Lorsqu’une crise a provoqué des violations du droit humanitaire, comme le Rwanda en a donné l’exemple à une échelle démesurée, son règlement suppose que soit assurée par la communauté internationale la répression des crimes commis.

La communauté internationale a reconnu cette nécessité dans le cadre du rétablissement de la paix dans l’ex-Yougoslavie d’abord, au Rwanda ensuite.

Par sa résolution 955 du 8 novembre 1994, le Conseil de sécurité a ainsi institué le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Cette juridiction, qui siège à Arusha, a pour mandat de " juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda ainsi que les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis sur le territoire d’Etats voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 ".

Après l’échec de la communauté internationale à prévenir et à interrompre le génocide, la création du Tribunal pénal international pour le Rwanda a été une première et indispensable réponse à la situation qui venait de se créer. Le crime de génocide ne peut en effet rester impuni. Sa répression fait partie des conditions sine qua non de la prévention d’autres génocides. C’est aussi pour le pays concerné l’une des bases de la reconstruction et de la réconciliation nationale. Une société marquée par un tel drame ne peut se réorganiser et reprendre son développement que sur la base de la justice. L’enjeu n’est pas seulement de donner aux victimes une réparation, mais aussi de réaffirmer les principes de l’Etat de droit.

La procédure et la jurisprudence du Tribunal d’Arusha doivent apporter à cet égard une contribution essentielle. Elles ont vocation à fixer des noms et des principes qui peuvent constituer des références pour la société rwandaise. La Mission note à ce propos que le Tribunal mène une politique pénale qui vise à mettre prioritairement en cause la responsabilité des dirigeants, des organisateurs, des idéologues, plus que des exécutants.

Cette politique pénale, définie par un tribunal siégeant en Afrique et présidé par un Africain peut être source d’enseignements pour la justice rwandaise. Selon les chiffres officiels rwandais, plus de 135 000 personnes seraient actuellement détenues au Rwanda en raison d’une inculpation de génocide. Le Général Kagame vient de déclarer qu’une partie d’entre eux était arbitrairement détenue et que des libérations sont envisagées. Le Rwanda se trouve donc confronté à la nécessité de définir des principes et des orientations pour la poursuite et le jugement des coupables du génocide. Le Tribunal pénal international du Rwanda peut l’y aider. Encore faut-il qu’il améliore significativement son fonctionnement . Des efforts sont nécessaires en ce domaine, tant de la part des pays qui assurent la charge de son greffe que de ceux qui contribuent à son financement, c’est-à-dire essentiellement les pays développés. Des progrès sont récemment intervenus, comme la création d’une troisième chambre ou l’adoption, pour 1998, d’un budget de 58,9 millions de dollars. Il reste cependant beaucoup à faire pour accélérer les procédures et prononcer dans un délai raisonnable les jugements attendus au Rwanda.

Parmi les soutiens qui doivent être apportés au Tribunal pénal international pour le Rwanda figurent les témoignages d’acteurs extérieurs et notamment, dans le cadre de la France, ceux des personnels militaires ayant servi au Rwanda. A ce propos, la Mission note avec satisfaction la disponibilité du Gouvernement français pour le bon déroulement des procédures. Les auditions de militaires français ayant servi dans le cadre de l’opération Turquoise ont pu avoir lieu dans des conditions appropriées de confidentialité. La France informe régulièrement le Tribunal sur les procédures d’information judiciaire ouvertes dans notre pays à propos des faits dont il a à connaître.

Pour l’avenir, la Mission considère que l’entrée en vigueur de la Convention de Rome, portant statut de la future Cour pénale internationale, constitue un élément essentiel du dispositif de prévention et de règlement des crises. Elle souhaite que cette cour soit intégrée au système des Nations Unies, conformément à l’article 2 de son statut. Elle se prononce pour la ratification par la France, à bref délai, de la Convention de Rome. Elle observe que ses possibles implications sur notre ordre constitutionnel pourraient imposer au préalable une révision de la Constitution.

Elle estime cependant qu’une juridiction pénale internationale pourrait renforcer la position de tous ceux qui, notamment en Afrique, s’efforcent de faire prévaloir les principes de l’Etat de droit. Son instauration constituerait un aiguillon pour la communauté internationale et l’inciterait à rompre avec son attitude de passivité, souvent ressentie comme de l’indifférence par les Africains à l’égard des violations massives des droits de l’homme commises sur leur continent. La Mission ne peut à ce propos qu’évoquer l’exode de plus de 500 000 Rwandais d’origine hutue déplacés en 1996 à la suite de l’offensive de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo Zaïre, dirigée par Laurent-Désiré Kabila, alors soutenu par l’actuel gouvernement rwandais. Un grand nombre de ces réfugiés ont péri à la suite des exactions qu’ils ont subies, sans que la communauté internationale entreprenne la moindre action pour leur venir en aide. Sans qu’il soit question de méconnaître la terrible spécificité du génocide commis au Rwanda en 1994, il importe toutefois de garder à l’esprit l’étendue des massacres et violations des droits de l’homme au cours des dernières décennies en Afrique, et en particulier dans la région des Grands Lacs. Les combattre et entreprendre d’y mettre fin figure aujourd’hui parmi les tâches les plus urgentes de la communauté internationale.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr