Deux journalistes du bimensuel L’Objectif à Fribourg avaient révélé depuis 1997 les activités révisionnistes d’une vingtaine d’étudiants rwandais en Suisse, qu’ils avaient traité de " nazis noirs ", alors que ceux-ci soutenaient les responsables du génocide des Tutsi au Rwanda, en plein massacres. Un bon nombre du groupe étaient des proches parents ou des relations directes des génocidaires. Seule la justice fribourgeoise acceptait d’instruire les plaintes en diffamation contre les hommes de presse, au prix d’étranges compromissions et manipulations. Epilogue d’une odyssée dans l’ordre noir.

A Fribourg, la justice vient d’essuyer un cinglant désaveu par le Tribunal Fédéral. Un véritable camouflet qui sanctionne des pratiques d’un autre âge, le goût du secret, la manipulation et un corporatisme dangereux pour le droit. Pour les juges fédéraux, la décision du juge fribourgeois Kaeser dans l’affaire des étudiants révisionnistes rwandais contre un journaliste de L’Objectif est " inconstitutionnelle ". L’épithète sonne sans appel.

Le président du Tribunal Cantonal avait empêché le journaliste de L’Objectif, Jean-Marc Angeloz, qui recourrait en appel, d’accéder au procès-verbal d’audience de première instance de son procès, où le juge Ayer lui déjà avait caché le minutaire manuscrit original des débats. Résultat : le journaliste était condamné sans pouvoir se défendre. La cour suprême ne l’autorise pas de bonne grâce à consulter le précieux PV. Elle tente d’abord de lui en limiter l’accès à quelques lignes seulement. Mais le journaliste y découvre plusieurs modifications en comparant le document au seul PV dactylographié remis par le juge Ayer. Délai oblige, il demande in extremis de consulter l’ensemble de la source originelle manuscrite. La cour suprême n’a donc pas eu le choix. Au total cent modifications sensibles seront répertoriées, toutes faites pour charger le journaliste et disqualifier ses témoins. Le Tribunal Fédéral prendra huit mois pour se déterminer. Avant de déclarer qu’il lui a suffi de constater une seule violation sérieuse de procédure pour casser le jugement du juge Kaeser, " sans qu’il lui soit nécessaire d’examiner les autres griefs soulevés par le recourant ".

La décision fédérale n’en demeure pas moins exemplaire. Elle consacre la séparation des pouvoirs indispensable pour que le citoyen-contribuable garde confiance dans son système de démocratie. Elle rappelle aux juges qu’ils ne sont pas encore guéris du syndrome des " affaires " qui empoisonne les tribunaux fribourgeois. Ainsi Kaeser a couvert Ayer, magistrat comme lui et comme lui membre du PDC. Tout comme Adrian Urwyler, professeur à l’Université, membre de la Constituante, juge cantonal radical. L’Université de Fribourg et particulièrement sa Faculté de droit, porte une lourde responsabilité dans son soutien à plusieurs étudiants révisionnistes rwandais, dont un est assistant en son sein. Ici, avocats, profs et juges se côtoient, partageant robe et bonne chaire. Au risque de trébucher tôt ou tard sur le conflit d’intérêt.

On s’en prend dès lors au journaliste plutôt qu’à ses pairs. Il faut écarter l’intrus. Dissuader le curieux pour l’exemple, en lui brandissant sa carrière comme prix à payer. Décourager ses confrères de l’imiter. Voilà ce qu’ont vécu deux journalistes de L’Objectif depuis quatre ans. Le résultat reste toutefois maigre. Les deux confrères, dont l’auteur de ces lignes ont vu toutes les accusations à leur endroit quasi prescrites. La justice s’en revient bredouille du Tribunal fédéral, pour ne pas dire discréditée.

Un tribunal de Neuchâtel confirme bien le caractère propagandiste et révisionniste des activités de plusieurs étudiants rwandais proches des responsables du génocide des Tutsi au Rwanda et révélés par les enquêtes de L’Objectif. Rappelons que plusieurs cours de justice cantonale avaient refusé d’entrer en matière sur les plaintes des étudiants révisionnistes, les soupçonnant d’instrumentaliser les tribunaux en faveur de leur propagande. La justice fribourgeoise en a fait l’amère expérience. Oubliant, comme le dit un proverbe rwandais, que " la vérité traverse le feu, mais ne brûle pas ".

(J.M.)