Les membres des familles des paracommandos assassinés ont tous été informés de l’assassinat de leur époux ou de leur fils entre 22 h 00 et 4 h 00. Ce sont des militaires " disponibles " qui ont été chargés de cette pénible mission. Ils se sont contentés de leur lire le contenu d’un télégramme. Mme Dupont déclare lors de son audition :

" À trois heures du matin, une personne s’est présentée et m’a lu un télégramme faisant état de l’assassinat du caporal Debatty ainsi que de neuf autres soldats belges alors qu’ils tentaient de couvrir la fuite du Premier ministre. Les autorités belges étaient au courant dès 22 h 40. " (236c)

Quant à M. Leroy, il s’est exprimé aussi à ce sujet : " C’est un officier qui m’a informé, de manière peu diplomatique que mon fils était mort au Rwanda. Il était trois heures du matin. Ce militaire m’a expliqué que mon fils était un militaire, parti volontairement dans ce pays et qu’il y avait été abattu alors qu’il essayait de s’enfuir. (...) Plus tard, j’ai également été informé que, contrairement à ce qu’on m’avait dit, certains militaires s’étaient battus pendant plusieurs heures avant de mourir. Je ne m’explique pas pourquoi on m’a menti ainsi. " (237c)

Pour Mme Lotin, l’annonce s’est faite avec plus de tact : " En ce qui me concerne, quand l’émissaire de l’armée a vu que j’étais enceinte, il a pris beaucoup de ménagements et l’annonce du décès de mon mari s’est passée correctement. " (238c)

Ce n’est que le 8 avril que les corps des victimes ont pu être reconnus.

Mme Dupont déclare : " Dès que le colonel Dewez s’est rendu chez les familles, il nous a dit que rien n’avait pu être fait, qu’il avait vu les corps et que chacun des hommes avait été tué d’une balle dans la tête. Nous faire cette déclaration était une erreur. Il devait savoir qu’un jour ou l’autre nous saurions la vérité. Le général Dallaire et le colonel Marchal n’ont vu à la morgue qu’un tas de dépouilles. Il a fallu attendre le 8 avril pour que les militaires qui les connaissaient puissent reconnaître nos hommes. Les familles ont d’abord été prévenues sur base du fait que leurs hommes manquaient à l’appel, qu’ils étaient portés disparus. " (239c)

La commission a demandé aux témoins si le colonel Dewez, lors de sa visite aux familles, avait donné d’autres informations officielles pour corriger les premières.

M. Leroy déclare : " Non, j’ai rencontré pour la première fois le colonel Dewez lors de la première commémoration du 5 juin 1994. " (240c)

Mme Lotin s’est exprimée en ces termes : " Il est de règle dans l’armée que le chef du bataillon dont certains hommes sont morts rencontre les familles de celui-ci. C’est ainsi que le colonel m’a rencontrée ainsi que ma belle-famille à l’égard de laquelle il a eu une attitude particulièrement cavalière, arrivant en bermuda et lui demandant ce qu’elle avait à dire. (...) Pas une seule fois, le colonel Dewez n’a eu un geste de compréhension ou de condoléances. Jamais il n’a admis qu’il y avait un problème. Il dormait sur ses deux oreilles. " (241c)

Toujours en ce qui concerne l’attitude du colonel Dewez, Mme Dupont déclare : " (...) Il nous a annoncé avec un sourire jusqu’aux oreilles la manière dont étaient morts nos maris. On ne peut pas dire qu’il ait été à la hauteur d’un point de vue humain. Il a nié ensuite avoir dit qu’ils étaient morts tués d’une balle dans la tête. J’ai cependant la preuve de cette déclaration, car j’ai enregistré cette visite avec un dictaphone et le système de surveillance de mon bébé. Il continue à nier, mais j’ai la preuve. " (242c)

La commission constate que les membres des familles ont été informés de la pénible nouvelle de manière inconvenante et sans le moindre soutien moral, à l’exception de Mme Lotin dont le mari était officier. La commission constate que les autorités militaires ont eu des réactions différentes selon que le militaire assassiné était officier ou non.

En outre, à aucun moment, les autorités militaires n’ont estimé que les familles étaient en droit de connaître la vérité sur les circonstances exactes de la mort de leurs proches.

Mme Lotin déclare à ce propos : " Il est évident que l’armée ne voulait nous donner aucune information. Ce n’est que lorsque l’a.s.b.l. " In memoriam " fut créée que nous avons appris certains détails. Un clivage s’est vite dessiné au sein de l’armée entre ceux qui soutenaient notre action et les autres. " (243c)

La commission a demandé à Mme Lotin si les familles avait eu accès au rapport d’enquête circonstancié établi par la force terrestre. Mme Lotin a répondu : " Le colonel Jacqmain nous a effectivement informés de son existence et autorisé à en prendre connaissance. " (244c)

Les familles déplorent n’avoir pu trouver d’écoute ni de la part du Premier ministre, ni du ministre de la Défense nationale, ni d’ailleurs de l’ensemble des partis. Après beaucoup d’insistance, elles ont été reçues par M. Dehaene pendant une vingtaine de minutes.

Mme Lotin déclare : " Nous n’avons rien obtenu du Gouvernement. Certains ministres sont venus à la cérémonie du 15 juin, visiblement contre leur volonté. M. Delcroix portait une cravate rose, ce qui est du plus mauvais effet dans une cérémonie comme celle-là. " (245c)


Source : Sénat de Belgique