La première erreur de l’ONU dans la gestion de la crise rwandaise est, au départ, une erreur d’analyse qui a été maintenue jusqu’au génocide

La situation au Rwanda est considérée comme une simple guerre civile et le rôle principal de l’ONU conçu comme un rôle de médiation entre les parties. Les conflits politiques au sein de la classe politique rwandaise, les stratégies à moyen terme des parties en présence, les réactions de peur et de haine entretenues dans la population sont délibérément ignorés par le Conseil de sécurité. L’efficacité de l’action de l’ONU exigeait une coopération des parties en présence. Cette condition préalable et nécessaire n’ayant de fait jamais existé, l’ONU s’est retrouvée bien seule pour promouvoir un processus de paix, face à des parties qui continuaient à privilégier une logique de guerre.

La deuxième erreur de l’ONU a été une erreur de conception de l’opération de maintien de la paix

Certes, la difficulté à mobiliser des troupes, l’hétérogénéité des contingents finalement rassemblés, les problèmes linguistiques ne sont pas spécifiques à l’opération du Rwanda. Cependant, ils ont considérablement contribué à tendre les relations et à favoriser la dégradation de la situation. Le temps, celui nécessaire au déploiement de la MINUAR comme celui finalement demandé pour la mise en place des institutions de transition, a joué contre la paix.

Sans mésestimer la difficulté à trouver des ressources en hommes et en moyens -lors de la formation de la MINUAR I, il y avait, selon l’ONU, environ 80 000 soldats de la paix déployés dans le monde entier-, force est de constater certaines défaillances dans la planification, la coordination et la logistique des opérations successives de maintien de la paix.

La troisième erreur imputable à l’ONU est une erreur de réaction à l’évolution de la situation

Certes, au fil des résolutions successives, la MINUAR a endossé tour à tour l’habit d’une mission d’accompagnement des accords de paix, puis d’une mission humanitaire et enfin celui d’une composante militaire d’une opération de restauration de l’Etat. Il est cependant dommage que cette plasticité des mandats n’ait pas répondu aux exigences d’un objectif clairement établi et reconnu : l’application des accords d’Arusha. Elle a au contraire donné l’impression d’actions improvisées, plus subies que voulues, et parfois contradictoires, plus inspirées par les intérêts immédiats de ceux qui les décidaient, que par la sécurité et le devenir des Rwandais. Le jugement du groupe des Nations Unies chargé de tirer des enseignements de la MINUAR est particulièrement sévère : " depuis sa création jusqu’à son retrait, la MINUAR a toujours semblé en retard sur les réalités de la situation au Rwanda ".

Il est pour le moins regrettable que, devant la dégradation des conditions de sécurité au cours de l’année 1993 -dont certains militaires de la MINUAR furent eux-mêmes les victimes- et le blocage institutionnel qui empêchèrent le déroulement normal du processus d’Arusha, l’ONU n’ait su répondre autrement qu’en agitant périodiquement la menace de son départ. Le recours au chapitre VII, qui autorise l’usage de la force, aurait dû être envisagé dès cette époque, ne serait-ce que pour permettre le retour à des conditions de sécurité permettant un dialogue serein et constructif.

La quatrième erreur de l’ONU concerne la gestion de l’information à l’égard de la population rwandaise sur les objectifs de sa présence et la coupable tolérance dont elle a fait preuve à l’égard de la diffusion de messages de haine et d’appel au meurtre

La mise en place d’une radio MINUAR en février 1995 qui, de l’avis général a beaucoup contribué à l’apaisement des esprits par des nouvelles impartiales et objectives, montre, a contrario, les dangers qu’il y a eu à laisser les Rwandais sous l’influence d’une information partiale et agressive. Une action de surveillance ou de brouillage des émissions de RTLM aurait dû être envisagée.

La cinquième erreur des Nations Unies est une faute, car elle fut commise consciemment

Elle a été de refuser de reconnaître rapidement que l’on était en présence, non de la reprise d’une guerre civile, mais de la mise en oeuvre d’un génocide, et qu’à ce titre, la communauté internationale entière était concernée. Dès lors, la décision de désengagement du 21 avril 1994 ne peut pas être considérée comme la sanction légitime à l’encontre de parties n’ayant pas respecté les accords. Elle s’apparente plutôt à un " sauve qui peut " généralisé.

Lorsque le rapporteur Pierre Brana a visité le Tribunal pénal mis en place à Arusha, il a été frappé par le contraste existant entre les moyens mis en oeuvre pour juger quelques dizaines de personnes, les délais entraînés par le strict respect des droits de la défense, la mobilisation de la communauté internationale à cette occasion pour fournir juges, avocats, agents administratifs, et la relative facilité et rapidité avec laquelle ont été massacrées plusieurs centaines de milliers de personnes dans la quasi-totale indifférence générale. Il ne s’agit pas bien sûr de contester la légitimité du Tribunal pénal d’Arusha qui bien au contraire est le moyen le plus évident de faire apparaître un peu d’humanité et de justice dans cette barbarie et cette violence, mais de regretter que la communauté internationale se soit souvenue si tard des principes qui la soutiennent et qui la fondent.

" Même les fous ont peur s’ils rencontrent une détermination très claire en face d’eux " écrivait dans un livre d’entretiens avec Stephen Smith celui qui fut le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU au Burundi, M. Ahmedou Ould-Abdallah. Cette détermination a manqué à la communauté internationale. Elle a donc laissé des fous -mais des fous organisés et résolus- écrire l’histoire.

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L’explication de l’impuissance organisée de l’ONU tient d’une part au fait que le Rwanda n’entre pas dans le cadre des intérêts nationaux immédiats des grandes puissances mais aussi au précédent somalien dont la référence était constamment citée dès que l’on évoquait le Rwanda. " La crainte majeure des responsables de la force est de se trouver pris dans un processus à la somalienne " écrit le 3 mars 1994 l’ambassadeur de France au Rwanda, M. Jean-Michel Marlaud. L’obsession de la politique du " zéro victime " parmi les casques bleus a conduit la MINUAR à refuser toute mission dangereuse, de la perquisition des caches d’armes au secours des victimes. La MINUAR a cru avoir le choix entre l’intervention et la sécurité. Pour ce qui la concerne, elle a finalement payé sa non-intervention par la mort de 12 Casques bleus.

Dans son discours devant l’Assemblée nationale le 8 décembre 1998, M. Kofi Annan a déclaré que les Nations Unies doivent s’efforcer " d’être une sorte de conscience du monde ". Cet objectif est noble, mais demande au préalable que cette " conscience " soit elle-même irréprochable.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr