16.54. Les enfants ont toujours occupé une place centrale et importante dans la société rwandaise. Les enfants sont considérés comme l’espoir et l’avenir de la famille. Traditionnellement, ils avaient droit à l’amour, aux soins et à la protection de la famille et de la communauté. Le génocide a complètement renversé ces valeurs[25].

16.55. L’UNICEF rapporte qu’un grand nombre d’enfants ont été tués durant le génocide[26]. Les maternités, les orphelinats, les maisons pour enfants et les écoles ont été systématiquement attaqués. Plus de 100 000 autres enfants ont été séparés de leur famille[27]. Les orphelins et les enfants séparés de leur famille ne sont pas tous Tutsi, bien qu’aucune statistique par groupe ethnique ne soit disponible. Lorsque des centaines de milliers de Hutu se sont enfuis vers le Zaïre et la Tanzanie, des milliers d’enfants ont été abandonnés le long des routes, se sont perdus dans la tourmente ou ont délibérément été laissés derrière. Dans tout le pays, des gens ont dû prendre en charge des enfants de leurs parents ou d’autres gens, tandis que les camps pour personnes déplacées étaient remplis d’enfants sans famille.

16.56. À la fin de 1995, seuls 12 000 enfants au Rwanda et 11 700 autres dans l’est du Zaïre avaient pu retrouver leur famille[28]. Durant la même période, plus de 12 000 enfants ont été regroupés dans 56 orphelinats temporaires, tandis que plus de 300 000 autres ont été pris en charge par des familles[29].

16.57. La situation demeure sombre encore aujourd’hui. Plusieurs enfants n’ont toujours pas retrouvé leur famille. Le gouvernement souhaite également soulager le fardeau des 200 000 familles qui ont adopté des enfants ; la plupart d’entre elles n’ont que des ressources limitées, mais il en va de même pour le gouvernement, qui doit en outre mettre sur pied et soutenir un programme pour prendre en charge les quelque 100 000 enfants qui ne pourront pas être pris en charge par une famille dans un avenir proche.

Traumatisme psychosocial

16.58. Le lecteur ne sera pas surpris d’apprendre que si le génocide a traumatisé l’ensemble de la population du Rwanda, les femmes et les enfants ont été particulièrement marqués. Près de la totalité des 3 030 enfants interrogés dans le cadre d’une étude de l’UNICEF intitulée Exposure to War Related Violence Among Rwandan Children and Adolescents ont été témoins de violence sous une forme ou sous une autre durant le conflit. Les statistiques révèlent une situation terrible. Plus des deux tiers des enfants ont vu quelqu’un être tué ou blessé, et 79 pour cent d’entre eux ont vécu la mort d’un proche parent. Vingt pour cent ont assisté à un viol et à des agressions sexuelles, presque tous ont vu des cadavres et plus de la moitié d’entre eux ont vu des gens être tués à coups de machette ou de gourdin. Des enfants ont tué d’autres enfants, forcés ou encouragés à le faire par des adultes. Le rapport de l’UNICEF indique que plus de la moitié des répondants ont assisté à des meurtres commis par d’autres enfants[30].

16.59. Presque tous les enfants interrogés ont cru qu’ils allaient mourir durant le conflit et 16 pour cent d’entre eux ont dit s’être cachés sous des cadavres pour survivre. Plusieurs milliers de jeunes filles et de femmes ont été violées et exposées au VIH et à ses conséquences physiques et sociales.

16.60. L’étude indique également qu’une majorité de ces enfants continuent de faire des cauchemars, malgré toutes leurs tentatives pour supprimer les événements de leur mémoire. Ils souffrent également de réactions physiologiques, comme des tremblements, des sueurs ou une accélération du rythme cardiaque. Tout ceci s’ajoute à la peur de ne pas vivre assez longtemps pour devenir adulte qui, à son tour, entraîne la dépression, l’anxiété et des troubles du sommeil. Le Représentant spécial du Secrétaire général chargé d’évaluer l’impact des conflits armés sur les enfants estime que 20 pour cent des enfants rwandais sont toujours traumatisés[31].

16.61. Le Centre national de traitement des traumatismes (National Trauma Recovery Centre), qui a ouvert ses portes à Kigali en 1995, offre des traitements psychologiques pour les enfants. Jusqu’à présent, le Centre a donné une formation en reconnaissance des traumatismes et en méthodes de soins à plus de 6 000 enseignants, membres du personnel des centres d’aide à l’enfance, intervenants sociaux et médicaux, membres du personnel d’ONG et chefs religieux[32]. Cette approche reflète la croyance selon laquelle les traitements psychologiques donnés aux enfants seront plus efficaces si l’ensemble de la communauté y participe.

Enfants soutien de famille

16.62. Cinq ans après le génocide, de 45 000 à 60 000 familles sont encore sous la direction d’un enfant de moins de 18 ans, et quelque 300 000 enfants vivent dans ces familles. Selon des estimations récentes, 90 pour cent de ces familles sont sous la direction de jeunes filles sans source de revenu[33]. Cette situation est le résultat du génocide et des migrations de masse entre le Rwanda et ses pays limitrophes. Par ailleurs, le nombre de familles dirigées par un enfant continue d’augmenter, conséquence de l’épidémie de VIH/SIDA. Les peines et traumatismes immenses vécus par les enfants de ces familles ont de vastes implications pour la société rwandaise. Un grand nombre d’enfants revenus au Rwanda après le génocide vivent aujourd’hui d’expédients, sur l’herbe des savanes, protégés par des toiles de plastique ; ils n’ont souvent aucun lien de parenté, mais ils se sont simplement regroupés pour essayer de survivre[34]. D’autres sont retournés vers la maison en ruines de leurs parents décédés, où l’aîné (et le plus souvent l’aînée) assume le rôle de parent des plus jeunes.

16.63. Les enfants qui assument ce rôle n’ont eu droit qu’à très peu d’aide. Les communautés, incapables de décider si elles doivent les traiter en adultes ou en enfants, les ont souvent laissés à eux-mêmes[35]. Il est inévitable que ces enfants soient en butte à d’innombrables problèmes : ils sont agressés sexuellement et utilisés comme travailleurs esclaves, leurs terres sont volées par des adultes et ils doivent souvent oublier tout espoir de faire des études. La plupart d’entre eux ont de la difficulté à raconter ce qu’ils vivent, de sorte que leurs sentiments sont souvent ignorés ou incompris. En thérapie, plusieurs dessinent les membres de leur famille sans bouche - des victimes muettes qui essaient de résoudre leurs problèmes seules[36]. La nourriture et les produits de base ne sont pas les seuls besoins de ces enfants. Les enfants de familles dirigées par un enfant ont davantage besoin d’amour et d’affection que tous les autres groupes.

16.64. Un rapport préparé en 1998 par Vision Mondiale sur la situation des familles dirigées par un enfant au Rwanda signale que leurs principaux besoins sont l’éducation, la santé, la sécurité, la reconnaissance, la survie et l’amitié - une liste difficile à combler par toute les sociétés, et encore plus par le Rwanda, qui doit relever un nombre infini de défis. Mais la réalité est incontournable : les enfants du Rwanda doivent pouvoir développer les habiletés qui leur permettront de survivre, mais en surplus, leurs besoins psychosociaux sont immenses. Nous saluons le rapport de Vision Mondiale pour avoir su soulever la question la plus importante : "La question qui devrait nous inciter à agir est la suivante : quelle sorte d’adultes deviendront ces enfants ?"

Enfants seuls

16.65. Le gouvernement du Rwanda a estimé qu’il y avait de 400 000 à 500 000 enfants seuls après le génocide[37]. À la fin de 1994, 88 centres pour enfants seuls avaient été créés. Le retour massif de réfugiés en provenance du Zaïre à la fin de 1996 a créé d’autres séparations qui ont probablement ajouté 130 000 enfants seuls à ce total. Aujourd’hui, il reste encore 38 centres qui abritent environ 6 000 enfants sans domicile, dont les parents sont morts durant le génocide ou qui en ont été séparés durant l’exode. Certains de ces enfants ont été trouvés errant dans les rues. Il va sans dire qu’ils souffrent tous de problèmes psychosociaux dévastateurs.

