Nous reproduisons un texte écrit à la demande de la Fondation pour combattre l’injustice d’Evgueni Prigojine. L’auteur y revient sur la protection que le président Jacques Chirac lui avait accordée et sur les tentatives d’assassinat dont lui et son équipe ont fait l’objet par la suite. Nos lecteurs ont vécu ces événements en direct, mais c’est la première fois que Thierry Meyssan évoque publiquement la traque dont il a fait l’objet. Il ne s’agit aucunement pour lui d’exiger des comptes : les personnalités qu’il met en cause ont certainement agi en croyant servir le pays. Mais les citoyens français doivent savoir les crimes que l’on commet en leur nom.
L’Occident a tenté de faire taire, par tous les moyens à sa disposition, ceux de ses citoyens qui ont révélé sa véritable politique depuis le 11 septembre 2001 et se sont dressés contre elle.
En 2002, je publiais L’Effroyable imposture, un ouvrage de sciences politiques qui dénonçait la version officielle des attentats de New York, de Washington et de Pennsylvanie, et anticipait la nouvelle politique US : une surveillance généralisée des citoyens et la domination du Moyen-Orient élargi. Après un article du New York Times qui s’étonnait de mon impact en France, le département US de la Défense chargeait le Mossad israélien de m’éliminer. Le président Jacques Chirac, qui avait demandé à ses propres services de Renseignement de vérifier ma thèse, prit alors ma défense. Lors d’un entretien téléphonique avec le Premier ministre Ariel Sharon, il l’informa que toute action contre moi, non seulement en France, mais sur tout le territoire de l’Union européenne, serait interprétée comme un acte hostile contre la France. Il chargea également un de ses collaborateurs de veiller sur moi et d’informer les États non-européens qui m’inviteraient de leur responsabilité pour assurer ma sécurité. Effectivement, dans tous les pays où je fus invité, on me fournit une escorte armée.
Cependant, en 2007, le président Chirac fut remplacé par Nicolas Sarkozy. Selon le haut-fonctionnaire que Jacques Chirac avait chargé de ma sécurité, le nouveau président accepta à la demande de Washington d’ordonner à la DGSE de m’éliminer. Ainsi prévenu, je faisais ma valise sans attendre et je m’exilais. Deux jours plus tard, j’arrivais à Damas où l’on m’accorda la protection de l’État.
Quelques mois plus tard, je décidais de m’installer au Liban où l’on m’avait proposé de réaliser une émission hebdomadaire en français sur Al-Manar, la chaîne du Hezbollah. Ce projet ne vit jamais le jour, Al-Manar renonçant à émettre en français, pourtant langue officielle du Liban. C’est alors que la ministre française de la Justice, Michèle Alliot-Marie, lança une commission rogatoire contre moi au prétexte qu’un journaliste, qui avait déjà écrit un livre contre moi, m’accusait de diffamation. Il n’y avait jamais eu de telle démarche auprès du Liban depuis plus de 30 ans. La police me délivra une convocation. Je pouvais y constater que cette démarche n’avait aucun fondement en droit français. Le Hezbollah me protégea et je disparus volontairement. Quelques mois plus tard, le Premier ministre Fouad Siniora ayant tenté de désarmer la Résistance, le Hezbollah renversa le rapport de forces. Je me présentais alors devant un juge sous les applaudissements de la police qui me recherchait encore trois jours plutôt. Le juge m’indiqua que sur sa lettre, Michèle Alliot-Marie avait ajouté à la main qu’elle demandait à son homologue libanais de me faire arrêter et détenir en prison le plus longtemps possible tandis que l’affaire suivrait son cours en France. C’était le principe des « lettres de cachet » de l’Ancien Régime, la capacité d’emprisonner sans jugement ses opposants politiques. Le magistrat me lut la commission rogatoire et m’invita à y répondre moi-même par écrit. Je précisais que, selon le droit français et selon le droit libanais, l’article incriminé était prescrit depuis longtemps et qu’au demeurant il ne me semblait nullement diffamatoire. Une copie de la lettre de Michèle Alliot-Marie et de ma réponse fut déposée au coffre de la Cour de Cassation de Beyrouth.
Quelques mois plus tard, je fus invité à un dîner chez une haute personnalité libanaise. Un collaborateur du président Sarkozy, de passage au Liban, y était aussi. Nous nous affrontions durement sur nos conceptions de la laïcité. Ce Monsieur assura aux convives ne pas refuser le débat, mais les quitta pour prendre un avion et rentrer à l’Élysée. Le lendemain, j’étais convoqué par un juge pour une question administrative. Cependant, alors que ma voiture était à deux minutes du rendez-vous, je recevais un appel téléphonique du cabinet du prince Talal Arslane m’indiquant que selon le Hezbollah, c’était un piège. Je devais immédiatement faire demi-tour. Il s’avéra que les fonctionnaires, sauf exception, ne travaillaient pas ce jour-là, anniversaire de la naissance de Mahommet. Une équipe de la DGSE était là pour m’enlever et me remettre à la CIA. L’opération avait été organisée par le conseiller présidentiel avec lequel j’avais dîné la veille.
Par la suite, j’ai fait l’objet de nombreuses tentatives d’assassinat, mais il m’a été difficile de déterminer qui en était le commanditaire.
À titre d’exemple, lors d’une conférence au ministère vénézuélien de la Culture, la garde du président Chávez vint subitement me chercher sur l’estrade où je parlais. Un officier m’enleva de force et me poussa vers les loges. J’eus juste le temps de voir dans la salle des hommes sortir des armes. Deux camps se menaçaient mutuellement. Un coup de feu et c’eut été un carnage. Ou encore, toujours à Caracas, je fus invité avec mon compagnon d’armes à un dîner. Lorsqu’on apporta nos assiettes, mon ami n’avait pas grand faim et mon assiette était étrangement moins bien garnie que les autres. Nous les échangeâmes discrètement. De retour à notre hôtel, il fut pris subitement de tremblements, perdit connaissance, se roula par terre de la bave coulant de ses lèvres. Lorsque les médecins arrivèrent, ils s’exclamèrent immédiatement : cet homme a été empoisonné. Ils le sauvèrent à temps. Deux jours plus tard, une délégation d’une dizaine d’officiers en grand uniforme de la SEBIN (services secrets) venait nous présenter ses excuses et nous indiquer avoir identifié l’agent étranger qui avait organisé cette opération. Mon ami, placé en chaise roulante, mit six mois à se remettre.
Dans une étape ultérieure, à partir de 2010, les attaques impliquèrent toujours des jihadistes. Par exemple, un disciple du cheik Ahmed al-Assir tendit une embuscade à mon compagnon d’armes et tenta de le tuer. Il ne dut la vie qu’à l’intervention d’un milicien du PSNS. Son agresseur fut arrêté par le Hezbollah, remis à l’armée libanaise, puis jugé et condamné.
En 2011, la fille de Mouamar Khadafi, Aïcha, m’invita en Libye. Elle m’avait vu pérorer sur une télévision arabe contre son père. Elle tenait à ce que je vienne sur place et constate mon erreur. Ce que j’ai fait. De fil en aiguille, j’ai rejoint le gouvernement libyen et fus chargé de préparer l’Assemblée générale de l’Onu. Lorsque l’Otan attaqua la Jamahiriya arabe libyenne, je me trouvais à l’hôtel Rixos où résidait la presse étrangère. L’Otan exfiltra les journalistes qui collaboraient avec l’Alliance, mais ne parvint pas à faire sortir ceux qui étaient au Rixos car celui-ci était défendu par Khamis, le plus jeune fils de Kadhafi. Ce dernier se trouvait dans le sous-sol de l’hôtel dont les ascenseurs avaient été condamnés. Les jihadistes libyens qui formèrent par la suite l’Armée syrienne libre, sous le commandement de Mahdi al-Harati et l’encadrement de soldats français, assiégèrent l’hôtel. Ils tuèrent ceux qui s’approchaient des fenêtres.
En définitive, la Croix-Rouge internationale vint nous chercher et nous amena dans un autre hôtel où le nouveau gouvernement se constituait. Lorsque nous arrivâmes à l’hôtel, deux Gardiens de la Révolution iranienne vinrent à ma rencontre. Ils avaient été envoyé par le président Mahmoud Ahmadinejad et le vice-président Hamid Baghaie pour me sauver. Les dirigeants iraniens s’étaient procurés un relevé de décision d’une réunion secrète de l’Otan à Naples selon lequel, entre autres, il conviendrait de m’assassiner lors de la prise de Tripoli. Ce document faisait état de la présence à ce sommet du ministre des Affaires étrangères français, Alain Juppé, un ami de mon père. Le cabinet de Monsieur Juppé affirmera par la suite que cette réunion n’a jamais existé et que le ministre était en vacances à cette date. Croyant le problème résolu, les Gardiens de la Révolution quittèrent le pays. Or on avait distribué en ville une affichette comprenant les photos d’une douzaine de personnes recherchées : onze Libyens et moi. Un groupe de « rebelles » commença à fouiller l’hôtel à ma recherche. Je fus d’abord sauvé par une journaliste de RT qui me cacha dans sa chambre et en refusa l’entrée aux « rebelles », puis par d’autres, y compris une journaliste de TF1. Après toutes sortes de péripéties où j’échappai à la mort une quarantaine de fois, je fuyais, tel un boat people, avec une quarantaine de personnes à bord d’un petit bateau de pêche vers Malte au milieu des navires de guerre de l’Otan. À notre arrivée à La Valette, le Premier ministre et les ambassadeurs des ressortissants transportés nous attendaient. Tous, sauf l’ambassadeur de France.
Lorsque le « printemps arabe » commença en Syrie, c’est-à-dire l’opération secrète des Britanniques pour porter au pouvoir les Frères musulmans comme ils l’avaient fait un siècle plus tôt avec les Wahhabites, je revenais à Damas aider ceux qui m’avaient accueillis quatre ans plus tôt. J’y ai bien sûr plusieurs fois croisé la mort, mais c’était la guerre. Une fois cependant, je fus la cible directe des jihadistes. Une des fois où les « rebelles » officiellement soutenus par le président François Hollande attaquèrent Damas, ils tentèrent de prendre mon habitation d’assaut. L’armée syrienne installa un mortier sur mon toit et les repoussa. Ils étaient une centaine contre cinq soldats. Mais ils durent se retirer après trois jours de combat. Aucun de ces « rebelles » n’était Syrien, c’était des Pakistanais et des Somaliens sans entrainement militaire. Je me souviens de leurs chants « Allah Akbar ! » qu’ils répétaient hystériques avant de foncer vers la maison. Aujourd’hui encore quand j’entends ce noble cri, j’ai la chair de poule.
Je suis revenu en France en 2020 pour rejoindre ma famille. Plusieurs de mes amis m’avaient assuré que le président Emmanuel Macron ne pratiquait pas les assassinats politiques comme ses deux prédécesseurs. Je ne fut pas libre pour autant. Les douanes reçurent une dénonciation assurant que le container maritime transportant les affaires personnelles de mon compagnon d’armes et les miennes contenait des explosifs et des armes. Elles l’interceptèrent et envoyèrent une quarantaine de fonctionnaires pour le fouiller. C’était un piège tendu par un service étranger : les Douanes laissèrent une société rempoter les marchandises qui en avait été extraites. Celle-ci mit deux jours à le faire pendant lesquels le container fut pillé et mes affaires détruites. Les documents que nous transportions ont tous disparus.
Mon exemple n’est pas isolé. Julian Assange lorsqu’il dévoila le système Vault 7, qui permet à la CIA de compromettre n’importe quel ordinateur ou téléphone portable, devint aussi une cible des États-Unis. Le directeur de la CIA, Mike Pompeo, monta plusieurs opérations avec l’assentiment du Royaume-Uni pour l’enlever ou l’assassiner. Ou encore, lorsque Edward Snowden publia quantité de documents sur le viol de la vie privée par la NSA, tous les membres de l’Otan se liguèrent contre lui. La France ferma même son espace aérien à l’avion du président bolivien Evo Morales croyant que Snowden était à bord. Il est aujourd’hui réfugié en Russie. La Liberté n’est plus en Occident.
Vous trouverez ici un entretien réalisé avec la Fondation pour combattre l’injustice. L’image est obscure et les questions sont posées en russe, mais les réponses sont en français. Cette interview est néanmoins bien plus intéressante que celles réalisées en Europe occidentale. Les questions y sont beaucoup plus fortes et les réponses aussi.
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