricaine, un des premiers marchés de consommation du crack.
Entrepôt et conditionnement pour le marché des Etats-Unis
De la cocaïne en grande quantité envoyée par les cartels colombiens est entreposée pour un temps relativement court au Costa Rica avant de repartir pour les Etats-Unis et l’Europe. La drogue (de 300 à 800 kilogrammes par livraison dissimulés dans des conteneurs), emprunte principalement la voie maritime. Elle peut repartir dans les mêmes conteneurs ou être reconditionnée sur place dans des boîtes de conserve et de l’artisanat par exemple. Différentes zones de stockage ont été identifiées : Limón (principal port du pays, sur l’Atlantique), Golfito (côte pacifique), qui fonctionne comme zone franche, Quepos et Guanacaste au nord. De grandes cargaisons arrivent aussi par voie terrestre après avoir franchi la frontière avec le Panama, peu surveillée, sur laquelle existe un important trafic de contrebande de produits en tout genre. Différentes affaires ont révélé l’existence de ces filières. En Décembre 1996, lors d’une saisie de 138 kg de cocaïne sur une vedette dans l’estuaire du Bananito, une des personnes arrêtées a déclaré aux forces de l’ordre que la cargaison devait être rembarquée vers Miami et New York. Une autre saisie avait été réalisée en novembre 1996 à Guacimo (Atlantique) dans les locaux d’une entreprise d’un ressortissant dominicain, spécialisé dans l’exportation de manioc aux Etats-Unis : 645 kg de cocaïne, emballée dans 105 caisses de manioc sur le point d’être embarquées en direction de New York. L’organisation responsable de ce trafic était en relation avec le cartel de Cali. Toujours en 1996, 600 kg entreposés dans les locaux d’une entreprise appartenant à des Colombiens, ont été saisis à Guapiles. En 1996, un laboratoire de fabrication de cocaïne a été découvert à Buenos Aires de Punta Arenas. A l’occasion de cette opération, 840 kg de pâte base on été saisis et un Costaricien arrêté. L’enquête a montré que le laboratoire avait été monté par des Colombiens. Il est prématuré de tirer des conclusions sur cette présence d’une unité de transformation qui semble être, jusqu’ici, un cas isolé (le Panama est le seul pays d’Amérique centrale où des laboratoires ont été découverts jusqu’en 1993).
Le transit d’héroïne par le Costa Rica paraît être relativement récent. En 1994, 20 kg de cette drogue étaient saisie dont 6,5 kg d’héroïne asiatique. En 1995, 11,26 kg ont été saisis et 13 kg pour les six premiers mois de l’année 1996. Il n’existe pas pour le moment d’indice suggérant l’existence d’un marché et d’une consommation locale, ce qui donne à penser que l’héroïne est en transit pour les Etats-Unis.
Les autorités costariciennes sont préoccupées par le problème du trafic de précurseurs. Actuellement, 4 entreprises importent des produits chimiques d’Allemagne, des Etats-Unis et des Pays-Bas. Une partie de ces précurseurs est revendue à des fabriques plus modestes. Toutes ces transactions sont effectuées sous le contrôle du ministère de la Santé mais des opérations suspectes ont déjà été détectées. La Police du contrôle des drogues s’est associée au Département des drogues et stupéfiants, du ministère de la Santé pour un suivi des transactions en matière de précurseurs. Il existe aussi une coopération avec le Bundeskriminalamts (BKA) allemand pour l’échange d’informations. Les accords signés à Madrid, en décembre 1995, entre la Colombie et l’Union européenne en matière de contrôle du commerce de précurseurs chimiques laissent penser que les trafiquants colombiens pourraient être à la recherche de routes alternatives d’approvisionnement. Les mêmes préoccupations existent au Guatemala et au Nicaragua.
Les routes alternatives vers l’Europe
Depuis quelques années, les services de répression ont constaté un accroissement du trafic de cocaïne à destination de l’Europe. Les statistiques depuis 1989 montrent en effet une augmentation des arrestations concernées par cette destination au Costa Rica comme dans différents aéroports européens. Deux cas ont été relevés en 1989 et 11 en 1996. Durant cette période, à chaque fois, la cocaïne venait du Costa Rica. La destination finale de ce type de trafic (mules empruntant l’avion) est avant tout l’Europe : Allemagne, Pays-Bas, Espagne, Pologne, Italie, France parfois par des voies détournées, impliquant un transit par des villes américaines. Ainsi, en mai 1995, deux Honduriens dont la destination finale était Varsovie, via Miami et Londres, ont été arrêtés à l’aéroport de San José, en possession de 6 kg de cocaïne. En avril 1996, un Costaricien a été arrêté au moment d’aborder. Il se rendait à Francfort via Washington. Il existe de nombreux vols directs sur l’Europe à partir du Costa Rica. Les Costariciens n’ayant pas besoin de visa pour l’Allemagne, ils peuvent rejoindre ensuite d’autres pays de l’espace de Schengen. En avril 1996, les autorités costariciennes ont arrêté un de leur compatriote qui partait pour l’Allemagne (Francfort) en possession de 4,5 kg de cocaïne. Il devait poursuivre son voyage vers la France en empruntant les chemins de fer. L’arrestation, en décembre 1995, de deux Costariciens transportant chacun 4 kg de cette drogue, attirait l’attention sur une nouvelle destination finale : Tel-Aviv. Le Costa Rica étant un des rares pays a avoir reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël, ses ressortissants sont reçus comme des "amis" et sont soumis à des contrôles moins stricts.
Le Costa Rica joue le même rôle que des pays sous d’autres latitudes (la Roumanie par exemple) : mettant à profit l’absence de sévérité dans les contrôles, la cocaïne est stockée sur son territoire pour être ensuite réexpédiée par petits lots vers des destinations où il n’existe pas de contrôle strict sur les personnes au moment de l’entrée dans le pays. Cette observation est confirmée par les statistiques au niveau mondial qui font état de la multiplication du nombre des opérateurs concernés par le trafic de cocaïne. Le stockage et plus encore l’installation de laboratoires ne sont possibles que si les trafiquants estiment bénéficier de garanties politiques.
Réseaux courts et polytoxicomanie
Depuis 5 ans, la consommation des drogues a fortement augmenté. Deux phénomènes sont responsables de cette évolution : le développement spectaculaire du tourisme international et l’offre de crack sur le marché local. En 1991, 171 cailloux de crack ont été saisis, contre 40 444 pour les six premiers mois de l’année 1996. La cocaïne, provenant de Colombie et destinée au marché local, est acheminée de trois manières : par bateau relâchant dans le port de Limón ; par avionnettes qui atterrissent dans la zone de Talamanca et le nord de Guanacaste ; dans des voitures (dont les réservoirs ont été aménagés) empruntant la route de Panama. Cette cocaïne est vendue au consommateur entre 5 et 10 dollars le gramme (avec un degré de pureté variant de 30 % à 50 %). Elle est introduite et commercialisée par des petits groupes constitués de trois à cinq personnes, costariciennes et colombiennes, qui semblent n’entretenir que des relations très lâches avec les grands cartels. Ces groupes, après avoir fait un "coup", se dispersent, pour parfois opérer à nouveau avec des personnes différentes.
Les saisies de drogues destinées au marché local qui ne dépassent que très rarement 30 kg, illustrent l’ampleur des activités de ces "coopératives temporaires". La mobilité territoriale, les faibles ramifications avec le monde bancaire et le secteur privé rendent difficile les recherches du service spécialisé de la répression du trafic local, la police antidrogues qui dépend du ministère de la Sécurité. Les lieux de vente sont principalement les "circuits de la nuit" de San José et les bars des lieux touristiques. Sur la côte caraïbe : Limón, Cahuita, Puerto Viejo ; sur la côte pacifique : Playa del Coco, Flamingo, Tamarindo, Jaca, Quepos et Dominical. Le consommateur typique est le touriste étranger (nord-américain, canadien, espagnol, italiens, français, allemand, hollandais) qui, à la fin de ses vacances, cherche à emporter une petite quantité (de 0,5 kg à 1 kg) de cocaïne. En 1996, 30 personnes ont été ainsi arrêtées à l’aéroport de la capitale.
Mais, une des préoccupations majeures est actuellement la montée en force du crack. Sa production, à partir de la cocaïne colombienne, et sa commercialisation sont entre les mains de familles costariciennes et nicaraguayennes immigrées, à faibles revenus et implique une division du travail : la production relève du chef de famille, la femme et les enfants se chargeant de la commercialisation. Le cailloux (piedra) se vend au détail 500 colons (2,3 dollars). Une conséquence de l’augmentation de la consommation de crack est le développement de la prostitution dans les milieux consommateurs (pedreros), pour l’achat des doses. Dans certaines maisons, le crack peut-être fumé sur place mais il est sans doute prématuré de parler de crack house. La marijuana, seule drogue produite localement (dans la zone Atlantique et dans les montagnes de la chaîne de Talamanca) est devenue un complément des drogues dures, sauf dans certaines régions où elles reste le principal produit consommé : chez les populations noires de la côte Atlantique et à Montezuma (Guanacaste), la Mecque du cannabis. Fait inhabituel, un camion de marijuana colombienne à été appréhendé en 1996. Les drogues peuvent être livrées à domicile mais les bars, les discothèques et les restaurants des zones touristiques et de la capitale restent les lieux de vente privilégiés. Un système de diffusion, offrant un cocktail de drogues s’est mis en place. Il a reçu le nom de combo comme les menus combinés de McDonald’s. Pour 3 000 colons (15 dollars), des bars offrent des menus à la carte : une pajilla (un gramme de cocaïne), un cailloux de crack et un joint de marijuana ; deux cailloux et un gramme de cocaïne ; deux grammes de marijuana et un gramme de cocaïne, etc. On observe constamment des files de clients qui veulent consommer à l’abri des regards indiscrets. Ces consommateurs courent peu de risque au Costa Rica dans la mesure où la consommation personnelle de drogues n’est pas un délit si on peut démontrer que la quantité détenue correspond à un usage personnel.
Il existe un trafic régional lié à des réseaux de voitures volées. Celles-ci proviennent du Guatemala et sont échangées au Costa Rica contre de la cocaïne qui repart en direction du Guatemala dans des voitures volées au Costa Rica. Des caches spéciales sont aménagées pouvant transporter jusqu’à 300 kg de drogues par voyage.
Corruption institutionnelle et blanchiment
La corruption est d’abord répandue parmi les policiers, d’autant plus que le long des côtes, seule la Garde rurale, un des corps les moins payé et le plus mal formé dans le pays, est habilitée à lutter contre le trafic. Ainsi, les propriétaires des lieux de vente et les pushers sont racketés par les agents des forces de l’ordre. Il arrive que ces derniers soient eux-mêmes des consommateurs. Ainsi, le 31 décembre 1996, l’un d’entre eux, sous l’effet du crack, a tué un jeune noir dans un bar de Puerto Viejo. Les premiers signes de la corruption à un haut niveau ont été révélés dès 1985 - à la suite d’un rapport de la DEA -, par les protections dont a bénéficié dans le pays le trafiquant mexicain Rafael Caro Quintero.
Mais, selon des informations recueillies par l’OGD, le pays est toujours un lieu de "vacances" sûr pour les trafiquants latino-américains qui ont besoin de changer d’air. Cependant, un seul cas de corruption lié au narcotrafic a été jugé au Costa Rica. Il concerne Ricardo Alem Leon, responsable du financement de la campagne électorale du Président Oscar Arias en 1986 et nommé ensuite par ce dernier Président de la Banque centraméricaine d’intégration économique qui a son siège au Honduras. Après avoir longtemps échappé à la justice en dépit des charges sérieuses de blanchiment de l’argent de la drogue qui pèsent sur lui depuis la fin des années 1980, il a fallu qu’il soit arrêté en 1995 à Miami en flagrant délit de trafic de cocaïne pour que son pays le condamne par défaut. Condamné à une peine de 13 ans en mars 1997, alors qu’il risquait la prison à vie, Alem avait accepté de collaborer avec les autorités américaines et de dénoncer les différentes personnes impliquées au Costa Rica : hommes politiques, fonctionnaires, etc. Cette affaire n’est pas étrangère à la création au Costa Rica d’une Commission législative permanente pour mener des enquêtes sur les relations entre le monde politique et le narcotrafic. L’arrestion d’un ex-député, Leonel Vollolobos, a déjà été opérée.
Les groupes émergeants colombiens-costariciens sont à l’origine d’un flux monétaire illicite issu de la vente de la cocaïne sur le marché local. Pour chaque kilo de cocaïne vendue au détail, il leur faut en effet blanchir 30 000 à 40 000 dollars. Le blanchiment de l’argent du marché local se fait surtout à travers l’achat de résidences et de voitures de luxe, pick-ups, meubles et appareils électriques. Mais surtout, le Costa Rica paraît être en passe de devenir un des principaux centres de blanchiment en Amérique centrale de l’argent des drogues vendues aux Etats-Unis et en Europe. Son rôle de pont entre le sud et le nord du continent américain et une série de facilités fiscales sont à l’origine d’importants investissements d’origine douteuse. Le blanchiment de l’argent du trafic international se fait par des investissement dans la construction urbaine, les hôtels, les restaurants, les centres commerciaux, les usines de montage (maquiladoras). Certains centres commerciaux parmi les plus importants et les plux luxueux ont été construits avec des investissements directs sans recours à des prêts bancaires. Les services spécialisés comme l’Office de recherche financière disposent de peu de moyens pour déterminer l’origine des fonds. Le correspondant de l’OGD a obtenu des indices sur la présence de capitaux de ce type provenant d’Italie et de Colombie, investis sur les côtes du Guanacaste (Golfo de Papagayo, Playa de Coco), sur les côtes du Pacifique nord et central et dans les zones franches du pays. Un des indices signalant des activités légales financées par de l’argent sale est la vitesse à laquelle changent les propriétaires (quatre ou cinq fois par an). C’est particulièrement vrai dans le secteur du tourisme international pour lequel le gouvernement s’efforce de promouvoir les investissements étrangers.
Par ailleurs, la loi 7558 du 27 novembre 1995, a libéralisé la vente et l’achat de devises, éliminant tous les contrôles sur ces transactions. Le dernier grand secteur de blanchiment est celui des exportations. En 1992, les autorités colombiennes dénonçaient que des entreprises fantômes, localisées au Costa Rica, participaient au blanchiment de 100 millions de dollars par an. Ces entreprises se livrent à des "exportations" fictives de produits inexistants "achetés" par des narcotrafiquants. Toujours en 1992, trois familles colombiennes, résidentes dans le pays et propriétaires d’entreprises d’exportation, ont participé au transfert de 10 millions de dollars, provenant du trafic de drogues. D’après des données récentes sur le secteur de l’exportation du Costa Rica, de 25 % à 30 % des exportations déclarées au gouvernement central ne correspondent pas à des marchandises ou des services effectivement fournis. Les entreprises servant de couverture, surtout contrôlées par des Colombiens, achètent et vendent des dollars en liquide ou par chèque pour blanchir les capitaux illégaux. Ces entreprises sont enregistrées tout à fait légalement, elles réalisent des activités normales et sont très généreuses avec leurs employés. Elles ont des comptes courants dans le système bancaire national et dans différentes banques des Etats-Unis. Cela leur permet d’émettre des chèques au Costa Rica qui peuvent être débités à l’étranger. Il n’y a pas de contrôle sur des capitaux qui rentrent dans le pays et qui, après un bref délai (de un jour à une semaine), repartent à l’étranger après être devenus "propres". La filière des entreprises d’exportation était d’autant plus intéressante que le gouvernement, dans le cadre du modèle économique mis en place a favorisé les exportations dites non traditionnelles. L’appui à l’exportation s’est fait à travers les CAT (Certificado Abono Tributario) dont ont bénéficié de nombreuses entreprises pratiquant des exportations fictives. Ils consistaient en des avances financières remboursées sur les bénéfices. Cette pratique a été très largement utilisée dans les années 1992-1993. Certains des chefs d’entreprise ont été condamnés, non pas pour blanchiment d’argent, mais pour fraude aux dépens de l’Etat. Les transactions sont encore plus faciles avec les banques off-shore étrangères et dont le siège social est situé dans un paradis fiscal. Ces banques ouvrent leurs succursales au Costa Rica selon les lois étrangères et échappent à tout type de contrôle administratif ou judiciaire exercé par le pays.
Le principal obstacle d’un meilleur contrôle du blanchiment d’argent est la loi costaricienne elle-même. Elle exige que soit démontré que la personne accusée de blanchiment "connaissait l’origine de l’argent et qu’elle a tenté de l’occulter". La loi sur les psychotropes oblige aussi le procureur (Fiscal) à démontrer la relation entre l’argent dont il est question et le narcotrafic. Jusqu’ici, deux affaires seulement ont permis des condamnations pour blanchiment d’argent : Ricardo Alem León, mentionné plus haut et trois Colombiens arrêtés à l’aéroport Santamaría de San José en possession de 150 000 dollars. Ce dernier cas est la pointe de l’iceberg du phénomène des "mules du blanchiment" (burros del reciclaje) qui concerne, outre des Colombiens, des Nicaraguayens et des Guatémaltèques. Dans la plupart des cas, ces mules ne sont pas condamnées car la preuve de l’origine illégale de l’argent n’a pu être faite. De plus, la loi du Costa Rica prévoit que tout voyageur doit déclarer l’argent qu’il a sur lui si la somme dépasse le million de colons (soit 4 500 dollars). Ce contrôle n’est pas exercé car la loi ne précise pas quelle autorité doit l’exercer (douanes ou migrations). Le délit réside non dans l’omission de déclaration mais dans sa falsification.
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