(procès-verbal de la séance du mercredi 29 octobre 2003)
Le président Pascal CLÉMENT : Nous accueillons M. Pierre-Henri Leroy, président de Proxinvest, société spécialisée dans le conseil aux investisseurs et aux actionnaires. Nous avons souhaité vous entendre pour que vous nous fassiez part de votre expertise sur deux points.
Vous êtes un expert du vote d’actionnaire. Un grand nombre d’institutions françaises et étrangères font appel à vous pour gérer les décisions qui leur sont soumises en assemblée générale. J’aimerais que vous nous disiez comment le comportement et le profil de l’actionnaire français ont évolué depuis 1995, date à laquelle le premier rapport français sur la gouvernance a été publié. Deux autres ont été publiés depuis cette date. Je lis que la City londonienne n’en finit plus avec les frondes d’actionnaires. Qu’en est-il en France ?
Vous bénéficiez par ailleurs d’un observatoire privilégié des pratiques en matière de rémunération et publiez un rapport annuel sur le sujet. Que pouvez-vous nous dire de l’évolution de leur montants, rapportés aux résultats des sociétés ? En termes plus qualitatifs, vous semble-t-il qu’existe encore un déficit de transparence en la matière ? Que conseillez vous à cet égard à vos clients ?
Dans votre rapport 2002 sur les rémunérations de 2001, vous proposez une approche normative de ce que devraient être les rémunérations des patrons du CAC 40 en fonction de plusieurs critères. Pouvez-vous nous expliquer votre démarche ?
Je vous laisse la parole pour un exposé liminaire, puis nous vous poserons des questions.
M. Pierre-Henri LEROY : M. le président, merci de votre accueil. Je vais d’abord me présenter rapidement. J’ai 54 ans. J’ai fait Sciences-Po, puis des études de droit à Columbia University. J’ai fait mon service national à la Datar. J’ai ensuite travaillé dans le domaine du financement dans des groupes chimiques tels que Roussel-Uclaf puis Hoechst en Allemagne. J’ai poursuivi ma carrière dans le secteur bancaire, pendant cinq ans chez Bankers Trust, banque d’affaires qui a été rachetée par Deutsche Bank, puis pendant cinq ans au Crédit Lyonnais, où j’étais responsable du financement du groupe. J’y ai été un témoin privilégié de certaines opérations, mais je n’ai malheureusement pas pu empêcher quoi que ce soit, car je travaillais sur le passif et non sur l’actif, c’est-à-dire sur les décisions d’investissement. Mes responsabilités au sein de cet établissement n’ont cessé de se réduire.
J’ai créé en 1994-1995 une petite société, avec très peu de fonds, parce qu’il n’y avait pas de marché et donc pas de raison d’investir du capital. Cette petite société de conseil, Proxinvest, est destinée à aider les investisseurs institutionnels à se prononcer sur le sens des votes qu’ils doivent émettre pour les millions d’actions qu’ils détiennent dans leur portefeuille.
Proxinvest a créé six emplois. Je travaille 18 heures par jour, comme tout le monde, mais c’est un travail qui me donne beaucoup de satisfaction personnelle. Malgré le smic, l’urssaf et 1’is, nous arrivons à peu près à nous en tirer.
J’ai créé à Washington en 1995, avec des fonds de pension anglo-saxons, l’International Corporate Governance Network, qui est une association d’investisseurs responsables, c’est-à-dire d’investisseurs faisant une utilisation intelligente de leur droit de vote. Cette association a été encouragée par exemple par Jean-François Théodore et certaines sociétés françaises y ont contribué, telles la Société Générale et Lagardère, mais elle reste surtout une association d’investisseurs.
Proxinvest respecte un principe déontologique, c’est-à-dire stratégique, consistant à ne travailler que pour les investisseurs et aucunement pour les émetteurs. Nous avons refusé des propositions intéressantes d’émetteurs, car il n’est pas possible de conseiller sur un vote portant sur une proposition d’un conseil d’administration qui nous payerait par ailleurs pour lui avoir donné des conseils. Cette règle n’est pas observée par tous nos concurrents, mais nous préférons rester raisonnablement pauvres.
J’ai découvert, au cours de ces cinq années à la tête de Proxinvest une chose surprenante pour quelqu’un qui, comme moi, croyait connaître l’économie grâce à son expérience dans la banque et l’industrie, à savoir qu’une part importante de la richesse créée par les entreprises ne remonte pas jusqu’aux actionnaires ordinaires. Il s’agit essentiellement du champ des conventions réglementées et des transactions en capital orchestrées au bénéfice d’intérêts particuliers. Chacun le sait, mais c’est beaucoup plus important qu’on ne le croit. J’ai vu des sociétés très importantes dont un tiers de la capacité bénéficiaire était détournée par le jeu de conventions réglementées, même si la légalité d’un tel procédé est parfois douteuse.
Ceci s’explique par le manque d’égard pour les intérêts des investisseurs ordinaires, tandis que la direction de l’entreprise fait, elle, l’objet des meilleurs soins du système financier.
Le déséquilibre en présence est patent entre le sell side - c’est-à-dire l’émetteur et son syndicat de placement primaire, les banques d’affaires, les avocats, la presse financière, les marchés organisés, les autorités de tutelle, tous rémunérés par l’émetteur et donc légitimement loyaux, puisque l’indépendance peut être définie par le principe « Dis-moi qui te paie, je te dirai pour qui tu travailles » - et le buy side, qui a beaucoup d’argent à gérer, mais pas beaucoup d’argent à dépenser, car les marges de gestion collective ont été laminées dans le monde entier.
Le scandale des rémunérations abusives n’est que l’un des symptômes d’une crise financière généralisée qui se traduit aujourd’hui par une désaffection des émetteurs et des investisseurs pour les marchés d’actions et une baisse préoccupante du coût du capital, avec ses conséquences évidentes pour l’emploi et la croissance.
La problématique générale de la sécurité financière en France comme à l’étranger relève, selon nous et pour l’essentiel, de la confusion regrettable des grandes fonctions financières que permet le régime désormais quasi généralisé de banque universelle. En effet, la banque universelle a permis tout à la fois l’avènement d’une volatilité exceptionnelle des marchés et celui d’un déséquilibre des forces économiques entre émetteurs et intermédiaires d’une part, investisseurs et épargnants de l’autre.
Je voudrais citer ici Paul Volker, qui fut sous-secrétaire américain pour les affaires monétaires, puis président de la Banque fédérale de New York de 1975 à 1979, enfin chairman du tout puissant Federal Reserve Board de 1979 à 1987, auquel on doit l’éradication de l’inflation dans les années 80. Invité en février 2003 par la Fédération bancaire française, Paul Volker a fait la déclaration suivante aux banquiers français : « Vous savez que l’internationalisation des marchés est aujourd’hui attaquée par des personnes qui n’ont peut-être pas de connaissances très évoluées dans ce domaine. Pourquoi donnons-nous à ces gens des arguments légitimes pour s’inquiéter de la croissance du capitalisme international ? C’est vraiment le cœur du problème. Si nous souhaitons être un modèle crédible pour le monde entier, il faut que nous ayons nous-mêmes les mains propres. Cette situation exige donc une réponse qui va au-delà des négations, des dénis qui ont été lancés aux États-Unis. Il suffit d’attendre quelques mois pour que tout le monde oublie les scandales. Je ne pense pas que cela suffise. Il faut donc mettre en place des réformes. »
Je me permets de citer Paul Volker, car il a l’autorité que je n’ai pas sur le sujet et qu’il est d’une très grande liberté et d’une très grande compétence. Je vous invite d’ailleurs à consulter l’intégralité de l’intervention de Paul Volker sur le site de la Fédération bancaire française.
