Claire Chazal : Bonjour Monsieur le Président.
François Hollande : Bonjour.
Claire Chazal : Merci beaucoup de nous recevoir à l’Elysée pour cette quatrième interview du 14 juillet avec David Pujadas.
David Pujadas : Bonjour.
Claire Chazal : Nous allons bien sûr, aborder les dossiers les plus brûlants ; la Grèce, le terrorisme et la sécurité ; l’accord avec l’Iran intervenu ce matin, mais aussi l’économie et la politique.
Les Européens sortent donc, d’un long marathon sur la Grèce, Monsieur le Président. Beaucoup d’argent va être engagé pour Athènes, on va en parler dans un instant, il y a bien sûr, un effort considérable de solidarité avec les Grecs qui est fait. Mais est-ce que la Grèce n’a pas été, sinon humiliée, du moins mise sous tutelle et contrainte à un plan d’austérité très dur pour elle ?
François Hollande : Nous sommes le 14 juillet et c’est la France qui est finalement notre invitée pour ce rendez-vous. La France, quel était son rôle pour cette négociation sur la Grèce ? C’était de faire en sorte que ce soit l’Europe qui en sorte victorieuse, que la Grèce bien sûr puisse obtenir le soutien, la solidarité indispensable, puisse rester dans la zone euro. C’était ce que j’avais dit comme objectif et pour que la France aussi, puisse être pleinement utile, utile à l’Europe, utile à la Grèce mais aussi conforme à son rôle qui est de permettre qu’il y ait une idée plus grande que nous avec l’Europe. Et que l’on puisse bâtir un espace politique avant même de savoir s’il fallait aider et comment, la Grèce. Et ce qui a été obtenu, c’est que la Grèce reste dans la zone euro. Je voulais aussi veiller sur les intérêts de la France, l’argent des Français car, vous l’avez dit, Claire Chazal, il y aura 85 milliards qui vont être prêtés non pas par la France, mais par l’Europe.
David Pujadas : La France en est une des garanties.
François Hollande : La France en est une des garanties.
David Pujadas : En cas de défaillance de la Grèce, cela peut nous coûter de l’argent.
François Hollande : C’est d’ailleurs pour moi un point qui était décisif. Il fallait alors que je veille aussi, à ce que l’argent des Français, d’abord celui qui avait déjà été prêté à la Grèce puisse être sauvegardé. C’est pour cela que je me battais contre la sortie de la Grèce de la zone euro parce que si la Grèce sortait de la zone euro, c’était la moitié de ce qui avait été prêté par la France ou par les autres pays à la Grèce qui était perdu. Et puis, je voulais faire en sorte que la Grèce puisse se redresser de manière à ce que les fonds qui vont être mis à disposition de ce pays ami, puissent être au bénéfice de la croissance en Grèce, j’allais dire aussi de la stabilité en Europe et c’est cette conception là qui l’a emporté. Alors, je ne dis pas que c’est la France qui a gagné, parce que cela ne serait pas conforme à l’idée que je me fais. C’est l’Europe qui a gagné et la France qui a trouvé toute sa place et a joué tout son rôle.
David Pujadas : Mais la Grèce n’est pas humiliée comme disait Claire ? Est-ce que cela n’est pas un plan qui l’humilie avec notamment, cette perte de souveraineté sur ce fonds de sauvegarde ?
Claire Chazal : C’est-à-dire qu’elle ne pourra pas décider seule finalement !
François Hollande : C’était un risque que la Grèce puisse être humiliée. Si elle avait été sortie, comme cela licenciée, abandonnée, lâchée par la zone euro. Cela eût été une humiliation, qu’un pays que l’on a fait entrer, à la fin des années 70, c’était le président Giscard d’Estaing qui était à l’époque responsable des intérêts de notre pays…
Claire Chazal : Il n’a pas regretté d’ailleurs de l’avoir fait.
François Hollande : Non, mais il n’y avait pas à regretter, nous avons fait entrer ce pays après qu’il ait connu la dictature et puis ensuite, nous lui avons permis d’entrer dans la zone euro. C’était une période où c’était Jacques Chirac et Lionel Jospin qui étaient aux affaires du pays. Et je crois qu’il fallait donner aussi, cette chance. Mais après, il y a eu sans doute un abandon des contrôles, des vigilances, donc la Grèce s’est retrouvée dans cet état. A partir de là, l’humiliation, c’eût été de la chasser. Il faut lui demander des réformes, c’est bien légitime.
Claire Chazal : Très dures.
François Hollande : Elles sont dures parce qu’elles n’ont pas été faites par le passé. Mais le peuple grec, lui, a souffert, c’est-à-dire qu’il n’y a pas eu de réforme en Grèce pendant ces dernières années. Mais c’est le peuple grec, c’est souvent les plus pauvres des Grecs qui ont été amenés à faire le plus grand sacrifice , j’ai donc voulu qu’il y ait des réformes qui puissent permettre qu’il y ait de la croissance demain en Grèce et pas de l’austérité supplémentaire.
David Pujadas : Mais Monsieur le Président, qu’est-ce qui vous fait croire, parce qu’il y a déjà eu plusieurs plans, on a déjà parlé d’accord historique, qu’est-ce qui vous laisse penser que cette fois-ci, ce sera la bonne, que la Grèce est tirée d’affaire, que le problème grec est résolu ?
François Hollande : D’abord parce que les Grecs se sont engagés sur des réformes qui vont être votées non pas dans quelques mois …
David Pujadas : Ils s’étaient déjà engagés auparavant !
François Hollande : Oui mais là, elles vont être votées !
Claire Chazal : Et ils avaient dit « non » par référendum à un plan plus souple, j’allais dire moins dur !
François Hollande : Ils avaient dit « non » sans doute à un sentiment d’humiliation et là, c’est la Grèce qui a proposé des réformes puisque le Premier ministre Tsipras a fait voter ces réformes avant même qu’il ne vienne à la table du Conseil de la zone euro. Et je crois qu’il a bien fait. Et là, ce qui lui a été demandé, c’est de faire voter encore demain, après-demain, des réformes importantes pour son pays, pour que nos Parlements puissent, parce que j’ai voulu que les Parlements nationaux puissent être saisis de la question de la Grèce,lui apporter le soutien nécessaire.
Mais je reviens sur l’humiliation parce que moi, je n’accepte pas qu’un peuple puisse être humilié, surtout en Europe parce que ce n’est pas du tout ma vision de l’Europe. L’Europe, n’est pas faite contre les Nations, elle est faite pour que chaque Nation puisse se retrouver plus forte et la France y veille en particulier parce que c’est ce que j’ai toujours voulu du destin européen, que ce soit un élément de plus pour la force de la France. Donc il n’était pas question d’humilier un peuple. Et vous en trouverez beaucoup des pays qui vont toucher 85 milliards d’euros de financement supplémentaire de l’Europe, qui vont avoir 35 milliards d’investissements, qui vont être financés par l’Europe, qui vont avoir un rééchelonnement de leur dette grâce à l’Europe et qui vont même avoir un financement de court terme pour assurer les traites qui ne sont pas payées par la Grèce ? Donc il y a eu une vraie solidarité à l’égard de la Grèce mais j’ai senti à un moment et c’est pour cela que je me suis mobilisé à ce point, j’ai senti qu’il y avait chez nos partenaires, en tout cas chez certains d’entre eux ou dans l’opinion publique, l’idée que l’on pouvait maintenant pour le bonheur des Grecs sans doute …
Claire Chazal : Les Allemands eux-mêmes étaient au fond pour …
François Hollande : …les mettre de côté et leur dire « vous n’avez plus votre place, on vous licencie pour quelques années et puis, vous reviendrez plus tard ». Alors, c’était une épreuve de vérité, je pense que l’Allemagne avec Madame Merkel qui a pu avoir un moment une interrogation, il fallait ….
David Pujadas : C’est vous qui l’avez convaincue …
François Hollande : …rassurer. Dire que des conditions allaient être posées mais que l’Allemagne devait être au rendez-vous de l’Europe. Madame Merkel l’a parfaitement compris et puis, il y avait Alexis Tsipras, le Premier ministre grec. Vous avez eu raison, il a été élu sur un programme très à gauche et il se retrouve en train de porter des réformes qui sont des réformes difficiles. Il a été courageux. Alexis Tsipras a été courageux, à 6 heures du matin de dire, quand il faut dire qu’il est d’accord. Il se bat, il se bat pour que le fonds qui avait été constitué-nous n’allons pas rentrer dans les détails- pour donner des gages en termes de privatisation aux créanciers, c’est-à-dire aux Européens, il a dit : « non, il faut que ce fonds soit en Grèce. ». Je l’ai appuyé. Il a dit « il faut que ce fonds puisse être utile à l’investissement » et je l’ai soutenu. Il a ensuite dit « avec ces conditions-là, je suis d’accord » au risque même de perdre une partie de ses soutiens parce qu’à un moment, ce qui caractérise un homme d’Etat, une femme d’Etat, – je veux dire, bien sûr que nous avons été élus sur un programme, bien sûr que nous avons des engagements, bien sûr que nous avons des idéaux mais il y a un moment quelque chose qui nous dépasse tous – c’est la patrie. C’est ce que nous devons faire pour la France, pour un pays, en l’occurrence lui pour la Grèce.
David Pujadas : Alexis Tsipras, vous lui faites confiance aujourd’hui ? Vous ne vous êtes pas senti trahi comme d’autres se sont sentis trahis au moment où il a annoncé un référendum ? Vous lui faites absolument confiance ?
François Hollande : Moi, je lui avais conseillé de ne pas faire ce référendum alors même qu’il l’avait annoncé parce qu’il pouvait trouver un accord sans cette procédure. Il l’a voulu, les Grecs ont voté ; je respecte toujours les procédures démocratiques. Ensuite, arrive le vote « non ». Nous nous sommes téléphoné avec Alexis Tsipras. Je lui ai dit : « maintenant tu es plus fort dans ton pays, c’est sûr, avec ce référendum, mais tu es plus faible en Europe. Est-ce que vous voulez rester ou pas dans la zone euro ? Si vous ne voulez pas rester, il y a suffisamment de pays qui peuvent adhérer à cette proposition, vous n’aurez aucun mal à convaincre, vous aurez du mal à le faire accepter à la France mais vous pouvez partir. Si vous voulez rester, alors, il faut donner des preuves. La France vous soutiendra, ce que j’ai fait, mais vous devez donner des preuves » et je lui ai donné cette formule « Aide-moi à t’aider », « Aide la France à aider la Grèce » et la Grèce a fait les gestes qui étaient attendus et la France a été là.
Claire Chazal : Monsieur le Président, vous avez parlé tout à l’heure de l’Allemagne qui a évidemment montré des positions très divergentes, en tout cas au début des négociations. Est-ce que vous diriez aujourd’hui que le couple franco-allemand en sort affaibli ?
François Hollande : Non. Nous avons, avec madame Merkel, depuis trois ans, établi des relations. Au départ, il faut se comprendre, il faut essayer de savoir, non pas simplement à quelle sensibilité politique ou à quel intérêt national nous avons affaire, mais à quelle personnalité. Il y a un lien entre madame MERKEL et moi-même qui s’est établi et il est fondé sur l’intérêt de l’Europe. Chaque fois qu’il a fallu faire des choix, même si cela pouvait contrarier une partie de nos opinions publiques, nous avons fait le choix de l’Europe.
Par exemple, nous avons passé une nuit entière sur l’Ukraine, avec le Président Poutine et le Président Porochenko. Nous avons trouvé un accord, ce qu’on a appelé l’Accord de Minsk. Lorsqu’il s’est agi notamment pour l’Europe, de monter ce qu’on a appelé l’Union bancaire, pour éviter qu’il y ait encore des faillites de banques ou qu’il y ait des crises comme nous en avons connu ces dernières années, nous avons trouvé un accord.
Toute cette nuit-là, pour la Grèce, il fallait que je convainque Madame Merkel, il fallait que Madame Merkel puisse elle-même avoir des éléments de confiance. C’est ce qu’elle demande toujours.
Claire Chazal : Vous avez eu peur à un moment qu’elle ne vous suive pas ?
François Hollande : Oui, à un moment, c’était possible. Puis, j’avais établi aussi des relations avec le Premier ministre grec, qui pouvaient permettre qu’il y ait de nouveau la confiance. Sans le couple franco-allemand, il n’était pas possible d’obtenir l’accord. Avec lui, il n’était pas évident que les autres pays suivraient. Mais c’était une garantie.
Quand la France et l’Allemagne sont unies, on dit que c’est un directoire, et c’est la pire des positions, car ce n’est pas la France et l’Allemagne qui doivent conduire l’Europe. Mais quand l’Allemagne et la France ne sont pas unies, l’Europe ne peut pas avancer. Donc, cette nuit-là, l’Europe a pu avancer parce que la France et l’Allemagne ont été unies.
David Pujadas : Un dernier point peut-être, Monsieur le Président, sur cette crise grecque. Quelle leçon en tirez-vous pour la zone euro ? Est-ce qu’il faut que la zone euro franchisse un nouveau pas, notamment en matière d’intégration, c’est-à-dire pourquoi pas une fiscalité commune, d’autres règles communes. Est-ce que vous avez des propositions à faire ?
Claire Chazal : Est-ce qu’il y a des tabous, pour compléter cette question. Est-ce qu’au fond, la sortie de l’euro est un tabou, est une règle absolue ?
François Hollande : Quand je vois l’obstination avec laquelle les Grecs, malgré tous les efforts qui leur ont été demandés, ont voulu rester dans la zone euro, je me demande encore pourquoi il y en a, y compris dans notre pays, qui voudraient en sortir. Parce que la zone euro est une garantie, c’est une protection, c’est une sécurité.
David Pujadas : Alors, l’intégration ?
François Hollande : Depuis trois ans au moins, il y a eu une intégration plus forte. Je vous ai parlé de l’Union bancaire et aussi des disciplines budgétaires, nous avons fait des convergences. J’en ai tiré cette leçon-là aussi, avec la crise – qui dure depuis des années – de la zone euro, de la Grèce qui connait ces difficultés. Il nous faut avancer. Je proposerai donc que nous puissions aller plus loin, bien sûr en cohérence avec l’Allemagne, sur le Gouvernement économique, parce qu’il faut qu’il y ait un Gouvernement économique de la zone euro.
David Pujadas : La France prendra une initiative ?
François Hollande : La France, avec ses partenaires. La France va établir un document pour dire – ce sera bien sûr partagé avec nos amis Allemands – voilà ce que nous pouvons faire pour un Gouvernement économique. Nous pouvons aussi, dans une seconde étape, aller plus loin et avoir un budget de la zone euro, pour pouvoir agir en termes d’investissements, y compris pour les pays qui sont les plus en retard.
David Pujadas : Réorienter l’Europe, comme vous souhaitiez le faire depuis 2012 ?
François Hollande : Donner à l’Europe des bases plus solides, des moyens d’action plus forts, mais dans l’intérêt des peuples, pas pour les brider, pas pour brimer. Pour faire en sorte que cet espace politique, qui est formidable quand même – 400 millions d’habitants, première puissance économique du monde – puisse se faire entendre et puisse ne pas être regardé par l’ensemble de la planète comme un espace où il y a des difficultés.
Franchement, j’ai beaucoup d’estime pour le Président Obama, mais quand il me téléphone pour me dire : « Alors, comment va la zone euro ? » Je préférerais lui dire : « Comment va la zone dollar ? » Il faut que nous soyons plus forts, plus forts en France et plus forts avec nos amis Européens.
Il y a le Gouvernement économique, il y a le budget de la zone euro, et puis, aussi une démocratie qu’il faut installer davantage. Regardez ce qui s’est passé avec la Grèce ; c’est toujours les gouvernements, c’est bien légitime, mais les peuples peuvent quelques fois être entendus. Il y a des référendums. Il faut aussi qu’il y ait une présence plus forte des parlementaires, de ceux qui représentent les nations. A terme, je souhaite donc qu’il y ait aussi un Parlement de la zone euro.
David Pujadas : C’est dans quelques mois ces initiatives ?
François Hollande : Les initiatives vont être prises, et puis, il y a aussi une convergence – vous l’avez évoquée – fiscale, une convergence sociale. Là, il faut commencer avec nos amis Allemands. Ils sont quelque fois regardés comme un exemple, quelque fois comme un contre-exemple.
David Pujadas : Ils imposent une Europe de la rigueur quand même.
François Hollande : Cela dépend de comment nous faisons. Nous, en ce moment – nous allons en parler – nous baissons les impôts, après les avoir quand même augmentés. Ce que nous voulons, c’est donc, avec l’Allemagne, pouvoir avoir une convergence sur les politiques fiscales et aussi les politiques sociales. Mais faisons en sorte que nous puissions le faire aussi pour protéger davantage et pas pour abimer les protections nécessaires.
Claire Chazal : Monsieur le Président, il y a beaucoup de sujets à aborder. Ce matin même, un accord a été trouvé avec Téhéran sur le programme nucléaire iranien et la levée de l’embargo. Est-ce que, déjà, l’on peut faire confiance au régime des Mollahs, au régime de Téhéran ?
François Hollande : C’est un accord très important qui a été signé cette nuit. Décidément, le monde avance. Cela faisait douze ans, douze ans, qu’il y avait des négociations. Et là, enfin, il y a un aboutissement. La France a été très ferme dans cette négociation et Laurent Fabius l’a conduite avec beaucoup de rigueur et également de fermeté.
Qu’est-ce qu’était ma préoccupation ? Eviter la prolifération nucléaire. Cela veut dire quoi la prolifération nucléaire ? Cela voulait dire que l’Iran puisse accéder à l’arme nucléaire. Si l’Iran accédait à l’arme nucléaire, l’Arabie Saoudite, Israël, d’autres pays voudraient également accéder à l’arme nucléaire. Ce serait un risque pour la planète tout entière. Donc, il fallait empêcher que l’Iran puisse accéder à l’arme nucléaire. Là, l’Iran vient d’accepter de réduire ses capacités, ses centrifugeuses.
Deuxième intérêt, deuxième objectif, il fallait que nous puissions vérifier. Parce que cela est trop simple, on dit « je renonce, mais vous ne pouvez pas entrer sur mon territoire pour vérifier ». Il y aura donc des vérifications qui seront faites.
Le troisième objectif que j’avais, avec Laurent Fabius, dans cette négociation, était que nous puissions, certes, lever les sanctions – parce qu’il y a des sanctions sur l’Iran – mais les remettre s’il y avait le moindre manquement.
Claire Chazal : On est sûr que cela, cela peut…
François Hollande : Donc, l’Iran n’aura pas accès à l’arme nucléaire, premier point. Nous pourrons vérifier. S’il y a des manquements, nous pourrons remettre les sanctions.
David Pujadas : Donc, au-delà de la confiance, il y a un mécanisme, c’est ce que vous dites ?
François Hollande : Il y a un mécanisme. Ce mécanisme sera également porté par une organisation internationale compétente pour le faire.
David Pujadas : La France avait fait le choix jusque-là, d’alliances avec les monarchies sunnites, notamment l’Arabie Saoudite, vous avez vous-même été accueilli là-bas, très bien accueilli. Est-ce qu’on n’est pas un peu pris à revers par ce changement et par le retour de l’Iran, la grande puissance chiite, dans le concert des Nations ?
