Réflexions sur l’idéologie du génocide dans la sous-région par Privat Rutazibwa

Le livre de Privat Rutazibwa, prêtre et journaliste qui connaît d’autant mieux cette région des Grands Lacs pour être né dans le Kivu, pour y avoir grandi et étudié, est indispensable à tous ceux qui veulent comprendre comment cette nouvelle peste brune, le racisme anti-Tutsi, est actuellement diffusée et exploitée. Exploitation dont on ressent aujourd’hui l’impact et le pouvoir fanatisant jusque chez nous, parmi les Congolais d’Europe. Crédulité des uns, cynisme des autres, ce racisme est manipulé par le nouveau pouvoir de l’ex-Zaïre comme le faisait déjà, avant Kabila, l’expert en manipulation ethnique qu’était Mobutu. L’auteur le rappelle, en 1996, Kengo wa Dondo, Premier ministre zaïrois de l’époque, et Kamanda Wa Kamanda, ministre de l’Intérieur, agitaient le spectre de " l’Empire Hima " qui veut, expliquaient-ils, englober " l’Ouganda, le Burundi, le Rwanda et une partie de la Kagera tanzanienne et du Zaïre. Les Tutsi se retrouveraient là et les hutu seraient déversés dans les pays voisins ". (allocution au 19e sommet des Chefs d’Etat et de gouvernement de France et d’Afrique et interview au journal Africa International n°300, décembre 1996).

Derrière tout cela, il y a évidemment le travail de certains intellectuels hutu qui ont fait de ce racisme leur raison d’être, la justification du génocide qu’ils ont réalisé en 1994, et, plus prosaïquement, la perspective de leur retour aux " affaires ". Travail souterrain que l’auteur avait lui-même douloureusement expérimenté dans les années 1980 à Bukavu, puis en 1990, au moment de l’offensive du FPR : " La sensibilisation visait d’abords les (bantous( [les Zaïrois] mais aussi les étrangers auxquels on expliquait la perfidie des Tutsi et le péril d’un empire Hima-Tutsi, dont les contours étaient décrits à l’aide d’une carte géographique " Il est quand même frappant de voir qu’un faux grossier diffusé par le journal ouvertement raciste Kangura, le fameux " Plan de domination Tutsi ", comparable aux " Protocole des Sages de Sion " inventé par la propagande antisémite, se soit retrouvé en France, sous forme d’une carte affichée dans le bureau du Chef d’état-major des armées et ait servi de justification à une politique française au Rwanda et au Zaïre qui allait devenir trois ans après, complice d’un génocide.

Ce livre entreprend de mettre à plat l’idéologie ethniste qui, après avoir causé un génocide au Rwanda " continue son parcours funeste dans la sous-région ". Des centaines de millier d’homme, de femme et d’enfant sont aujourd’hui menacés de mort dans toute l’étendue de l’ex-Zaïre, parce qu’ils sont d’origine Tutsi ou parce qu’ils ont simplement le faciès (grande taille, nez fin, aspect longiligne) dénoncé par cette propagande raciste. Car c’est là bien le fond du problème. Quelles que soient les critiques que l’on puisse faire aux armées rwandaise et ougandaise présentent au Congo, elles ne justifient pas ce racisme meurtrier. C’est un appel aux crimes racistes, une manipulation monstrueuse de la crédulité des " petites gens "qui sous-tend l’horreur et le massacre des innocents. Les propagandistes africains ou européens, religieux ou politiques, qui se sont lancés dans cette impasse devront, tôt ou tard, rendre des comptes.

De ce livre, le fond prime la forme : les quelques fautes d’impression et d’expression ne retirent rien à son intérêt : celui d’être écrit en Afrique et par un africain. Et qui plus est, par un véritable " citoyen africain ", dont le combat est celui d’un panafricanisme émancipateur et libérateur, contre la régression de l’ethnisme et de tous les racismes. (" Les crises des Grands Lacs et la question tutsi. " Réflexions sur l’idéologie du génocide dans la sous-région par Privat Rutazibwa, Éditions du C.R.I.D., 1999, Kigali, disponible uniquement à Liaison-Rwanda, 80FF franco de port)