24. Le système de localisation, d’arrestation et de détention des personnes suspectées d’actes terroristes, au centre de ce rapport, n’a pas été créé du jour au lendemain. Il n’a pas non plus surgi du néant au lendemain des attaques du 11 septembre 2001.
25. J’ai choisi la métaphore de la « toile d’araignée à travers le monde » comme le leitmotiv de mon rapport. En effet, depuis plusieurs années, cette toile a été progressivement tissée au moyen de tactiques et de techniques qui ont dû être élaborées pour faire face aux nouveaux foyers de guerre, au nouveau cadre des combats et à une menace imprévisible.
26. Les principaux architectes de la toile, les États-Unis, ont depuis longtemps les moyens de capturer des personnes-cibles à l’étranger et de les transférer en différents endroits de la planète. Au milieu des années 90, à travers son agence centrale de renseignements, la CIA, les États-Unis ont mis en place un programme de « restitutions » chargé de ces opérations. La CIA avait pour mission de nettoyer les rues des personnes soupçonnées de terrorisme à l’étranger, en les transférant dans d’autres pays, le plus souvent dans leur pays d’origine, où elles étaient recherchées pour être jugées ou tout simplement privées de leur liberté sans aucune forme de procès.
2.1. L’évolution du programme de restitutions
27. Au cours d’une récente mission aux États-Unis, un de mes collaborateurs est entré en contact avec plusieurs « sources internes » des renseignements américains. Le témoin le plus éminent est M. Michael Scheuer. C’est lui qui a conçu le programme de restitutions d’origine dans les années 90, sous la présidence Clinton, et est resté employé par la CIA jusqu’en novembre 2004 [1]. Des extraits du témoignage de M. Scheuer sont ici repris à la lettre, déclarations par ailleurs souvent confirmées par des preuves concrètes ou par d’autres sources mentionnées ci-dessous [2].
28. La cible stratégique du programme de restitution de la CIA a toujours été, et demeure, le réseau terroriste international connu sous le nom d’Al Qaïda. Selon les États-Unis, Al Qaïda est composé d’un ensemble nébuleux de cellules répandues à travers le monde, au sein desquelles des « opérateurs » participent à la mise en oeuvre des attaques terroristes. En 1995, le Conseil national de sécurité américain est alarmé par les intentions apparemment sérieuses qu’avait Ousama Ben Laden de se doter d’armes de destruction massive. Il met alors en place le programme « restitutions », en collaboration avec Scheuer et d’autres, afin de faire tomber Al Qaïda, démanteler les cellules et emprisonner les dirigeants d’Al Qaïda.
29. Les restitutions étaient conçues, du moins à l’origine du programme, dans le respect de l’interprétation que les États-Unis donnent de leurs engagements juridiques [3]. Les conditions préalables au lancement d’une opération de restitution avant les événements du 11 septembre étaient :
• des poursuites judiciaires en cours à l’encontre du suspect, généralement mêlé à des actes terroristes dans son pays d’origine ;
• un « dossier » CIA, ou un profil du suspect établi sur la base de renseignements antérieurs et en principe contrôlés par des juristes ;
• un pays prêt à apporter son aide pour l’arrestation du suspect sur son territoire ; et
• un endroit où le transférer après son arrestation.
30. Comme politique générale, on demandait uniquement aux pays de réception de fournir aux États-Unis des assurances diplomatiques que les suspects seraient traités conformément à leurs lois nationales. Après le transfert, les États-Unis ne cherchaient aucunement à contrôler les conditions de détention des détenus [4].
31. D’après Scheuer, l’obtention de renseignements n’était pas la priorité du programme d’avant le 11 septembre. Il n’a jamais été question de parler à ces individus. D’après la CIA, l’opération était réussie quand on attrapait quelqu’un qui constituait un danger pour nous ou nos alliés, et qu’on saisissait tous ses documents. Nous savions qu’en cas d’arrestation l’individu était formé pour mentir ou donner de nombreuses informations sur lesquelles on enquêterait pendant des mois sans aucun résultat. Avant le 11/9, les interrogatoires n’avaient que peu d’intérêt [5].
32. On sait que plusieurs États membres du Conseil de l‘Europe ont coopéré de façon rapprochée avec les États-Unis dans le cadre des opérations de son programme de restitutions, sous la présidence Clinton [6]. En effet, le gouvernement du Royaume-Uni a indiqué au Conseil de l’Europe [7] qu’un système de notification préalable existait dans les années 90 grâce auquel les États-Unis notifiaient les escales volontaires ou le survol de l’espace aérien avant une opération de restitution [8].
33. Le mécanisme de la restitution ne constitue pas nécessairement un manquement à la législation internationale des droits de l’homme. D’autres États ont également fait valoir leur droit à arrêter un individu suspecté d’actes terroristes sur un territoire étranger afin de le livrer à la justice, si les moyens de la coopération ou de l’assistance judiciaire internationales ne pouvaient pas aboutir au résultat souhaité [9].
34. Les principaux pouvoirs juridiques américains, y compris la Cour suprême, ont considéré que le programme de restitution d’avant le 11 septembre respectait la loi [10]. En outre, plusieurs ONG de lutte pour les Droits de l’Homme ont classé la restitution telle qu’elle était pratiquée à cette époque sous la rubrique « restitution à la justice », reconnaissant qu’un transfert international peut être légal si son dessein est de conduire un suspect là où il fait l’objet de poursuites judiciaires reconnues et respectueuses des droits fondamentaux [11]. Cet indicateur peut en effet servir de repère légal à partir duquel les transferts internationaux illégaux peuvent être identifies [12].
35. Toutefois, par la suite, il y a eu une dérive, un véritable détournement de l’institution conçue initialement, en s’éloignant ainsi irrémédiablement de la notion de justice. Au lendemain des attentats du 11 septembre, les États-Unis ont fait de la restitution un de leurs instruments de lutte contre ce qu’ils ont nommé « la guerre contre le terrorisme ». Les attaques du 11 septembre signifient une véritable rupture dans l’approche des États-Unis vis-à-vis de la menace terroriste [13]. Cette nouvelle « guerre contre le terrorisme » fut lancée par l’intervention militaire en Afghanistan en octobre 2001. En même temps, une nouvelle importance fut donnée à la collecte de renseignements sur des personnes suspectées de terrorisme. La CIA fut mise sous pression pour qu’elle assume un rôle plus proactif dans la détention et les interrogatoires de personnes suspectes, plutôt que de simplement les « mettre derrière les barreaux ». Sans préparation appropriée, une politique globale d’arrestation et de détention des « ennemis » des États-Unis fut – toujours selon Scheuer – improvisée de manière hâtive. Aux juristes il incombait de « légitimer » les opérations, tandis que la CIA et les militaires américains devinrent les contrôleurs et opérateurs principaux du système [14].
36. Les opérations de restitution se sont multipliées et ont changé d’orientation. Après le 11 septembre, l’objectif principal du programme de restitution a été de mettre les individus suspectés d’actes terroristes, une fois arrêtés, hors de portée de tout système judiciaire et de les y laisser. L’absence de garanties du respect des droits de l’homme et l’introduction de techniques d’interrogatoires renforcées ont conduit, dans plusieurs cas, comme on le verra, à l’usage de la torture.
37. Les raisons qui expliquent la transformation de la restitution sont à la fois politiques et opérationnelles. Tout d’abord, il est évident que le gouvernement des États-Unis s’est lancé dans la lutte contre le terrorisme de façon agressive et sous la pression de l’urgence. Le pouvoir exécutif a mis une pression politique énorme sur tous ses services, notamment sur la CIA, afin qu’ils intensifient leurs actions antiterroristes. D’après Scheuer, après le 11 septembre, nous n’avions rien de prêt, l’armée n’avait pas de plan, ils n‘avaient aucune réponse. L’Agence a alors senti que l’exécutif brûlait d’envie de présenter des victoires au peuple américain [15]
38. Ensuite, et c’est essentiel, le changement opérationnel central a été le mandat accordé à la CIA d’administrer ses propres lieux de detention [16]. Lorsqu’elle met en détention des individus suspectés de terrorisme, la CIA n’utilise plus la restitution pour les transporter vers les pays où ils sont recherchés. Désormais, les suspects, du moins ceux de haut-rang, sont détenus secrètement par la CIA et gardés dans des « sites noirs », quelque part sur terre, dans un lieu caché. Ces individus ne sont confrontés à aucune forme de justice, ils se trouvent pris au piège de la « toile d’araignée ».
2.2. Les composantes de la toile d’araignée
39. Outre les « sites noirs » de la CIA, la toile d’araignée comprend également un réseau plus large de lieux de détention, gérés par d’autres branches du gouvernement américain. Certains ont été révélés au grand public, parmi lesquels la base navale américaine de Guantanamo Bay, ou les prisons militaires de Bagram en Afghanistan et d’Abou Graïb en Irak. Bien que l’existence de ces lieux soit connue, de nombreux aspects de leur fonctionnement demeurent mystérieux.
40. Il convient également de souligner que les avions utilisés par la CIA pour les restitutions ne constituent pas le seul moyen pour transporter des détenus entre différents points de la toile. Notamment pour les transferts vers Guantanamo Bay, les détenus sont fréquemment déplacés à bord d’aéronefs militaires tels que de grands avions cargo [17]. De ce fait, j’ai tenté d’élargir nos recherches aux vols militaires.
41. Le graphique contenu dans ce rapport illustre ce que j’estime n’être qu’une part minime de la toile d’araignée. Il se compose de deux grands éléments.
42. Dans un premier temps, il présente les vols civils et militaires, opérés par les États-Unis, qui semblent liés à des détentions secrètes et à des transferts illégaux concernant aussi les États membres du Conseil de l’Europe. Notre recherche a été élaborée à partir de sept ensembles de données différents d’Eurocontrol [18], associés à des informations spécifiques émanant de près de vingt autorités de l’aviation nationale, en réponse à mes demandes [19] ; nous obtenons ainsi un ensemble de données jusqu’à ce jour inédit.
43. Dans un second temps, le graphique distingue quatre catégories de points d’atterrissages qui indiquent les différents degrés de collusion de la part des pays concernés. Ces points d’atterrissages ont été classés dans les catégories suivantes, en fonction de la prépondérance des preuves reunites [20] :
Catégorie A : « Points d’escale »
(points d’atterrissage des aéronefs leur permettant de faire le plein, principalement lors du retour)
Prestwick Shannon Rome Ciampino Athènes Santa Maria (Açores) Bangor Prague
Catégorie B : « Points de relais/plateformes »
(points à partir desquels les opérations sont lancées – les aéronefs et l’équipage y sont préparés ou se réunissent)
Washington Francfort Adana-Incirlik Ramstein Larnaca Palma de Majorque Bakou
Catégorie C : « Points d’embarquement ponctuel »
(d’après nos recherches, points où un détenu a été embarqué pour une restitution ponctuelle, c’est-à-dire en dehors d’une démarche systématique)
Stockholm-Bromma Banjul Skopje Aviano Tuzla
Catégorie D : « Points de transfert/débarquement de détenus » (endroits très fréquentés, où les avions ont tendance à atterrir pour de courtes périodes, généralement à l’écart de la trajectoire principale ; il y existe soit un lieu de détention connu, soit une simple présomption de l’existence d’un lieu de détention)
Le Caire Amman Islamabad Rabat Kaboul Guantanamo Bay Timisoara / Bucarest Tashkent Alger Bagdad Szymany
2.3. Établissement d’une base de données du mouvement des avions
44. Au début de nos recherches, au cours du mois de novembre 2005, nous avons reçu de source non gouvernementale, notamment de la part de journalistes d’enquête et d’ONG, des listes d’avions (indiquant le type d’avion, le propriétaire ou l’opérateur, le numéro d’immatriculation ainsi que d’autres informations) soupçonnés d’appartenir à la CIA, ou d’être exploités par des sociétés écran pour le compte de cette dernière. Ces listes résultent d’un travail minutieux rassemblant des informations publiquement disponibles sur Internet, des observations de plane-spotters et des témoignages d’anciens détenus. Nous avons par la suite obtenu d’Eurocontrol les « plans de vols » concernant ces avions, du moins en ce qui concerne l’espace aérien européen, pour la période allant de fin 2001 à fin 2005. Les données d’Eurocontrol reçues en janvier et février 2006 incluent, d’une part, les plans de vol prévus (qui peuvent être changés même en cours de vol, pour diverses raisons) et, d’autre part, des informations vérifiées suite à une demande de perception de redevance.
45. Les listes demandées à Eurocontrol dans notre correspondance initiale avaient un aspect spéculatif, mais nous en avions pleinement conscience. Il était important pour mon équipe, travaillant avec des collaborateurs spécialisés dans ce domaine, de comprendre comment les avions affrétés par la CIA se distinguent des milliers d’autres avions présents dans l’espace aérien européen. En d’autres termes, nous avons cherché à établir le profil-type des vols de la CIA. Qui plus est, nous avions l’espoir que ces spéculations nous permettraient ensuite d’identifier d’autres avions dont les liens avec la CIA étaient jusqu’alors inconnus.
46. Par la suite, nous nous sommes tournés vers Eurocontrol à plusieurs reprises pour obtenir des plans de vols supplémentaires [21]. Au fur et à mesure que notre travail progressait, nous avons pu réduire le nombre des mouvements d’avions susceptibles de nous intéresser et ainsi développer un outil plus subtil et plus réaliste permettant de mesurer l’ampleur des opérations de transferts illégaux effectués par la CIA.
47. A partir de cette analyse, nous avons également demandé, de manière ponctuelle, à certaines autorités nationales de contrôle du trafic aérien, des informations supplémentaires, concernant les vols réellement effectués, ainsi que des données concernant des vols d’avions militaires, non couverts par Eurocontrol.
48. Je suis heureux de pouvoir faire état d’une très bonne collaboration de la part de différentes institutions de plusieurs États membres du Conseil de l’Europe – ministères des transports, autorités de l’aviation civile et du contrôle aérien, aéroports et compagnies aériennes. J’ai également reçu de la part des parlements nationaux eux-mêmes, des réponses aux courriers que je leur avais envoyés [22]. Ils m’ont donné des données officielles, y compris des documents émanant des ministères de la défense. Tout ceci nous a permis de créer une base de données sur les mouvements des avions sur lesquels nous avons basé notre rapport.
2.4. Le fonctionnement de la toile d’araignée
49. Nous estimons avoir fait un pas significatif vers une meilleure compréhension du système des « restitutions » et des centres secrets de détention. Une remarque s’impose. Il convient de ne pas perdre le sens de la mesure : il serait ainsi exagéré de parler de milliers de vols et de centaines de restitutions impliquant le territoire européen. En ce sens on ne peut que partager les opinions exprimées par des représentants du Département d’État des États-Unis qui ont récemment pris part à une réunion d’information à Washington DC et à laquelle un membre de mon équipe a assisté [23]. Nous compromettrions notre crédibilité et limiterions les chances d’avoir un débat sérieux si nous faisions des allégations ambiguës, exagérées ou non fondées [24]. Il est évident que les vols des avions de la CIA ne sont pas tous impliqués dans des actions de « restitutions ». Comme M. Bellinger l’a affirmé : Les vols des renseignements sont une manifestation de la coopération qui nous unit. Ils acheminent des analystes pour les faire parler les uns avec les autres ; ils apportent les preuves qui ont été collectées… Je suis certain que le Directeur de la CIA a lui-même voyagé à bord de plusieurs de ces vols [25]. M. Scheuer a fourni d’autres explications quant aux raisons de ces vols : De nombreuses raisons expliquent la présence de ces avions, outre celle de déplacer des prisonniers. Tout dépend de ce que vous faites. Si vous êtes en Afghanistan et que vous fournissez des armes à un commandant au service du gouvernement de Karzaï, l’avion pourrait être chargé d’armes. Il pourrait également contenir de la nourriture. En effet, la CIA est postée aux mêmes endroits que les bases militaires, il pourrait donc s’agir de rations alimentaires. De plus, nous faisons notre possible pour prendre soin de nos employés, nous envoyons des produits de toilette, des magazines, des magnétoscopes, des cafetières. Nous organisons même des collectes à Noël, pour pouvoir leur envoyer des centaines de livres de café Starbucks. Sur un millier de vols, je parierais que 98 % concernent la logistique [26]. Ce sont en effet les autres 2% qui nous intéressent.
50. En fait, pour comprendre la notion de la « toile d’araignée », ce n’est pas le nombre total de vols qui importe [27], mais bien plus leur nature et le contexte dans lequel ils ont eu lieu. Nos recherches ont porté sur dix cas de transferts illégaux présumés, impliquant au total dix-sept détenus. Dans la plupart de ces cas, il a été possible de dresser un plan de vol à partir de l’ensemble des données officielles du trafic aérien mentionnées précédemment. J’ai ensuite recoupé ces plans de vol avec les horaires, les dates et les lieux de ces opérations présumées de transferts illégaux, d’après les victimes elles-mêmes, les notes des avocats ou d’autres sources. Enfin, dans certains cas, ces informations sont corroborées par des éléments de fait provenant de procédures menées dans des États membres du Conseil de l’Europe ou aux États-Unis.
51. Pour représenter ces études de cas sur un graphique, j’ai choisi d’indiquer le trajet de chaque vol non pas individuellement mais au sein d’un « circuit ». Chaque circuit commence et se termine, le cas échéant, à la base d’affectation de l’aéronef (très souvent à l’aéroport de Dulles, à Washington DC, aux États-Unis). Le suivi de ces circuits de vols aide à mieux comprendre les différentes catégories d’atterrissages : les simples escales pour le ravitaillement en carburant, les points de relais avant le lancement des opérations ou les points de restitution de détenus. Bien que cette technique d’analyse soit relativement simple, elle a permis de découvrir certaines informations significatives, sur lesquelles nous reviendrons.
2.5. Opérations de restitution successives et détentions secretes
52. Ainsi, nous pensons être à même d’affirmer que des opérations successives de restitution par la CIA ont eu lieu au cours d’un seul et même circuit de vol. Deux des études de cas de restitutions présentées dans ce rapport, impliquant chacune des États membres du Conseil de l’Europe à différents niveaux, appartenaient au même circuit clandestin d’enlèvement et de restitution, à différents endroits de la toile d’araignée. Tout indique que les restitutions de Binyam Mohamed et Khaled El Masri ont été effectuées par le même avion affrété par la CIA, à 48 heures d’intervalle, au cours du même voyage de 12 jours en janvier 2004. Cette constatation paraît significative à plus d’un titre. Tout d’abord, ces deux personnes enlevées ne se connaissent pas, M. Mohamed est toujours en détention à Guantanamo Bay et M. El Masri est retourné dans sa ville d’origine, près de Ulm dans le sud de l’Allemagne. Ainsi, leurs histoires respectives renforcent mutuellement leur crédibilité. Mes collaborateurs on pu recueillir indépendamment des témoignages directs et indirects de chacun d’eux.
53. Le fait que les deux personnes aient fait l’objet d’une restitution par la CIA, et que le même avion, affrété par une compagnie liée à la CIA, ait opéré ces deux transferts en si peu de temps, nous permet de parler d’un « circuit de restitution » au sein de la « toile d’araignée ».
54. Il est également possible de déduire une hypothèse quant à la nature de certains autres atterrissages faisant partie du même circuit de restitution. Ainsi, par exemple, les atterrissages effectués immédiatement avant et après la restitution de El Masri présentent les caractéristiques typiques d’une opération de restitution [28].
55. L’analyse du programme de restitution postérieur au 11 septembre permet de conclure que les transferts d’autres détenus dans le même circuit de restitution doivent avoir eu pour objet le transport de détenus à partir de Kaboul vers d’autres lieux de détention dans différents pays. Ainsi, l’analyse des données officielles des mouvements d’avions permet de conclure à l’existence probable de lieux de détention secrets en Algérie et en Roumanie, comme nous allons le voir.
2.6. Centres de détention en Roumanie et en Pologne
2.6.1. Le cas de la Roumanie
56. En l’état actuel de nos connaissances, la Roumanie est à ce jour le seul État membre du Conseil de l’Europe se situant sur l‘un des circuits de restitution que nous estimons avoir identifié et présentant toutes les caractéristiques d’un « point de transfert ou de débarquement » de détenus. L’avion de restitution immatriculé N313P a atterri à Timisoara à 23 heures 51 le 25 janvier 2004. Il est reparti pour Palma de Majorque soixante-douze minutes plus tard, à 1 heure 03 du matin, le 26 janvier 2004. Je remercie les autorités aéronautiques civiles roumaines d’avoir confirmé ces mouvements de vol [29].
57. On sait que les vols transportant des détenus sont généralement des vols de nuit, comme c’est le cas des autres vols de restitution déjà documentés. Les seuls autres points situés sur ce circuit de restitution d’où l’avion a décollé à une heure comparable sont Rabat, Maroc (départ à 2 heures 05) et Skopje, l’"exrépublique yougoslave de Macédoine" (ci-après : "Macédoine") (départ à 1 heure 30). Dans ces deux cas, nous disposons de suffisamment d’éléments pour affirmer que l’avion qui a décollé transportait un détenu vers un centre de détention secret situé à Kaboul.
58. Nous pouvons également affirmer que l’avion ne transportait pas de détenus vers un centre de détention lorsqu’il a quitté Timisoara, compte tenu que sa destination suivante était Palma de Majorque, une « plate-forme » bien établie, utilisée à plusieurs reprises comme lieu de détente lors de l’accomplissement d’un circuit de restitution.
59. Des documents montrent en l’occurrence que des passagers de l’avion N313P, utilisant des passeports gouvernementaux américains [30] et, apparemment, de fausses identities [31], ont séjourné dans un hôtel de Palma de Majorque pendant deux nuits avant de retourner aux États-Unis. On peut en déduire que, outre l’équipage de l’avion, une équipe de la CIA chargée des restitutions se trouvait parmi ces passagers, la même équipe chargée de toutes les restitutions ayant eu lieu sur ce circuit.
60. Selon les informations reçues, le 25 janvier 2004, l’avion N313P est resté sur la piste de l’aéroport de Timisoara pendant à peine une heure. En considération de l’autonomie de vol du N313P, un Boeing 737, et les mouvements habituels des avions de la CIA, il apparaît très vraisemblable que le but du vol vers la Roumanie n’était pas non plus de faire le plein de carburant. Deux fois auparavant, et sur ce même circuit, le même avion avait parcouru des distances plus longues d’une durée respective de 7 heures 53 minutes (de Rabat à Kaboul) et de 7 heures 45 minutes (de Kaboul à Alger), il aurait donc pu se rendre directement de Kaboul à Palma.
61. Rappelons qu’après avoir « remis » Khaled El-Masri, l’équipe de restitution est restée une trentaine d’heures à Kaboul. Puis, elle s’est envolée vers la Roumanie à bord du même avion. Ayant éliminé d’autres explications – y compris celle d’un simple vol de logistique, comme il s’agit d’un voyage faisant partie d’un « circuit de restitution » bien établi – l’hypothèse la plus vraisemblable est que l’objectif de ce vol était de transporter un ou plusieurs détenus de Kaboul en Roumanie.
62. Nous estimons que ces éléments de fait ne prouvent pas définitivement l’existence de centres secrets de détention, mais justifient en eux-mêmes une obligation positive de procéder à une investigation sérieuse, ce que les autorités roumaines ne semblent pas avoir fait jusqu’à ce jour.
2.6.2. Le cas de la Pologne
63. La Pologne a également été indiquée comme pays ayant abrité des centres de détention secrets.
64. Sur la base d’informations que nous avons obtenues de sources différentes, nous avons pu établir que des personnes soupçonnées d’être des terroristes de haut niveau ont été transférées, vers la fin du mois de septembre et en octobre 2003, d’un centre de détention secret de la CIA situé à Kaboul vers un autre lieu [32]. Notre base de données des mouvements d’avions de la CIA indique qu’à cette période, le seul aéroport européen où a atterri un aéronef lié à la CIA en provenance de Kaboul est celui de Szymany en Pologne. Les vols en question ont été opérés par l’avion de restitution N313P et présentent toutes les caractéristiques d’un « circuit de restitution ».
65. L’avion est arrivé à Kaboul le 21 septembre 2003 en provenance de Tachkent en Ouzbékistan. L’axe Tachkent-Kaboul est un itinéraire connu pour les transferts de détenus [33]. Toujours selon les informations qui nous ont été fournies, à cette époque, les détenus considérés les plus importants ont vraisemblablement été transférés de Kaboul vers d’autres destinations. Selon des ONG et des journalistes qui ont enquêté sur cette période [34], la CIA cherchait à détenir des prisonniers considérés de haut niveau dans un environnement plus contrôlé, plus sûr et plus isolé, suite à l’afflux de prisonniers en Afghanistan causé par l’escalade de la « guerre contre le terrorisme ».
66. Le circuit en question a donc continué le 22 septembre 2003, lorsque l’avion s’est rendu de Kaboul à l’aéroport de Szymany en Pologne. Sur la base des mêmes considérations avancées plus haut pour la Roumanie, on peut conclure que ce vol était un vol de restitution de la CIA se terminant par le débarquement d’un ou plusieurs détenus en Pologne.
67. Szymany est décrit par le Président de la délégation polonaise à l’APCE comme un ancien aérodrome militaire situé près de la ville rurale de Szczytno dans le nord du pays. Il est proche d’une grande base utilisée par les services de renseignement polonais, connu sous le nom de Stare Kiejkuty. L’aérodrome et la base à proximité sont clairement visibles sur les images satellites que j’ai obtenues en janvier 2006 [35].
68. Il convient de signaler que les autorités polonaises n’ont pas été en mesure de me fournir des informations pour confirmer l’existence de vols liés à la CIA en territoire polonais. Dans sa lettre du 9 mai 2006, mon collègue Karol Karski, Président de la délégation polonaise à l’APCE, explique : Je me suis adressé aux autorités polonaises chargées de collecter les informations concernant le trafic aérien, au sujet des numéros d’immatriculation de ces avions… J’ai été informé que plusieurs numéros de votre liste ne figuraient pas dans nos registres de vol. Ne connaissant pas la source de vos informations qui établissent un lien entre ces numéros de vol et l’espace aérien polonais, je ne suis pas en mesure, ainsi que les autorités du contrôle aérien polonais, de commenter leur absence dans nos registres. [36]
69. M. Karski a également fait la déclaration suivante, qui correspond à la position du gouvernement polonais sur la question des restitutions de la CIA : Selon les informations dont je dispose, aucun des vols en question n’a été enregistré dans le trafic contrôlé par nos autorités compétentes, qu’ils soient liés à l’aéroport de Szymany ou à un autre aéroport polonais.
70. L’absence d’enregistrement des vols est inhabituelle de la part d’un pays comme la Pologne. De nombreux pays voisins comme la Roumanie, la Bulgarie et la République tchèque n’ont pas eu de problèmes pour me fournir des informations officielles à partir de 2001. Et les informations communiquées par ces pays, ainsi que les données que j’ai obtenues d’Eurocontrol, confirment bien que de nombreux vols au départ et à l’arrivée de plusieurs aéroports polonais concernent des avions liés à la CIA faisant l’objet de ce rapport.
71. Compte tenu de ce qui précède, la Pologne ne peut pas être considérée tout simplement étrangère aux circuits de restitutions, du simple fait qu’elle n’a pas pu fournir des informations corroborant les données en notre possession, provenant d’autres sources. J’ai donc inclus dans mon graphique ce circuit de restitution présumé, dont fait partie l’aéroport de Szymany. L’atterrissage à Szymany y est placé dans la catégorie des « points de débarquement de détenus ».
72. Selon les enregistrements en notre possession, l’avion N313P est resté pendant 64 minutes à l’aéroport de Szymany le 22 septembre 2003. Je confirme également que l’avion s’est ensuite envolé à destination de la Roumanie, où il a atterri, après avoir changé d’itinéraire par rapport au plan de vol d’origine, à l’aéroport de Bucarest Baneasa. Comme dans le cas susmentionné de Timisoara, l’atterrissage de l’aéronef en Roumanie correspond à la description d’un « point de débarquement de détenus ».
73. Il est possible que plusieurs détenus aient été transportés en même temps au cours du vol au départ de Kaboul. Certains ont pu débarquer en Pologne, d’autres en Roumanie. Cette séquence serait conforme aux informations d’autres sources qui indiquent l’existence, simultanée, de prisons secrètes dans ces deux États membres du Conseil de l’Europe [37].
74. Ce circuit de restitution que nous estimons avoir identifié continuait au-delà de la Roumanie, jusqu’à Rabat, endroit que plusieurs éléments indiquent abriter, ou avoir abrité, un centre de détention ; ce site aurait constitué un troisième « point de débarquement » sur ce circuit, l’avion retournant ensuite aux États- Unis, via Guantanamo Bay.
75. Comme pour la Roumanie, j’estime qu’il existe un nombre suffisant d’indices, non pas pour prouver l’existence de centres de detention [38], mais en tout cas pour ouvrir une véritable enquête, approfondie et transparente. À cela s’ajoute que les sources qui sont à l’origine des publications de HRW, du Washington Post et de ABC faisant état de tels centres en Roumanie et Pologne sont multiples, univoques et particulièrement bien renseignées puisqu’elles font partie, ou ont fait partie, des services mêmes qui ont géré ces opérations.
2.7. Les conséquences des restitutions sur le plan humain
76. La restitution est une pratique à la fois dégradante et déshumanisante, non seulement pour ses victimes mais également pour ceux qui doivent la mettre en oeuvre. Mes collaborateurs et moi-même avons pu nous en rendre compte au fur et à mesure de nos rencontres avec plusieurs personnes dont la vie a été irrémédiablement bouleversée à la suite d’une restitution.
77. Par conséquent, s’il est nécessaire d’analyser l’évolution de la restitution dans sa totalité, il est essentiel de toujours garder à l’esprit la dimension humaine du problème, puisque c’est là que se situe le coeur des abus. 78. J’ai envisagé ces conséquences humaines sous deux aspects : d’une part, cette pratique systématique de la CIA qui consiste à préparer un détenu à être renvoyé sur un vol affrété pour sa restitution, et, d’autre part, le préjudice moral profond et définitif subi par les victimes de restitutions extraordinaires.
2.7.1. Les méthodes de la CIA ou quel est le sort réservé à un détenu durant sa restitution ?
79. Les descriptions des restitutions qui figurent dans ce rapport reflètent la multiplicité de ces exemples. Ces exemples, qui s’étendent sur plusieurs années, recouvrent un éventail de victimes, arrêtées et déportées vers de nombreux pays. Les histoires sont relatées tant par des témoins directs que par des observateurs indirects, en différentes langues et en divers lieux, publics ou privés. Certaines des victimes de restitution ont depuis été libérées, d’autres sont encore détenues par les États-Unis ou par un autre pays. En d’autres termes, ces cas n’ont de prime abord que peu ou prou de liens entre eux.
80. On peut cependant remarquer des parallèles frappants entre certaines de ces restitutions, en particulier en ce qui concerne les méthodes utilisées par la CIA. Il semble qu’à chaque fois, la restitution se déroule de manière quasiment identique. Pris dans leur ensemble, les cas évoqués dans ce rapport indiquent l’existence d’un véritable schéma rigoureusement préétabli de la restitution. Ces méthodes sont mises en oeuvre par un groupe d’agents d’élite de la CIA, surentraînés et ultra disciplinés, et qui voyagent à travers le monde pour maîtriser les victimes l’une après l’autre - et les maltraiter – selon une technique à chaque fois absolument identique.
81. L’analyse de ces méthodes doit se faire à travers le prisme des droits de l’homme, tels qu’ils sont consacrés par la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH) et appliqués dans la grande majorité des pays qui se reconnaissent dans ces valeurs. Chaque individu, même s’il est accusé – ou même reconnu coupable – de participation à une entreprise terroriste ou à d’autres crimes graves a un droit intangible à ne pas être torturé ni soumis à une peine ou un traitement inhumain ou dégradant. Même si les agents de l’État ont le droit de recourir à la force dans le cadre de leurs fonctions, ce recours à la force doit, bien entendu, être encadré par des limites strictes à l’intérieur desquelles des mesures de maîtrise d’un suspect ou de coercition peuvent être prises au cours de son arrestation ou de son transport.
82. Selon Michael Scheuer, lors d’une opération de restitution, la CIA fait prévaloir intentionnellement les questions de sécurité sur les droits des détenus : Clairement, notre priorité dans ce genre de situations, c’est la protection de nos officiers. Ainsi, le détenu sera généralement maîtrisé et enchaîné. Probablement, au moins au moment de monter dans l’avion, et jusqu’au décollage de l’appareil, le détenu aura les yeux bandés. Je pense que ce sont ces mêmes autorités locales qui l’ont arrêté, qui vont également le menotter et lui bander les yeux. Ensuite, le détenu est placé dans l’avion, préparé et bien attaché à son siège, et puis il est surveillé par des gardes du pays vers lequel il est renvoyé. [39]
83. J’estime qu’aucune mesure de sécurité ne justifie une violation massive et systématique des droits et de la dignité de l’homme. Dans les cas examinés – tout en étant conscient qu’on pouvait être en présence de personnes dangereuses – le principe de la proportionnalité a été tout simplement ignoré : avec lui la dignité de la personne. À plusieurs occasions, les actions entreprises au cours d’un « contrôle de sécurité » étaient excessives par rapport aux exigences de sécurité [40] et pourraient de ce fait être constitutives d’une violation de l’article 3 de la CEDH [41]. Même si ce traitement ne semble pas atteindre le seuil permettant de le qualifier de torture [42], je pense qu’il pourrait aisément être qualifié de traitement inhumain ou dégradant, en particulier lorsque l’on prend en compte le degré d’humiliation endurée par la personne restituée [43].
84. Une source proche de la CIA nous a décrit le « contrôle de sécurité » mis en oeuvre dans une procédure de restitution comme une opération prête en vingt minutes [44]. Cette source expliquait que, dans un laps de temps très court, un détenu est effectivement immobilisé et rendu impotent. La CIA peut régler leur compte à trois de ces hommes en une heure. En vingt minutes, ils sont prêts à l’envoi [45]. Un des enquêteurs de l’Ombudsman suédois était frappé par cette procédure rapide et efficace utilisée par les agents américains [46]. Alors qu’il observait une opération à l’aéroport de Bromma, l’interprète suédois s’est contenté de dire : j’en reviens pas de voir à quelle vitesse ils l’ont habillé. [47]
85. Les caractéristiques communes de ces contrôles de sécurité peuvent être résumées, à partir de différents témoignages, comme suit [48] :
i. il a souvent lieu dans une petite pièce (un vestiaire, le commissariat de police), à l’intérieur de l’aéroport ou dans un endroit proche de celui-ci.
ii. parfois l’homme a déjà les yeux bandés quand l’opération commence – s’il ne l’est pas déjà, il le sera rapidement - et le restera jusqu’à la fin de l’opération.
iii. quatre à six agents de la CIA exécutent l’opération avec une discipline stricte et logique – de nombreux témoignages affirment qu’ils sont habillés en noir (en civil ou en ‘‘uniforme’’), portant des gants noirs, et le visage complètement caché. Des témoins évoquent pêle-mêle des hommes baraqués avec des cagoules noires [49], des hommes habillés en noir comme des ninjas [50], ou des hommes portant des vêtements de tous les jours mais avec une capuche sur la tête [51].
iv. les agents de la CIA ne pipent pas mot lorsqu’ils communiquent entre eux [52], soit qu’ils communiquent par signes, soit qu’ils connaissent leurs rôles respectifs à l’avance.
v. certains hommes précisent avoir été frappés ou bousculés violemment par les agents au début de l’opération de façon particulièrement brutale [53]. D’autres disent avoir été empoignés avec force par plusieurs personnes à la fois.
vi. l’homme est ligoté des mains aux pieds.
vii. tous les vêtements de l’homme (y compris les sous-vêtements) sont découpés directement sur lui, à l’aide de couteaux ou de ciseaux, de manière méticuleuse et méthodique. Un témoin a expliqué comment quelqu’un récupérait ces vêtements, en examinant le moindre centimètre carré, vous savez, comme s’il y avait quelque chose dedans, avant de les mettre dans un sac [54].
viii. l’homme est soumis à une fouille approfondie, qui comprend notamment un examen poussé des cheveux, des yeux, des oreilles, de la bouche et des lèvres
ix. l’homme est photographié avec un appareil photo avec flash, même lorsqu’il est moitié nu [55] ou complètement nu [56]. Parfois, on lui ôte le bandeau qu’il a afin de faire des photos de pied où l’on voit également son visage [57]
x. certains récits font état de l’introduction forcée de corps étrangers dans l’anus de l’homme. D’autres parlent plus spécifiquement de tranquillisants ou de suppositoires administrés par voie rectale [58]. Chacune de ces pratiques est perçue comme un acte de violation de l’intégrité physique et un affront à la dignité humaine
xi. ensuite, on oblige l’homme à porter des couches-culottes ou des couches pour incontinent ainsi qu’un survêtement ample ou bien un bleu de travail ; ils lui mettent une couche et puis ils le menottent pieds et poings. L’homme est d’abord menotté mais ensuite, il faut bien l’habiller. Ils sont donc obligés de lui mettre et de lui enlever les menottes plusieurs fois. [59]
xii. l’homme doit porter un cache oreilles ou un casque [60] pour qu’il ne puisse rien entendre
xiii. enfin, on couvre la tête de l’homme avec un sac en toile, sans trous à travers lesquels il pourrait respirer ou entrevoir la lumière. Ils lui bandent d’abord les yeux avant de lui mettre ce sac sur la tête qui, semble-t-il, recouvre une bonne partie de son corps [61].
xiv. on oblige l’homme à monter à bord d’un avion où il sera soit placé sur une civière, enchaîné [62], soit attaché à un matelas ou à un siège. Il est parfois même allongé à même le sol de l’appareil, et ils l’installent dans une position telle que le moindre mouvement le fait souffrir [63]
xv. Dans certains cas, l’homme est drogué et est complètement inconscient pendant le voyage [64], dans d’autres cas, des facteurs comme la douleur provoquée par les chaînes ou le refus de lui donner à boire ou d’aller aux toilettes rendent le transport insupportable : ça a été le plus dur moment de ma vie [65]
xvi. La plupart du temps, l’homme n’a aucune idée de l’endroit où il va arriver, ni de ce qui pourra bien lui arriver
86. Cette façon de traiter les détenus a été largement critiquée par les avocats de nombreuses victimes de restitution. Dans son témoignage auprès de l’Ombudsman suédois, Kjell Jönsson, l’avocat de Mohamed Alzery [66], a insisté sur le fait que les mesures prises étaient disproportionnées : Pour Alzery, il aurait suffi de lui demander de coopérer et il l’aurait fait, comme il l’avait toujours fait par le passé [67].
87. Sans doute l’aspect le plus troublant dans cette pratique systématique est qu’elle vise à humilier intentionnellement. De nombreux récits racontent comment ces mesures étaient prises malgré la forte résistance, tant physique que verbale, des détenus. La nudité, le fait d’être enchaîné comme un animal [68], et d’en être réduit à porter des couches, à l’évidence portent atteinte flagrante à leur dignité. Pour ma part, je considère qu’il est inacceptable, dans des États membres du Conseil de l’Europe, que des services de sécurité traitent des gens d’une manière telle qu’ils les placent dans une situation d’humiliation extrême [69] et peu importe qu’il s’agisse de services européens ou étrangers.
2.7.2. Les conséquences de la restitution et de la détention secrètes sur les individus et sur leur famille
88. En faisant ce rapport, les membres de mon équipe et moi-même avons personnellement rencontré plusieurs victimes de restitution et de détention secrètes, ou leur famille. De plus, nous avons eu accès à davantage de récits de victimes qui sont encore en détention, à travers leurs correspondances, leur journal intime ou bien des notes qu’ils ont pu échanger avec leurs avocats. Enfin, nous avons aussi obtenu les comptes-rendus officiels de personnels diplomatiques en visite.
89. Les récits personnels de ce type de violation des droits de l’homme évoquent une démoralisation sans nom. Bien entendu, le désespoir est d’autant plus fort lorsque l’abus persiste encore aujourd’hui – quand une personne est gardée au secret, sans connaître les motifs de sa détention et que personne, hormis ses ravisseurs, ne sait où, ni dans quel état est le détenu. En matière de restitution et de détentions secrètes, le pire pour les « disparus » [70] et leurs proches, c’est de ne pas savoir.
90. Pourtant, le supplice ne s’arrête pas après que le détenu a été localisé, ou même été libéré et est rentré chez lui. Les victimes nous ont raconté leur souffrance née de flash-back, les crises d’angoisse ou bien encore l’incapacité qu’elles rencontrent à mener une vie sociale normale et, à chaque instant, la peur de la mort. Des familles ont été détruites. Sur le plan psychologique, des cicatrices indélébiles persistent ; au quotidien, les stigmates de la culpabilité et la suspicion qui pèsent sur lui semblent toujours poursuivre celui qu’on a pu désigner comme un « suspect » dans la « guerre contre le terrorisme ». En d’autres termes, il semble pratiquement impossible de recréer des relations normales avec le monde.
91. Je voudrais saluer le courage extraordinaire et la force de caractère dont ont fait preuve des personnes comme Khaled El-Masri et Maher Arar, placés en détention secrète puis libérés. Ces deux hommes ont évoqué avec éloquence les raisons profondes qui les poussent à raconter leur histoire, et ce, malgré le traumatisme évident et la peine que cela provoque en eux. Tirant les enseignements de leurs témoignages, nous devons nous montrer fermes et faire toute la lumière sur les abus qui existent dans la « toile d’araignée », et nous assurer qu’on ne laissera plus jamais de telles choses se produire. M. El-Masri nous a dit : tout ce que je veux, c’est connaître la vérité sur ce qui m’est arrivé et que le gouvernement américain s’excuse de ce qu’il m’a fait [71] ; M. Arar nous a dit : la raison principale qui me pousse à parler de la torture qu’on m’a fait subir, c’est pour empêcher que le même traitement soit infligé à un autre être humain [72].
Résumé
Les droits de l’homme : une simple option pour le beau temps ?
La « toile d’araignée » mondiale
Des exemples concrets documentés de restitutions
Les lieux de détention secrets
Détentions secrètes en République tchétchène
L’attitude des gouvernements
Cas individuels : procédures judiciaires en cours
Les enquêtes parlementaires
L’engagement contre le terrorisme
Perspectives juridiques
Conclusion
[1] M. Scheuer était responsable de l’unité Ben Laden du centre antiterroriste de la CIA pendant quatre ans, entre août 1995 et juin 1999. De septembre 2001 à novembre 2004, il a occupé le poste de conseiller spécial du responsable de l’unité Ben Laden. Il est connu pour être une pointure en matière de restitution. Pour cette enquête, M. Scheuer nous a gracieusement octroyé un entretien personnel de trois heures à Washington DC en mai 2006. Contrairement à de nombreuses sources issues des renseignements que mon équipe a rencontrées, il a accepté de nous parler on the record et a évoqué de manière détaillée son expérience de terrain au sein du programme de restitution. Le rapporteur est en possession d’une transcription de cet entretien. Les extraits cités dans le présent rapport sont présentés comme suit : Michael Scheuer, ancien chef de l’unité Ben Laden, au sein du centre de lutte contre le terrorisme de la CIA.
[2] Je souhaite également souligner l’excellent travail des diverses organisations non gouvernementales et des institutions académiques dans la recherche sur l’évolution de la restitution. Je souhaite également les remercier d’avoir bien voulu rencontrer mon équipe et de partager avec elle leurs points de vue de première main. Plus particulièrement, les groupes comme Center for Human Rights and Global Justice de la faculté de droit de l’Université de New York (NYU), Human Rights First, Amnesty International, Human Rights Watch and Cage Prisoners ont publié des documents de travail très utiles.
[3] Voir infra, la section intitulée Le point de vue des États-Unis, dans le titre 10.1.
[4] Dans ma Note d’information II de janvier 2006, j’ai cité plusieurs déclarations d’anciens agents de la CIA qui admettaient que certains traitements réservés aux détenus dépassaient les standards internationaux des droits de l’homme. M. Scheuer a dit à mon représentant : je laisse mes états d’âme à la maison.
[5] Michael Scheuer, ancien chef de l’unité Ben Laden, au sein du centre de lutte contre le terrorisme de la CIA, entretien mené par le représentant du Rapporteur. Voir supra, note 19.
[6] Cf. Jane Mayer, Outsourcing Torture : The secret history of America’s ‘extraordinary rendition’ program, in The New Yorker, 14 et 21 février 2005. Mayer fait référence aux affaires de restitution bien renseignées au cours desquelles la Croatie (1995) et l’Albanie (1998) ont collaboré avec les États-Unis pour appréhender les suspects, pp. 109-110. M. Scheuer a donné un exemple supplémentaire impliquant l’Allemagne, où le suspect nommé Mahmoud Salim, alias Abou Hajer, a été arrêté par la police bavaroise.
[7] Cf. Jack Straw, secrétaire d’État aux affaires étrangères, Written Ministerial Statement – Enquiries in respect of rendition allegations, annexé à la réponse faite par le Royaume-Uni à l’enquête ouverte par le Secrétaire Général et menée en vertu de l’article 52.
[8] Ibid. M. Straw déclare : il y a eu quatre affaires en 1998 dans lesquelles les États-Unis ont demandé l’autorisation de restituer un ou plusieurs détenus en passant par le Royaume-Uni ou les territoires d’outre mer. Dans deux de ces affaires, les archives montrent que le gouvernement a accédé à leur requête, mais pas dans les deux autres.
[9] Cf. Condoleezza Rice, Secrétaire d’État, Remarks upon her departure for Europe, Andrews Air Force Base, 5 décembre 2005. Mme Rice fait référence aux actions menées par la France dans l’affaire « Carlos le Chacal ». Une restitution vers et à la demande de la France, a permis qu’il y soit jugé et qu’il y purge sa peine.
[10] Cf. United States v. Alvarez-Machain, 504 U.S. 655 (1992). Dans cet arrêt, la Cour Suprême a confirmé la compétence de juridiction des cours américaines pour juger un homme qui a été amené du Mexique vers les États-Unis par le biais de l’enlèvement plutôt que par extradition. La jurisprudence dans ce domaine date de l’arrêt Ker v. Illinois, 119 U.S. 436 (1886), dans lequel la Cour Suprême a décidé : il n’y a rien dans la Constitution qui exige d’une Cour qu’elle permette à une personne reconnue coupable d’échapper à la justice simplement parce qu’elle a été amenée devant le tribunal contre sa volonté.
[11] Ce concept de la rendition to justice fait objet d’une analyse approfondie par le Center for Human Rights and Global Justice, NYU School of Law, Beyond Guantanamo : Transfers to Torture One Year after Rasul v. Bush, 28 June 2005. Je suis également reconnaissant envers l’équipe de Human Rights First qui a fourni des explications détaillées à l’occasion de différentes réunions portant sur les problèmes juridiques rencontrés lorsqu’il s’agit de remettre à la justice une personne suspectée de terrorisme.
[12] Pour une analyse détaillée des paramètres pris en considération lors de transferts inter-étatiques, voir l’avis n° 363/2005, de la Commission Européenne pour la Démocratie par le Droit (Commission de Venise), disponible sur http://www.venice.coe.int/docs/2006/CDL-AD(2006)009-F.asp. Voir également, la section ci-dessous sur le point de vue du Conseil de l’Europe, titre 10.2.1.
[13] Cf. Cofer Black, ancien chef de l’unité de lutte contre le terrorisme à la CIA, témoignage devant les commissions parlementaires et sénatoriales, Hearings on Pre-9/11 Intelligence Failures, 26 septembre 2002 : tout ce qu’il faut savoir, c’est qu’il y a un avant 11 septembre et un après 11 septembre. Après le 11 septembre « the gloves came off »
[14] Le général Nicolo Pollari, le directeur des services secrets italiens (SISMI), a attesté devant la commission temporaire du Parlement européen TDIP le 6 mars 2003, que les règles du jeu ont changé, en matière de coopération internationale entre services secrets : de nombreuses activités de sécurité sont désormais à la limite de la légalité, tout en restant dans le cadre juridique.
[15] Michael Scheuer, ancien chef de l’unité Ben Laden, au sein du centre de lutte contre le terrorisme de la CIA, entretien mené par le représentant du Rapporteur. Voir supra, note 19.
[16] 35 Pour un récit impressionnant des « sites noirs » de la CIA voir Center for Human Rights and Global Justice, NYU School of Law, Fate and Whereabouts Unknown : Detainees in the « War on Terror », 17 December 2005. L’expression « site noir » est rentré dans le domaine public en partie grâce à Dana Priest, CIA Holds Terror Suspects in Secret Prisons, Washington Post, 2 novembre 2005.
[17] Cf inter alia les documents du Département de défense américain rendus publics à la suite du procès ouvert par Stephen H. Oleskey, Wilmer Hale LLP, sur la base de Freedom of Information Act (le rapporteur est en possession de tous ces documents). Ces documents révèlent dans quelle mesure les avions militaires étaient utilisés pour le transfert de détenus vers Guantanamo Bay. En l’espace de 5 missions qui se sont toutes déroulées dans le seul mois du janvier 2002, près de 150 détenus ont été transférés (y compris en provenance de l’Europe).
[18] Eurocontrol est l’organisation européenne de la sécurité de la navigation aérienne. Je suis reconnaissant envers le directeur général d’Eurocontrol, M.Victor Aguado, et son personnel d’avoir répondu d’une seule voix à mes questions d’une manière tellement efficace. Voir la section ci-dessous, titre 2.3.
[19] J’ai envoyé, le 31 mars 2006, toute une série de lettres aux présidents des délégations des parlements nationaux, dans lesquelles je leur demandai expressément des informations de la part de leurs autorités nationales d’aviation respectives.
[20] Les preuves mentionnées sont des témoignages de détenus, des enquêtes judiciaires et parlementaires, des informations obtenues en vertu de la liberté d’information, des entretiens avec des avocats, les rapports d’enquête de journalistes et les résultats de recherche des organisations non gouvernementales
[21] De façon significative, j’ai rencontré, en février 2006, le personnel d’Eurocontrol, et notamment le Directeur général, M. Victor Aguado avec qui j’ai eu une entrevue très constructive.
[22] Cf. Inter alia, la lettre du 2 mars 2006, de Rt. Hon Adam Ingram, Ministre d’État aux forces armées du Royaume-Uni en réponse aux questions posées devant la Chambre des Communes en ce qui concerne l’usage des bases militaires britanniques par des avions immatriculés aux États-Unis.
[23] Cf. John Bellinger, principal conseiller juridique près du Secrétaire d’État américain, et Dan Fried, secrétaire d’État adjoint, bureau des affaires européennes et asiatiques, ont accueilli une délégation de la commission temporaire du Parlement européen (TDIP), dont faisait partie mon représentant, Washington, DC, 11 mai 2006 (Le rapporteur est en possession de la retranscription de cette rencontre, ci-après nommée Bellinger, réunion avec la délégation européenne ou Fried, réunion avec la délégation européenne).
[24] Selon M. Fried : si les accusations sont absurdes, il devient difficile d’aborder les problèmes réels du régime légal et du cadre juridique au sein duquel nous devons mener cette bataille. Selon M. Bellinger : Nous avons tous essayé, à commencer par la secrétaire Rice, d’entamer un véritable dialogue avec nos différents partenaires européens, que ce soit l’UE ou le Conseil de l’Europe. Nous savons votre inquiétude et nous sommes prêts à vous parler directement, mais à partir des faits et non de simples hyperboles.
[25] Bellinger, réunion avec la délégation européenne ; supra.
[26] Michael Scheuer, ancien chef de l’unité Ben Laden, au sein du centre de lutte contre le terrorisme de la CIA, entretien mené par le représentant du Rapporteur. Supra.
[27] Bellinger, réunion avec la délégation européenne ; supra, note 41 : Il n’y a pas réellement de preuve de cela. Il n’y a aucune preuve d’un millier de détenus, d’une centaine de détenus, ni même d’une dizaine de détenus.
[28] Cf. Les registres des vols des opérations de restitution Binyam Mohamed et Khaled El-Masri en Janvier 2004, reproduits à l’annexe du présent rapport. Les atterrissages en question sont à Alger (Algérie) et à Timisoara (Roumanie).
[29] Cf les registres de l’aviation nationale roumaine : Information from the records of the Romanian Civil Aeronautic Authority and the Romanian Ministry of National Defence, annexées aux lettres qui m’ont été envoyées par György Frunda, Président de la délégation roumaine à l’APCE, datée du 24 février 2006 et du 7 avril 2006. Je tiens également à remercier Gyorgy Frunda, Président de la délégation roumaine à l’APCE, qui a rassemblé à ma demande et auprès de diverses autorités roumaines des informations complètes sur les vols concernés.
[30] Cf Andrew Manreas, La investigación halla en los vuelos de la CIA decenas de ocupantes con estatus diplomatico, in El Pais, Palma de Mallorca, 15 novembre 2005.
[31] Cf Matias Valles, journaliste au Diario de Mallorca, Témoignage devant la commission temporaire du parlement européen, TDIP, le 20 avril 2006. Valles a recherché un total de 42 noms qu’il avait découverts sur les archives d’un hôtel de Majorque où les passagers de l’avion N313P étaient descendus. Beaucoup d’entre eux se sont avérés voyager sous une « fausse identité », apparemment créée en utilisant les noms de personnes de films hollywoodiens, comme Bladerunner et Alien. Valles a confirmé qu’au moins certaines des personnes qui revenaient de Palma de Majorque après un séjour en Roumanie, après le circuit de restitution, étaient les mêmes que celles qui étaient descendues à l’hôtel à un moment ou à un autre du circuit. Cela montre bien que « l’équipe de restitution » est restée à bord de l’avion tout au long du circuit.
[32] Mon équipe a travaillé en étroite collaboration avec Human Rights Watch afin de comparer nos preuves sur les mouvements des détenus restitués hors de l’Afghanistan. Pour une analyse antérieure de la question, voir Human Rights Watch Statement on US Secret Detention Facilities in Europe, 7 novembre 2005, disponible sur : http://hrw.org/english/docs/2005/11/07/usint11995.htm.
[33] Cf. Craig Murray, ex ambassadeur du Royaume-Uni en Ouzbékistan - échange de vues de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme, Strasbourg, le 24 janvier 2006. Le procès-verbal établit que M. Murray affirme avoir des preuves de l’existence de vols affrétés par la CIA vers l’Ouzbékistan, entre Kaboul et Tashkent, et de l’usage de la torture par des agents ouzbeks, ainsi que des preuves que les autorités américaines et britanniques sont disposées à recevoir et faire usage d’informations obtenues sous torture exercée par des agences étrangères et que ceci a été décidé à un niveau élevé. Voir aussi Don Van Natta Jr, Growing Evidence US Sending Prisoners to Torture Capital : Despite Bad Record on Human Rights, Uzbekistan is Ally, New York Times, 1er Mai 2005, disponible sur : www.nytimes.com/2005/05/01/international/01renditions.html?ex=1272600000&en=932280de7e0c1048&ei=5088&partn er=rssnyt&emc=rss.
[34] Pour un excellent rapport sur ce qui motive les transferts de détenus vers des lieux tenus secrets, voir James Risen, State of War : The Secret History of the CIA and the Bush Administration, Free Press, New York, 2006, pp. 29-31. La CIA voulait trouver un endroit où les agents pourraient maîtriser complètement les interrogatoires et les débriefings, à l’écart de la curiosité des médias, et plus important encore à l’abri des ardents défenseurs des droits de l’homme. Mais le plus important était d’être loin du champ de compétence des juridictions américaines.
[35] Cf. Centre satellitaire de l’UE. Informations fournies au Rapporteur le 23 janvier 2006. Pour plus d’information, voir section ci-dessous, titre 4.1.
[36] Lettre de réponse de Karol Karski, président de la délégation polonaise à l’APCE, le 9 mai 2006.
[37] Cf. Inter alia Brian Ross et Richard Esposito, Sources Tell ABC News Top Al-Qaeda Figures Held in Secret CIA Prisons : 10 out of 11 Terror Leaders Subjected to ‘Enhanced Interrogation Techniques’, ABC News, 5 décembre 2005, disponible sur : http://abcnews.go.com/WNT/Investigation/story?id=1375123
[38] Cf. Étude de cas de Binyam Mohamed al Habashi à la section 3.9 du présent rapport.
[39] Michael Scheuer, ancien chef de l’Unité Ben Laden, au centre de lutte contre le terrorisme de la CIA ; entretien mené par le représentant du Rapporteur à Washington, DC, le 12 mai 2006 (le rapporteur est en possession de la retranscription).
[40] Une autre contradiction dans les affirmations de M. Scheuer est que, dans la plupart des cas, me semble-t-il, les agents américains exécutent eux-mêmes l’ensemble des contrôles de sécurité. On ne m’a jamais parlé de cas où la police de sécurité européenne aurait été impliquée et aurait eu recours à des mesures de coercition. Toutefois, l’on sait que dans le transferts d’Ahmed Agiza et Mohamed Alezery vers l’Égypte, au moins un policier égyptien était impliqué.
