Si personne ne doute, compte tenu du rapport de forces totalement déséquilibré, que les USA puissent rapidement renverser Saddam Hussein et installer un président acquis à leurs intérêts, pourront-ils imposer la Pax Americana et exploiter paisiblement les puits de pétrole irakiens, face à une population profondément hostile et formée à la résistance armée ? Les manœuvres Millenium Challenge 2002 apportent des éléments de réponse.
Les États-Unis ont programmé, du 24 juillet au 15 août 2002, les plus grandes manœuvres de l’histoire militaire : Millenium Challenge 2002 (MC 02). Elles devaient permettre de tester de nouveaux matériels et de valider le nouveau concept tactique " d’opération rapide décisive " (Rapid Decisive Operation - RDO). Initialement conçues sur le modèle d’une attaque de l’Iran, elles avaient été modifiées pour devenir une répétition générale du triomphe américain en Irak.
Pour ce gigantesque jeu de rôles, le Département de la Défense avait décidé de mélanger des phases réelles et des phases simulées. Pour les manœuvres réelles, il avait mobilisé 13 500 hommes, dont la XVIIIe Division aéroportée. Pour les simulations en salle de commandement, il avait acquis les outils technologiques utilisés à Hollywood pour la réalisation du film Gladiator. Les îles de San Nicola et San Clemente, au large de la Californie, et le désert du Nevada avaient été évacués pour servir de théâtre d’opérations. Cette débauche de moyens a nécessité un budget de 235 millions de dollars.
Selon le scénario de ces manœuvres, une faction extrémiste d’un pays producteur de pétrole du Proche-Orient devait s’emparer d’un îlot situé dans le Golfe arabo-persique interrompant la circulation des supertankers. La désorganisation du marché du pétrole qui s’ensuivait, perturbait l’économie internationale. Il s’avérait alors que l’ennemi (dénommé " pays rouge ") détenait des armes de destruction massive et menaçait alors ses voisins. Une nouvelles fois, les États-Unis étaient contraints d’intervenir pour sauver le monde.
Pour désorganiser les forces adverses, les USA recourraient à des bombes pénétrantes provoquant un mini-tremblement de terre dans la capitale, tandis que la CIA fomentait des troubles intérieurs. Puis, les forces américaines bombardaient 14 500 cibles prédéterminées, en commençant par détruire les systèmes de défense anti-aérienne, puis en détruisant les centres de commandement et de transmission.
Ces manœuvres devaient aussi être l’occasion d’arbitrer les conflits internes de l’état-major US en démontrant la validité des diverses options stratégiques et tactiques. Il s’en suivait une certaine confusion dans le scénario lui-même, puisque l’on prétendait à la fois conduire des " opérations rapides décisives " (RDO) et planifier néanmoins 14 500 bombardements. Pour commander les forces du " pays rouge ", le département de la Défense avait choisi le lieutenant-général Paul Van Riper, un vétéran du Vietnam habitué à brocarder les concepts tactiques de la Rand Corporation. Pour ce baroudeur, la RDO n’est qu’une " branlette d’intello ", et les militaires n’ont pas attendu les " bureaucrates " du Pentagone pour souhaiter conduire les guerres le plus rapidement possible en emportant les centres vitaux de l’ennemi. Surtout, Van Riper, marqué par son expérience vietnamienne, affirmait que les forces US étaient incapables de s’adapter et de faire face à une armée populaire du tiers-monde utilisant des tactiques non-orthodoxes. Selon lui, quelle que soit la puissance de feu de l’Air Force, l’occupation et la pacification d’un pays se règlent toujours par l’infanterie, au corps à corps. Bref, il n’y a ni " guerre zéro mort ", ni " guerre propre ".
Après avoir étudié l’attaque de l’USS Cole, Van Riper imagina les possibilités d’attaques commando des bâtiments croisant au large de la Californie. Il donna instruction à ses hommes de ne pas communiquer par radio, ni même par téléphone, et de n’utiliser que des messagers à moto. Instantanément les forces US devinrent sourdes à ses projets. Au treizième jour, lorsque son dispositif fut prêt, il donna son ordre d’attaque en le faisant transmettre par l’appel du muezzin. Prise au dépourvue, l’armée américaine déplora en quelques heures la perte de 16 bâtiments, dont un porte-avions et de deux porte-hélicoptères.
Les manœuvres tournaient au désastre.
L’état-major somma Van Riper de cesser son attaque et d’accepter de perdre comme prévu, puis, devant son refus, décida d’interrompre le " War Game " pour stopper la déroute, et lui désigna un remplaçant avec mission de trouver une issue conforme avec l’image que les États-Unis se font de leur supériorité.
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