La "reconquête de la chrétienté" est en marche. Jean-Paul II, qui avait désigné la France comme prochain levier de sa politique européenne (1), se trouve contraint d’accélérer le pas après ses deux échecs en Pologne et en Irlande. C’est pourquoi il multiplie les ambassades à Paris, où ses émissaires se succèdent.
Le 26 septembre, le président Chirac a reçu la visite du cardinal Angelo Sodano, secrétaire d’Etat du Saint-Siège (c’est-à-dire chef de cabinet du pape). Officiellement l’entretien n’a porté que sur l’organisation du voyage des époux Chirac au Vatican en janvier 1996. Il est probable que les deux hommes ont également discuté du soutien de l’Eglise au gouvernement Juppé.
Le 28 septembre, le cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la "congrégation pour la doctrine de la foi" (c’est-à-dire commissaire politique de l’Eglise), est venu se recueillir au monastère bénédictin du Barroux près de Carpentras. Des dirigeants catholiques du Front national s’y trouvaient aussi, ainsi que des responsables du quotidien d’extrême droite Présent. Entre laudes et vêpres, n’ont-ils parlé que du mystère de la transsubstantiation ?
Le 12 novembre, le cardinal Alfonso Lopez-Trujillo, président du "conseil pontifical pour la famille" (c’est-à-dire directeur de la cellule anti-IVG), honorait de sa présence le congrès d’Ictus (2) à Versailles (3). Il y a enjoint 2.500 militants à "obéir à la loi de Dieu plutôt qu’aux hommes" (sic). Après cet appel, le saint homme a invité les catholiques à s’unir pour servir le pape. Au premier rang de l’assistance, on remarquait en effet des députés villiéristes (Christine Boutin, Pierre Bernard, Françoise Seillier) à côté d’élus du Front national (Bruno Gollnisch, Bernard Antony). Enfin, il a conclu que le temps était venu de restaurer l’ordre divin qui précéda la Révolution française.
Le 19 novembre, le cardinal Gilberto Agustoni, préfet du "tribunal suprême de la signature apostolique", était à son tour de passage dans la capitale. Juste le temps de pérorer à la grande chambre de la Cour de cassation devant un parterre d’avocats et de magistrats intégristes (4). Le temps de leur rappeler que "Dieu [et non le peuple - NDLR] est le fondement du droit" et qu’il revient aux juristes catholiques d’utiliser leurs fonctions pour s’opposer à l’avortement et à l’euthanasie.
De son côté, le Président français n’est pas en reste. Jacques Chirac s’était fait représenter le 1er octobre au Vatican par Margie Sudre, secrétaire d’Etat chargée de la Francophonie, lors de la cérémonie de béatification des soixante-quatre "martyrs de la Révolution française". Il s’agit en fait de prêtres qui luttèrent pour la monarchie de droit divin contre la république. Ils décédèrent, dans des conditions particulièrement pénibles, lors de leur déportation vers la Guyane. Il s’agit donc de martyrs royalistes et non pas de martyrs de la foi. Peu importe, il est si agréable d’être reçu par le Saint-Père.
D’ailleurs, Hervé de Charette de la Contrie, ministre des Affaires étrangères, a fait lui aussi des pieds et des mains pour représenter la France aux cérémonies de canonisation de Mgr Eugène de Mazenod, le 3 décembre. Remarquez qu’ils n’ont pas tort, ce genre de relations est toujours utile dans une carrière politique : en 1992, Jean-Claude Gaudin avait accepté l’invitation spéciale de l’Opus Dei aux fastes de canonisation de Mgr Escriva de Balaguer. Trois ans plus tard, il a été nommé ministre de l’Aménagement du territoire, de l’Intégration et de la Ville.
1. Cf. "Quand l’Eglise lorgne sa fille aînée" in "Maintenant" du 19 avril 1995.
2. Association politico-religieuse catholique fondée après la guerre sous le nom de Cité catholique par le secrétaire de Charles Maurras, Jean Ousset.
3. Cf. "Témoignage chrétien" du 24 novembre 1995.
4. Cf. "Levez la main droite et dites "amen"" in "Charlie Hebdo" du 29 novembre 1995.
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