François Hollande : La France, si elle veut assurer la paix, doit parler avec tous, mais avec les principes qui valent pour tous. Pour l’Iran, tant qu’il y avait cette menace nucléaire, ce n’était pas possible. D’ailleurs, l’Iran a été sanctionné sur le plan international. Quand l’Iran, en plus, soutient un certain nombre de groupes armés qui déstabilisent des pays, ce n’est pas acceptable. Je l’ai dit aux Iraniens.
Quant aux autres pays, arabes et aux monarchies du Golfe, nous leur disons ; vous devez aussi jouer un rôle pour lutter contre le terrorisme. Et là aussi, avoir des garanties, elles ont été prises ces garanties. Donc, nous ne voulons pas faire qu’il y ait une opposition entre l’Iran, ce qu’on appelle un pays chiite, et d’autres qui seraient, l’Arabie Saoudite et d’autres pays, qui seraient sunnites. Ce serait jouer avec des divisions extrêmement dangereuses. Nous devons donc porter les mêmes principes et parler avec tous.
Et là, maintenant que l’Iran va avoir des capacités plus grandes sur le plan financier, puisqu’il n’y aura plus de sanctions, nous devons être extrêmement vigilants sur ce que va être l’Iran. L’Iran doit montrer – je vais prendre un sujet extrêmement précis – sur la Syrie, que ce pays est prêt à nous aider à en finir avec ce conflit.
Claire Chazal : Cela nous permet évidemment une transition sur le terrorisme, la France a dû faire face à plusieurs attentats depuis le début de l’année, parfois avec des mises en scène macabres. Est-ce qu’il n’y a pas eu, au-delà bien sûr du rôle des forces de sécurité, un dysfonctionnement dans notre système de renseignement ?
François Hollande : Depuis que je suis dans la responsabilité de chef de l’Etat, j’ai renforcé sans cesse les services de renseignement. Je fais en sorte qu’ils puissent travailler en assurant notre liberté, mais en même temps avec des moyens supplémentaires. Cela a été des moyens budgétaires, cela a été des moyens en personnels et nous avons fait voter deux lois antiterroristes et maintenant une loi sur le renseignement.
Pourquoi ? Parce que cette question du renseignement, est majeure. Je n’ose pas dire tous les jours, mais toutes les semaines, nous arrêtons, nous empêchons, nous prévenons des actes terroristes. Je n’ai pas ici, à faire des conférences de presse, pour en informer les Français. C’est ce qui se passe, grâce aux services de renseignement, grâce aussi aux services de police et de gendarmerie, grâce aussi, à notre action à l’extérieur.
Donc, il ne faut pas que lorsqu’il se produit, et il s’en est produit, des actes tragiques depuis le début de l’année, l’on puisse tout de suite mettre en cause les services de renseignement. Je n’accepte pas cette mise en responsabilité. En revanche, je pense que nous devons encore améliorer notre système. C’est le sens de la loi sur le renseignement.
Il y a à peu près 1 700 personnes qui sont parties de France pour aller combattre en Syrie ou en Irak. Certains sont revenus. Nous les avons arrêtés. Ils sont aujourd’hui, pour beaucoup, en prison. Il y a aussi ceux que nous surveillons. Il y a aussi ceux qui voudraient partir et que nous essayons d’empêcher ou que nous arrêtons. Et puis, il y a des personnes qui sont signalées, que nous surveillons.
Claire Chazal : … Les suivre, c’est très difficile…
François Hollande : Que nous surveillons aussi. Et puis, il y en a d’autres, quelques fois, c’est arrivé, notamment pour cet horrible assassinat qui s’est produit à Saint-Quentin, dans l’Isère, il y a ceux qui s’étaient cachés, qui n’avaient pas eu d’activité et qui, à un moment, se découvrent.
David Pujadas : Vous êtes inquiet, toujours inquiet ?
François Hollande : Nous sommes mobilisés. Je ne veux pas que les Français puissent avoir le moindre doute sur le dispositif que nous avons mis en place. Actuellement, il y a 30 000 policiers, gendarmes et militaires qui surveillent des sites, 30 000.
David Pujadas : Cela peut durer ?
François Hollande : Cela va durer.
David Pujadas : A ce niveau-là de surveillance ?
François Hollande : Oui.
David Pujadas : De mobilisation des forces de police et de gendarmerie ?
François Hollande : Je sais ce que cela représente pour les personnels. Beaucoup de fatigue.
David Pujadas : On l’a vu déjà, il y a des unités qui donnent des signes de faiblesse…
François Hollande : Bien sûr. Il y a beaucoup de renoncements à des droits et notamment pour leurs congés. Je sais ce que cela représente aussi, comme pression psychologique et comme coûts financiers, puisque j’ai été amené, même dans ce contexte budgétaire difficile, à ajouter des crédits pour nos armées.
David Pujadas : Combien de temps cela peut durer à ce niveau-là de prévention de surveillance ?
François Hollande : Pour l’année 2015, ce sera tout au long de ces prochains mois. Rien ne sera relâché. Pour être sûr que notre dispositif soit assuré pour les prochains mois, j’ai dégagé, avec le Parlement, qui va maintenant confirmer ce choix, les crédits indispensables. Il y aura 10 000 militaires qui seront en opération sur notre sol, qui le sont déjà…
David Pujadas : Toute l’année 2015.
François Hollande : … Pour faire ce travail de vigilance, 7 000 qui sont sur les sites, 3 000 qui sont mobilisables, en plus donc des policiers et des gendarmes. Ensuite, nous avons des dispositifs législatifs qui ont été pris, le renseignement, l’antiterroriste. Mais nous sommes devant un ennemi, nous sommes devant une menace, l’ennemi, nous le connaissons.
Claire Chazal : Une menace qui a changé de nature, selon vous ? Un risque terroriste qui a changé de visage, de nature ?
François Hollande : La France a toujours, hélas, depuis des décennies, connu des actes terroristes. Cette fois-ci, cela est différent, ce ne sont pas des terroristes qui viennent de l’extérieur. Parfois, ils sont partis à l’extérieur. Mais ils sont aussi dans notre pays. Ils sont en liaison avec l’extérieur. Parfois, ils sont commandités – cela peut arriver – de l’extérieur. Nous devons donc avoir un travail extrêmement précis et Bernard Cazeneuve le fait bien, Jean-Yves Le Drian également, pour ce qui concerne l’extérieur. On ne peut pas dissocier le combat extérieur de ce que nous avons à faire à l’intérieur. Et là, j’insiste beaucoup. Pourquoi j’ai engagé – c’était une décision lourde – la France au Mali ? Pour lutter contre le terrorisme. Pourquoi je suis attentif à être présent dans la coalition en Irak ? Pour lutter contre le terrorisme.
Claire Chazal : Est-ce que le rôle de la France peut être accru dans cette coalition ? Est-ce qu’il faut faire davantage contre le mouvement Etat islamique ? Est-ce qu’il faut demander aussi aux Américains par exemple, d’effectuer des opérations au sol, de renforcer cette coalition et cette offensive ?
François Hollande : Nous, quand il s’est agi d’intervenir au Mali, nous avons fait une opération au sol. Elle était possible parce que le Mali l’avait demandé, elle était possible parce que nous étions avec des forces africaines, elle était possible parce que nous avions la garantie, le soutien des Nations unies, du Conseil de Sécurité, c’était très important pour la France. Là, en Irak, nous sommes présents, nous sommes présents parce qu’il y a un gouvernement, un gouvernement irakien qui a appelé et qui intervient, lui, au sol. En Syrie, c’est un chaos et avec un pouvoir pour ce qu’il en reste d’ailleurs, qui veut lui-même poursuivre sa population, commettre des massacres, nous ne pouvons pas ni intervenir sous cette forme en tout cas, ni envoyer des troupes au sol. D’ailleurs, qui pourrait aujourd’hui en réclamer ?
Claire Chazal : Nous avons l’impression que nous ne sommes pas à la hauteur du problème vis-à-vis d’un Etat islamique, enfin d’un mouvement « Etat islamique » qui est riche, qui a du pétrole, qui a des banques…
François Hollande : Mais nous sommes devant un groupe terroriste qui n’a plus du tout les mêmes formes que par le passé, – vous avez raison – qui a des puits de pétrole, qui a le produit de ses trafics, – notamment de drogue – qui utilise des combattants qui viennent de partout, du monde entier, et qui occupe un territoire entre la Syrie et l’Irak.
David Pujadas : Et en même temps, ce ne sont que 50 000 hommes …
François Hollande : Oui …
David Pujadas : Les Français se demandent peut-être pourquoi on n’arrive pas à circonscrire ou à réduire un groupe de 50 000 hommes.
François Hollande : L’armée qui est parfaitement équipée et qui est dispersée sur un territoire, qui quelquefois est abritée par une population terrorisée elle-même. Nous devons donc avoir cette intervention aérienne, ce qui a été fait en Irak et soutenir le Gouvernement irakien à condition que lui-même élargisse au maximum ses propres sensibilités politiques et puis qu’en Syrie, nous puissions, je l’ai toujours fait, soutenir ceux qui se battent contre l’Etat islamique et le faire aussi avec une solution politique pour la Syrie car Bachar El-Assad est la cause de ce qui s’est produit et donc doit être la conséquence de ce que nous avons à faire pour trouver une solution politique.
David Pujadas : Votre Premier ministre a eu une expression pour parler du terrorisme qui menaçait la France d’une manière générale, il a dit : « c’est une guerre de civilisation ». Est-ce que vous reprendriez cette expression de Manuel Valls ?
François Hollande : Il n’a pas dit les choses ainsi mais je vais vous donner ma propre expression. Nous sommes face à des groupes qui veulent mettre en cause les civilisations, toutes les civilisations. Les victimes de ce groupe sont de toutes les religions, j’allais dire, de toutes les origines. Les premières victimes sont des victimes musulmanes en Syrie ou en Irak et puis, il y a les chrétiens d’Orient qui font l’objet là aussi de massacres et puis il y a aussi des populations qui ont des origines multiples qui sont pourchassées, donc c’est un groupe qui veut nier l’idée même de civilisation. Si nous n’avons pas les bonnes réponses, nous voyons bien ce que cherche ce groupe, c’est d’abord à nous faire peur. Face à la peur, nous ne devons pas ajouter à ce moment là une forme de fuite en avant par rapport à ce que nous sommes.
David Pujadas : Vous n’avez pas peur ?
François Hollande : Je ne dois pas avoir peur mais les Français ne doivent pas avoir peur, parce que nous sommes un peuple qui ne doit jamais céder face à la menace, qui ne doit jamais avoir peur, en tout cas même si nous pouvons avoir des angoisses – cela peut arriver – face à des massacres, face à des actes terroristes. Ne jamais montrer parce que montrer, c’est céder. Ce que cherche ce groupe, c’est nous diviser, faire qu’il y ait une guerre de religion, faire que nous puissions entre Français nous soupçonner parce qu’il y aurait des musulmans qui seraient finalement des islamistes et donc nous devrions nous en méfier parce qu’il y aurait une religion. Il n’y a pas de religion d’Etat en France, qui voudrait soumettre d’autres religions ou d’autres peuples. Être uni et montrer justement face à ces volontés de destruction, de séparation, de suspicion que nous sommes unis. Vous savez, il y a beaucoup de sensibilités – nous l’avons dit – religieuses, intellectuelles et idéologiques mais il y a une chose qui doit nous rassembler ; je l’ai commencé d’ailleurs au début de cet entretien. Qu’est-ce qui fait que nous sommes ensemble ? Qu’est-ce que nous portons ensemble ? Qu’est-ce que cela veut dire la patrie ? La patrie, ce n’est pas pour s’en prendre aux autres ; la patrie, c’est pour être sûr que nous portons les mêmes idéaux, les mêmes principes, les mêmes valeurs, celles dont nous avons hérité d’ailleurs pour beaucoup, celles que nous portons encore aujourd’hui. Si nous renonçons à ce patrimoine là, à cette idée là de la France, alors, nous nous perdons. C’est ce que cherchent les terroristes.
David Pujadas : Donc quand vous dites que l’identité sera sans doute au cœur de la campagne présidentielle de 2017, on vous prête ces propos ; c’est la réponse que vous apportez aux angoisses des Français que vous sentez bien sur ce terrain là ?
François Hollande : Qu’est-ce que nous – notamment pour les prochaines échéances mais allons au-delà des prochaines échéances – devons défendre d’abord ? Ce n’est pas une identité, celle-là elle est inscrite, elle est forgée par l’histoire.
David Pujadas : Ce n’est pas un sujet ?
François Hollande : Je vais y venir. Ce que nous devons porter, c’est l’idée de la France. Une certaine idée de la France comme disait le Général De Gaulle parce qu’un pays comme le nôtre ne doit pas être figé. Il ne doit pas être fermé et encore moins enfermé. Il doit être porté par un mouvement. Pour lutter contre tous les défis que nous avons, – nous en citerons quelques-uns, le défi climatique, le défi européen – qu’est-ce que nous allons faire ? Le défi sécuritaire, terroriste, qu’est-ce que nous devons opposer ? C’est la France. C’est la France qui a la réponse et donc le sujet ; c’est comment faire pour que la France soit plus forte. D’ailleurs, c’est le sujet économique aussi parce que si la France n’est pas forte sur le plan économique, comment pourra-t-elle se défendre, se protéger, porter cette idée de la sécurité commune et de la paix et aussi de la liberté ? Je dis donc à tous ceux qui veulent se replier, se crisper sur ce qui pourrait mettre en cause notre identité, mais notre identité, elle se construit. Ce que nous avons à faire, c’est la France de demain à partir de la France d’aujourd’hui et d’hier et donc si nous commençons à vouloir penser que la nostalgie, la mélancolie pourraient nous saisir et que c’était forcément mieux avant. C’était mieux avant ? Le XXème siècle qui a été le siècle de deux Guerres mondiales, de la colonisation et de la décolonisation ? Ce n’était pas mieux avant. Demandons d’ailleurs à nos parents quand nous en avons encore et pour les plus jeunes, à leurs grands-parents. Nous avons donc, nous, à affronter de nouveaux défis mais à ne jamais céder et donc je ne suis pas pour la France crispée, je ne suis pas pour la France enfermée, je ne suis pas pour la France rabougrie, je ne suis pas pour la France qui voudrait se diviser. Je laisse cela à d’autres. Comme Président de la République, je ne parle que de ma responsabilité. Je dois veiller à emmener la France donc à se protéger, à être en sécurité, à être plus forte économiquement mais à garder ce qui fait son âme. Il y a une âme française. Lorsqu’on met en cause l’âme française, on reste devant un corps vieilli !
Claire Chazal : Monsieur le Président, vous nous fournissez bien sûr la transition, économie, il y a des signes de reprise, en tout cas des prévisions de croissance qui sont revues à la hausse pour cette année et l’année prochaine. Mais cela ne marche toujours pas sur l’emploi, c’est-à-dire que la courbe du chômage n’est pas inversée. Sur quels moteurs peut-on compter aujourd’hui pour relancer l’embauche, qu’est-ce que l’on peut faire dans ce domaine ? Est-ce qu’aussi, vous maintenez votre objectif d’inversion de la courbe du chômage à la fin de l’année ou en 2017 ?
François Hollande : Comme vous l’avez dit, la croissance est là. Donc, on ne parle plus déjà de la reprise, elle est maintenant acquise.
Claire Chazal : Donc, vous confirmez que la prévision est revue à la hausse ?
François Hollande : Oui, la croissance est là, mais elle est trop faible. On dit maintenant 1,2 %, qu’est-ce cela peut dire à beaucoup de nos concitoyens, 1,2 %, il faut qu’ils aient à l’esprit que si l’on veut créer de l’emploi, il faut faire un peu plus de croissance. Donc, quel est l’objectif qui m’anime depuis maintenant trois ans ? Remettre autant qu’il est possible tous les facteurs de croissance, je ne vais pas ici égrener toutes les lois, mais il y a une loi sur l’activité et la croissance que nous venons de faire voter, enfin, cela a pris huit mois, c’est quand même beaucoup trop long.
Claire Chazal : Les décrets vont être pris rapidement.
François Hollande : Les décrets sont pris pour l’été. Donc, cela va libérer un certain nombre d’activités. On a pris aussi des décisions importantes sur le travail, pour qu’il y ait des souplesses qui soient données aux entreprises, des sécurités qui soient apportées aux salariés. Et puis, nous avons fait en sorte d’alléger les charges, parce que cela était quand même ce qui revenait, les charges sont trop lourdes, embaucher, c’est trop compliqué. Donc, nous avons allégé les charges et cela va continuer, en 2016 et en 2017, avec les mêmes montants.
David Pujadas : Mais il n’y a pas de résultats.
François Hollande : Pour qu’il y ait des résultats, il faut que nous ayons plus de croissance. Donc, tout ce que je vais encore faire. Ce n’est pas parce que j’ai fait le pacte de responsabilité, la loi dite Macron activité et croissance, la loi sur le dialogue social, Rebsamen, nous avons fait la transition énergétique, parce que c’est aussi un facteur de croissance, avec Ségolène Royal, que l’on va dire, maintenant c’est fini, on va attendre ! Non. Nous n’attendrons pas.
Claire Chazal : Cela veut dire que les entreprises ne répondent pas suffisamment à ce que vous leur proposez, à ce que vous leur offrez ?
François Hollande : Cela veut dire qu’il y a toujours un moment où l’on est dans l’attente d’une mesure de plus. Je leur dis ; vous avez déjà tous ces dispositifs, y compris sur l’investissement, où, pour toutes les entreprises qui investiront, il y aura 40 % de mieux pour déduire cette charge de leurs impôts. C’est quand même un élément important, parce qu’en plus, c’est transitoire, c’est donc maintenant qu’il faut investir.
Mais il y aura, dès la fin de l’année, au-delà des mesures de baisses d’impôts, qui vont donner pour 9 millions de ménages, un supplément de pouvoir d’achat, il y aura des mesures qui seront prises dans la loi de finances pour alléger les charges des entreprises, mais aussi pour soutenir l’activité, la prime pour l’activité, qui va être pour beaucoup de salariés un avantage supplémentaire en termes de pouvoir d’achat.
Je vais faire préparer une loi sur le numérique, tout ce qui est activité nouvelle, tout ce qui peut provoquer plus d’emplois. Parce qu’il y a des innovations considérables, la France est un pays de technologie. Il faut qu’il n’y ait rien dans nos règles, dans nos formalités qui puisse entraver cette activité supplémentaire.
David Pujadas : Une loi Macron 2 en quelque sorte sur l’innovation et le numérique ?
François Hollande : On veut toujours mettre des patronymes derrière des lois. Moi, ce que je préfère, c’est le contenu des lois plutôt que leur nom. Mais très bien. Il y aura une loi…
David Pujadas : Mais quel en sera le ressort principal ?
François Hollande : Le ressort, c’est de faire en sorte, par rapport à ce qui est l’activité nouvelle, qui peut être générée par le numérique, dans les transports, dans la santé, dans la création d’entreprise, dans les modes de consommation, c’est une activité considérable, qui est mal organisée encore, nous l’avons bien vu sur l’histoire des taxis, nous avons vu des professions qui ne comprenaient pas et qui avaient d’ailleurs, des raisons quelques fois, de se mettre en colère, même si j’ai condamné des formes de cette colère. Mais on voit bien qu’il y a quelque chose à susciter, la loi Macron 1, était par rapport à des professions anciennes, ce qu’on appelait les professions règlementées. Là, ce sont les métiers nouveaux que l’on va pouvoir susciter, stimuler, libérer.
Claire Chazal : Donc, il faut libérer, il faut au fond simplifier les règles, une petite entreprise est toujours difficile à se créer.
François Hollande : Nous avons réglé cela, cela a été simplifié, j’avais souhaité qu’il y ait ce choc de simplification, il y a encore beaucoup à faire. Parce que l’on en découvre tous les jours. Et puis, les entreprises ou les particuliers m’en donnent, si j’en manquais, en termes d’informations. Donc, simplifier, libérer, faire que ce soit à chaque fois possible de créer en France. Que l’on soit même, plus rapide que d’autres. Nous le sommes sur la création d’entreprise et sur les technologies.
David Pujadas : Vous entendez ce qui se dit et vous lisez ce qui commence à s’écrire aussi, comme s’il y avait deux présidents de la République ; celui de l’international, de l’extérieur, qui prend des initiatives, qui s’impose et celui de l’intérieur, qui n’arrive pas à rétablir la confiance et qui, d’une certaine manière, n’a pas l’audace de celui qu’il est sur le plan international.
François Hollande : Vous en connaitrez – j’espère – des présidents aussi audacieux que moi, qui ont fait un pacte de responsabilité avec 40 milliards de baisses de charges pour les entreprises ? Vous en avez trouvé des présidents qui ont fait une loi pour l’activité et la croissance, pour libérer un certain nombre d’énergies, pour toucher au dialogue social, au droit du travail, tout ce qui n’avait pas été fait ?
David Pujadas : Est-ce que nos voisins européens n’en font pas plus pour l’emploi ? D’ailleurs, l’emploi redémarre chez eux, il stagne chez nous, il augmente encore, le chômage...
François Hollande : Ils en font quelques fois, moins, dans beaucoup de domaines, notamment pour ce qui concerne l’innovation, et c’est en France que l’on a les dispositifs les plus appréciables en matière d’investissement pour l’innovation et pour la recherche.
Mais ils en font parfois plus, pour détruire les droits sociaux, pour détruire des protections. Cela, je ne le veux pas. Qu’est-ce que, par exemple, j’ai fait en sorte de soutenir ? Parce que je trouvais que c’était une bonne initiative. C’était de dire qu’il est trop compliqué pour des entreprises d’embaucher et qu’il est trop inquiétant parfois pour des salariés de ne pas savoir comment, s’il y a un conflit, donc un contentieux, ce qu’il y aura à la fin. Donc, pour faciliter l’embauche et pour permettre de donner plus de sécurité aux salariés, nous avons dit, maintenant, devant les Prud’hommes, cela ira plus vite, cela sera plus facile et on connaitra le montant maximal comme minimal de l’indemnité qui sera versée. Donc, l’employeur sait ce que cela peut lui coûter, le salarié sait, s’il y a une rupture, ce qu’il pourra demander. Cela facilite là aussi, et c’est de la confiance. J’ai toujours fait les choix les plus audacieux, mais en même temps les plus protecteurs pour les entreprises et pour notre modèle social.
Claire Chazal : A-t-on les moyens de tout cela, Monsieur le Président ? Vous avez parlé tout à l’heure des embauches de fonctionnaires, puisque vous en avez annoncé pour le prochain budget. Avec un déficit de 4 % du PIB, des règles européennes qui nous sont imposées, en a-t-on les moyens ?
François Hollande : D’abord, nous avons réduit nos déficits tout au long de ces trois dernières années et il faudra continuer. La France ne peut pas avoir un endettement qui progresse.
David Pujadas : Comment ?
François Hollande : Comment ? En faisant des économies.
David Pujadas : Quatorze milliards à trouver pour tenir les objectifs l’an prochain.
François Hollande : Oui. Comme il n’y aura pas d’augmentations d’impôts, puisqu’il y aura même des baisses…
David Pujadas : Elles vont se poursuivre en 2016 les baisses ?
François Hollande : Elles vont continuer.
David Pujadas : Il y en aura d’autres, de nouvelles baisses ?
François Hollande : En fonction des possibilités de notre économie. Il n’y aura pas de hausse de quelque impôt que ce soit, d’Etat et de la Sécurité sociale, dont nous pouvons nous-mêmes décider. Puisqu’il y en a d’autres, ce sont les partenaires sociaux. Les économies sont donc indispensables. Pour réduire les déficits, il faut des économies et de la croissance, puisque la croissance permet d’avoir des recettes nouvelles.
François Hollande : Vous parlez des fonctionnaires. J’ai deux priorités, priorité de sécurité…
Claire Chazal : Vous aviez d’abord annoncé dans un premier temps qu’aucun départ ne serait remplacé…
François Hollande : Oui, priorité de sécurité, il devait y avoir des suppressions de postes de militaires, 35 000, c’était inscrit dans la loi de programmation militaire, c’était engagé par nos prédécesseurs qui avaient supprimé des postes de militaires. Ce sont des postes de fonctionnaires les militaires. J’ai donc rayé, fait en sorte que 18 500 postes puissent être maintenus dans nos armées, vous avez compris pourquoi. Pareil pour la police, pareil pour la justice. Personne ne peut ici contester qu’il nous faut y compris pour les renseignements davantage de fonctionnaires.
Ma deuxième priorité est ensuite l’éducation, parce que si on ne s’occupe pas de l’éducation de nos enfants dans le contexte que je viens d’indiquer avec un chômage, avec des gens qui peuvent être perturbés, qui peuvent être perdus, qui peuvent être abandonnés, il y a un risque quand même pour notre cohésion. Pour notre économie, pour notre cohésion, pour ce que j’espère être l’émancipation de cette jeunesse qui est notre chance en France par rapport à d’autre pays, nous allons continuer à créer des postes d’enseignants, de professeurs pour conduire nos élèves vers la réussite. Tout le reste, toute l’administration perd des emplois.
David Pujadas : On arrivera à faire 14 milliards d’économies d’ici à l’an prochain ?
François Hollande : Oui, oui, nous les ferons et vous en vérifierez exactement la mise en œuvre.
Claire Chazal : La politique…
David Pujadas : Il nous reste quelques minutes, trois ou quatre minutes pour aborder tout de même quelques sujets politiques et je ne sais pas quelle sera votre réponse mais vous imaginez bien que tout le monde se pose la question. Nous sommes à un peu moins de deux ans de l’élection présidentielle de 2017, donc à un an et demi de la campagne présidentielle. Le temps est-il venu pour vous de nous dire si vous serez candidat ou pas à l’élection présidentielle de 2017 ?
François Hollande : Je vais vous créer une grande déception. Si vous étiez venus m’interroger là-dessus, non, je ne vais pas ici annoncer quelle que candidature que ce soit. Vous avez raison, nous sommes à près de deux ans de l’échéance, vous avez vu les sujets qui sont les miens, la Grèce, l’Iran, la sécurité, l’emploi, et je serais là en train de chercher à vouloir imposer une candidature !
David Pujadas : Mais vous y pensez !
François Hollande : Si je fais une campagne, et ce que je fais devant vous, c’est l’explication, c’est également la confirmation de projets, l’annonce de décisions, mais si je pensais à l’élection présidentielle aujourd’hui, franchement, je serais à côté du sujet. Deuxièmement, Claire Chazal l’a dit, j’ai une obligation de résultats, ce n’est pas simplement de m’être dépensé autant qu’il était possible, ce n’est pas d’avoir passé des nuits à négocier, personne ne juge un Président de la République sur le temps qu’il a passé ou sur son tempérament ou sa disponibilité ou s’il a sué de la sueur et des larmes. Personne ne m’a demandé de venir à la place où je suis, je l’ai voulu, je dois donc assumer cette tâche. Je serai donc jugé sur une obligation de résultats, s’il n’y a pas de baisse du chômage, je l’ai dit plusieurs fois…
Claire Chazal : Vous ne serez pas candidat.
François Hollande : Je ne serai pas candidat parce que…
David Pujadas : Une baisse du chômage par rapport à mai 2012 ?
Claire Chazal : D’inversion de la courbe.
François Hollande : Non, d’inversion, l’augmentation du chômage durable. Pourquoi ?
David Pujadas : C’est-à-dire plusieurs mois de baisse…
François Hollande : Parce que si les Français, même s’ils pouvaient juger que je me suis donné autant qu’il était possible, que j’ai même pris de bonnes décisions mais s’il n’y a pas de résultat, pourquoi me feraient ils confiance pour cinq ans de plus ? C’est un principe, un principe de responsabilité. Je ne suis pas là pour fuir devant les responsabilités, je ne suis pas là pour m’accrocher. Quand vous dites, ce que je voudrais qu’on retienne de ce quinquennat c’est : est-ce que j’ai pris - certains diraient pas forcément les bonnes décisions, c’est une affaire de jugement -est-ce que j’ai pris toutes les décisions qui me paraissaient importantes d’engager ? Je répondrai oui à la fin de mon quinquennat.
Claire Chazal : Avec quelle majorité, Monsieur le Président, allez-vous continuer à faire ces réformes jusqu’en 2017 ? Nous sentons bien que cela a quelque peu grincé, la loi Macron a été votée au forceps avec le 49-3. Allez-vous faire par exemple venir des Verts dans le gouvernement ?
François Hollande : J’ai une position simple : ceux qui veulent venir travailler sont les bienvenus, je ne vais pas aller les chercher. S’ils pensent cependant que ce que nous faisons va dans le bon sens et que nous avons des échéances très importantes. Vous parlez des Verts, moi je prépare la Conférence sur le climat, c’est un enjeu considérable pour le monde. Il s’agit là de notre destin, celui de nos enfants, de nos petits-enfants, quel monde nous allons laisser. C’est un enjeu qui va être essentiel pour les pays en développement, je n’y reviens donc pas, et face à cet enjeu-là ceux qui veulent donner leur concours y sont les bienvenus, je ne vais pas faire le contrôle à l’entrée ! Ce qui compte, c’est de venir servir son pays, mais s’ils ne veulent pas, s’ils préfèrent rester dans cette position-là, c’est leur affaire et je ne les juge pas !
Claire Chazal : Manuel Valls a vocation à rester Matignon…
François Hollande : Manuel Valls a vocation à rester jusqu’à la fin du quinquennat. Lorsqu’il y a un bon Premier ministre qui a pris des engagements, après le travail qu’avait fait Jean-Marc Ayrault qui avait été extrêmement courageux, ce Premier ministre doit terminer le quinquennat avec moi.
David Pujadas : Une question chacun peut-être avant de conclure, « on n’est plus à gauche par envie, on est à gauche par habitude ou par fidélité », qui a dit ça ? C’est un de vos proches, Julien Dray. Cela s’adresse t’il aussi j’allais dire à la perspective, au dessein pour la gauche que vous dessinez, c’est-à-dire que ça reste à faire ?
François Hollande : Ecoutez, je suis un homme de gauche mais je suis le chef de l’Etat, je me dois donc à tous les Français. J’ai cette conviction et j’agis à la fois dans l’intérêt national et en même temps dans le respect de mes convictions. On demande à la gauche beaucoup plus qu’à tout autre mouvement politique. On ne lui demande pas simplement de gérer, on ne lui demande pas simplement de protéger, ce que nous devons faire, on lui demande de transformer et de transformer pour assurer plus d’égalité et en même temps plus de liberté.
David Pujadas : C’est possible aujourd’hui ?
François Hollande : L’égalité est toujours possible mais elle ne doit pas être une entrave pour la liberté, jamais, et notamment pour la liberté de créer. En même temps, on demande à la gauche d’être moralement exigeante et ce qui m‘a le plus blessé à chaque fois, ce sont les manquements à l’éthique, à la morale, c’est pour cela que j’ai fait voter des lois de transparence. Vous avez vu en ce moment les patrimoines des élus sont mis à la disposition, à la connaissance des citoyens parce que c’est ce qui permet aux Français d’avoir confiance. S’ils n’ont pas confiance dans ceux qui les représentent sur ce plan-là, alors rien ne peut être obtenu après.
Claire Chazal : Peut-être d’un mot, Monsieur le Président, est-ce que Nicolas Sarkozy ne serait pas au fond le meilleur adversaire pour le candidat de gauche qui représentera votre camp, peut-être vous-même, peut-être un autre, en 2017 ?
François Hollande : Ecoutez, j’ai suffisamment de sujets à traiter, celui n’est pas sur ma table de travail.
David Pujadas : Merci d’avoir répondu à nos questions, Monsieur le Président.
François Hollande : Merci.
David Pujadas : Merci Claire, merci à vous de nous avoir suivis et bonne fête nationale à vous aussi.
Claire Chazal : Merci beaucoup.
François Hollande : Merci, oui, bonne fête à tous les Français parce que c’est la fête de la France aujourd’hui, merci à vous.
David Pujadas : Merci.
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