19.1. Bien avant la fin du génocide, deux millions de Rwandais, pour la plupart Hutu, ont quitté le Rwanda pour se réfugier dans les pays voisins, sans statut et sans avenir bien défini[1]. Certains avaient été emmenés par les génocidaires durant leur fuite, à qui ils avaient servi de boucliers, tandis que la plupart, terrifiés par les atteintes aux droits de l’homme commises par le FPR et par la propagande hystérique du Hutu Power, cherchaient à se protéger des troupes de l’envahisseur. Voudraient-ils revenir ? Allait-on leur faire confiance s’ils revenaient ? Seraient-ils armés ? Allait-on les désarmer ? Pouvaient-ils faire confiance au nouveau gouvernement ? Ce nouveau gouvernement pourrait-il faire face aux besoins qu’ils allaient créer ? Qu’allait-il arriver aux anciens membres des FAR et des milices, qui étaient nombreux, et aux dirigeants du génocide qui avaient fui dans les camps ? Le FPR savait bien que les réfugiés posaient non seulement un problème humanitaire, mais aussi un problème politique et militaire. Lui-même avait été une armée de soldats réfugiés. Créés par un conflit, ils revenaient 30 ans plus tard pour créer un autre conflit. Quel serait maintenant l’impact des réfugiés Hutu qui se trouvaient au Zaïre, au Burundi et en Tanzanie ? La réponse s’avéra beaucoup plus convulsive qu’on ne pouvait l’imaginer.

19.2. Les réfugiés en fuite jouèrent un rôle historique. Toute estimation numérique est forcément approximative dans ce genre de situation, mais d’après les études qui ont été faites, nous pouvons au moins nous faire une idée de l’ampleur de l’exode. Sur une période de 24 heures du 28 au 29 avril, moins de deux semaines après le déclenchement du génocide, 250 000 Rwandais de l’est du pays franchirent à Rusumo le petit pont qui marque la frontière avec l’ouest de la Tanzanie. Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), il s’agissait là de l’exode le plus important et dans le laps de temps le plus court qu’il lui ait jamais été donné d’observer[2]. Pourtant, dans les six semaines qui suivirent, un autre record fut établi à l’autre extrémité du Rwanda. Entre le 14 et le 18 juillet, 850 000 Hutu franchirent la frontière nord-ouest du Rwanda pour se rendre à Goma, une petite ville du district du Kivu dans l’est du Zaïre[3]. En termes d’ampleur, de rapidité et de concentration, on n’avait jamais rien vu de semblable. Mais une désastreuse décision politique fut prise dès le départ : les réfugiés établirent leur camp à la frontière du Rwanda. Non seulement cette décision était contraire à la Convention de l’OUA de 1969 sur les réfugiés qui prévoit l’aménagement des camps de réfugiés pour raison de sécurité à une "distance raisonnable" du pays d’origine, mais elle offrait également aux dirigeants exilés du Hutu Power un point de départ idéal pour leurs offensives contre le Rwanda.

19.3. La répartition géographique estimée des réfugiés Hutu en 1995 était la suivante :

Burundi 270 000
Tanzanie 577 000
Ouganda 10 000
Zaïre (Goma) 850 000
Zaïre (Bukavu) 333 000
Zaïre (Uvira) 62 000 [4]

19.4. Signe de notre époque meurtrie par les catastrophes, presque personne ne porte attention aux quelque 10 000 réfugiés qui arrivèrent en Ouganda alors que ceux qui ont fui vers le sud au Burundi, et qui étaient plus d’un quart de million, sont généralement analysés dans le contexte des confrontations ethniques de ce pays. Pourtant, comme nous l’avons déjà noté, en Occident, il suffit de l’arrivée impromptue d’une poignée de réfugiés pour provoquer une crise politique.


[1] Prunier, 312.

[2] Des Forges, 636.

[3] Millwood, Étude 3, 35.

[4] Prunier, 312.


Source : Organisation de l’Unité Africaine (OUA) : http://www.oau-oua.org