Monsieur le Président,
Mesdames les Présidentes,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Comme vous l’avez tous souligné, l’offensive lancée par la Turquie début octobre et le retrait concomitant des forces américaines ont conduit à une situation très grave dans le nord-est de la Syrie. La situation qui en a résulté, qui en résulte, est de nature à remettre en cause les cinq ans d’efforts contre Daech que la coalition internationale avait conduits avec notre partenaire des forces démocratiques syriennes. C’est la raison pour laquelle le gouvernement soutient la proposition de résolution présentée à cette Assemblée. Le gouvernement a condamné très clairement l’initiative et l’offensive turque. Le gouvernement a fait partager cette condamnation avec les 28 Etats membres de l’Union européenne, alors que ce n’était pas gagné d’avance ; c’est aussi la raison pour laquelle ce qui se passe en ce moment ici est un moment fort. Je ne suis pas toujours d’accord avec M. Mélenchon, mais lorsqu’il disait tout à l’heure que cette condamnation unanime peut peser lourd, oui, elle pèsera lourd et je me réjouis de l’initiative prise par Mme de Sarnez.
Je ne reviendrai pas longuement sur la situation sur le terrain en ce moment, mais simplement, pour vous redire ce que vous devez savoir : c’est que le contenu de l’accord entre Américains et Turcs est en grande partie rendu caduc par l’autre arrangement conclu à Sotchi le 22 octobre. Cet accord acte le retour du régime syrien et de la Russie dans le nord-est syrien, ce qui est une conséquence logique de la décision américaine du 13 octobre d’un retrait des forces de la coalition. L’accord turco-russe se déploie, les Forces démocratiques syriennes ont indiqué qu’à ce stade, elles étaient prêtes à respecter l’arrangement négocié entre Russes et Turcs et à se retirer des zones frontalières entre la Syrie et la Turquie. Nous regardons aujourd’hui de très près la mise en oeuvre de cette disposition qui est évidemment un développement important pour l’avenir du combat contre Daech, compte tenu de la contribution irremplaçable que les Forces démocratiques syriennes ont apportée avec courage aux opérations de la coalition depuis 2015.
Je voudrais d’ailleurs à ce propos rappeler un peu d’histoire : ceux qui ont permis l’éradication territoriale de Daech, ce sont les forces de la coalition, au deuxième rang desquelles la France. Ceux qui ont permis l’éradication territoriale de Daech, ce sont les forces de la coalition, en y intégrant les forces irakiennes qui ont payé un lourd tribut dans ce combat. Ceux qui ont permis l’éradication territoriale de Daech, ce sont les Forces démocratiques syriennes qui ont été en appui au sol et qui ont permis de libérer, en particulier, cette ville symbolique de Raqqa pour laquelle nous avons un intérêt tout particulier. Il faut le rappeler parce qu’il ne faudrait pas qu’il y ait des vainqueurs a posteriori, ou qui se déclarent a posteriori. Je crois que c’est utile de le dire, d’autant plus que la défaite territoriale de Daech est récente, elle ne date que de mars dernier, lors de la bataille de Baghouz. Ces événements sont donc récents, il faut redire qui a permis cette victoire territoriale.
Mais, après sa défaite territoriale, l’organisation a choisi de se reconstruire dans la clandestinité car, cela a été dit par plusieurs d’entre vous, la fin de l’emprise territoriale de Daech, obtenue après un combat très dur, n’a pas permis d’éradiquer Daech ; elle a permis de mettre fin à son organisation territoriale, d’abord en Irak, puis en Syrie, mais les éléments de Daech n’ont pas disparu depuis. Soit ils sont dans la clandestinité, soit ils sont retenus dans les camps ou les prisons. La mort d’Al Baghdadi, le chef de Daech, est un nouveau coup porté à cette organisation terroriste, mais cela ne représente pas un coup fatal. C’est seulement une étape en vue de la défaite définitive de l’organisation terroriste. Le combat n’est pas terminé, nous devons le poursuivre collectivement, avec une détermination intacte, dans le cadre de la coalition.
C’est la raison pour laquelle le chaos créé par l’offensive d’Ankara permet la résurgence de Daech. D’ailleurs plusieurs attentats récents ont eu lieu en Syrie, notamment à Raqqa et à Qamishli, qui montrent que cela est en route.
Dans ce contexte, il est essentiel de garantir que les combattants de Daech resteront détenus dans des conditions sûres et fiables. C’est le cas aujourd’hui, pour l’essentiel. Et la situation est à ce jour, globalement, sous contrôle. Mais c’est une situation qu’il faut suivre en détail avec beaucoup d’attention, je vais y revenir.
Mais permettez-moi, à cet instant, après la mort d’al-Baghdadi, de penser, à ce moment du débat, aux victimes de Daech. Ces victimes ont été françaises, irakiennes, syriennes, de bien d’autres nationalités. Car c’est al-Baghdadi qui, après avoir participé à la prise de Mossoul et aux atrocités commises par Daech en Irak, dirigeait l’organisation terroriste lorsque celle-ci a planifié les attentats de Paris en novembre 2015. C’est lui aussi qui a été à l’origine de la planification de bien d’autres crimes commis depuis, y compris des crimes commis en Turquie, parce que ce pays n’a pas été à l’abri des attentats menés par Daech puisque, il faut le leur rappeler, 35 attaques de Daech se sont produits sur le sol turc, causant 400 morts et près de 1.500 blessés depuis 2013.
Permettez-moi aussi à cet instant de saluer l’action des Forces démocratiques syriennes, composées de Kurdes et d’Arabes. Le courage des hommes et des femmes des FDS, les sacrifices qu’ils ont consentis face à l’ennemi commun que représente Daech appellent toute notre reconnaissance. Le président de la République a eu l’occasion de le leur témoigner à plusieurs reprises. Nous sommes toujours en relation avec eux, avec Mme Ahmed et avec le commandant Mazloum. Et quelle que soit l’évolution des événements sur le terrain, nous serons attentifs à la situation des FDS qui ont payé le prix du sang face à Daech, aux côtés de nos forces, aux côtés des forces de la coalition. Ce combat commun nous oblige et nous sommes, Mesdames et Messieurs les Députés, redevables à l’égard des Forces démocratiques syriennes.
La deuxième conséquence de la situation et de l’offensive turque, c’est la dégradation de la situation humanitaire. Près de 200.000 personnes ont été jetées sur les routes de l’exode dans un pays qui compte déjà près de sept millions de déplacés internes et cinq millions de réfugiés. La Syrie est un pays dont plus de 50% de la population est déjà réfugiée ou déplacée. Les hôpitaux sont saturés.
La situation pourrait également déstabiliser la région autonome du Kurdistan irakien, qui se relève également doucement de l’emprise de Daech ; j’y étais, il y a quelques jours, pour apporter le soutien de la France aux Kurdes par leur intermédiaire.
Et je vous rappelle, cela a déjà été dit, que Daech reste également très actif en Irak, où l’organisation tente de préparer sa résurgence dans la clandestinité. Et tous mes interlocuteurs, à Bagdad ou à Erbil, m’ont fait part de leur profonde inquiétude. Et la situation politique irakienne ne fait que renforcer cette capacité de résurgence de Daech. Ce combat est donc encore devant nous.
À ces conséquences humanitaires, auxquelles nous voulons essayer de remédier, s’ajoute une conséquence migratoire indirecte, puisqu’Ankara a brandi la menace d’un afflux massif de réfugiés syriens. Ce n’est pas la première fois que le président Erdogan reprend cette antienne, mais cette manière d’instrumentaliser le malheur des gens est pour nous inacceptable. Il faut l’affirmer avec force : nous ne céderons pas à ce chantage-là.
Et j’ajoute que nous ne pouvons pas accepter les déplacements forcés des réfugiés syriens présents en Turquie. Nous avons dit clairement notre condamnation du projet turc de réinstallation forcée dans le nord-est des réfugiés syriens, y compris ceux qui proviennent d’autres zones de la Syrie. Le retour des réfugiés syriens doit être sûr, doit être volontaire et doit être conforme au droit international et aux principes du HCR. Aucun autre plan ne pourra recueillir le soutien politique et financier des Etats membres de l’Union européenne et bien évidemment de la France.
Le troisième enjeu concerne la stabilité régionale. L’offensive turque nous éloigne d’une solution politique à la crise syrienne dont dépend à la fois notre sécurité, l’avenir de la Syrie et la sécurité de ses voisins. Elle pourrait aussi, à terme, favoriser même la reprise d’une offensive militaire dans le nord-ouest, sur Idlib, parallèlement à la reprise en main par le régime du nord-est. Tout cela est désormais largement soumis à la volonté de la Russie et de la Turquie.
Dans ce contexte, le début des travaux du Comité constitutionnel, aujourd’hui même, à Genève, est un pas positif mais qui apparaît éloigné de la réalité de la situation sur le terrain, et qui ne vaudra que s’il s’accompagne de mesures concrètes sur le plan politique, dont on ne voit pas, pour l’instant, le début.
Dans ce contexte, la France a proposé, dès le début de l’offensive turque, une réunion ministérielle de la coalition contre Daech. Nous étions en effet extrêmement surpris du fait que, lorsque la coalition contre Daech s’est engagée, l’ensemble des pays s’est réuni pour décider d’une initiative commune, et que, alors que l’on commençait à avoir des victoires territoriales significatives, à un moment donné, deux membres de la coalition, les Etats-Unis d’Amérique et la Turquie, sans consulter la coalition contre Daech, ont pris des initiatives qui vont à l’inverse de la logique de lutte contre le groupe terroriste. Cette initiative nous paraissait inacceptable. Nous avons sollicité la réunion de la coalition. L’ensemble des membres de l’Union européenne a approuvé notre démarche et cette réunion, finalement, va se tenir le 14 novembre prochain. La France y participera, évidemment, et j’y porterai un message franc et exigeant en direction de nos partenaires. Ce sera la réunion de la clarification et de la vérification. C’est dans quinze jours.
D’abord, nous devrons nous mettre d’accord sur la nécessité de poursuivre les efforts de la coalition contre Daech, et de mettre à jour des plans, pour cela, faire en sorte que chacun prenne en compte l’évolution de ces dernières semaines. Nous souhaitons qu’à cette occasion chacun des membres de la coalition assume ses responsabilités et que nous puissions ensuite en tirer les uns et les autres les conclusions, dans ce contexte nouveau.
Une clarification de chaque partenaire de la coalition, une clarification des intentions de chaque partenaire de la coalition, s’impose désormais. La question est simple : comment poursuivre ensemble la lutte contre Daech ? La réponse doit être claire. La parole doit être fidèle, elle doit être aussi en cohérence, en soutien et en maintien du respect et de l’autonomie des Forces démocratiques syriennes. C’est le grand enjeu de cette réunion ministérielle que nous avons souhaitée et qui va enfin se réunir pour la clarification indispensable.
Je souhaite aussi que cette réunion de la coalition puisse permettre une discussion très franche sur la question des combattants de Daech. C’est une question centrale pour la sécurité de la région. C’est une question centrale pour la sécurité de l’Irak. Mais c’est une question centrale aussi pour la sécurité de la France, et même si je comprends la répétition des interrogations concernant les combattants français, qui sont 62, chiffre important, mais par rapport aux plus de 10.000 combattants de Daech qui sont aujourd’hui dans les prisons dans le nord-est syrien, c’est un chiffre faible, et il faut globalement traiter la question des combattants : faire en sorte que pour les Russes, pour les Tunisiens, pour les Marocains, pour les Irakiens, cette question soit centrale, et que nous puissions y apporter une réponse collective, avec ceux qui voudront bien apporter une contribution à cette réponse.
Enfin, cette réunion de la coalition devra faire un point précis sur nos activités de soutien humanitaire et de stabilisation dans ce cadre. Au-delà du nord-est syrien, l’Irak, qui fait l’objet d’un contexte très difficile, doit aussi pouvoir bénéficier des aides et soutiens face à l’afflux de réfugiés supplémentaires dont il bénéficie depuis la Syrie.
Au-delà de la coalition et de cette réunion de vérification et de clarification, il importera, aussi, puisque certains d’entre vous l’ont souligné, que l’on clarifie au moment du sommet de l’OTAN de début décembre, soit quinze jours après, le statut de la Turquie alliée de l’OTAN. Cette réunion doit être l’occasion d’un échange important entre alliés, d’un échange franc, d’un échange exigeant, d’un échange avec la position américaine, et d’un échange avec la position turque. Comme vous le savez, le président de la République a fait part de sa disponibilité pour participer à une rencontre préparatoire avec le Premier ministre britannique, la chancelière allemande et le président turc pour évoquer, avant cette réunion, l’état de nos relations avec la Turquie. Cette offre est toujours sur la table, dans une volonté de clarification très nette des intentions des uns et des autres. Je vous rappelle que nous avons suspendu notre aide à la Turquie. Je vous rappelle aussi que nous aurons à cet égard, dans les deux rencontres qui auront lieu, une position extrêmement ferme, extrêmement claire et extrêmement exigeante.
Mais je veux revenir en conclusion sur un point sur lequel j’ai été incité par quelques interventions. J’ai eu l’occasion de dire à l’Assemblée nationale, il y a quelques jours, que j’ai vécu deux moments tragiques de la guerre civile syrienne. Le 31 août 2013, comme ministre de la défense j’ai vu l’impact d’une décision américaine de non-action. Le 13 octobre 2019, comme ministre des affaires étrangères, j’ai vu les conséquences d’une nouvelle décision de non-action américaine. Nous sommes, à partir de cette crise, me semble-t-il, devant un tournant stratégique, et ce tournant stratégique montre l’impérieuse nécessité d’un vrai sursaut européen vers plus de souveraineté européenne et plus d’autonomie stratégique européenne. Le temps du partage des responsabilités est venu, le temps de faire en sorte que l’Europe assume ses responsabilités est venu. Le temps de l’exigence européenne est venu, sinon c’est l’Europe qui sortira de l’Histoire. Et à cet égard, il faut bien reconnaître que cette situation, la concomitance entre l’action turque et l’action américaine, sème un trouble dans la relation transatlantique. Je tenais à le dire, ici, en conclusion de ce débat.
Je dois dire, au nom du gouvernement, que nous apprécions l’unanimité qui se dégage et la volonté de faire en sorte de poursuivre le combat contre le terrorisme et d’affirmer ici solennellement notre solidarité avec les Forces démocratiques syriennes.
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