" On peut reprocher à la démission en bloc du gouvernement néerlandais en réponse au rapport sur le massacre de Srebrenica d’être un geste purement symbolique, mais elle est tout de même une contribution notable en faveur de la justice pour les victimes de génocide, de crimes contre l’humanité et d’épuration ethnique. Des rapports tout aussi accablants concernant les actions des Nations Unies et du gouvernement belge au cours du génocide de 1994 au Rwanda n’ont, quant à eux, pas reçu de réaction adéquate
Il existe des rapprochements troublants entre les atrocités commises à Srebrenica en juillet 1995 et le massacre de plus de 2.500 femmes, enfants et hommes sans défense à l’ETO et à Nyanza, au Rwanda, le 11 avril 1994. Dans les deux cas, les soldats onusiens du maintien de la paix ont failli aux civils qui comptaient sur leur protection. Les récits des survivants de Srebrenica ont ému et choqué des gens aux quatre coins du monde. Mais l’horreur totale des événements survenus à l’ETO, une école de Kigali, et sur la colline voisine de Nyanza, n’a guère été médiatisée. Il y a à peine plus d’un an, African Rights publiait un rapport de 112 pages, Livrés à la mort à l’ETO et à Nyanza : Les histoires de civils rwandais abandonnés par des troupes de l’ONU le 11 avril 1994 pour donner la voix aux survivants de ces massacres. Leurs témoignages angoissés, décrivant comment les troupes belges de la Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda (MINUAR) les laissèrent mourir aux mains des troupes gouvernementales et d’une meute de miliciens assoiffés de sang, sont à peine supportables.
Des personnes déplacées avaient déferlé en masse à l’ETO, croyant que la MINUAR les protégerait des génocidaires. Au lieu de cela, elles furent abandonnées. La plupart des réfugiés étaient des Tutsis-les cibles du génocide-mais il se trouvait aussi parmi eux des politiciens d’opposition hutus et leur famille. Aucun d’eux n’avait conscience du fait que l’évacuation des ressortissants étrangers était au coeur des préoccupations internationales durant les premiers jours critiques des tueries. Ils ne comprirent la triste réalité que le 11 avril lorsque les troupes belges les désertèrent sans crier gare ni prendre la moindre mesure pour garantir leur sécurité. Dans Livrés à la mort à l’Eto et à Nyanza les survivants donnent une description graphique du massacre par la milice interahamwe qui commença alors même que les véhicules onusiens quittaient l’enceinte de l’école. Ils décrivent ensuite un second bain de sang à Nyanza, où les survivants de l’ETO furent contraints de se rendre et où, au bout d’une marche forcée, la plupart d’entre eux furent assassinés un peu plus tard le même jour.
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a condamné l’un des chefs du massacre¾Georges Rutaganda, le deuxième vice-président de la milice interahamwe. Mais il convient d’en poursuivre d’autres si l’on veut que justice soit faite. Notamment, il serait bon d’ouvrir une enquête sur le rôle du Colonel Léonidas Rusatira, ancien commandant de l’école militaire supérieur (ESM). Aujourd’hui, Rusatira vit en Belgique où il est connu des autorités. De fait, il figurait parmi les Rwandais ayant témoigné devant la Commission d’enquête parlementaire belge concernant les événements du Rwanda, qui a rendu son rapport en décembre 1997.
Les survivants accusent Rusatira de s’être rendu à l’école à deux reprises, la deuxième fois peu avant le déclenchement du massacre de l’ETO. Le TPIR a déjà accepté le témoignage selon lequel Rusatira évacua les réfugiés hutus de l’ETO juste avant le massacre et donna l’ordre de conduire les réfugiés tutsis à Nyanza. African Rights a entendu un certain nombre d’allégations concernant Rusatira, certaines émanant de résidents locaux hutus, selon lesquelles il organisait des réunions pour les interahamwe et assurait la distribution de fusils.
Tout comme à Srebrenica, les erreurs et les préjugés qui ont entraîné la mort de civils sans défense ne sont pas la seule responsabilité d’un gouvernement particulier ou d’un individu précis. Certaines décisions prises par le Conseil de Sécurité et les Nations Unies ont contribué à ces deux tragédies. Mais la démission du gouvernement néerlandais a souligné, avec une candeur rafraîchissante, qu’il serait trop facile de passer l’éponge et de tourner le dos à ses responsabilités en cas d’échec grave pour la simple raison qu’il aurait eu lieu loin de ses frontières. Toutes les personnes impliquées dans les décisions cruciales de retirer la quasi-totalité des troupes de la MINUAR et de limiter le mandat des quelques soldats restants devraient aller bien au-delà des admissions et des excuses formulées jusqu’ici. Celles-ci ne suffisent pas face à la douleur et aux souffrances quotidiennes des survivants de l’ETO et de Nyanza certes, mais aussi celles de tous les survivants du génocide du Rwanda. African Rights prie instamment les personnes responsables de mettre tout en oeuvre pour convaincre les survivants qu’elles ont tiré des enseignements, aussi bien à un niveau personnel qu’à un niveau institutionnel, de cette tragédie. Dans le cas du gouvernement belge, la prise de mesures urgentes en vue de traduire le Col. Léonidas Rusatira en justice serait un premier pas important dans la bonne direction ".
Le 19 avril 2002
African Rights BP 3836, Kigali, Rwanda
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rights@rwandatel1.rwanda1.com ou afrights@gn.apc.org
ndlr : le colonel Rusatira vient d’être arrêté par la justice belge sur demande du TPIR
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