L’initiative de sécurité contre la prolifération des armes de destruction massive (PSI), lancée par George W. Bush en mai dernier, rassemble désormais onze États. Mais derrière cet objectif consensuel, Washington ambitionne de contrôler tous les « espaces communs » et d’y jouer les gendarmes du monde. En prenant le contrôle des eaux internationales, les États-Unis entendent s’assurer de la libre-circulation des marchandises, indispensable à la domination économique. Pour le Pentagone, le moment est venu de démontrer sa capacité d’intervention en procédant à quelques opérations « rustiques » et spectaculaires.
En pleine crise nord-coréenne, le président George W. Bush a proposé de réunir les États de bonne volonté pour prévenir la livraison de matériels sensibles à des « États voyous » qui tenteraient de fabriquer des armes de destruction massive. Onze pays ont accepté de participer à cette coalition. Cependant cette initiative de gendarmerie mondiale n’est pas dénuée d’arrière-pensées. Les États-Unis entendent par ce biais faire reconnaître leur suprématie sur les « espaces communs » que sont les océans, l’air (au-dessus de 15 000 pieds) et l’espace. Dans un discours prononcé mardi 2 décembre 2003, le sous-secrétaire d’État John Bolton a averti que Washington pourrait procéder prochainement à de spectaculaires opérations d’arraisonnement.
C’est à l’occasion de son déplacement à Cracovie (Pologne), le 31 mai 2003 que le président Bush a présenté son Initiative de sécurité contre la prolifération (Proliferation Security Intitiative - PSI). Peu après la prise de Bagdad et en pleine crise nord-coréenne, Washington proposait de résoudre par elle-même la polémique sur l’efficacité des contrôles des agences de désarmement de l’ONU : prévenir plutôt que guérir en empêchant les « États voyous » de se fournir en composantes d’armes de destruction massive.
Une première réunion de contact rassembla onze délégations à Madrid, le 15 juin, des représentants de l’Allemagne, de l’Australie, de l’Espagne, de la France, de l’Italie, du Japon, des Pays-Bas, de la Pologne, du Portugal, du Royaume-Uni et bien sûr des États-Unis. Aucun État proche-oriental ne fut invité, ni même la Corée du Sud pourtant concernée au premier chef. Rapidement les négociations laissèrent apparaître plusieurs points de dissension :
– Si certains participants étaient prêts à mettre en place un système de surveillance, c’était uniquement face à un danger déterminé (par exemple le Japon face à la Corée du Nord) et non dans le cadre d’une « guerre globale au terrorisme ».
– Aucun des participants ne souhaitait s’engager dans un processus de surveillance de l’ensemble des « espaces communs » mondiaux.
– Aucun ne souhaitait non plus se voir entraîner dans une logique d’intervention préventive.
Il apparut rapidement que la PSI n’était qu’une déclinaison diplomatico-militaire de la doctrine de lutte contre les armes de destruction massive (National Strategy to Combat Weapons of Mass Destruction) publiée par la Maison-Blanche en décembre 2002. Or celle-ci repose sur des concepts controversés.
En premier lieu, la notion d’armes de destruction massive (ADM), si elle offre quelques commodités de communication, recouvre des réalités hétéroclites. Il n’y a rien de commun entre les armes nucléaires, qui nécessitent des équipements à très haute technologie, et les armes biologiques et chimiques, qui sont à la portée de pays du tiers-monde. Elles sont de natures si différentes qu’il est illusoire de vouloir combattre leur prolifération de la même manière.
Cette confusion en implique une seconde : les États-Unis parlent « d’États voyous » pour désigner en l’espèce des « États proliférants ».
L’OTAN, qui n’est théoriquement pas associée à la PSI, ne manqua d’ailleurs pas de proposer ses services pour coordonner l’initiative.
Le lobby militaro-industriel états-unien, toujours à la recherche de nouveaux contrats, militait depuis plusieurs années pour un contrôle accru des transports maritimes. En mai et octobre 2002, la Rand Corporation avait organisé deux colloques internationaux sur la piraterie et le terrorisme maritime. Elle avait mis en évidence que chaque année environ 250 millions de containers sont transportés sur les océans, dont certains cachent peut-être des matières interdites utilisées par des terroristes pour déstabiliser les États libres.
De fait, plusieurs incidents ont été répertoriés au cours des derniers mois, sans que l’on puisse déterminer leur gravité réelle. En décembre 2002, la marine espagnole, appuyée par la marine US, arraisonna le cargo So San dans l’océan indien et saisit à son bord une quinzaine de Scud. Mais, il s’avéra que ces missiles, loin d’être destinés à Al Qaïda, avaient été dûment achetés par le Yémen qui en exigea la restitution. En avril 2003, le cargo français Ville de Virgo fut intercepté lors d’une escale en Égypte, alors qu’il transportait 214 tubes d’aluminium probablement destinés à la fabrication de centrifugeuses pour le programme nucléaire nord-coréen. Enfin, en août 2003, la marine taiwanaise, toujours sur renseignements US, arrêta un cargo voguant vers la Corée du Nord à bord duquel des précurseurs entrant dans la fabrication d’armes chimiques furent saisis.
Les 3 et 4 septembre 2003, les onze membres de la PSI se réunirent à Paris et validèrent une Déclaration relative aux principes d’interdiction. Il fut aussi décidé de planifier une dizaine d’exercices militaires communs d’interception. Apparemment il ne s’agit plus que d’interception maritime et non plus aérienne. En effet, à la différence des navires, le seul moyen d’arrêter des avions est de les abattre. Nul ne saurait s’engager sur cette voie irréversible sans une base juridique solide, ce qui est loin d’être le cas. Le Pentagone se retranche, à ce sujet, derrière certaines déclarations du président du Conseil de sécurité de janvier 1992, mais elles n’ont pas la valeur d’une résolution. Quant aux généralités sur les responsabilités collectives pour empêcher la prolifération, énoncées aux sommets du G8 de Kananaski et d’Évian, elles sont vagues et ne fondent pas le droit international.
Quoi qu’il en soit, les premiers exercices conjoints ont eu lieu en septembre, en mer de Corail. Ils ont été organisés par les Australiens sous le titre « Protecteur du Pacifique » (Pacific Protector). Les Espagnols en ont organisés d’autres, en octobre (opération SANSO), et les Français en novembre (opération Basilic 03).
Pour le moment la PSI se borne donc à formaliser les échanges de renseignements sur les questions de prolifération et à organiser des entraînements conjoints en haute mer. Washington souhaite aller beaucoup plus loin. Pour le Pentagone, ce qui est en jeu, derrière cette apparente volonté d’organisation multilatérale, c’est la maîtrise unilatérale des « espaces communs ». Il ne s’agit pas de surveiller tout ce qui circule et d’intercepter ce qui est dangereux, mais d’être capable de garantir la libre-circulation des marchandises indispensable à la domination économique. C’est là l’obsession centrale de la politique extérieure des États-Unis depuis deux siècles. C’était déjà l’objectif principal de la Charte de l’Atlantique et la véritable raison de l’entrée en guerre des États-Unis face à l’expansionnisme nazi et nippon qui limitait la liberté des mers.
Même si les autres grandes puissances trouvent abusive la prétention états-unienne de jouer seuls le gendarme global, elles trouvent leur intérêt à laisser le Pentagone s’arroger ce rôle. Reste que pour rendre crédible sa position maritime, puis l’étendre à l’espace aérien et au domaine spatial, Washington doit démontrer ses capacités d’intervention tous azimuts.
C’est pourquoi le sous-secrétaire d’État chargé de la lutte contre la prolifération, John Bolton, a annoncé le 2 décembre 2003 que les États-Unis réaliseraient prochainement des « opérations coup de poing ». S’exprimant à l’occasion d’une conférence devant l’Institut d’analyse de la politique étrangère (IFPA) de Robert L. Pfaltzgraff et Franck Carlucci, il a déclaré que le moment était venu pour Washington et ses alliés d’« utiliser des mesures rustiques » pour dissuader les proliférateurs.
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