Samir Geagea perd encore une fois son pari
Par Ghaleb Kandil
La candidature de Samir Geagea à l’élection présidentielle libanaise, annoncée le vendredi 4 avril, a été envisagée il y a trois ans. Il s’agissait d’une décision très sérieuse, convenue par l’ancien Premier ministre Saad Hariri et le diplomate états-unien Jeffrey Feltman, dans la perspective de la destruction de l’État syrien. L’enthousiasme de M. Hariri pour ce plan avait atteint son apogée lorsqu’il a déclaré qu’il ne rentrerait à Beyrouth que par l’aéroport de Damas.
– Premièrement : Ce pari reposait sur la chute de la Syrie, la destruction de son État et de son armée et son intégration au camp occidental, ce qui aurait permis d’établir de nouvelles équations régionales. Le plan de Feltman consistait à prendre la Résistance libanaise en étau : à l’intérieur du Liban, grâce à une guerre lancée par les milices du Courant du futur et des Forces libanaises, appuyées par les groupes terroristes à l’œuvre en Syrie, qui ont exprimé leur intention d’entrer au Liban pour combattre le Hezbollah bien avant la participation de ce parti aux combats en Syrie ; et à travers les frontières méridionales du Liban, grâce à une invasion israélienne, qui devait permettre à l’État hébreu de venger sa défaite de juillet-août 2006, qui a brisé les rêves de Tel-Aviv, de l’Occident et de tous leurs alliés arabes et libanais, lesquels ont jeté toutes leurs forces dans la balance pour anéantir la Résistance libanaise.
C’est dans ce contexte que Saad Hariri avait annoncé son soutien à la candidature de Samir Geagea et souhaité son élection à la présidence, en pariant sur la chute rapide de l’État syrien.
– Deuxièmement : La guerre contre la Syrie est dans une impasse. L’alliance composée des États-Unis, d’Israël, de l’Occident, de la Turquie et de leurs alliés arabes, s’efforce, à ce stade, de limiter les dégâts pour atténuer les conséquences de sa défaite. Avec le changement des rapports de force sur le terrain en Syrie en faveur de l’axe de la Résistance, Washington ne cache plus la réalité des faits. Le pari sur l’étau de Feltman n’est plus que chimère.
À chaque développement sur le champ de bataille, il apparait, de plus en plus clairement, que le pari d’anéantir la Résistance n’est qu’une illusion. L’État syrien et ses forces armées enregistrent des victoires successives, et c’est lui qui détient désormais l’initiative militaire et politique, bien qu’hommes, argent et armes continuent d’affluer pour les groupes terroristes.
Le tournant enregistré dans la guerre syrienne dissipe tous les paris des parties libanaises qui se sont impliquées dans les différents épisodes de ce conflit universel. Les changements sur le terrain syrien vont naturellement profiter à la Résistance libanaise et à ses alliés. Ce qui signifie que les leaders libanais, notamment chrétiens, qui ont appuyé la Résistance et misé sur la force de l’État syrien, vont profiter politiquement des nouvelles réalités. De ce fait, Samir Geagea, auteur du slogan « Que les Frères musulmans règnent ! », va encore une fois perdre tous ses paris. Le chef des Forces libanaises sait très bien que les chances de son élection à la présidence de la République au Liban sont quasi-nulles.
– Troisièmement : La candidature de Samir Geagea intervient au dernier quart d’heure du conflit syrien, à un moment où Saad Hariri a été contraint de faire marche arrière et de retirer sa couverture politique aux groupes terroristes-takfiristes qu’il a couvé pendant trois ans à Tripoli, à Ersal et ailleurs au Liban, à la demande expresse des Américains.
Samir Geagea a pour principal objectif de barrer la voie à l’élection du général Michel Aoun à la présidence. Sa candidature servirait à neutraliser celle du leader du Courant patriotique libre et à privilégier l’élection d’une personnalité « consensuelle », dont la principale mission serait de gérer la situation actuelle, sans être en mesure de proposer des solutions radicales aux crises qui secouent le Liban.
Dans les circonstances actuelles, tous les indices montrent que le vide à la présidence de la République, pour une période relativement longue, reste le scénario le plus probable. La seule solution est le vote d’une nouvelle loi électorale, basée sur la proportionnelle, qui permettrait l’élection d’un Parlement réellement représentatif, qui élirait à son tour un nouveau président, capable d’incarner les aspirations des générations futures.
Déclarations et prises de positions
Samir Geagea, chef des Forces libanaises
« Je ne veux couper la route à personne. Ma candidature vient tout simplement en réponse au fait que les choses ne peuvent plus continuer de la sorte. Le 14-Mars n’a pas encore pris sa décision sur ce plan et je n’ai pas voulu anticiper leur décision. Quant aux contacts avec Saad Hariri, ils sont constamment en cours. Ma candidature est sérieuse et nous ferons tout pour lui donner les chances de réussir. Je suis à présent le candidat des FL et j’œuvrerai pour devenir le candidat du 14-Mars. Je ne pense pas que ma décision va embarrasser le 14-Mars... à moins que le 14-Mars ne me soutienne pas ! Là, je me retirerai de la course, mais mes alliés sont les personnes qui me sont le plus proches. N’ayez crainte pour le 14-Mars. Je veux stopper l’opération Hezbollah au Liban, en tentant d’établir un équilibre avec le Hezb par la présence d’un président fort du 14-Mars. Oui, je serai le président qui sauvera le Hezbollah du pétrin dans lequel il s’est empêtré, non seulement en Syrie, mais aussi au Liban. Le premier à profiter de ma réussite sera le Hezbollah, envers lequel, je le rappelle, je n’ai aucune rancune. Il n’est pas vrai que les prérogatives du président sont limitées, si nous avons un président fort capable d’extirper le Liban de la crise. Aujourd’hui, un président consensuel signifierait le prolongement de la crise ; nous avons besoin d’un bond qualitatif. Si je deviens président, je garderai le même discours mais avec des responsabilités supplémentaires. Le Hezbollah a pris sa décision définitive de rester en Syrie et je ne peux l’encourager car il menace la communauté chiite. Et je ne signerai pas un document d’entente avec le Hezbollah. Nous n’en avons pas besoin en présence de la Constitution. »
Fayçal Omar Karamé, ancien ministre libanais
« Il s’agit d’un jour noir dans l’histoire du Liban. L’assassin de Rachid Karamé a réussi à donner une image exemplaire de la décadence morale qui frappe le pacte social libanais et les valeurs sur lesquelles a été édifiée la nation. Moi, Fayçal Omar Abdel Hamid Karamé, je ne peux empêcher ce criminel d’arriver à la présidence et je n’ai aucun désir de m’adresser à ceux qui le soutiennent et à ses alliés qui l’applaudissent, ni à ceux parmi ses ennemis qui restent muets. J’appelle le patriarche maronite Béchara Raï à prendre une position historique. L’esprit en colère de Rachid Karamé appelle le patriarche Raï à sauver les maronites des mains d’Israël. »
Jamal Jarrah, député du Courant du futur
« La présentation de la candidature de M. Samir Geagea aux élections présidentielles est une question essentielle. Le chef des FL est une figure de proue au sein du 14-Mars et l’un de ses membres fondateurs. Le fait qu’il se soit présenté est une bonne chose. Les forces du 14-Mars se réuniront prochainement pour annoncer leur avis à ce propos. La position du Courant du futur au sein de cette coalition a déjà été exprimée par son chef, Saad Hariri. Le courant présentera son propre candidat. M. Hariri avait précédemment avalisé la candidature de M. Geagea. Toutefois, je crois qu’il y aura d’autres candidats que soutiendront les forces du 14-Mars. Nous devons pousser en direction de la tenue des élections qui doivent avoir lieu dans les délais constitutionnels. »
Rachid Derbas, ministre des Affaires sociales
