Le 9 mai 1994, plus d’un mois après le début des massacres, un officier rwandais est reçu à Paris par le général Huchon, qui dirige la Mission militaire de coopération. Le rapport de mission que nous publions [4], qu’Ephrem Rwabalinda adressera à ses supérieurs, est accablant pour la France : aide logistique à l’armée des génocideurs, conseils avisés en communication, assurance du soutien politique de Paris...
Au plus haut niveau, alors que les morts se chiffraient déjà par centaines de milliers, la France confirmait qu’elle avait choisi son camp : celui des tueurs.
DOCUMENT
Gitarama, le 16 mai 1994
Au ministre de la Défense
Au chef EM AR
Objet : Rapport de mission
J’ai l’honneur de vous faire parvenir ci-joint le rapport de visite que j’ai effectuée auprès de la Mission militaire de coopération française à Paris du 9 au 13 mai 1994.Les promesses à court et long termes contenues dans le document sont à poursuivre activement.
RWABALINDA Ephrem
Lieutenant-colonel BEM
Conseiller en chef EM AR
RAPPORT DE VISITE FAIT AUPRES DE LA MISSION MILITAIRE DE COOPERATION A PARIS
1. J’ai été reçu au bureau du général Huchon, lundi 9 mai 1994, de 15h à 17h.
2. Au cours de l’entretien, je lui ai fait le tour d’horizon sur la situation politico-militaire de l’heure au Rwanda, en insistant sur la reprise des hostilités initiées par le FPR, hostilités qui ont alimenté vivement les affrontements inter-ethniques... [illisible]. J’ai insisté également sur le fait que la Minuar a exercé [...] empêchant le [...] de procéder au recrutement des nouvelles troupes, de s’approvisionner en armes et munitions tandis que le FPR agissait en toute liberté en préparation de l’offensive générale qu’il mijotait.
3. Les priorités suivantes ont été abordées :
a. Le soutien du Rwanda par la France sur le plan de la politique internationale.
b. La présence physique des militaires français au Rwanda ou tout au moins d’un contingent d’instructeurs pour les actions de coups de main dans le cadre de la coopération.
c. L’utilisation indirecte des troupes étrangères, régulières ou non.
d. Besoins urgents :
- munitions pour la batterie 105 mm (2.000 coups au moins) ;- compléter les munitions pour les armes individuelles au besoin en passant indirectement par les pays voisins amis du Rwanda ;
- habillement ;
- matériel de transmission.
e. Participation aux enquêtes visant à faire la lumière sur la mort tragique du président de la République rwandaise et de celui du Burundi.
4. Avis et considérations du général Huchon :
a. Il faut sans tarder fournir toutes les preuves prouvant la légitimité de la guerre que mène le Rwanda de façon à retourner l’opinion internationale en faveur du Rwanda et pouvoir reprendre la coopération bilatérale. Entre-temps, la Mission militaire de coopération prépare les actions de secours à mener en notre faveur.
Le téléphone sécurisé permettant au général Bizimungu et au général Huchon de converser sans être écoutés (cryptophonie) par une tierce personne a été acheminé sur Kigali. Dix-sept petits postes à sept fréquences chacun ont été également envoyés pour faciliter les communications entre les unités de la ville de Kigali. Ils sont en attente d’embarquement à Ostende.
Il urge de s’aménager une zone sous contrôle des FAR où les opérations d’atterrissage peuvent se faire en toute sécurité. La piste de Kamembe a été retenue convenable aux opérations à condition de boucher les trous éventuels et d’écarter les espions qui circulent aux alentours de cet aéroport.
b. Ne pas sous-estimer l’adversaire qui aujourd’hui dispose de grands moyens. Tenir compte de ses alliés puissants.
c. Placer le contexte de cette guerre dans le temps. La guerre sera longue.
d. Lors des entretiens suivants au cours desquels j’ai insisté sur les actions immédiates et à moyen terme attendues de la France, le général Huchon m’a clairement fait comprendre que les militaires français ont les mains et les pieds liés pour faire une intervention quelconque en notre faveur à cause de l’opinion des médias que seul le FPR semble piloter. Si rien n’est fait pour retourner l’image du pays à l’extérieur, les responsables militaires et politiques du Rwanda seront tenus responsables des massacres commis au Rwanda.
5. Conclusions :
a. Ces contacts m’ont permis de sonder combien la coopération militaire française est gênée de nous expliquer sa retenue en matière d’intervention directe par souci de solidarité à l’opinion politique européenne et américaine.
b. Les essais de relance de médiatisation faits à Paris par la cellule du colonel Ntahobali, que j’ai enrichis par les articles ci-annexés, sont à stimuler et renforcer. À ce sujet, il urge d’y dépêcher un attaché de presse à la hauteur de la situation. Soigner davantage l’image du pays à l’extérieur constitue une des priorités à NE PAS perdre de vue.
c. Les appareils téléphoniques que j’apporte devraient nous aider à sortir de l’isolement vis-à-vis de l’étranger.
d. Le comité consultatif de crise devrait épauler davantage l’autorité politico-militaire par des propositions concertées allant même au-delà du court terme.
e. Les amis contactés nous conseillent de faire un effort pour mettre à l’oeuvre des équipes aux effectifs réduits pour saboter les arrières de l’ennemi et briser ainsi son élan.
f. Il est à remarquer tant du côté belge que du côté de la France, l’hésitation d’envoyer tous les stagiaires au Rwanda, même ceux pour qui les cours prennent fin au début de juillet 1994.
g. Une visite de haut niveau politique pourrait mieux cadrer les orientations et les actions attendues.
RWABALINDA Ephrem
Lieutenant-colonel BEM
[1] Ce rapport a été rendu public par Colette Braeckman lors du « contre-sommet » de Biarritz (8 et 9 novembre 1994).
[2] Ce rapport a été rendu public par Colette Braeckman lors du « contre-sommet » de Biarritz (8 et 9 novembre 1994).
[3] Ce rapport a été rendu public par Colette Braeckman lors du « contre-sommet » de Biarritz (8 et 9 novembre 1994).
[4] Ce rapport a été rendu public par Colette Braeckman lors du « contre-sommet » de Biarritz (8 et 9 novembre 1994).
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