Madame et Messieurs les chefs d’État et de Gouvernement,
Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi de remercier le Professeur Schwab et tous les organisateurs du Forum de Davos pour
m’avoir invité à prononcer le discours d’ouverture de cette 40e session.

Mesdames et Messieurs, que les choses soient claires : je ne suis pas venu ici en tant que responsable
politique pour donner des leçons à quiconque, mais pour vous dire que nous devons tirer ensemble les
leçons de la crise. Cette crise, nous en sommes tous responsables. Et nous sommes tous responsables
du monde que nous allons laisser à nos enfants.

Nous savons ce qui se serait passé sans l’intervention des États pour sauver la confiance et soutenir
l’activité : tout se serait effondré. Ne pas en tirer la conclusion qu’il nous faut changer serait tout
simplement irresponsable.

Cette crise n’est pas seulement une crise mondiale.
Ce n’est pas une crise dans la mondialisation.
Cette crise est une crise de la mondialisation.
C’est notre vision du monde qui, à un moment donné, a été défaillante.
C’est elle qu’il nous faut corriger.

Il n’y a pas de prospérité sans un système financier efficace, sans que les biens et les services circulent
librement, sans que la concurrence ne vienne remettre sans cesse en cause les rentes de situation.

Mais la finance, le libre-échange, la concurrence, ne sont que des moyens et non des fins.

La mondialisation a dérapé à partir du moment où il a été admis que le marché avait toujours raison et
qu’aucune autre raison ne lui était opposable.

Essayons de remonter à la source : ce sont les déséquilibres de l’économie mondiale qui ont nourri le
développement de la finance globale. On a déréglementé la finance pour pouvoir financer plus
facilement les déficits de ceux qui consommaient trop avec les excédents de ceux qui ne
consommaient pas assez. La perpétuation et l’accumulation des déséquilibres a été le moteur et la
conséquence de la globalisation financière. Comme l’instabilité des marchés financiers a été le moteur
et la conséquence du développement du trading.

La mondialisation a d’abord été la mondialisation de l’épargne. Elle a engendré un monde où tout était
donné au capital financier et presque rien au travail, où, l’entrepreneur passait après le spéculateur, où
le rentier prenait le pas sur le travailleur, où les effets de levier, atteignant des proportions
déraisonnables, engendraient un capitalisme dans lequel il était devenu normal de jouer avec l’argent
des autres, de gagner facilement, rapidement, sans effort et trop souvent sans aucune création de
richesses ou d’emplois.

Une des caractéristiques les plus frappantes de cette économie est que le présent y était tout et que
l’avenir ne comptait plus. On lisait cette dépréciation de l’avenir dans les exigences exorbitantes de
rendement. Ce rendement dopé par la spéculation et les effets de levier, c’était le taux d’actualisation
des revenus futurs : plus ils s’élevaient, moins l’avenir comptait.

On lisait cette dépréciation de l’avenir dans la comptabilité qui évaluait les actifs au prix du marché
qui change sans arrêt en fonction des emballements boursiers. Quand l’euphorie gagnait les marchés,
les bilans étaient réévalués et la réévaluation des bilans à son tour dopait les cours. Quand la défiance
l’emportait, les bilans étaient déprimés et la dépréciation des bilans à son tour faisait baisser les cours.

Nous avons touché du doigt les méfaits de cette comptabilité pendant la crise financière quand
l’effondrement des marchés faisait fondre le capital des banques et aggravait la crise du crédit.

C’était tout notre système de représentations qui était faussé : la valeur économique d’une entreprise
ne change pas de seconde en seconde, de minute en minute, d’heure en heure… Pour mesurer à quel
point cette comptabilité peut être absurde il suffit de savoir qu’avec le système de la valeur de marché
une entreprise en difficulté peut enregistrer un bénéfice comptable du seul fait que la dégradation de sa
signature diminue la valeur de marché de sa dette !

C’était tout notre système de mesure statistique aussi qui était biaisé.
Dans les statistiques on voyait les revenus qui augmentaient.
Dans la vie on voyait les inégalités qui se creusaient.
Dans les statistiques, le niveau de vie s’élevait mais le nombre de ceux qui éprouvaient de plus en plus
le sentiment de la dureté de la vie ne cessait de croître.

Relisons le rapport de la Commission présidée par Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi
sur la mesure de la croissance et du bien-être : nous interroger sur notre façon de mesurer, c’est nous
interroger sur nos finalités.

Cette réflexion ne peut pas être que celle des experts, des statisticiens. Nous devons sortir de la
civilisation des experts qui ne discutent qu’entre eux, chacun dans leur spécialité.

Il faut que nous apprenions à réfléchir tous ensemble, à discuter tous ensemble de problèmes qui, audelà
de leur technicité, nous concernent tous.

Nous ne changerons pas nos comportements si nous ne changeons pas nos mesures, nos
représentations, nos critères. Cela n’est pas qu’une affaire d’experts. Cela nous concerne tous.

Nous continuerons à faire courir des risques insoutenables à l’économie, à encourager la spéculation, à
sacrifier le long terme si nous ne changeons pas la réglementation bancaire, les règles prudentielles,
les règles comptables. Cela n’est pas qu’une affaire d’experts. Cela nous concerne tous.

Nous ne vaincrons pas la faim dans le monde, la pauvreté, la misère si nous ne parvenons pas à
stabiliser les cours des matières premières qui évoluent de façon erratique.

Cela n’est pas qu’une
affaire d’experts. Cela nous concerne tous.

Nous ne préserverons pas l’avenir de la planète si nous ne payons pas le vrai prix de la rareté. Cela
n’est pas qu’une affaire d’experts. Cela nous concerne tous.

Nous ne réconcilierons pas les citoyens avec la mondialisation, avec le capitalisme si nous ne sommes
pas capables d’apporter au marché des contrepoids, des correctifs. Cela nous concerne tous.

En nous défaussant de toutes nos responsabilités sur les marchés, nous avons créé une économie qui a
fini par fonctionner à rebours des valeurs auxquelles elle se référait et de ses finalités.

En mutualisant à l’excès la propriété et le risque, nous avons dilué la responsabilité.

En mettant la liberté du commerce au-dessus de tout nous avons affaibli la Démocratie parce que les
citoyens attendent de la Démocratie qu’elle les protège.

En privilégiant la logique du court terme, nous avons préparé notre entrée dans l’ère de la rareté. Nous
avons épuisé les ressources non renouvelables, abîmé l’environnement, provoqué le réchauffement du
climat. Il ne peut y avoir de développement durable quand le profit immédiat et la valeur pour
l’actionnaire sont les seuls critères.

En dérégulant à l’excès, nous avons laissé s’installer les dumpings et les concurrences déloyales. Nous
avons laissé s’installer une mondialisation fondée sur la croissance externe où chacun cherchait à se
développer en prenant les entreprises, les emplois, les parts de marché des autres plutôt qu’en
travaillant plus, en investissant plus, en augmentant sa productivité, sa capacité d’innovation.

La mondialisation dont nous avions rêvée c’était celle où, au lieu de prendre aux autres à coups de
dumpings monétaires, sociaux, fiscaux ou écologiques, chacun appuyait son développement sur le
progrès social, l’augmentation du pouvoir d’achat, la réduction des inégalités, l’amélioration de la
qualité de la vie, de la santé, de l’éducation…

Que ce soit à l’O.I.T, au F.M.I, à la Banque Mondiale, à la F.A.O ou au G20, on discute au fond de la
même chose sous des aspects différents : comment remettre l’économie au service de l’homme ?

Comment faire en sorte que l’économie n’apparaisse plus comme une fin en soi mais comme un
moyen ? Comment aller vers une mondialisation où chacun en se développant contribuerait au
développement des autres ? Comment bâtir une mondialisation plus coopérative et moins
conflictuelle ?

Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de nous demander par quoi nous allons remplacer le capitalisme
mais de savoir quel capitalisme nous voulons.

La crise que nous traversons n’est pas une crise du capitalisme. C’est une crise de la dénaturation du
capitalisme. C’est une crise liée à la perte des valeurs et des repères qui ont toujours fondé le
capitalisme.

Le capitalisme a toujours été inséparable d’un système de valeurs, d’un projet de civilisation, d’une
idée de l’homme.

Le capitalisme purement financier est une dérive dont on a vu les risques qu’elle faisait courir à
l’économie mondiale. Mais l’anticapitalisme est une impasse pire encore.

Nous sauverons le capitalisme qu’en le refondant, en le moralisant. Je sais que ce terme peut susciter
beaucoup d’interrogations.

De quoi avons-nous besoin au fond, sinon de règles, de principes, d’une gouvernance qui reflètent des
valeurs partagées, une morale commune ?