Comme nous travaillons essentiellement sur les assemblées générales des sociétés cotées, notre priorité est l’équité du processus de contrôle de la gestion par l’actionnaire. Si le Parlement doit légiférer, c’est plus pour assurer l’efficacité et l’équité des contrôles par les actionnaires que pour préciser le nombre d’administrateurs indépendants ou le niveau des rémunérations. Ainsi la loi nre est à nos yeux dans son rôle quand elle prétend définir l’identification de l’actionnaire ou qu’elle resserre le régime des conventions réglementées. De même, la loi sur la sécurité financière est dans son rôle quand elle oblige les sociétés de gestion investissant en actions à veiller à exercer leur droit de vote ou lorsqu’elle accroît la responsabilité des commissaires aux comptes.
Le président Pascal CLÉMENT : J’ai quelques questions à vous poser. Tous les grands dirigeants que nous avons auditionnés ont souligné l’inertie des actionnaires, notamment des investisseurs institutionnels. Le discours général est : « ils ont des pouvoirs, mais ne les utilisent pas ». Rejoignez-vous ce constat ?
Faut-il obliger les investisseurs institutionnels à voter ? Comment les inciter à remplir leur rôle ?
Aux États-Unis et au Royaume-Uni les pratiques semblent différentes, puisque Liberty, un fonds de pension dont le dirigeant est paraît-il un homme très estimé, commence à s’intéresser de près à la gouvernance des entreprises et oblige les entreprises dont elle est actionnaire à mettre de l’ordre. Je n’ai pas l’impression qu’en France les investisseurs institutionnels jouent un tel rôle.
La sec américaine étudie une recommandation qui pourrait classer les résolutions soutenues par une majorité d’actionnaires mais ignorées par l’entreprise parmi les éléments susceptibles d’ouvrir la possibilité pour les actionnaires de présenter leurs propres candidats au conseil d’administration.
Je pense pour ma part qu’il y a là une piste à étudier : puisque l’assemblée générale fonctionne mal, pourquoi les associations de petits actionnaires agréées n’éliraient-elles pas un représentant pour siéger au conseil d’administration qui ferait son propre rapport à l’assemblée générale sur le fonctionnement et les méthodes du conseil ? Je rappelle que l’administrateur salarié représente tous les actionnaires, mais dans la pratique il représente surtout les salariés.
Une piste alternative nous a été suggérée par M. Bébéar. Il s’agirait de faire élire, par l’assemblée générale des actionnaires, un collège de censeurs qui seraient chargés de choisir les auditeurs et de fixer leur feuille de route. M. Bébéar a par ailleurs suggéré de supprimer le vote blanc et le vote par procuration à l’assemblée générale. Que pensez-vous de ces propositions ?
Nous avons le sentiment que, à la suite de la loi NRE, les sociétés françaises se sont conformées a minima aux nouvelles prescriptions. M. Messier, que nous avons auditionné récemment, s’est déclaré défavorable aux stock options car c’est un système où l’on gagne à tous les coups. La ministre de l’industrie britannique aurait d’ailleurs dit que les stock options constituent une prime à l’échec. Dans certaines entreprises, les dates d’acquisition des stock options sont prévues, mais ce n’est pas le cas dans la majorité si bien que certains chefs d’entreprise, je pense à un cas récent, bénéficient de plans de stock options au moment où le cours de l’action est au plus bas. Que suggérez-vous pour lutter contre de tels abus ? Une intervention législative me paraît envisageable en ce domaine.
Pensez-vous que les investisseurs devraient être plus inquisitoriaux sur les conditions de fonctionnement du comité de rémunération ? Vous connaissez le mot de Warren Buffet qui compare un membre du conseil d’administration qui poserait des questions sur les rémunérations des membres du comité exécutif à un convive qui ferait un rot en plein déjeuner.
S’agissant de l’attribution des plans d’options, estimeriez-vous que les investisseurs devraient systématiquement la refuser en période de chute des cours ?
Je vous laisse la parole, M. le président, avant que mes collègues ne complètent mes questions.
M. Pierre-Henri LEROY : Vous avez parlé de la mobilisation des investisseurs institutionnels. Il y a des hommes honnêtes et de bonne volonté dans notre pays. J’ai vu des sociétés de gestion agir très tôt, ainsi que des actionnaires exercer courageusement leur droit de vote.
Je peux vous citer l’histoire du patron de la gestion d’un grand établissement bancaire qui a fait part à son président de son désaccord avec les résolutions que celui-ci présentait à l’assemblée générale. Le président lui a répondu qu’il devait voter dans le sens de l’intérêt des porteurs et qu’il était donc libre de voter contre, ce qu’il a fait pendant de nombreuses années et, lorsque son président a absorbé une autre société, il a eu l’élégance de le nommer patron de l’ensemble. C’est un cas qui a eu lieu en France. Je ne citerai pas de nom, mais c’est un établissement bancaire connu.
J’ai vu aussi des gérants nous téléphoner pour nous demander notre aide sur des cas de conscience qu’ils rencontraient. C’est parfois difficile pour eux, car ils étaient habitués à ce que l’actionnaire majoritaire soit responsable et veille au grain. Or, l’évolution naturelle du marché a conduit à la disparition de l’actionnaire majoritaire. Par conséquent, il était naturel que, avec la durée d’investissement des fonds de pension qui s’allonge, leurs gérants se mobilisent.
Le texte de loi qui a été voté me semble largement suffisant, mais il faut que la légis-lation soit appliquée, car nous voyons des autorités chargées de veiller au respect des textes ne pas sanctionner. C’est dommage, car c’est souvent les Français qui sont exemplaires et les étrangers qui sont en défaut. Il ne faut pas se laisser impressionner par ces gens du syndicat de placement, qui est un peu le syndicat du crime - l’expression est forte, mais il faut bien avoir un peu d’humour - bien qu’ils présentent tous très bien. Je parle ici en tant que représentant de l’humble buy side.
Je ne pense donc pas qu’il faille créer de nouveaux textes. Les actionnaires devraient voter de façon sérieuse et ne pas le considérer comme une formalité, alors que c’est encore malheureusement le cas. Mais cela viendra naturellement.
Je vais vous donner un exemple. Cette année, un actionnaire a saisi Unibail au sujet de l’augmentation de son dividende de 40 %. Cela a représenté un événement exceptionnel de voir un investisseur institutionnel extrêmement compétent intervenir auprès d’une société fort bien gérée, dirigée par un président connu et estimé, pour lui faire part de son désaccord. Une discussion a alors eu lieu entre les deux parties, notamment sur le rachat d’actions, l’entreprise ayant choisi, plutôt que de payer un dividende, de racheter des actions pour les annuler.
Toutefois, dans le domaine de l’intégrité de l’assemblée générale, nous avons encore beaucoup de progrès à faire, notamment en raison de la présence de forces conservatrices. Ceci dit, la France bénéficie d’un droit commercial de grande qualité et n’a aucun complexe à avoir dans le domaine de la gouvernance vis-à-vis de nos voisins européens.
Le président Pascal CLÉMENT : Même vis-à-vis des Anglais ?
M. Pierre-Henri LEROY : Vous avez raison, peut-être avons-nous des progrès à faire par rapport aux Anglais. Par rapport aux Américains en revanche, nous sommes dans une situation intéressante, l’assemblée générale étant souveraine dans notre pays. Certains textes iniques et scandaleux ont été votés, mais peut-être sont-ils passés inaperçus parce que l’attention des observateurs était fixée sur d’autres sujets. Je pense notamment aux dispositions de la loi nre sur l’identification des actionnaires. Ces textes ont été inspirés par des institutions travaillant sur ces sujets de façon sérieuse, mais dans une optique différente de la nôtre. Nous avons une vision démocratique et républicaine de l’actionnariat, selon laquelle la légitimité du président d’une société vient du bas, de l’assemblée générale, et pas du haut, du conseil d’administration. C’est toute l’opposition entre les héritages orientaux et l’héritage gréco-romain.
La participation au vote à l’assemblée générale se heurte en France à deux problèmes historiques.
Le premier problème est le fameux blocage des titres. Il permet certes une identification bancaire, et il faut s’en féliciter car la France a été le premier pays à dématérialiser, mais ce blocage n’est pas utile et représente au contraire une dure pénalité pour les investisseurs. D’ailleurs, certains investisseurs utilisent le blocage des titres comme argument pour ne pas voter. De plus, ce blocage est compliqué et malsain et semble voulu comme tel. Il faudrait remplacer le blocage par une inscription en banque quelques jours avant l’assemblée générale. Les banques ont un rôle à jouer dans l’identification des actionnaires, mais malheureusement les banquiers se sont montrés très timides face au front conservateur soutenant le pouvoir du président. Le système actuel d’immobilisation est très compliqué et décourage les investisseurs.
Le second est la limitation de la validité du mandat de représentation, qui permet le vote par procuration, à une seule assemblée. Le vote des institutionnels, partout dans le monde, se fait par le biais d’une délégation de pouvoir du président et ce n’est plus le mandataire social de la personne morale responsable qui va signer le bulletin de vote, mais une personne spécialement désignée à cet effet, qui peut d’ailleurs être extérieure à la société. Cela me semble une procédure efficace et moderne. Je le dis d’autant plus facilement que ma société n’assure pas ce genre de service.
Or, en France, le vote qui n’est pas signé par le propriétaire en titre peut être déchiré. La loi nre a mis en place un système de représentation extrêmement compliqué - dont les dispositions couvrent d’ailleurs cinq pages de texte - accompagné de sanctions. Il faut abroger ces dispositions.
Il faut résoudre la problématique juridique de la durée de validité d’une procuration. Ce n’est pas un débat simple, mais il me semble qu’un délai d’un an soit satisfaisant, car il accompagne le rythme de la vie d’une société. Je vais vous donner un exemple. Calpers, un des plus gros fonds de pension au monde, s’est opposé à des conventions réglementées lors de l’assemblée générale des actionnaires de lvmh. Le bulletin de vote de Calpers, signé par José Arrau, chargé des votes chez Calpers, et non par Bill Christ, le président, a été déchiré, même si je ne l’ai pas vu moi-même puisque je n’étais pas présent, alors que Calpers détenait 500 000 voix.
Le système actuel, défendu par les forces conservatrices, que je préfère ne pas citer par courtoisie, permet le bourrage des urnes. D’ailleurs, certains grands patrons, comme le président Collomb, en ont pris conscience. Ainsi, l’année dernière, nous nous sommes opposés à l’adoption du dispositif nre dans les statuts de Lafarge et nous avons demandé à nos clients de nous suivre. Nous avons réussi, puisque la proposition n’a pas été votée et le président Collomb lui-même a reconnu que le texte n’était pas très bon.
Le président Pascal CLÉMENT : Pouvez-vous brièvement rappeler le contenu des dispositions de la loi NRE auxquelles vous faites référence ?
M. Pierre-Henri LEROY : La loi nre a organisé un système par lequel le représentant d’un investisseur doit s’inscrire pour être agréé par le président de la société, si celui-ci le trouve suffisamment identifié. Alors seulement, il pourra voter dans un canal de représentation légitime, mais ce n’est pas juridiquement exact. Je précise que l’identité du représentant pourra être gardée confidentielle par le président alors que jusqu’à la loi nre, le système était parfaitement transparent, car il permettait de connaître pendant trois ans les résultats des votes de l’assemblée générale ainsi que l’identité des participants. La loi nre a mis fin à ce système. J’ai entendu dire que la loi nre permettait de lutter contre le blanchiment d’argent. C’est hilarant ! Comment lutter contre le blanchiment d’argent si le président est le seul à connaître l’identité de l’actionnaire qu’il admet au vote ? On croit rêver !
Le système actuel n’est pas valide, puisque tous les gérants procèdent par représentation et que les votes étrangers étant invalides en puissance, la société n’acceptera que les votes qu’elle veut. D’ailleurs certains grands établissements dépositaires de la place de Paris ne m’ont pas caché qu’ils ne prenaient en compte les votes par correspondance que s’ils en avaient besoin pour atteindre le quorum. Il y a donc bien bourrage d’urnes.
Le président Pascal CLÉMENT : Que proposez-vous ?
M. Pierre-Henri LEROY : Je propose que les procurations de vote soient valides au-delà d’une seule assemblée, pour un délai d’un an par exemple. Je sais que cela pose un sérieux problème de droit, la cob m’ayant exposé que cela représentait une rupture avec un principe de droit majeur sur le droit de vote.
Je propose par ailleurs la suppression du blocage et son remplacement par une simple inscription en banque.
Je propose enfin la suppression des dispositions de la loi nre les plus regrettables sur l’identification de l’actionnaire, notamment les sanctions. Le président peut en effet priver la personne mal identifiée de dividendes pendant cinq ans.
Le président Pascal CLÉMENT : Cette disposition a-t-elle été appliquée ?
M. Pierre-Henri LEROY : Il y a eu un cas célèbre il y a quelques années, quand Guy Wyser Pratt, personnage haut en couleur, ancien marine d’origine française, qui détenait 5 % des actions de Strafor Facom a décidé de s’opposer à la direction de la société. Celle-ci a réussi à le faire priver de son droit de vote devant le tribunal de Strasbourg, car il ne s’était identifié que 11 jours après avoir acquis ses actions, alors que les statuts prévoyaient un délai de dix jours, ce qui est d’ailleurs scandaleux.
Aujourd’hui, on constate des pratiques de bourrage d’urnes. Vous pourrez interroger les professionnels chargés des assemblées générales, qui sont d’ailleurs payés par l’émetteur, ce qui pose le problème de la loyauté. Personne n’est là pour défendre les investisseurs, mais des grands juristes, comme le professeur Schmidt, sont choqués de ces déviations.
C’est un vrai problème, l’actionnariat étranger représente 30 % à 40 % de l’actionnariat des entreprises françaises. Or, je préfère un actionnaire étranger honnête à un actionnaire français malhonnête. L’intégrité est plus importante que la nationalité.
Je voudrais vous faire part d’une proposition sur l’organisation des assemblées, qui a d’ailleurs reçu le soutien du président de la bnp. Elle concerne les quorums. Il faut les maintenir, malgré l’opposition des forces conservatrices qui veulent les supprimer, mais il faut rendre le système plus intelligent. Aujourd’hui, avec le système de l’assemblée de carence, une deuxième assemblée est convoquée avec un quorum plus faible si le quorum n’a pas été atteint lors d’une première réunion. Nous avions proposé, il y a déjà quelques années, proposition qui n’avait d’ailleurs même pas été examinée par la cob sous prétexte qu’elle émanait des investisseurs, de supprimer la première convocation pour ne retenir que le quorum de la deuxième convocation pourvu que la convocation soit faite dans un délai de six à huit semaines.
M. Philippe HOUILLON : Pouvez-vous préciser votre dernière proposition ?
M. Pierre-Henri LEROY : Il s’agit de dispenser de la tenue de l’assemblée de carence pour n’exiger que le niveau de quorum requis pour la deuxième convocation, pourvu que la convocation se fasse dans un délai de six à huit semaines. Il y a en effet deux convocations afin que les actionnaires puissent être prévenu. Soyons donc pratiques et supprimons la première convocation pour n’en retenir qu’une seule, à laquelle s’appliquerait le quorum de 25 %, c’est-à-dire le quorum le plus bas pour la modification des statuts, faite avec un délai suffisamment long.
Le président Pascal CLÉMENT : Cela revient à supprimer le quorum.
M. Pierre-Henri LEROY : Je parle de l’assemblée générale extraordinaire, car la loi supprime l’exigence du quorum pour la deuxième convocation de l’assemblée ordinaire, mais c’est vrai que c’est une forme de suppression du quorum.
M. Philippe HOUILLON : Vous avez pourtant dit être défavorable à la suppression du quorum.
M. Pierre-Henri LEROY : Je suis défavorable à la suppression du quorum en assemblée générale extraordinaire telle que l’avait proposé 1’ansa en 1998. Il faut maintenir le quorum en assemblée générale ordinaire.
Le président Pascal CLÉMENT : Je rappelle que l’assemblée générale extraordinaire est la seule compétente pour modifier les statuts. C’est une idée intéressante, mais ce n’est pas l’essentiel.
M. Pierre-Henri LEROY : Cette idée commence à faire son chemin et bénéficie de soutiens de plus en plus nombreux. Il faut maintenir les quorums, mais rendre les convocations beaucoup plus lisibles.
Le président Pascal CLÉMENT : La parole est à M. Michel Voisin.
M. Michel VOISIN : M. Leroy, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention. Vous avez notamment parlé des conventions réglementées en soulignant qu’elles étaient souvent frauduleuses.
M. Pierre-Henri LEROY : J’ai employé ce terme car une convention réglementée non approuvée est illégale.
M. Michel VOISIN : Je suis expert-comptable de profession et je sais donc que les commissaires aux comptes sont responsables pécuniairement et pénalement pour toute convention illégale de l’article 101 (2).
Je voudrais parler des commissaires aux comptes, qui ont été un peu oubliés lors de nos précédentes auditions. Ceux des petites sociétés sont très exposés, car un manquement aux obligations légales arrive très facilement, par oubli. Je suis étonné de voir que les deux commissaires aux comptes des sociétés cotées ne sont jamais embêtés, à part bien sûr l’exemple récent du cabinet Salustro.
Ne faudrait-il pas prévoir plus de deux commissaires aux comptes ? Le personnel des cabinets est compétent, mais se borne bien souvent à faire de la photocopie. La recherche des procédures se fait le plus souvent ailleurs, avec du personnel très qualifié. Les deux commissaires aux comptes titulaires ne sont pas suffisamment nombreux.
Les assemblées générales sont extrêmement réglementées et contrôlées. Vous parliez de bourrage d’urnes ; le président, les administrateurs et les assesseurs prennent donc une grande responsabilité lorsqu’ils signent les procès-verbaux. Je m’étonne que les commissaires aux comptes, organes de contrôle, ne dénoncent pas ces pratiques. Il faudrait mettre en place des procédures pour leur permettre de contrôler le vote lors de l’assemblée générale.
M. Pierre-Henri LEROY : Utiliser les commissaires aux comptes pour contrôler les assemblées générales est une idée originale et je la trouve excellente.
M. Michel VOISIN : Le droit des sociétés exige déjà que le commissaire aux comptes soit présent lors de l’assemblée générale afin d’y effectuer son travail de contrôle.
M. Pierre-Henri LEROY : Vous avez raison, mais généralement le commissaire aux comptes se contente de lire ses rapports et ne contrôle pas les listes de présence. Il ne joue aucun rôle dans les procédures de vote.
M. Michel VOISIN : Dans son dossier de contrôle, le commissaire aux comptes doit prouver qu’il a contrôlé le déroulement de l’assemblée générale.
M. Pierre-Henri LEROY : Je l’ignorais et je ne l’ai d’ailleurs jamais vu. J’ai une affection naturelle pour le commissaire aux comptes, car il est payé par l’émetteur et a un devoir de loyauté, même si son devoir professionnel est supérieur. J’appelle les actionnaires à se mobiliser pour sanctionner, lors de la nomination des commissaires aux comptes, certains comportements. Nous tenons une liste des mauvais comportements de la part des commissaires aux comptes, car notre rôle est d’éclairer l’actionnaire notamment sur la décision de nomination du commissaire aux comptes.
M. Alain MARSAUD : Je voulais simplement dire que j’attendais beaucoup de l’audition de M. Leroy et que je n’ai pas été déçu.
M. Xavier de ROUX : Je voudrais vous interroger, M. Leroy, sur le coût de l’intermédiation dans les affaires de placement et sur le rôle des banques d’affaires. Vous avez commencé à aborder ce point, mais pourriez-vous nous apporter des précisions ?
M. Pierre-Henri LEROY : C’est un sujet important, qui nous ramène à une vision d’ensemble des marchés financiers, qui échappe à la modeste entreprise qui est la mienne.
Proxinvest a vocation à s’adresser à l’ensemble du marché français, mais après cinq ans d’activité, mon chiffre d’affaires n’est que de 500 000 euros, ce qui est très faible. Pourquoi n’ai-je pas réussi à attirer tous les grands gérants et à leur faire exercer leur droit de vote ? Pour apporter une réponse à cette question, il faut se livrer à une réflexion macro-économique.
La banque universelle est née après la suppression du Glass Stegall Act qui a été achevée par Bill Clinton en 1999 et qui a consacré la fin d’un système dans lequel les banques de crédit, protégées par l’État et donc par le contribuable, avaient le monopole du crédit, mais ne pouvaient acheter ni titres de capital ni immobilier. Ce système a été ébranlé tout au long des années d’après-guerre, pour de multiples raisons. J’ai moi-même milité, lorsque je travaillais chez Bankers Trust pour qu’il nous soit possible d’acheter des actions, en raison de notre excellence dans le domaine du crédit.
Je n’explique pas la fin de ce système par une théorie du complot, mais les grands argentiers publics - comme Paul Volker, qui fait d’ailleurs son autocritique, ou Jean-Claude Trichet - n’ont peut-être pas pensé aux conséquences de ce qu’ils faisaient quand ils ont laissé les banquiers intervenir sur le marché des actions. Aujourd’hui nous donnons tous, contribuables que nous sommes, notre garantie à des Spiller. Si demain, la Société Générale prend de mauvaises décisions sur le marché des actions, ce seront tous les contribuables qui devront payer. C’est profondément injuste. Ce problème se pose à l’échelle mondiale.
La question que vous avez posée, M. de Roux, est celle des marges. Dans un cas, elles s’établissent à 3 % pour la prise ferme d’une émission, et dans l’autre, à 0,15 % pour la gestion d’un portefeuille. Tous les grands banquiers se sont transformés en traders. Les responsables de la gestion de la direction générale des grandes banques universelles se demandent chaque matin quel gros coup à 300 millions de dollars ils vont pouvoir faire, car c’est très important pour le résultat et c’est d’ailleurs ce qui explique le « courtermisme » généralisé des marchés. Une pré-étude lancée par le cmf à l’initiative de Jean-François Lepetit sur la validité des actions n’a malheureusement pas été suivie d’une étude. L’instrument de dérivé de crédit mis à disposition du primaire, qui est le secteur où l’on fait ses marges, accompagne la tendance de tous les banquiers à vouloir être banquiers d’affaires et cambistes.
Je me permets de remettre à votre mission un document qui complète mon intervention et vous permettra d’avoir des précisions sur certaines questions que vous m’avez posées.
Source : Assemblée nationale française
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