16.66. Dans une situation idéale, la plupart de ces enfants devraient quitter les centres d’aide assez rapidement pour être intégrés dans un contexte familial, mais plusieurs obstacles s’y opposent. Peu de familles peuvent se permettre de nourrir un enfant de plus. Les proches refusent souvent de reconnaître les enfants parce qu’ils sont incapables d’accepter les responsabilités que cela implique. Certains enfants sont tout simplement trop jeunes pour fournir quelque renseignement que ce soit, ce qui complique la réunification avec leur famille.

16.67. Le recours à des familles d’accueil est plus compliqué qu’il n’y paraît. Alors que certains enfants sont spontanément pris en charge par des parents, des amis ou des voisins, d’autres sont placés dans de nouvelles familles, dans le cadre d’une initiative conjointe du gouvernement et des ONG pour permettre aux enfants de quitter les centres. À ce jour, environ 1 150 enfants ont pu bénéficier de ce programme[38], mais de multiples précautions doivent être prises dans son application. Plusieurs familles ont accepté de prendre charge d’un enfant pour leur propre intérêt et non pour celui de l’enfant. Les enfants doivent être protégés pour ne pas tomber entre les mains de familles qui s’en serviront comme esclaves, qui les agresseront sexuellement ou qui les empêcheront de fréquenter l’école.

Enfants de la rue

16.68. En 1997, l’UNICEF a rapporté que 3 000 enfants étaient itinérants dans les rues de Kigali et que "la mendicité, la prostitution et la délinquance deviennent de plus en plus visibles[39]." En avril de la même année, un séminaire national sur les enfants itinérants a été organisé et on s’y est penché sur une initiative nationale visant à protéger les enfants et à empêcher qu’ils ne deviennent itinérants. En janvier 2000, le HCR a rapporté que le nombre d’enfants itinérants avait doublé pour s’établir à 6 000. L’UNICEF considère que 80 pour cent de ces enfants ne sont probablement pas orphelins, mais que leurs familles pauvres les envoient dans la rue pour mendier. L’UNICEF et les ONG oeuvrant auprès d’enfants itinérants ne parviennent à joindre qu’un peu plus de 10 pour cent de ce groupe, et c’est une des raisons pour lesquelles l’UNICEF revendique un groupe de travail national sur les enfants itinérants[40].

Enfants en détention

16.69. Aussi triste que cela puisse être, les enfants, comme les femmes, n’ont pas été simplement victimes du génocide ; plusieurs y ont pris part. À la fin de 1995, plus de 1 400 enfants étaient emprisonnés au Rwanda, quoi qu’ils n’ont pas tous été accusés d’actes de génocide : certains accompagnaient simplement leurs parents détenus[41]. En 1998, Amnistie Internationale a rapporté que près de 3 000 enfants de moins de 18 ans étaient détenus sous des accusations d’actes de génocide[42]. L’UNICEF a fait beaucoup pour leur fournir des avocats, former des magistrats et des inspecteurs de police judiciaire et rénover les installations pénitentiaires. Un enfant doit être âgé d’au moins 14 ans pour être emprisonné au Rwanda, mais des enfants plus jeunes ont été emprisonnés dans les premiers temps qui ont suivi le génocide. Ces enfants ont maintenant été transférés dans des institutions adaptées et sont soumis à un traitement de rééducation, et ceux qui étaient innocents ont été libérés.

16.70. Un centre de réhabilitation pour enfants détenus a été ouvert à Gitagata en 1995 pour les enfants de 7 à 14 ans. Plus de 900 garçons y ont été transférés depuis les prisons et les geôles communales surpeuplées du Rwanda. On y assure leur éducation et une formation de métier, et les conditions d’existence ont été améliorées sur le plan de l’hygiène, du soutien psychosocial et de la sécurité.

16.71. Il reste toujours beaucoup d’enfants en prison, dont plusieurs ont admis avoir participé au génocide. Certains disent qu’ils n’ont fait que ce que tout le monde faisait autour d’eux. D’autres ont reçu l’ordre de participer aux massacres de leurs parents ou des anciens de la communauté.

16.72. La réintégration des enfants qui sont passés par la prison pose souvent des problèmes. Leur famille les rejette souvent parce qu’ils sont considérés comme des "tueurs reconnus" par la communauté. Certains ne savent tout simplement pas où se trouve maintenant leur famille, alors que les parents de certains autres sont aussi en prison.