« Le jour de l’annonce du million (pour les réfugiés syriens), c’est un million de cris que nous lançons pour mettre en garde contre le flux grandissant de déplacés et pour appeler à l’aide. Le Liban ne peut pas être laissé seul. Un verre ne peut pas contenir plus que son volume. Le Liban est le plus petit pays et celui qui accueille le plus grand nombre de réfugiés. Si la communauté arabe et internationale ne va pas nous aider, ce dossier ne tardera pas à se transformer en bombe humaine qui n’épargnera personne et qui dépassera les frontières. De nombreux Syriens, réfugiés au Liban, notamment les nantis et ceux qui entrent au pays par les voies illégales ne sont pas inscrits auprès du HCR, ce qui signifie que le nombre des Syriens réfugiés au Liban est de loin supérieur à un million. »
Mohammad Raad, chef du bloc parlementaire du Hezbollah
« Il faut répondre aux aspirations des citoyens, notamment au niveau économique, afin d’aboutir à une certaine stabilité dans le pays. La stagnation économique a épuisé le Liban. L’approbation de la grille des salaires est, par conséquent, indispensable. La période que nous traversons requiert la réalisation du développement afin d’aboutir à la stabilité. »
Événements
• Soixante-trois combattants rebelles ont été tués dimanche dans l’explosion d’une voiture piégée à Homs, dans le centre de la Syrie. L’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH) parle de 13 morts. Le bilan des morts devrait s’alourdir car des dizaines de personnes sont portées disparues, selon cette ONG. Pour sa part, l’agence officielle Sana a fait état de « l’explosion à Homs d’une voiture que des terroristes étaient en train de piéger, tuant un certain nombre d’entre eux ».
• L’armée libanaise a arrêté dimanche dans la région de Wadi Honein, à Ersal, dans la Békaa, quatre Syriens armés ayant tiré sur une patrouille de la troupe.
• Le parquet égyptien a décidé dimanche de renvoyer devant la justice le frère du chef d’el-Qaëda et 67 autres personnes pour formation d’un « groupe terroriste » en vue d’attaquer des installations gouvernementales, les forces de sécurité et des chrétiens, selon les médias officiels. Mohamed al-Zawahiri, un Égyptien, a été arrêté en août dernier pour « soutien » au président islamiste déchu Mohamed Morsi, destitué par l’armée en juillet.
Revue de presse
As-Safir (Quotidien libanais proche du 8-Mars)
Claire Chokor (4 avril 2014)
Le général Michel Aoun a bien planifié les démarches qui lui ont permis de rafler le portefeuille des Affaires étrangères au gouvernement. C’est grâce à cette manœuvre tactique que Gebran Bassil est devenu le chef de la diplomatie libanaise. Par cette manœuvre, le général voulait s’assurer une fenêtre sur le monde extérieur. Le leader du Courant patriotique libre (CPL) mène ainsi sa dernière bataille en vue d’accéder à la présidence. Aoun est persuadé que la gestion, au plan exclusivement interne, de la bataille électorale ne suffit pas. Son regard se porte donc sur ce qui se passe au-delà des frontières. Pour les aounistes, les puissances occidentales, européennes et états-unienne, sont de plus en plus convaincues de la nécessité de valoriser la présidence libanaise et d’en raffermir les bases, en contribuant à l’avènement d’un président doté d’une forte représentativité. Seule la position française donne encore lieu à une certaine confusion dans l’esprit du CPL. Paris n’est pas encore acquis à cette théorie, et on relève une véritable crainte de voir se reproduire l’expérience de 2008, quand le dossier de la présidence a été confié à la France, laquelle a taillé un costume sur mesure pour Michel Sleiman. Quoi qu’il en soit, Michel Aoun aura tôt ou tard besoin d’un soutien chrétien au niveau local, qui devrait lui être accordé soit par le patriarcat maronite, soit par les autres protagonistes chrétien.
