Témoignages au féminin
Voilà le livre qu’on attendait. Seuls les témoins et les survivants du génocide peuvent dire réellement ce que fut ce drame. Ce livre donne la parole aux veuves du génocide, Hutu et Tutsi. Les auteurs les ont rencontrés sur leur lieu de vie, à Save près de Butare, au Sud du Rwanda. Elles ont fondé une association " DUHOZANYE " pour se soutenir et se consoler mutuellement.
Elles expriment leur vécu quotidien dans un langage plein de coeur, de bonté, de tendresse et de vérité qui fait taire notre intellect. Les récits de ces veuves sur le génocide, la réconciliation, la mémoire, la justice, le pardon se passent de tout commentaire. Seul, l’écoute et le silence s’imposent.
" La réconciliation nationale, peut-être, s’exclame Pulchérie (74 ans), mais ce n’est pas à moi qu’il faut demander ça. C’est aux Hutus. Je ne peux pas vraiment me mettre à leur place. "
L’avenir ? Anastasie (47 ans) répond : " Le plus difficile c’est de vivre avec cette révolte et aussi le fait qu’on ne croit plus en l’avenir, Pour nous rien n’est réglé : les génocidaires n’ont pas toujours pas été punis, Je souhaiterais voir celui qui a tué mes enfants. Je lui dirais qu’il a réussi son coup puisqu’il m’a enterrée vivante. "
A son tour Mathilde ne croit pas trop en cet avenir sans justice et en ce présent marqué par la peur. Mais il faut vivre : " On aime bien se réunir et profiter de la moindre occasion, dit-elle. La conversation s’oriente toujours autour de ce qui s’est passé. Et de la peur : peur de ces gens emprisonnés qui ne sont toujours pas jugés, peur de ceux qu’ils ont relâchés sous prétexte que leurs dossiers sont incomplets. Et nos enfants le savent. Ils vivent constamment dans la peur. "
Le pardon est-il possible ? Bélancille (44 ans) tranche : " J’ai assisté aux massacres, les machettes ? Je ne peux pas oublier. Ni pardonner. J’ai témoigné contre ces assassins. Ceux que j’ai vu manier la machette sur ma famille ont nié leurs crimes. Ceux là ne sont pas dignes du pardon, ni prêts pour ça "
Des veuves hutu racontent aussi leur malheur : " Ils sont venus nous réveiller pour tuer mon mari et mes enfants, raconte Marie (60 ans). Moi, ils ne me cherchaient pas, je suis Hutu. J’ai réussi à cacher mon petit-fils. Ces gens-là sont des criminels. Ce sont mes frères, mais ils ont fait le mal. "
Et la justice, qu’en penser ? Toutes la souhaitent. Mais peut-elle s’exercer sans preuve ? " Je ne peux pas travailler chez mes voisins, nous dit Aurélie (56 ans). Ce sont eux qui ont tué ma famille. Je ne peux pas les dénoncer non plus. Le tribunal nous demande des témoins. Et ils sont tous morts. "
Isabelle (36 ans) ajoute : " certains génocidaires sont mes voisins. L’un d’entre eux a été libéré. Je l’avais vu tuer. Je l’avais dénoncé. Ils l’ont libéré quand même. On m’a dit qu’il fallait trouver 10 témoins. Je ne peux pas les trouver. Ils sont tous morts. " Les auteurs laissent ces veuves parler, dire leur souffrance sans rien ajouter ni déformer de ce qu’elles vivent. Un témoignage brut. (J.D.B.)
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