Enfants soldats

16.73. Plusieurs enfants ont participé au génocide - certains en tant que membres des forces armées, même s’ils n’avaient pas 18 ans. Il existe plusieurs raisons pour lesquelles un enfant devient soldat. Certains ont été séparés de leur famille. D’autre étaient orphelins et ont suivi une unité de combat durant la guerre pour survivre. Nous avons souligné plus tôt les graves problèmes de chômage et de manque de terres qui touchaient un grand nombre de jeunes hommes au début des années 90. De leur point de vue, l’armée offrait une combinaison attirante de travail, de nourriture et de logement, de camaraderie, d’émotions fortes et de prestige.

16.74. Les problèmes que doivent surmonter les enfants soldats lorsque la guerre prend fin ne sont pas uniques au Rwanda et sont bien documentés. On sait que les effets psychologiques d’une telle exposition à la violence chez des enfants sont dévastateurs ; ils éprouvent invariablement de grandes difficultés à réintégrer la société civile. Au Rwanda, les ministères de la Réhabilitation, de l’Éducation, des Affaires sociales et de la Jeunesse ont mis sur pied un vaste projet de démobilisation des enfants soldats avec l’aide de l’UNICEF. Le projet a pour but d’aider quelque 4 820 garçons de 6 à 18 ans - souvent appelés "kadogos", ce qui en swahili signifie "les petits" - qui avaient été au service d’unités militaires (Hutu comme Tutsi). Environ 2 620 mineurs ont été démobilisés à l’école Kadogo de Butare, et l’on prévoit étendre le projet à 2 200 autres mineurs qui vivent encore avec des groupes militaires dans le pays[43].

16.75. Mais les enfants soldats ne sont pas simplement un héritage du génocide ; on continue encore aujourd’hui de recourir à leurs services. Bien qu’il soit difficile de se procurer des données fiables, un rapport publié en 1999 sur les enfants soldats soutient que le Rwanda figure parmi les neuf pays qui sont le plus profondément affectés par ce problème[44]. Les rebelles anti-FPR sont les principaux utilisateurs d’enfants soldats, mais leur nombre est difficile à estimer, selon la Coalition pour mettre fin à l’utilisation d’enfants soldats. Plusieurs rapports prouvent leur existence. Quand les rebelles ont attaqué un camp de personnes déplacées à Gisenyi en 1998, des enfants ont été vus parmi eux. Lorsqu’ils sont recrutés, les enfants et les jeunes sont normalement utilisés pour commencer comme porteurs, espions et cuisiniers ; une fois entraînés, ils participent activement en tant que soldats. Il est maintenant connu que les milices Interahamwe recrutaient autant les jeunes filles que les jeunes garçons[45].

16.76. En 1999, la Coalition pour mettre fin à l’utilisation d’enfants soldats a lancé l’accusation à l’effet que des enfants âgés de 7 à 14 ans (tant itinérants dans les zones urbaines qu’écoliers dans les zones rurales) étaient encore forcés de joindre soit les groupes rebelles, soit les troupes du gouvernement[46]. Des jeunes filles de 14 à 16 ans ont apparemment été "recrutées" pour "servir" les militaires et d’autres clients[47]. Bien que le gouvernement rejette les chiffres en les qualifiant de "ridicules", on estime qu’entre 14 000 et 18 000 enfants sont recrutés dans les forces armées chaque année. Un chercheur de la Coalition pour mettre fin à l’utilisation d’enfants soldats soutient que plus de 45 000 enfants fréquentent actuellement une école militaire pour sous-officiers au Rwanda[48]. En 1999, Olara Otunnu, Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU chargé d’évaluer l’impact des conflits armés sur les enfants, a exhorté le gouvernement rwandais à ne pas recruter d’enfants soldats[49].

16.77. En octobre 1994, peu après la fin du génocide, près de 5 000 enfants de moins de 18 ans étaient membres de l’APR et affirmaient à l’époque qu’ils n’avaient pas été recrutés, mais bien qu’ils avaient cherché protection auprès de l’armée durant le génocide[50]. Le gouvernement a plus tard affirmé que tous ces enfants avaient été retournés à des parents ou envoyés à l’école Kadogo ou à d’autres écoles secondaires. En 1997, un sondage de l’UNICEF a documenté 2 134 cas d’enfants ayant des liens avec l’armée, le tiers en tant que soldats réguliers et le reste en tant que serviteurs[51]. En 1999, un chercheur a estimé que plus de 20 000 enfants du Rwanda prenaient toujours part aux hostilités[52].

Éducation

16.78. Plusieurs écoles et institutions d’enseignement ont été détruites durant le génocide. Plus des trois quarts des quelque 1 800 écoles primaires et environ 100 écoles secondaires ont été endommagées[53]. De plus, de nombreux enseignants et administrateurs scolaires ont été tués, ont quitté le pays ou ont eux-mêmes participé au génocide. Presque tous les écoliers, comme nous venons de le voir, ont subi des traumatismes qui diminuent grandement leur capacité d’apprentissage et posent des problèmes énormes aux enseignants, qui manquent de formation et dont la tâche est extrêmement lourde. Nous l’avons vu plus tôt, plusieurs écoles ont servi de lieux de massacres ou de camps de concentration. On ne peut en exagérer les conséquences pour le système d’éducation rwandais.

16.79. L’effort le plus important et le plus visible consenti pour répondre à ce désastre est sans contredit la Trousse d’urgence de l’enseignant (TUE) de l’UNICEF-UNESCO, mise au point avec la collaboration du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Il s’agit d’une "salle de classe mobile" conçue pour servir de pont durant quatre ou cinq mois et qui permet à la fois d’offrir un soutien psychologique immédiat à l’enseignant et aux élèves et d’empêcher une rupture totale des services éducatifs. L’UNICEF et l’UNESCO ont également apporté leur aide en fournissant de l’équipement de bureau de base, des fournitures et des livres de classe et en apportant un appui à la formation des maîtres. Un programme intitulé "L’éducation pour la paix", lancé dans les écoles primaires en 1996, a pour but de favoriser la compréhension mutuelle, la tolérance et le règlement des différends.

16.80. Malgré tous ces efforts, il n’est sans doute pas exagéré de dire que le système d’éducation du Rwanda est en crise. À la maison, les enfants doivent surmonter de graves difficultés qui mettent en péril l’accessibilité à l’éducation : pauvreté, survie, traumatisme, foyers dirigés par des enfants, analphabétisme et absence de soutien de la famille et de la communauté. Et quand certains ont la chance de pouvoir surmonter ces difficultés, le système leur en pose de nouvelles.

16.81. En 1997, le gouvernement a entrepris de mener une étude exhaustive du système d’éducation ; à partir des conclusions de cette étude, il a préparé des politiques et des programmes en vue de redresser la situation. On doit reconnaître que le gouvernement place beaucoup d’espoir dans l’éducation, "qui doit jouer un rôle de premier plan dans le succès de trois macro-politiques : l’éradication de la pauvreté, la croissance économique et la réconciliation et la reconstruction de l’unité nationale". Comme le gouvernement lui-même le reconnaît, ces objectifs valables mais ambitieux exigeront que de profondes modifications soient apportées à un système d’éducation dévasté et démoralisé et leur mise en œuvre exigera énormément d’argent[54]." (Sauf indication contraire, les données proviennent du rapport Education Sectoral Consultation, publié en février 1999 et transmis au Groupe par le gouvernement du Rwanda.)

16.82. En 1997, à peine trois enfants d’âge scolaire sur cinq fréquentaient une école primaire. Pour ceux qui y sont inscrits, l’apprentissage n’est pas facile ; 71 pour cent des élèves en âge de fréquenter l’école primaire sont inscrits en première année, mais 14 pour cent seulement des élèves de sixième année ont réussi l’examen final national en 1996-1997[55]. Ce n’est pas vraiment surprenant, compte tenu des obstacles dressés sur la route des enfants d’une part, et des difficultés rencontrées par les écoles de l’autre : "L’instruction primaire souffre de classes surpeuplées, d’infrastructures inadéquates, d’un manque de matériel scolaire, d’une pénurie d’enseignants qualifiés et d’un environnement scolaire défavorable".

16.83. Parmi ceux qui réussissent à terminer avec succès leurs études primaires, de 15 à 20 pour cent sont admis dans des institutions d’enseignement secondaire. Pour mettre en relief l’ampleur du défi, le gouvernement a pour objectif, si tout va bien, de faire passer ce taux à un modeste 30 pour cent cette année et à 40 pour cent en 2005. La qualité de la formation est un autre problème délicat ; à peine deux enseignants sur trois ont eux-mêmes complété leurs études secondaires. En 1998, dans tout le Rwanda, seulement 8 000 élèves ont complété leurs études secondaires ; de ce nombre, à peine 1 800 seront en mesure de pousser leurs études plus loin[56].

16.84. Même ce petit nombre dépasse la capacité d’accueil des institutions post-secondaires - et en particulier de l’Université nationale du Rwanda (UNR), la seule université du pays, qui ne compte que 4 500 étudiants[57]. L’université doit également composer avec une pénurie d’enseignants locaux qualifiés en plus de ne pouvoir poursuivre ses activités qu’en faisant appel à un grand nombre de professeurs invités. Il en résulte que "le gouvernement cherche continuellement à obtenir des bourses d’étude d’universités étrangères peu coûteuses", comme celles de l’Inde, pour combler les besoins dans des domaines comme les sciences, la technologie et la gestion.

16.85. Les écoles techniques et professionnelles en sont encore au stade embryonnaire. Bien que les besoins soient énormes, la recherche scientifique "semble s’être complètement effondrée", alors que "l’éducation informelle souffre de l’absence d’objectifs clairement définis".

16.86. Outre les problèmes auxquels fait face l’ensemble de la jeunesse, les possibilités sont de loin meilleures pour les jeunes citadins que pour les jeunes ruraux et les filles doivent faire face à des obstacles encore plus grands que les garçons. Les obstacles institutionnels à l’éducation des filles ont été abolis par le gouvernement et le nombre d’inscriptions est sensiblement le même pour les filles et les garçons, mais il n’en demeure pas moins que le taux de décrochage est beaucoup plus élevé chez les filles que chez les garçons. Un rapport de l’UNICEF signalait en 1997 que "cette disparité résulte souvent d’une stratégie de survie chez les familles pauvres, qui retirent d’abord les filles de l’école si elles n’ont pas suffisamment d’argent pour payer les différents coûts associés à la scolarisation[58]." Parce que l’éducation n’est pas gratuite au Rwanda et qu’il s’y greffe beaucoup d’autres coûts, comme celui des uniformes et des manuels scolaires, les familles doivent souvent faire face à des restrictions quant au nombre d’enfants qu’elles peuvent se permettre d’envoyer à l’école.

16.87. Une étude sociodémographique réalisée en 1996 pour le compte du gouvernement rwandais a démontré que le quart de tous les enfants de 10 à 14 ans occupaient un emploi. La proportion de filles dans ce groupe est supérieure à ce que les auteurs de l’étude prévoyaient et la majorité de ces filles travaillent dans le secteur agricole[59]. Bien que les statistiques post-génocide sur le taux d’abandon scolaire ne soient pas encore disponibles, il n’est pas déraisonnable de penser, dans le contexte de la crise économique qui sévit au pays, que les familles placées devant le choix de faire éduquer un fils ou une fille choisissent de faire poursuivre des études au garçon et d’occuper la fille à des travaux d’agriculture de subsistance à la maison.

16.88. Il est difficile de surévaluer l’importance de ces données. Le besoin de citoyens instruits du Rwanda est sans limites. Selon les chiffres du gouvernement, le pays ne compte qu’un médecin par tranche de 60 000 habitants et qu’un ingénieur par tranche de 300 000 habitants. Seulement 2,6 pour cent des fonctionnaires de l’État ont un diplôme universitaire, alors que 3,8 pour cent d’entre eux ont deux années de formation postsecondaire ou moins. En 1998, à peine 46 pour cent des enseignants du primaire et 31 pour cent des enseignants du secondaire possédaient les qualifications requises[60].

16.89. Comme nous l’avons déjà souligné, le gouvernement espère que l’éducation jouera un rôle important dans le processus de réconciliation et dans la reconstruction de l’unité nationale. Ces objectifs sont établis comme suit : "Faire des citoyens libres de toute discrimination fondée sur l’origine ethnique ou régionale, l’appartenance religieuse ou le sexe ; promouvoir une culture de paix, de justice, de tolérance, de solidarité, d’unité et de démocratie ; et respecter les droits de la personne." Ce sont des objectifs valables, mais ce sont aussi des objectifs essentiels à la survie du nouveau Rwanda. Le monde applaudira sans nul doute à ces objectifs, comme nous le faisons nous-mêmes. Il n’en demeure pas moins qu’un système scolaire profondément troublé, portant le fardeau des problèmes et des défis que nous venons d’énoncer, ne peut pas facilement inculquer un nouveau système de croyances et de valeurs. Pour relever ces défis, un enfant doit avoir la motivation de fréquenter l’école, et l’école doit offrir un climat favorable à l’apprentissage et des enseignants qualifiés et motivés. Rien de tout cela ne peut se faire sans une injection massive de fonds, bien supérieure aux modestes ressources que le gouvernement peut actuellement consacrer à l’éducation. Pour que les enfants du Rwanda puissent apporter une contribution positive à l’avenir du pays, il ne suffit pas d’applaudir ; il faut donner au Rwanda les moyens d’y parvenir.


[24] Ibid.

[25] Zutt, 7.

[26] UNICEF Rwanda Publication, "Info Notes, UNICEF Rwanda Emergency Programme", février 1996.

[27] Ibid.

[28] Ibid.

[29] UNDP Round Table Conference for Rwanda, PNUD, Genève, 18-18 janvier 1995, 117.

[30] UNICEF Rwanda, "Children First, Information Notes", juillet 1995.

[31] Olara Otunnu, "Protection of children in armed conflict", 1999.

[32] UNICEF Rwanda, février 1996.

[33] Kajsa Overgaard, "Children in Rwanda : an Overview of Several Reports", Nordic African Institute, Rapport sur le Rwanda et le Burundi, rapport no 5, novembre 1999-février 2000, section 5, p. 5.

[34] Vision Mondiale, "Surviving Without Adults : Rwanda, a World Vision Report on Child Headed Households", 1998.

[35] Ibid.

[36] Ibid.

[37] Overgaard, p. 3

[38] Ibid.

[39] UNICEF, "Children and Women of Rwanda", p. 84

[40] Michel Moussalli, Représentant spécial des Nations Unies en matière de droits de l’homme, Rapport sur la situation des droits de l’homme au Rwanda, 1999-2000, Conseil économique et social de l’ONU, 28 janvier 2000, p. 55.

[41] UNICEF Rwanda, février 1996.

[42] Coalition pour mettre fin à l’utilisation d’enfants soldats (Suisse), The Use of Children as Soldiers in Africa : a country analysis, 1999.

[43] Mise à jour du ministère du Travail et des Affaires sociales avec le soutien de l’UNICEF, "Children : The Future of Rwanda", 4 décembre 1995, 14.

[44] Rapport sur les enfants soldats en Afrique publié à l’"Africa Conference on the Use of Children as Soldiers", Maputo, avril 1999, cité dans Overgaard, p. 6.

[45] Children of War, no 3, octobre 1999, Swedish Save the Children, cité dans Overgaard, ibid.

[46] "The Use of Children as Soldiers in Africa".

[47] Le Monde, cité dans Nigel Cantwell, Starting from Zero, UNICEF, Italie, 1997, p. 9.

[48] Gervais Abayeho, chercheur consultant, dans Coalition pour mettre fin à l’utilisation d’enfants soldats, The Use of Children as Soldiers in Africa, 1999.

[49] Overgaard, p. 7.

[50] Cantwell, p. 51.

[51] UNICEF, "Children and Women of Rwanda", p. 84.

[52] Abayeho, "The Use of Children as Soldiers in Africa".

[53] Millwood, Étude 4, 56.

[54] Document du gouvernement du Rwanda remis au GIEP à l’occasion des Consultations sectorielles sur l’éducation, Kigali, février 1999.

[55] UNICEF Rwanda, "1997 Annual Report", décembre 1997, 108.

[56] Document du gouvernement du Rwanda.

[57] Ibid.

[58] UNICEF, "Children and Women of Rwanda", 108.

[59] Hamilton. pp. 9-10.

[60] Document du gouvernement du Rwanda.


Source : Organisation de l’Unité Africaine (OUA) : http://www.oau-oua.org