As-Safir (4 avril 2014)
Marlène Khalifé
Les forces du 14-Mars feront-elles du chef des Forces libanaises, Samir Geagea, leur candidat officiel ou mènera-t-il sa bataille en solitaire ? Et si la France parvenait à préparer le terrain à un candidat de compromis entre l’Iran et l’Arabie saoudite, comme elle l’avait fait la semaine dernière ? Elle avait même failli réussir, si ce n’était la gifle américaine qu’elle a reçue au moment où l’accord sur quelqu’un était à deux doigts d’aboutir. La position de Saad Hariri est elle aussi problématique. Et si Saad Hariri penchait en faveur de Aoun en lorgnant la présidence du Conseil. Samir Geagea aura sans doute toutes ces questions en tête, au moment d’annoncer sa candidature officielle à partir de sa forteresse à Meerab. Sa candidature vise à parvenir à un équilibre stratégique avec le Hezbollah. Car, selon lui, le problème des armes du Hezbollah ne saurait être réglé par quelques cachets d’aspirine.
As-Safir (3 avril 2014)
L’ancien directeur de la Sûreté générale, Jamil Es-Sayyed estime que « le retour rapide au calme et le succès du plan sécuritaire à Tripoli, dès la formation du nouveau gouvernement prouvent, sans l’ombre d’un doute, que dès le début, les incidents à Tripoli étaient délibérément provoqués par le Courant du futur. Dès qu’il a accédé au pouvoir, le Courant du futur a viré de bord : alors qu’il parrainait les voyous des quartiers, il a commencé à les pourchasser. « Les habitants de Tripoli et de Jabal Mohsen, ainsi que l’armée, devaient-ils payer le prix fort, celui du sang, pour que certaines personnes du Courant du futur et du camp de ses alliés obtiennent des portefeuilles ministériels ? », s’est interrogé M. Ssyyed.
As-Safir (3 avril 2014)
Nabil Haitham
Le plan sécuritaire à Tripoli remonte à deux ans puisqu’il a été adopté en février 2012. Il ne faut pas en déduire que l’armée était dans le passé incapable de le mettre en œuvre. Elle en était parfaitement capable, mais ne disposait pas de la couverture nécessaire, et son rôle s’en retrouvait paralysé. L’armée a réussi à tenir bon face aux campagnes la prenant pour cible, et a prouvé être l’unique refuge des Libanais en temps de crise. Mais quelques questions subsistent : Tripoli est-elle vraiment en sécurité désormais ? La page sera-t-elle tournée en faisant table rase du passé, ou les responsabilités seront-elles déterminées pour que les uns et les autres rendent des comptes ?
An Nahar (Quotidien libanais proche du 14-Mars
Rosanna Bou Mouncef (4 avril 2014)
Certains attribuent le succès du plan sécuritaire de Tripoli au facteur de surprise qui a consisté à lever la couverture politique dont bénéficiaient les personnes impliquées dans les deux camps. Cette mesure permet de croire à une possibilité, voire même une certaine volonté d’isoler le Liban, dans la mesure du possible, des répercussions de la crise syrienne. D’autres jettent la balle dans le camp du 14 mars qui a attendu de faire partie du gouvernement pour lever sa couverture politique. Les adhérents à cette hypothèse insinueraient donc que les forces du 14 mars n’auraient pas déployé assez d’effort pour mettre un terme aux violences à Tripoli.
D’autres analyses établissent un lien entre la rigueur de l’armée dans la mise en œuvre du plan sécuritaire et l’échéance présidentielle. En effet, selon ces mêmes analyses, la situation aurait été volontairement gardée hors contrôle afin que Tripoli devienne une carte à jouer pour accéder à la présidence. Certains lient enfin les développements à Tripoli avec ceux de Lattaquié et le passage de la bataille vers les zones d’influence du régime, peu avant la mise en œuvre du plan à Tripoli. Cette concomitance soulève des interrogations autour de la raison qui aurait poussé le régime à calmer le front de Tripoli, dans lequel sont impliquées des personnes du même bord politique et confessionnel.
An Nahar (3 avril 2014)
Les éclaircies qui se sont succédées sur plusieurs plans laissent penser que le Liban se trouve à un tournant plutôt qu’à un jet de pierre de la fin du mandat présidentiel. Comment expliquer la réconciliation spontanée entre les habitants de Jabal Mohsen et de Bab el-Tebbané, à coups d’embrassades chaleureuses ? Quel est le secret du redémarrage, en trombe, de l’activité législative du parlement après 11 mois d’apathie ? Qu’est-ce qui a permis de débloquer, au sein du gouvernement, le dossier des nominations ?
Une grande décision locale et internationale a été prise, chapeautant l’ensemble de la donne libanaise dans cette période de transition en attendant la présidentielle. Le bouleversement de fond en comble de la situation sécuritaire à Tripoli, comme par magie, est un bouleversement lourd de significations, qui éclipse tous les autres développements locaux.
Al Akhbar (Quotidien libanais proche du 8-Mars)
Nicolas Nassif, (4 avril 2014)
Les quatre dirigeants maronites, Amine Gemayel, Michel Aoun, Sleiman Frangié et Samir Geagea (en l’absence du quatrième) se sont entendus, à Bkerké, durant les réunions sur les constantes suivantes : 1-La tenue de l’élection dans les délais constitutionnels de sorte qu’un nouveau président capable d’assumer ses responsabilités soit élu ; 2-Chacun des quatre dirigeants s’est engagé à ne pas imposer de veto à la candidature des trois autres ; 3-La participation aux séances électorales relève d’une obligation nationale qui reviendrait, sur le plan politique, à consacrer le rôle primordial des chrétiens dans l’échéance présidentielle et exprimerait le souci de sauvegarder la Constitution, la démocratie, et l’alternance au pouvoir ; 4-Assurer la coordination entre les quatre dirigeants chrétiens concernant les dimensions stratégiques de l’élection, ce qui implique qu’une rencontre doit avoir lieu entre les leaders chrétiens et le patriarche Béchara Raï afin d’examiner la charte nationale mise en place par Bkerké. Durant ces réunions, il a également été question des mécanismes figurant dans la Constitution et destinés à contrecarrer les ingérences étrangères visant à faire passer des compromis ou imposer des candidats déterminés.
Al Akhbar (4 avril 2014)
Le Courant du futur et le Hezbollah ouvriront bientôt de nouveau canaux. Des sources informées ont souligné que la rencontre entre le ministre de la Justice, Achraf Rifi, et le chef de l’unité de liaison et de coordination du Hezbollah, Wafiq Safa, dans la foulée de la formation du gouvernement, a été la seule à avoir eu lieu, ce qui explique le regain de tension entre les deux formations. Cependant, avec le début de la mise en œuvre du plan sécuritaire à Tripoli, Achraf Rifi a adopté de nouveau un ton positif en parlant de la relation avec le Hezbollah. Le ministre de la Justice a entrepris des contacts directs avec Wafic Safa il y a quelques jours afin d’assurer la coordination concernant une question d’intérêt commun. Il a par ailleurs évoqué l’ouverture de canaux avec le Hezbollah. MM. Rifi et Safa se sont entendus pour se rencontrer prochainement. L’ouverture du Futur à l’égard du Hezbollah est due à une décision régionale et internationale qui consiste à apaiser la situation au Liban.
Al Akhbar (3 avril 2014)
Abdel Kafi Samad
Ziyad Allouki, l’un des caïds armés de Tripoli, a assuré qu’il se trouvait toujours dans le quartier de Bab el-Tebbané et qu’il ne comptait se livrer à l’armée qu’une fois Rifaat et Ali Eid seront derrière les barreaux. Les habitants des quartiers rivaux se sont donnés l’accolade. Des sources politiques reprochent à l’armée de n’avoir perquisitionné aucun dépôt d’armes et de n’avoir arrêté aucune des personnes recherchées. Elles s’interrogent également sur la reconstruction de la ville et l’indemnisation des parties lésées.
Al Joumhouria (Quotidien libanais proche du 14-Mars)
(4 avril 2014)
Des sources liées au Courant patriotique libre (CPL) ont réagi à la candidature de Samir Geagea à la présidence de la République, en déclarant : « Nous reconnaissons le droit de toute personne à présenter sa candidature pourvu que l’élection ait lieu à la date prévue par la Constitution, mais nous sommes contre les candidatures qui compliquent la tenue du scrutin ». Tout en assurant que M. Geagea a le droit de se porter candidat, ces sources ont estimé qu’il n’a aucune chance de l’emporter, d’autant qu’il est fort probable que le Courant du futur n’appuie pas sa candidature. Elles ont également considéré que la démarche du chef des FL vise uniquement, mais en vain, à faire de l’ombre à la candidature de Michel Aoun.
Al Hayat (Quotidien à capitaux saoudiens)
Walid Choucair (4 avril 2014)
Il y a un mois, l’ambassadeur britannique au Liban, Tom Fletcher, s’est adressé à un groupe de journalistes lors d’une cérémonie spéciale. Il dit : « Où que je sois, les politiciens libanais me demandent qui est le candidat favori de Londres pour la présidentielle au Liban… Je vais donc vous dire qui est le candidat que nous soutenons et qui deviendra président ». Joignant le geste à la parole, Fletcher sort une enveloppe de sa veste, l’ouvre lentement et de manière ostentatoire, et la secoue pour en faire tomber le contenu. « Elle est vide ! » s’exclame-t-il, provoquant des rires dans l’assemblée.
Commentant son geste, Fletcher affirme que son pays ne souhaite pas s’ingérer dans le choix du président, tout en appelant toutes les factions libanaises à élire un président dans les délais constitutionnels. En effet, les ambassadeurs des trois grandes puissances que sont la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et la France s’étaient réunis et avaient convenu de cette position commune : encourager les factions libanaises à se rendre au Parlement pour voter, puisque les Libanais ont aujourd’hui l’opportunité d’élire un président sans ingérence étrangère.
A cet égard, l’ambassadeur britannique aurait pu sembler sincère. Cependant, des échos circulent aujourd’hui au sujet de l’intérêt porté par certains ambassadeurs partenaires aux noms des candidats et à leurs chances, avec des préférences et des réserves.
Par son geste, Fletcher pourrait signifier, implicitement et sans le vouloir, la nécessité que les Libanais résolvent le dilemme des quatre candidats : Amine Gemayel et Samir Geagea pour le 14 Mars et Michel Aoun et Sleiman Frangié pour le 8 Mars. En effet, aucun de ces candidats n’a de chance d’arriver puisque les voix des députés du 14 Mars sont au nombre de 58 et celles du bloc du 8 Mars s’élèvent à 57. Pas assez pour gagner les deux tiers au premier tour ni la majorité plus un au second tour. Les députés centristes, eux, sont au nombre de 11, dont 8 appartiennent au bloc de Joumblatt qui ne soutiendra jamais un des quatre candidats susmentionnés.
Par conséquent, l’échec de l’expérience des quatre candidats aurait-il comme objectif de pousser les blocs parlementaires à s’entendre sur un président centriste que les Etats concernés auraient choisi ?
L’Orient-Le Jour (Quotidien francophone libanais proche du 14-MRS)
Scarlett Haddad (5 avril 2014)
Il y a ceux qui l’aiment pour sa famille et pour ce qu’il représente et ceux qui voient en lui celui qui va remettre le pays sur les rails. Face à tous ces espoirs placés en lui, le Premier ministre, Tammam Salam, reste modeste, conscient de l’ampleur de la responsabilité mais aussi confiant dans une certaine forme de sagesse chez les Libanais. Devant une délégation élargie de l’ordre des journalistes, menée par Élias Aoun, M. Salam dresse un premier bilan (positif) de l’action de son gouvernement, mais ajoutant que cet élan dynamique pourrait difficilement se poursuivre si l’échéance présidentielle n’est pas respectée. Il affirme aussi que son gouvernement n’est pas là « pour remplir le vide ».
Tammam Salam commence par insister sur le rôle des médias, lançant non sans humour la phrase suivante : « Avant, le Liban était soumis au féodalisme politique. Désormais, il est soumis à celui des médias. » M. Salam précise ensuite que le Grand Sérail est le centre du pouvoir au Liban, mais c’est aussi celui de la sagesse et il est au service du pays.
Selon lui, la véritable raison de la naissance de son gouvernement est l’état d’épuisement dans lequel se sont trouvées toutes les parties internes. « Elles ont compris, dit-il, que le pays est sur le point de s’effondrer et qu’on ne peut plus continuer comme cela. Elles ont donc accepté l’idée de faire des concessions pour que le gouvernement puisse voir le jour. » Pour confirmer ses dires, M. Salam raconte que lors de son premier jour au Sérail après la formation du gouvernement, une journaliste lui a lancé : « Nous ne voulons rien de vous. Seulement, laissez-nous souffler. » Il ajoute que cette phrase l’a beaucoup marqué parce qu’elle exprime un état d’esprit général.
M. Salam assure que l’État ne peut pas avoir du pouvoir sans le prestige qui va avec. Or au cours des derniers mois, le prestige de l’État était bafoué. « Tripoli hier me rappelait Beyrouth en 1975. À ce moment-là, il s’agissait aussi d’envoyer l’armée se déployer au centre-ville entre les belligérants. Mais finalement la décision n’a pas été prise, car il y avait des craintes pour son unité. Aujourd’hui, la décision a été prise, bien qu’il y avait des risques de provoquer un bain de sang. Mais l’armée a montré son unité et sa cohésion, et toutes les parties politiques ont appuyé la décision. C’est une grande réalisation et "ce monstre" qui était en train de dévorer la ville s’est effondré rapidement. Mais il faut préserver et protéger cette réalisation », affirme-t-il.
Commentant les scènes de retrouvailles entre les habitants de Jabal Mohsen et de Bab el-Tebbaneh, le Premier ministre reprend une citation de son père Saëb Salam qui avait déclaré en 1990 : « Si les Libanais sont livrés à eux-mêmes, je crains qu’ils ne s’étouffent à force de s’étreindre... »
C’est d’ailleurs cela le leitmotiv du Premier ministre : laisser les Libanais entre eux pour qu’ils puissent élire un président, tout comme ils ont réussi à s’entendre pour former un gouvernement. M. Salam reconnaît toutefois que l’appui de la communauté internationale a largement contribué à faciliter la naissance du gouvernement, mais, au final, ce sont les Libanais qui ont trouvé l’accord, alors que jusqu’à présent, il fallait des visites au Liban d’émissaires étrangers et même parfois des rencontres à l’étranger (une allusion à l’accord de Doha) pour aboutir à des accords ou élire un président. Cette fois, donc, l’intervention étrangère n’a pas été directe.
M. Salam ne veut pas être trop optimiste, mais il mise sur l’épuisement de toutes les parties internes et sur le fait qu’elles ont compris que le pays était au bord de l’effondrement. Il reconnaît aussi que le fossé est profond entre les différentes parties, de même que l’absence de confiance entre elles est presque totale. Il faut donc rétablir peu à peu cette confiance. Selon lui, l’élection d’un nouveau président à la date prévue permettra au Liban d’être réellement sur la bonne voie. Sinon, il y aura une « pause » qui, à la longue, pourrait devenir un pas en arrière.
Le Premier ministre rappelle que son gouvernement, qui n’est pas censé avoir une longue durée de vie, a été contraint de fixer une échelle des priorités pour agir. La sécurité s’est naturellement imposée comme primordiale. Il y a aussi le problème des réfugiés syriens qui ont dépassé hier le million de personnes enregistrées. Dans ce cas, il reconnaît que les promesses de la communauté internationale et des pays arabes n’ont pas été tenues. Mais, selon M. Salam, c’est aussi un peu la faute des Libanais qui affichaient leurs conflits et leurs divisions. « Aujourd’hui, si nous montrons que nous sommes sérieux, les aides pourraient être plus consistantes », dit-il, avant de préciser que ce dossier est en train d’avoir un effet boule de neige.
Tammam Salam reconnaît que les défis sont nombreux et qu’il ne suffit pas de régler les problèmes sécuritaires, même si c’est déjà un pas très important. Il faut aussi s’occuper des questions administratives et sociales. C’est pourquoi, il a d’ailleurs donné des instructions pour que l’État dans toutes ses institutions civiles se dirige vers Tripoli, pour que les habitants de cette ville comprennent que l’État ce n’est pas seulement l’autorité militaire. Et il ne cache pas sa satisfaction de voir que son gouvernement a réussi à nommer en une seule séance dix fonctionnaires à des postes-clés. Concernant la nouvelle échelle des salaires, il précise que le dossier est entre les mains du Parlement.
Tammam Salam affirme ne pas avoir de données sur un éventuel rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran, même s’il estime qu’un tel rapprochement aurait forcément des conséquences positives sur le Liban.
Il précise aussi que le Liban et la région ont souffert de l’hégémonie américaine sur le monde, mais maintenant, le retour à une certaine bipolarisation pourrait être plus constructif... Tammam Salam n’aime pas toutefois se lancer dans des analyses régionales et stratégiques. Il a les pieds sur terre, principalement soucieux de soulager les souffrances des Libanais. Il se veut modeste, car il voit dans la modestie à la fois de la grandeur et de l’abnégation. Il ne promet pas monts et merveilles. Mais à sa manière, il a déjà fait des « miracles »...
Reuters (Agence de presse britannique, 5 avril 2014)
Le gouvernement américain met la dernière main à un plan visant à former plus de rebelles syriens et à leur livrer davantage d’armes légères, a-t-on appris vendredi auprès de deux sources proches des services de sécurité à Washington.
Les bénéficiaires seront des mouvements modérés présents essentiellement en Jordanie, le long de la frontière syrienne, a-t-on précisé à Reuters.
Ces nouvelles livraisons seront probablement modestes et il n’est pas question pour le moment de fournir les missiles sol-air portatifs que les insurgés réclament.
Les forces gouvernementales syriennes regagnent du terrain depuis plusieurs mois, mais Washington rechigne toujours à livrer des armes lourdes ou sophistiquées à même d’inverser le rapport de force, craignant qu’elles ne tombent aux mains de djihadistes qui pourraient les utiliser contre Israël ou pour s’en prendre à des avions de ligne.
Cette prudence, qui tranche avec l’ampleur de la crise humanitaire, a valu de vives critiques à Barack Obama. L’Arabie saoudite et le Qatar, tous deux alliés des Etats-Unis, n’hésitent pas à armer les rebelles, y compris les djihadistes désormais dominants et hostiles aux modérés de l’Armée syrienne libre.
A Washington, on précise que le Congrès n’aura pas à débloquer de fonds pour financer les nouvelles aides américaines. "Nous devons maintenant finaliser les plans", a déclaré un membre de l’administration ayant requis l’anonymat.
Selon un ancien membre du gouvernement informé du projet, les formations se dérouleront par petits groupes. Arabie saoudite, Jordanie, Emirats arabes unis et France devraient y participer, a-t-il poursuivi.
Si elle admet que ses projets ne changeront pas fondamentalement le rapport de force, l’administration Obama estime qu’ils augmentent ses chances d’avoir des alliés au pouvoir au cas où le régime de Bachar al Assad viendrait à tomber, dit-on de sources officielles.
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