" Nous, citoyens français, ne voulons plus que l’on tue ou laisse tuer en notre nom. Nous ne pouvons oublier le crime commis par l’État français au Rwanda en 1994 en apportant son soutien aux organisateurs du génocide. Une mission d’information parlementaire a rendu un volumineux rapport en décembre 1998 où de graves erreurs ou des " maladresses " dans la conduite de la politique de la France sont reconnues et qui apportent des informations non négligeables. Mais d’une part, il n’y a pas eu d’instruction contradictoire et d’autre part, la conclusion qui en a été tirée par son président Quilès " la France n’est pas impliquée dans ce déchaînement de violences " est démentie par les faits décrits même dans ce rapport. Péché véniel donc, les dirigeants français, comme l’Eglise, s’arrogent le droit de statuer sur la gravité de leur propre faute et s’administrent à eux-mêmes l’absolution.
Depuis, conséquence directe du génocide de 1994, nous avons vu la guerre se propager au Zaïre, les tueries ensanglanter le Congo Brazzaville où la France encore une fois a joué un rôle indigne. Mais la mission d’information a pleinement réussi son objectif de contre-feu. Les médias ne parlent plus de ce que la France a fait au Rwanda, mais, au contraire, du régime " prédateur " de Kigali qui a envahi le Congo voisin pour " s’emparer de ses richesses ". Certes le Rwanda actuel nous interroge. Nous n’apportons aucun soutien à l’intervention rwandaise au Congo Kinshasa, mais, citoyens français, il n’est pas question pour nous de demander des comptes au régime de Kigali sans en demander d’abord à nos gouvernants sur des faits antérieurs. (...) Dans un autre débat public en cours, les dirigeants français refusent de reconnaître la responsabilité de l’État dans les tortures et exécutions sommaires durant ce qu’on appelait les opérations de maintien de l’ordre en Algérie. (...) Dans le même temps, le Parlement français reconnaît le génocide arménien de 1915, ce qui est heureux, mais témoigne d’une fâcheuse tendance à battre sa coulpe sur la poitrine des autres, en l’occurrence en oubliant la conquête de l’Algérie, les colonnes infernales de Bugeaud, la répression de 1871, celle de 1945 et les crimes commis lors de la " pacification " de 1954 à 1962.
(...) Les propos récents du ministre des Affaires Étrangères Hubert Védrine au Rwanda, n’exprimant aucune excuse, aucun regret, pour le génocide de 1994, contrairement aux représentants de la Belgique et des États-Unis, démontrent que la classe politique française n’a vraiment pas compris le "Nie wieder dass", le "plus jamais ça" que l’on lit en Allemagne, à Nuremberg, ancien haut-lieu du nazisme. L’émotion suscitée par les attentats du 11 septembre 2001 à New-York et Washington, pour légitime qu’elle soit, montre comparativement à l’apathie devant le génocide rwandais, la mesure de la différence que nous faisons entre la vie d’un homme aux États-Unis d’Amérique et celle d’un homme au fin fond de l’Afrique.
A l’heure des bilans que sont les campagnes électorales pour l’élection du président de la République et des députés, nous voulons exprimer en tant que citoyens un halte-là, un " plus jamais ça ", à l’adresse des politiques, nous ne voulons plus que l’on tue ou laisse tuer en notre nom. Nous voulons que la classe politique et l’élite de notre pays cesse de commettre ou de faire commettre des crimes ignobles tout en claironnant par toute la terre que nous sommes la Patrie des Droits de l’Homme. Nous refusons que la politique outre-mer des gouvernements de la République soient le revers monstrueux des valeurs proclamées comme fondamentales en métropole. (...) Parce que la France doit redevenir la Patrie des Droits de l’Homme, nous nous proposons de rédiger un projet de mise en cause devant la justice de notre pays des responsables français pour complicité dans le génocide de 1994 au Rwanda. "
Jacques Morel
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