[41] Article 3 de la CEDH : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
[42] Je partage l’avis de l’Ombudsman en chef du parlement suédois, Mats Melin, sur le seuil permettant la qualification de torture : « il est clair que la torture est un concept réservé aux cas dans lesquels une douleur aiguë ou des souffrances intenses sont infligées, par exemple, pour obtenir des informations afin de punir ou d’intimider. » Voir Chief Parliamentray Ombudsman (Suède), Mats Melin, A review of the enforcement by the Security Police of a Government decision to expel two Egyptians citizens, Décision, N° 2169-2004, datée du 22 mars 2005, citant l’arrêt de la Cour européenne des Droits de l’Homme dans l’affaire Salman c. Turquie, 27 juin 2000.
[43] Pour déterminer si le seuil de traitement dégradant est atteint, la Cour européenne des Droits de l’Homme prend en compte l’intention d’humilier l’individu en question, ainsi que les effets de cette humiliation sur l’individu. Dans le cadre d’une privation de liberté, le traitement doit être plus dur que ce que l’on peut normalement subir lors d’une arrestation. Cf. Arrêt Öcalan c. Turquie, 12 mars 2003.
[44] Interview confidentielle avec une source des services secrets américains qui souhaite garder l’anonymat, interview faite aux États-Unis par le représentant du Rapporteur.
[45] Ibid.
[46] Cf. Bureau de l’Ombudsman du Parlement (Suède), entretien avec M. X, un agent de sécurité de la police de l’État (ciaprès Säpo), affaire n° 2169-2004, 30 septembre 2004 (le rapporteur est en possession de la traduction de la retranscription, ci-après « entretien avec l’interprète suédois de la Säpo ») ; voir commentaire page 23.
[47] Ibid, observation faite par l’interprète de la Säpo répondant à une question, voir p. 13.
[48] Nous avons appelé la personne soumise à un contrôle de sécurité « l’homme », parce que, jusqu’à présent, nous n’avons pas entendu parler de cas d’une femme soumise à ce traitement. Cette vue d’ensemble montre les caractéristiques communes à plusieurs restitutions. Les déclarations des individus sont citées, pour leur part en infra.
[49] Cf. Bisher Al-Rawi, déclaration faite à son avocat durant un entretien à Guantanamo Bay (conservée dans les dossiers classés confidentiels du procureur), déposée devant la Haute Cour de Justice en l’affaire n° 2005/10470/05, grâce au témoignage de Clive Stafford Smith (ci-après nommée « déclaration d’Al-Rawi à son avocat »), voir p. 31.
[50] Cf. Jamil El-Banna, déclaration faite à son avocat durant un entretien à Guantanamo Bay (conservée dans les dossiers classés confidentiels du procureur), déposée devant la Haute Cour de Justice en l’affaire n° 2005/10470/05, grâce au témoignage de Clive Stafford Smith (ci-après nommée « déclaration de El-Banna à son avocat »), voir p. 40
[51] Cf. Entretien avec l’interprète suédois de la Säpo, supra note 85, p. 10.
[52] Cf. Bureau de l’Ombudsman du parlement (Suède), entretien avec Kjell Jönsson, l’avocat suédois de Mohamed Alzery, affaire n° 2169-2004, septembre 2004 (le rapporteur est en possession de la retranscription traduite – ci-après « entretien de l’Ombudsman avec l’avocat suédois, M. Jönsson ») ; voir p. 6.
[53] Cf. déclaration de Khaled El-Masri à l’appui de la plainte de la partie civile dans l’affaire El-Masri c. Tenet et autres, Eastern district Court of Virginia à Alexandrie, 6 avril 2006 (ci-après, « témoignage d’El-Masri devant la Cour fédérale d’Alexandrie, 6 avril 2006 »), voir p. 9 : alors qu’on me forçait à entrer dans une pièce, j’ai senti deux personnes empoigner fermement mes bras. Ils m’ont tous les deux mis les mains derrière le dos. Ce mouvement violent m’a fait très mal. De tous les côtés, on me battait sévèrement.
[54] Cf. Entretien avec l’interprète suédois de la Säpo, supra, note 65, p. 13.
[55] Cf. Entretien avec l’interprète suédois de la Säpo, supra, note 65, p. 13 : il n’était pas nu, on lui avait laissé son slip, il était torse-nu, et seulement là, on a pris une photo de lui.
[56] Cf. Binyam Mohamed Al-Habashi, déclaration faite à son avocat lors d’un entretien à Guantanamo Bay, conservée dans les documents classés confidentiels du procureur Clive A. Stafford Smith, datée du 1er août 2005 (le rapporteur est en possession du document, ci-après « déclaration de Binyam Mohamed à son avocat à Guantanamo »), voir p. 19 : il y avait une femme blanche avec des lunettes… L’un d’entre eux me tenait le pénis et elle prenait des photos avec un appareil numérique.
[57] Cf. témoignage d’El-Masri devant la Cour fédérale d’Alexandrie, 6 avril 2006, supra, note 71, p. 9 : ils ont enlevé le bandeau que j’avais sur les yeux… Dès qu’ils l’ont eu enlevé, j’ai pris un flash dans les yeux qui m’a aveuglé quelques instants. Le bruit que cela faisait me fait dire qu’ils prenaient des photos de moi sous toutes les coutures.
[58] Cf. Entretien de l’Ombudsman avec l’avocat suédois, M. Jönsson, supra, note70, p. 6 : ils l’ont fait se pencher en avant et il a senti que l’on rentrait quelque chose dans son anus… après ça, il s’est senti plus calme et tous les muscles de son corps étaient relâchés, mais il était encore pleinement conscient, donc il n’a pas été placé sous sédatif.
[59] Cf. entretien de l’Ombudsman avec l’avocat suédois, M. Jönsson, supra, note 70, p. 6
[60] Cf. entretien de l’Ombudsman avec l’avocat suédois, M. Jönsson, supra, note 70, p. 9. Cf. Egalement la référence aux « cache-oreilles » dans la déclaration d’Al-Rawi à son avocat, supra, note 67, p. 31 ; et la référence au « casque » dans la déclaration de Binyam Mohamed à son avocat à Guantanamo, p. 5.
[61] Cf. entretien de l’Ombudsman avec l’avocat suédois, M. Jönsson, supra, note 70, p. 6.
[62] Cf. déclaration d’Al-Rawi à son avocat, supra, note 67, p. 31.
[63] Cf. entretien de l’Ombudsman avec l’avocat suédois, M. Jönsson, supra, note 70, p. 6.
[64] Cf. Témoignage d’El-Masri devant la Cour fédérale d’Alexandrie, 6 avril 2006, supra, note 71 p. 10 : ils m’ont mis quelque chose sur le nez. Je crois que c’était un anesthésiant. Je crois que le voyage a duré quelque chose comme 4 heures, mais je ne me rappelle plus très bien. J’étais inconscient pendant la plupart du trajet.
[65] Cf. déclaration d’Al-Rawi à son avocat, supra, note 67, p. 31.
[66] Pour plus de précisions sur les affaires Ahmed Agiza et Mohamed Alzery, voir l’étude de cas dans la section suivante.
[67] Cf. entretien de l’Ombudsman avec l’avocat suédois, M. Jönsson, supra, note 70, p. 8.
[68] Le détenu qui a fait cette description à mon représentant souhaite garder l’anonymat.
[69] Les mots « extrême humiliation » sont utilisés dans l’entretien de l’Ombudsman avec l’avocat suédois, M. Jönsson, supra, note 70, p. 8. Dans le témoignage d’El-Masri devant la Cour fédérale d’Alexandrie, 6 avril 2006, supra, note 71, p. 9, il parle d’actes dégradants et humiliants, qui l’ont fait se sentir terrifié et profondément humilié.
[70] Cf. Louise Arbour, Haut Commissaire aux Droits de l’Homme pour l’ONU, Human Rights : A casualty of the war on terror ? ; Interview pour UN World Chronique n° 996, 7 décembre 2005 (retranscription fournie par la télévision des Nations Unies, en possession du Rapporteur) : la détention secrète dans des conditions aussi extrêmes est un traitement inacceptable, pour le détenu, et sans doute à mon avis pour les membres de sa famille pour qui, de toute évidence, il a disparu.
[71] Khaled El-Masri m’a fait cette déclaration durant notre rencontre à Strasbourg, en avril 2006.
[72] Maher Arar a fait cette déclaration à mon représentant, durant leur rencontre à Bruxelles, en mars 2006.
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter