Aujourd’hui plus qu’hier, et sans doute moins que demain, la question de décriminalisation du cannabis se pose. Des sondages (ils sont toujours contestables !) nous rappellent régulièrement qu’une majorité de Français sont contre la dépénalisation des drogues douces (1), alors même que d’éminents spécialistes, des scientifiques bardés de diplômes, après avoir bûché sur le sujet, se prononcent en sa faveur. Alors que la France découvre, stupéfaite, que ses sportifs ont la troisième mi-temps parfois cannabique.
En s’attaquant aux sportifs, symboles de la bonne santé et exemples pour la jeunesse, le gouvernement a réussi à démontrer - mieux que le CIRC (Collectif d’information et de recherche cannabique) - combien le cannabis faisait partie de notre culture, n’en déplaise à Francis Curtet, qui effectue un come-back, en ce début d’année, sur le thème éternel des ados fragiles et du méchant pétard (2).
Pervers, le gouvernement utilise-t-il les sportifs pour faire avaler au peuple la couleuvre de la dépénalisation qui, dixit le ministre de la Justice, "conduit inéluctablement à la légalisation du trafic des drogues plus ou moins douces (3)" ? Ou alors, version plus réaliste, les experts sont des imbéciles, ignorant que dans le domaine sportif - comme partout ailleurs - le cannabis a élu domicile. Les médias ont adoré l’histoire des sportifs pris la main dans le sac de "beu" et, souvent, ont ironisé sur l’hypocrisie du gouvernement, alimentant les rumeurs d’une inéluctable (pour reprendre l’adjectif cher à Jacques Toubon) dépénalisation.
Nous attendions avec curiosité le 7 mars, jour où messieurs Kohl et Chirac devaient rencontrer à La Haye le premier ministre néerlandais pour parler de la "drogue" mais le rendez-vous a été annulé. Notre Président, craignant sans doute de se ridiculiser, s’est tout bonnement dégonflé.
Le 8 mars, les responsables du CIRC étaient jugés pour avoir organisé, les 16, 17 et 18 juin, des manifestations interdites par la préfecture de police. En réalité, on voudrait bien que le Collectif cesse de provoquer au débat, alors on lui "pourrit la vie (4)" à coup de procès et d’amendes.
Depuis quelques années, chaque fois que le cannabis est d’actualité, c’est pour donner raison aux partisans de sa décriminalisation. Et, chaque fois, nous espérons que le gouvernement en tiendra compte... Mais il s’en balance. Pourtant, il ne lui coûterait rien de dépénaliser officiellement l’usage - et il tirerait carrément avantage d’une légalisation très contrôlée.
Alors pourquoi préfère-t-il, au lieu de rectifier le tir, jeter en prison les usagers-revendeurs et empêcher le CIRC de s’exprimer librement ? Parce que l’opinion publique, sous-informée, jamais n’acceptera la "drogue" en vente libre, ou parce que les pétards que nous fumons (à moins de cultiver son propre jardin) financent quelques entreprises politiquement inavouables ?
Jean-Pierre Galland
1. Voir "L’Evénement du jeudi" (1er au 7 février 1996) ou "Comme un lundi", l’émission de Dechavanne (16 octobre 1995).
2. Dans une interview accordée au magazine "Valeurs actuelles".
3. D’après Michel Bouchet, le patron de la brigade des stupéfiants, nombreux sont les journalistes qui tirent sur le pétard.
4. Expression chère à un inspecteur de police qui n’apprécie guère le CIRC.
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