On ne peut pas gouverner le monde du XXIe siècle avec les règles et les principes du XXe siècle.

On ne peut pas gouverner la mondialisation en tenant à l’écart la moitié de l’Humanité, sans l’Inde,
l’Afrique, ou l’Amérique Latine.

On ne peut pas regarder le monde d’après la crise comme celui d’avant la crise.

Chacun doit bien se convaincre que le monde de demain ne pourra pas être le même que celui d’hier.

Il y a des comportements indécents qui ne seront plus tolérés par l’opinion publique dans aucun pays
du monde.

Il y a des profits excessifs qui ne seront plus acceptés parce qu’ils sont sans commune mesure avec la
capacité à créer des richesses et des emplois.

Il y a des rémunérations qui ne seront plus supportées parce qu’elles sont sans rapports avec le mérite.
Que celui qui crée des emplois et des richesses puisse gagner beaucoup d’argent n’a rien de choquant.
Mais que celui qui contribue à détruire des emplois et des richesses en gagne lui aussi beaucoup est
moralement insupportable.

Il y aura à l’avenir une exigence beaucoup plus grande que les revenus soient mieux proportionnés à
l’utilité sociale, au mérite.
Il y aura une plus grande exigence de justice.
Il y aura une plus grande demande de protection.

Nul ne pourra s’y soustraire.
Ou bien nous changerons de nous-mêmes, ou bien le changement nous sera imposé par des crises
économiques, sociales, politiques.
Ou bien nous serons capables par la coopération, la régulation, la gouvernance de répondre à la
demande de protection, de justice, de loyauté, ou bien nous aurons la fermeture et le protectionnisme.

Le G20 préfigure la gouvernance planétaire du XXIe siècle. Il symbolise le retour de la politique
qu’une mondialisation non maîtrisée avait délégitimé.

En un an, c’est une véritable révolution des mentalités qui s’est opérée. Pour la première fois dans
l’histoire, les chefs d’État et de gouvernement des vingt plus grandes puissances économiques du
monde ont décidé ensemble des mesures à prendre pour faire face à une crise mondiale. Ils se sont
engagés ensemble sur des règles communes qui vont profondément changer le fonctionnement de
l’économie mondiale.

Sans le G20, la confiance n’aurait pu être rétablie.
Sans le G20, le chacun pour soi l’aurait emporté.
Sans le G20, il n’aurait pas été possible d’envisager de réglementer les bonus, de venir à bout des
paradis fiscaux, de changer les règles comptables, les normes prudentielles.

Ces décisions, elles ne résolvent pas tout, mais qui, il y a à peine un an, aurait pensé qu’elles étaient
possibles ?

Encore faut-il qu’elles soient mises en oeuvre !

Je veux saisir l’occasion pour le dire : les signes de reprises qui semblent marquer la fin de la
récession mondiale ne doivent pas nous inciter à être moins audacieux mais au contraire à l’être
davantage. Si nous ne faisons rien pour changer la gouvernance mondiale, rien pour réguler
l’économie, si nous ne réformons pas nos systèmes de protection sociale, de retraites, d’éducation, de
recherches, si nous n’assainissons pas nos finances publiques, si nous ne sommes pas rigoureux dans
la lutte contre la fraude fiscale, si nous n’investissons pas pour préparer l’avenir, cette reprise ne sera
qu’un répit. Les mêmes causes reproduiront les mêmes effets. Regardez les bulles qui déjà gonflent à
nouveau ? Il n’est pas sûr qu’alors les États aient encore les moyens de garantir la confiance.

Et comment espérer que l’on puisse avoir encore confiance dans la parole des États si les engagements
pris ne sont pas tenus ?

Si le débat absolument crucial sur les normes comptables s’enlise, si des organismes privés auxquels
on a délégué un pouvoir réglementaire violent délibérément un mandat donné par les chefs d’État et de
Gouvernement et que nous les laissions faire, que restera-t-il de la crédibilité du G20 et de la
perspective d’une gouvernance mondiale ?

Si la concurrence est faussée par des règles prudentielles qui restent très différentes d’un pays à
l’autre, d’un continent à l’autre, alors que nous avons décidé le contraire, si nous n’arrivons pas à nous
coordonner, si nous n’arrivons même pas à nous entendre sur une définition commune des fonds
propres alors que nous nous étions engagés à le faire, comment nous étonner que tant d’acteurs
trouvent normal de reprendre leurs habitudes d’avant la crise ?

Comment, dans un monde de concurrence, exiger des banques européennes trois fois plus de capital
pour couvrir les risques de leurs activités de marché et ne pas l’exiger des banques américaines ou
asiatiques ?

Comment accepter que l’obligation pour les banques de conserver dans leurs bilans une partie des
crédits qu’elles ont titrisés puisse ne pas figurer dans les règlementations de pays membres du G20
alors que le principe a fait l’objet d’un accord unanime ?

Si l’on fabrique des normes qui ne tirent pas les leçons de la crise et qui conduisent les investisseurs à
long terme à diminuer leurs portefeuilles d’actions alors il ne faudra pas s’étonner que les cours soient
encore plus instables et qu’un grand nombre d’entreprises se retrouvent davantage soumises à une
pression spéculative.

Ne pas faire ce que nous avons décidé ce serait une faute économique, une faute politique, une faute
morale.

Se laisser aller à l’unilatéralisme, au chacun pour soi, serait aussi une faute économique, politique et
morale.

Nous devons bâtir notre avenir commun sur l’acquis du multilatéralisme, sur l’acquis du G20, sur
l’acquis de Copenhague.

Nous savons bien au fond ce que nous avons à faire ensemble.
Il s’agit d’en finir avec un système sans règles qui tire tout le monde vers le bas et de le remplacer par
des règles qui tirent tout le monde vers le haut.

Mais à quoi sert-il de se mettre d’accord sur des règles si elles ne sont pas appliquées ?

Il ne s’agit pas d’avoir le même droit du travail partout.
Il ne s’agit pas d’imposer dans les pays pauvres les mêmes normes que dans les pays riches.

Mais comment accepter qu’une cinquantaine d’États membres de l’O.I.T n’aient pas encore ratifié les
huit conventions qui définissent les droits fondamentaux du travail ? Et comment faire respecter ces
conventions ?

A Copenhague, des engagements chiffrés sur le climat ont été souscrits par tous les grands pays.
Comment faire respecter ces engagements sans une Organisation Mondiale de l’Environnement pour
veiller à leur mise en oeuvre ? Comment ne pas voir que la possibilité d’instaurer une taxe carbone aux
frontières contre le dumping environnemental constituerait sans aucun doute une forte invitation à
respecter la règle commune ?

L’avancée décisive ce serait de mettre le droit de l’environnement, le droit du travail, le droit de la
santé à égalité avec le droit du commerce. Cette révolution dans la régulation mondiale impliquerait
que les institutions spécialisées puissent intervenir dans les litiges internationaux et notamment
commerciaux par le biais de questions préjudicielles. Comme je l’ai dit devant l’Assemblée générale
de l’O.I.T. en juin de l’année dernière : la communauté internationale ne peut pas continuer à être
schizophrène en reniant à l’O.M.C. ou au F.M.I. ce qu’elle décide à l’O.I.T., à l’O.M.S., ce qu’elle
proclame à Copenhague. L’instauration d’une saisine préjudicielle mettrait un terme à cette
schizophrénie.

Mais comment imaginer de mettre en oeuvre ces normes sociales et environnementales sans aider les
pays pauvres pour qu’ils soient en mesure de les respecter ?

Comment leur demander un tel effort, eux qui se débattent au milieu de tant de difficultés, si on ne les
accompagne pas dans leurs efforts ?

La question des financements innovants est centrale. Nous n’échapperons pas au débat sur la taxation
de la spéculation. Que l’on veuille endiguer la frénésie des marchés financiers, financer l’aide au
développement ou associer les pays pauvres à la lutte contre le réchauffement climatique, tout nous
ramène à la taxation des transactions financières.

Taxer les profits exorbitants de la finance pour lutter contre la pauvreté : qui ne voit à quel point une
telle décision, même si je mesure bien la complexité de sa mise en oeuvre, contribuerait à nous engager
sur la voie de la moralisation du capitalisme financier ? J’appuie sans réserve l’engagement de Gordon
Brown qui a été l’un des tout premiers à défendre cette idée.

L’autre question que nous ne pouvons plus éluder est celle du rôle que doivent jouer les banques dans
l’économie. Le métier de banquier n’est pas de spéculer, c’est d’analyser le risque du crédit, de
mesurer la capacité des emprunteurs à rembourser et de financer le développement de l’économie. Si
le capitalisme financier a connu une telle dérive c’est d’abord parce que beaucoup de banques ne
faisaient plus leur métier. Pourquoi prendre le risque de prêter aux entrepreneurs quand il est si facile
de gagner autant d’argent en spéculant sur les marchés ? Pourquoi ne prêter qu’à ceux qui peuvent
rembourser quand il est si facile de sortir les risques de son bilan ?

Je suis d’accord avec le Président Obama quand il juge nécessaire de dissuader les banques de
spéculer pour elles-mêmes ou de financer des fonds spéculatifs. Mais ce débat ne peut pas être tranché
par un seul pays quel que soit son poids dans la finance mondiale. Ce débat, c’est au sein du G20 qu’il
doit être tranché.

Mais je voudrais dire aussi qu’il ne sera pas possible de sortir de la crise, de nous prémunir contre des
crises futures si nous perpétuons les déséquilibres qui sont à la racine du mal. Les pays excédentaires
doivent consommer davantage et améliorer le niveau de vie et la protection sociale de leurs citoyens.

Les pays déficitaires doivent faire un effort pour consommer un peu moins et rembourser leurs dettes.
La monnaie est au coeur de ces déséquilibres. Elle est l’instrument principal des politiques qui les
maintiennent. Il n’y aura pas de remise en ordre de la finance et de l’économie si on laisse persister le
désordre des monnaies. L’instabilité des changes, la sous-évaluation de certaines devises empêchent
que le commerce soit équitable, que la concurrence soit loyale. C’est l’emploi et le pouvoir d’achat qui
servent de variable d’ajustement aux manipulations monétaires. La prospérité de l’après-guerre doit
beaucoup à Bretton Woods, à ses règles, à ses institutions.

Aujourd’hui nous avons besoin d’un nouveau Bretton Woods. On ne peut pas avoir d’un côté un
monde multipolaire et de l’autre une seule monnaie de référence à l’échelle planétaire. On ne peut pas
d’un côté prôner le libre-échange et de l’autre tolérer le dumping monétaire.

La France qui présidera le
G8 et le G20 en 2011 inscrira à l’ordre du jour la réforme du système monétaire international.

D’ici là il faudra gérer prudemment la sortie des mesures de soutien à l’activité et le retrait du trop
plein de liquidités injectées pendant la crise. Il faudra prendre garde à ce qu’un resserrement trop
brutal ne fasse tout s’effondrer.

Alors, il nous restera à faire émerger un nouveau modèle de croissance, à inventer une nouvelle
articulation entre l’action de la puissance publique et l’initiative privée, à investir massivement dans
les technologies de demain qui vont porter la révolution numérique et la révolution écologique. Il nous
reste à inventer l’État, l’entreprise et la ville du XXIe siècle.

Il y a quelques années on prédisait la fin des nations, l’avènement du nomadisme. Mais dans la crise
même les entreprises les plus mondialisées, les banques les plus globales ont redécouvert qu’elles
avaient une nationalité.

Il y a quelques années on annonçait le déclin des organisations, la fin des entreprises. On voulait leur
appliquer les principes de la gestion de portefeuilles. On redécouvre qu’elles sont d’abord des
communautés humaines, des organismes vivants.

Il y a quelques années on prévoyait que la ville allait se disperser, se défaire, et avec elle les liens
sociaux, les rapports humains, les relations de proximité. On redécouvre le besoin de convivialité,
d’urbanité.

Au fond c’est la citoyenneté qui semblait appelée à se dissoudre dans le marché mondial. Elle s’est
ressourcée dans l’épreuve de la crise. Dans le monde de demain il faudra de nouveau compter avec les
citoyens.

Citoyen, ce n’est pas une catégorie à part, c’est chacun d’entre-nous. Le chef d’entreprise,
l’actionnaire, le salarié, le syndicaliste, le militant associatif, le responsable politique, c’est aussi un
citoyen qui a des responsabilités envers les autres, envers son pays, envers les générations futures,
envers la planète.

Oui, dans le monde de demain il faudra de nouveau compter avec les citoyens, avec l’exigence de
morale, l’exigence de responsabilité, l’exigence de dignité des citoyens. Il faut regarder cela non
comme un problème de plus mais comme une partie de la solution, non comme une difficulté
supplémentaire mais comme quelque chose de sain, de vertueux qui, peut-être, nous conduira à nous
sentir plus heureux de ce que nous sommes, plus heureux de ce que nous accomplissons.