1.1. Le 11 septembre 2001
1. Les tragédies qui ont eu lieu le 11 septembre 2001 marquent incontestablement le début d’un nouveau et important chapitre de l’interminable et dramatique histoire du terrorisme. Une histoire marquée par le recours à la violence indiscriminée, déclenchée pour créer un climat d’insécurité et de terreur dans le dessein de s’attaquer au système politique et social en place. Des actions spectaculaires et très meurtrières atteignent pour la première fois des cibles hautement symboliques au coeur même des États-Unis d’Amérique, l’État le plus puissant du monde. L’Europe, quant à elle, a déjà une longue et douloureuse expérience en matière de terrorisme, avec de nombreuses victimes et des actions de grande envergure notamment en Italie [1], en Allemagne, en Espagne, au Royaume-Uni, en France et, plus récemment, en Russie.
2. Si les États du Vieux Continent ont fait face à ces menaces en se fondant essentiellement sur les institutions et l’ordre juridique en place [2], les États-Unis semblent avoir fait un choix fondamentalement différent : estimant que ni les instruments classiques de la justice, ni ceux qui sont prévus par le droit de la guerre n’étaient à même de contrer efficacement les formes nouvelles du terrorisme international, ils ont décidé de recourir à de nouveaux concepts juridiques. Ces derniers se fondent, notamment, sur un Décret militaire relatif à la détention, le traitement et le jugement de certains citoyens non américains dans la lutte contre le terrorisme signé par le Président Bush le 13 novembre 2001 [3]. Il est ainsi significatif de relever, qu’à ce jour, une seule personne a été appelée à répondre devant la justice pour les attentats du 11 septembre : une personne, qui, ce jour-là, était par ailleurs déjà en prison, à la disposition de la justice depuis plusieurs mois [4]. Des centaines d’autres personnes sont par contre toujours privées de liberté, sous autorité américaine mais en dehors du territoire national, dans un cadre normatif incertain, en tout cas irrémédiablement contraire aux principes envisagés par tous les instruments de droit international en matière de respect des droits fondamentaux, y compris par le droit interne des États-Unis (ce qui explique l’existence de ces centres de détention au-dehors du pays). La philosophie de l’administration en place semble avoir été bien résumée par ce titre : No Trials for Key Players : Government prefers to interrogate bigger fish in terrorism cases rather than charge them [5].
3. Cette conception juridique est totalement étrangère à la tradition et à la sensibilité européennes et est manifestement contraire à la Convention européenne des Droits de l’Homme ainsi qu’à la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’ancien adage de Cicéron, inter arma silent leges, semble avoir gangrené même des organismes internationaux, pourtant censés assurer la primauté du droit et l’équité de la justice. Il est franchement inquiétant de devoir constater que le Conseil de Sécurité de l’ONU sacrifie les principes essentiels en matière de droits fondamentaux au nom de la lutte contre le terrorisme. L’établissement de listes, dites noires, de personnes et de sociétés soupçonnées d’entretenir des rapports avec des organisations considérées terroristes, ainsi que l’application des sanctions qui en découlent violent manifestement tous les principes du droit fondamental à un procès équitable : aucune accusation précise, pas de droit d’être entendu, inexistence du droit de recours, aucune procédure prévue de radiation de la liste [6].
5. L’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a vivement condamné cet état des choses : elle a adopté à l’unanimité le 26 avril 2005 la Résolution 1433 (2005) ainsi que la Recommandation 1699 (2005), dans lesquelles elle demande instamment au gouvernement des États-Unis de mettre fin à cette situation et de veiller aux principes de l’État de droit et des droits de l’homme. Elle constate, par ailleurs, que les États-Unis ont fait usage de la pratique illégale de la détention secrète. Dans sa réponse du 17 juin 2005 (doc. 10585), le Comité de Ministres exprime son soutien total à toutes ces initiatives et à tous les efforts visant à ce que les personnes détenues à Guantánamo Bay soient libérées dans les plus brefs délais ou traduites devant un tribunal indépendant et impartial pour y être équitablement jugées. Il invite instamment le Gouvernement des États-Unis à faire en sorte que les droits de tous les détenus soient garantis et que le principe de la prééminence du droit soit pleinement respecté. Il exprime pour sa part la détermination de tous les États membres à assurer pleinement le respect des droits des personnes libérées qui relèvent désormais de leur juridiction. Le Comité des Ministres a adressé un message en ces termes au Gouvernement des États-Unis d’Amérique [7]. À notre connaissance, aucune réponse n’est parvenue.
6. Le Comité contre la Torture de l’ONU s’est également prononcé encore tout récemment pour la fermeture du centre de détention de Guantanamo, déplorant son caractère secret ainsi que le fait qu’il ne soit pas accessible au CICR [8].
1.3. Des prisons secrètes de la CIA en Europe ?
7. Telle est la nouvelle diffusée au début du mois de novembre 2005 par l’ONG américaine Human Rights Watch (HRW), par le Washington Post ainsi que par la chaîne ABC. Alors que le Washington Post ne mentionne pas expressément les pays qui abritent ou auraient abrité de tels centres de détention, se référant génériquement à l’Europe de l’Est, le rapport de HRW indique qu’il s’agit de la Pologne et de la Roumanie. Le 5 décembre 2005, ABC rapporte à son tour l’existence de centres de détention secrets en Pologne et en Roumanie, lesquels auraient été fermés suite aux révélations du Washington Post. Selon ABC, 11 suspects détenus dans ces centres auraient alors été transférés dans des infrastructures de la CIA en Afrique du Nord. Ces suspects auraient été soumis aux techniques d’interrogatoire les plus dures (dites « techniques renforcées d’interrogatoire »).
8. Il est intéressant de relever que cette dépêche d’ABC, confirmant l’utilisation de camps de détention secrets en Pologne et en Roumanie par la CIA, n’a été disponible sur Internet qu’un très court laps de temps, avant d’être retirée suite à l’intervention des avocats des propriétaires de la chaîne. Le Washington Post admettra par la suite avoir disposé des mêmes informations, mais avoir renoncé à indiquer expressément la Pologne et la Roumanie suite à un accord passé avec le Gouvernement. Il est ainsi établi qu’il y a eu d’importantes pressions pour qu’on ne cite pas expressément ces pays. On ne connaît pas quels ont été les arguments qui ont convaincu les organes d’information. Bornons nous à constater qu’il s’agit indiscutablement de faits troublants qui mettent en question les principes de la liberté et de l’indépendance de la presse. Dans ce contexte, il n’est pas sans intérêt de mentionner que, juste avant la publication des révélations de la journaliste Dana Priest au début du mois de novembre 2005, l’éditeur du Washington Post aurait été invité à une audience à la Maison Blanche avec le Président Bush [9].
1.4. La réaction du Conseil de l’Europe
9. La réaction a été immédiate. Le Président de l’APCE a tout de suite assumé une position très ferme et a invité la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme à se saisir sans tarder de l’affaire. C’est ce qu’elle a fait dès sa séance du 7 novembre 2005. Le Secrétaire Général du Conseil a, quant à lui, mis en oeuvre la procédure prévue à l’article 52 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH). La Commission des questions juridiques et des droits de l’homme a, d’autre part, donné mandat à la Commission de Venise d’établir un avis sur les obligations et la responsabilité des États membres du Conseil de l’Europe concernant les lieux de détention secrets et le transport interétatique de prisonniers. Une collaboration s’est également établie avec le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
10. La Commission de l’Union Européenne, par le biais de son Vice Président Franco Frattini, a exprimé son plein soutien à l’initiative du Conseil de l’Europe. Le soutien de la Commission de l’UE s’est révélé précieux pour l’obtention des informations nécessaires de la part d’Eurocontrol ainsi que du Centre Satellitaire de l’UE. La référence à des pays européens nommément indiqués a subitement provoqué un très grand intérêt médiatique. Ces faits – détentions secrètes et renditions – avaient pourtant été dénoncés depuis un certain temps déjà, soit par l’APCE même, notamment avec la résolution et la recommandation concernant Guantanamo Bay, ci-dessus citées – textes qu’on ne saurait assez conseiller de relire - soit par des rapports très précis établis par des ONG, des professeurs d’université et des journalistes connus pour leur travail très sérieux [10]. Ces révélations avaient été accueillies avec une étrange indifférence aussi bien par les médias que par les gouvernements et les milieux politiques en général.
1.5. Le Parlement Européen
11. Les députés du Parlement Européen se sont également inquiétés face au nombre croissant d’indices indiquant que des pays, ou du moins des infrastructures, et le territoire européens, avaient été le théâtre de violations systématiques des droits de l’homme. Au début de 2006 a été ainsi instituée une Commission temporaire composée de 46 membres chargée d’enquêter sur les allégations au sujet de l’existence de prisons de la CIA en Europe où des personnes soupçonnées de terrorisme auraient été détenues et torturées [11].
12. Dans ma précédente note d’information, j’avais salué cette initiative, estimant qu’elle s’inscrivait tout à fait dans la volonté du Conseil de l’Europe de rechercher la vérité. La coopération avec la Commission temporaire s’est révélée excellente, aussi bien au niveau des secrétariats respectifs qu’avec le président Carlos Miguel Coelho et le rapporteur Claudio Fava. J’ai eu l’occasion de m’adresser aux membres de la Commission du Parlement Européen au cours d’une audition publique.
13. Le 24 avril 2006 la Commission temporaire a présenté un projet de rapport intérimaire qui confirme les indices d’actes illégaux commis par la CIA en Europe. Ces premiers résultats confirment largement les premières constatations que nous avons consignées dans notre note d’information du 24 janvier 2006. Le rapporteur Claudio Fava, en présentant le rapport intérimaire, a fait état de plus de mille vols affrétés par la CIA (qui) ont transité par l’Europe, souvent pour y opérer des « restitutions extraordinaires » [12]. Lors d’une conférence de presse, M. Fava, a précisé que, conformément à des informations qui lui avaient été confiées par un agent des services américains, 30 à 50 personnes auraient été enlevées par la CIA en Europe et que la CIA n’aurait pas pu procéder à ces enlèvements sans l’accord des États européens [13]. La Commission temporaire conclut à la poursuite des travaux [14].
1.6. Rapporteur ou enquêteur ?
14. Le rapporteur a souvent été considéré comme un enquêteur, voire un enquêteur spécial. Il n’est dès lors pas inutile de rappeler que le rapporteur n’a joui et ne jouit d’aucun pouvoir particulier d’enquête, notamment d’aucune faculté de recourir à des moyens coercitifs ou d’exiger l’édition de documents particuliers. Le rapporteur a ainsi procédé surtout à un travail d’analyse et de contacts. Il a soumis une série de questions aux gouvernements par le biais des délégations parlementaires nationales, invitant aussi ces dernières à porter le débat sur le plan national. Plusieurs actes parlementaires ont été ainsi présentés dans de nombreux États pour obtenir ou exiger des informations des différents gouvernements. Dans quelques pays des commissions parlementaires d’enquête ont été spécialement créées. Le travail de quelques ONG s’est révélé très précieux, souvent même plus complet et plus fiable que les informations fournies par les gouvernements. Une contribution importante a été également donnée par de nombreux journalistes qui ont enquêté sur le terrain, souvent des mois durant. Le rapporteur a pu également bénéficier d’informations qui ne lui ont été confiées qu’avec l’assurance de confidentialité et de la protection des sources. Les éléments ainsi reçus ne peuvent évidemment pas être présentés comme des preuves ; ils ont cependant permis d’orienter les recherches dans certaines directions plus précises et ils m’autorisent à affirmer avec certitude que la recherche de la vérité au sujet de ce qui s’est vraiment passé en Europe avec des personnes suspectées de terrorisme ne s’épuisera certainement pas avec le présent rapport.
15. Pour ce travail, le rapporteur a pu compter sur le très grand engagement du chef ainsi que d’un collaborateur du secrétariat de la Commission – déjà bien absorbés par les nombreuses autres tâches liées au fonctionnement de la commission et à la rédaction de plusieurs autres rapports – ainsi que d’un autre jeune collaborateur qui a pu finalement être temporairement détaché expressément à cette recherche (et qui s’est révélé très précieux). Je ne peux que leur exprimer toute ma gratitude pour la remarquable compétence dont ils ont fait preuve ainsi que pour leur extraordinaire disponibilité.
16. J’ai été désigné formellement comme rapporteur le 13 décembre 2005. Les instances du Conseil ont estimé que le rapport devait être présenté dans les plus brefs délais. Cette rapidité, en considération surtout de l’ampleur et de la complexité du sujet, ainsi que des moyens extrêmement modestes à disposition, ne permet certainement pas de présenter un compte-rendu complet des différents aspects de ce qui s’est réellement passé. D’autre part, on est encore bien loin de connaître tous les détails des « restitutions extraordinaires » et des conditions dans lesquelles les personnes enlevées ont été détenues et interrogées en Europe. Il est ainsi fort probable que le Conseil de l’Europe devra se pencher à nouveau sur ce dossier. Les éléments connus à ce jour – et qui s’enrichissent de nouveaux éléments semaine après semaine – non seulement justifient, mais exigent que les États membres procèdent finalement à l’ouverture d’enquêtes sérieuses sur leur implication, directe ou indirecte.
17. Comme je l’ai déjà indiqué dans ma note précédente, on doit sérieusement se demander si l’Assemblée ne devrait pas se donner d’autres moyens pour affronter des affaires d’une telle complexité. Lorsque les recherches portent sur des possibles violations des droits de l’homme, qui ne se limitent pas à des cas individuels (pour lesquels la Cour européenne des Droits de l’Homme est compétente) et qui dépassent les frontières, tendant ainsi à échapper aux procédures nationales, on est en droit de s’interroger sur l’efficacité des instruments actuels. Au lieu d’un seul parlementaire rapporteur soutenu par les ressources ordinaires du secrétariat de la commission, déjà largement débordé par d’autres rapports en cours, on pourrait sérieusement se demander si la constitution d’une véritable commission d’enquête, assistée d’experts et munie de véritables droits d’investigation ne serait pas une solution meilleure et mieux à même de faire face à ces nouveaux et importants défis.
18. Nous avons affronté ce travail avec détermination et avec un souci constant d’objectivité, conscients de l’énormité de la tâche qui nous a été confiée et des moyens franchement dérisoires à disposition, conscients aussi des dangers d’être manipulés. L’esprit qui nous a animé n’a nullement été celui de constituer des dossiers à charge dans le but de condamner ou de stigmatiser. Ce qui nous a guidé, c’est en revanche la volonté de rechercher la vérité pour réaffirmer les valeurs en défense desquelles a toujours oeuvré le Conseil de l’Europe ainsi que pour empêcher que de tels faits puissent se répéter.
1.7. Antiaméricanisme ?
19. Ce reproche, assez souvent adressé lorsqu’on exprime des critiques au sujet des violations des droits fondamentaux commises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, nous paraît franchement grotesque et nullement pertinent. C’est oublier que les premières dénonciations concernant aussi bien la création du centre de détention de Guantanamo Bay, que le recours aux « extraordinary renditions », ou à l’usage de la torture, ont été tout d’abord exprimées avec vigueur par des journalistes, des ONG et des hommes politiques américains, souvent grâce à des informations précises rendues publiques par des sources à l’intérieur de l’administration, voire des services de renseignement eux-mêmes. Le débat a été, et nous paraît aujourd’hui encore, bien plus vivace aux États-Unis qu’en Europe, du moins dans certains milieux et dans certains médias.
20. La Cour Suprême des États-Unis a d’ailleurs elle-même rappelé, dans un jugement remarquable de juin 2004, que l’enjeu dans ce cas n’est rien de moins que celui de l’essence d’une société libre. Si cette nation reste attachée aux idéaux symbolisés par son drapeau, elle ne doit pas utiliser les armes des tyrans pour résister à un assaut des forces de la tyrannie [15]. Un rappel fort qui exprime la grande tradition démocratique et l’engagement exemplaire des États-Unis d’Amérique en matière de droits de l’homme. Les États-Unis sont et restent un pays profondément démocratique. Les critiques adressées à certains choix de l’Administration actuelle expriment en fait aussi le souci de voir un pays qui assume indiscutablement un rôle d’exemple et de modèle dans le monde commettre ce que nous considérons des erreurs qui portent atteinte non seulement à des principes fondamentaux mais qui constituent aussi une stratégie contreproductive dans la lutte contre le terrorisme.
1.8. Des preuves ?
21. Il est pour le moins paradoxal que l’on s’attende à l’administration de preuves, au sens juridique du terme, de la part d’instances – le Conseil de l’Europe et le Parlement Européen – qui ne disposent d’aucun véritable pouvoir d’investigation. Ces organismes ont été en fait conduits à entreprendre ces recherches faute d’une volonté et d’un engagement suffisants des institutions nationales qui auraient pu, et dû, faire toute la lumière sur ces allégations qui, dès le début, ne sont nullement apparues dépourvues de tout fondement.
22. Jusqu’à ce jour, aucune preuve formelle ne permet d’affirmer que des centres secrets de détention de la CIA aient existé en Pologne, en Roumanie ou dans d’autres États membres du Conseil de l’Europe, même si des indices sérieux continuent à subsister et à se renforcer. Il apparaît néanmoins certain qu’un nombre non précisé de personnes, considérées membres ou complices de mouvements terroristes, ont été arbitrairement et illégalement arrêtées et/ou détenues et transportées sous la responsabilité de services agissant au nom ou pour le compte des autorités américaines. Ces faits se sont déroulés dans des aéroports et dans l’espace aérien européens et ont été rendus possible soit grâce à de graves négligences au niveau du contrôle, soit par une participation, plus ou moins active, d’un ou plusieurs services étatiques d’États membres du Conseil.
23. Le silence et les réticences évidentes des instances qui auraient pu donner les renseignements nécessaires permettent légitimement de penser que ces cas sont plus nombreux que ce qu’il est possible de prouver à ce jour. En réalité, l’état de fait tel qu’il apparaît établi aujourd’hui déjà – et que nous allons illustrer tout au long de ce rapport – ainsi que l’absence manifeste d’enquêtes sérieuses de la part des autorités nationales concernées, impliquent, à mon avis, le renversement de la charge de la preuve : dans une telle situation il appartient désormais aux autorités polonaises et roumaines de procéder à une enquête indépendante et approfondie, et d’en rendre publics non seulement le résultat, mais aussi la méthode et les différentes étapes du travail d’enquête [16]. Si des preuves au sens classique du terme ne sont pas encore disponibles à ce jour, de nombreux éléments, cohérents et convergents, indiquent que de tels centres secrets de détention ont bel et bien existés en Europe. Une telle affirmation ne prétend pas être le jugement d’une cour pénale, qui nécessite une preuve au-delà du doute raisonnable dans le sens anglo-saxon (beyond reasonable doubt) ; il reflète plutôt une conviction basée sur l’évaluation soigneuse du rapport des probabilités (balance of probabilities), ainsi que sur une déduction logique des éléments de fait clairement établis. Il ne s’agit pas de déclarer les autorités de ces pays « coupables » d’avoir toléré des lieux secrets de détention, mais de les tenir pour « responsables » dans le sens d’une violation de l’obligation positive d’investiguer des allégations sérieuses.
Résumé
Les droits de l’homme : une simple option pour le beau temps ?
La « toile d’araignée » mondiale
Des exemples concrets documentés de restitutions
Les lieux de détention secrets
Détentions secrètes en République tchétchène
L’attitude des gouvernements
Cas individuels : procédures judiciaires en cours
Les enquêtes parlementaires
L’engagement contre le terrorisme
Perspectives juridiques
Conclusion
[1] Au cours de la période 1969 – 1987, l’Italie a compté plus de 14.500 actes de violence dus à une motivation politique, avec 419 morts et 1.181 blessés (données du Ministère de l’Intérieur).
[2] Rappelons la phrase célèbre de l’ancien Président de la République italienne, Sandro Pertini : l’Italie peut affirmer avec fierté d’avoir battu le terrorisme dans les palais de justice, pas dans les stades.
[3] Au sujet des différentes décisions prises par l’Administration américaine à la suite des attentats du 11 septembre, je me permets de renvoyer le lecteur à l’excellent rapport de Kevin McNamara, Légalité de la détention des personnes par les États-Unis à Guantanamo Bay, accompagnant la résolution et la recommandation adoptées par l’APCE le 26 avril 2005 (Doc 10497).
[4] Il s’agit de Zacarias Moussaoui, un français d’origine marocaine, condamné à la réclusion à perpétuité par un grand jury de Virginie le 3 mai 2006 ; les jurés n’ont pas suivi les réquisitions des procureurs fédéraux qui avaient demandé la peine de mort (et ont ainsi aussi déjoué le piège du prévenu qui, manifestement, voulait être condamné à mort pour apparaître comme martyr). Selon un document de l’administration américaine, maintenant déclassifié, il apparaît que six membres importants d’Al-Qaïda, ayant directement participé à l’organisation et au financement des attaques du 11 septembre, ont été capturés par les États-Unis. Bien que plus impliqués que Moussaoui, ceux-ci ne sont pas appelés à répondre de leurs actes devant la justice américaine (v. aussi Le Monde du 22 avril 2006).
[5] Los Angeles Times du 4 mai 2006.
[6] La Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’APCE a été saisie d’une proposition de résolution (doc. 10856) soulevant le problème des listes noires du Conseil de Sécurité de l’ONU et présentera prochainement un rapport sur ce sujet.]°.
1.2. Guantanamo Bay
4. A Guantanamo Bay, sur l’île de Cuba, quelques centaines de personnes sont détenues sans bénéficier d’aucune des garanties prévues par la procédure pénale d’un État fondé sur le principe de la primauté du droit ou par les Conventions de Genève en matière de droit de la guerre. Ces personnes ont été arrêtées en des circonstances inconnues, remises par des autorités étrangères en dehors de toute procédure d’extradition ou enlevées illégalement par des services spéciaux dans différents pays. Elles sont considérées comme des ennemis combattants, selon une nouvelle définition introduite par l’Administration américaine [[Suite à une injonction d’un tribunal américain, qui s’est basé sur des dispositions du droit de la presse, le Pentagone a publié pour la première fois en avril 2006 la liste des noms, avec l’indication de la nationalité, de 558 personnes détenues à Guantanamo. Une deuxième liste a été publiée le 15 mai 2006 avec l’identité de 759 personnes. Le Pentagone a cependant refusé de préciser si cette liste était exhaustive et comportait les noms de tous les prisonniers ayant transité par Guantanamo. Ceci laisse la possibilité que des détenus n’ayant pas été encore identifiés aient été incarcérés à Guantanamo par d’autres agences gouvernementales. Aucune instance externe n’est à même de confirmer si cette liste est vraiment complète.
[7] Les États-Unis d’Amérique ont le statut d’État observateur auprès du Comité des Ministres depuis le 10 janvier 1996.
[8] The Committee was concerned by allegations that the State party had established secret detention facilities, which were not accessible to the International Committee of the Red Cross. The Committee recommended that the United States cease to detain any person at Guantánamo Bay and that it close that detention facility, permit access by the detainees to judicial process or release them as soon as possible, ensuring that they were not returned to any State where they could face a real risk of being tortured (Communiqué de presse du 19 mai 2006, http://www.unog.ch/unog/website/news_media.nsf/(httpNewsByYear_en)/5FBB9C351B9E70EBC1257173004EB4CE ?O penDocument ).
[9] Cette rencontre, ainsi que d’autres pressions similaires, a été rendu publique par un éditorialiste reconnu dans un article du Washington Post à la fin de l’année dernière. L’éditeur du Washington Post, Leonard Downie Jr, aurait dit : we met with them on more than one occasion… The meetings were off the record for the purpose of discussing national security issues in [Dana Priest’s] story : Howard Kurtz, Bush Presses Editors on Security, The Washington Post, 26 December 2005.
[10] Mentionnons les rapports de Human Rights Watch (Briefing paper, octobre 2004 : The United States’ ‘Disappeared’ : The CIA’s Long-Term Ghost Detainees) et d’Amnesty International (rapport AMR51/051/2006 du 5 avril 2006 : Below the radar : secret flights to torture and ‘disappearance’), ainsi que de nombreux articles qui décrivent dans le détail les nouvelles méthodes de la lutte contre le terrorisme, notamment des extraordinary renditions ; citons, à titre d’exemple, les contributions dans le Corriere della Sera par Paolo Biondani et Guido Olimpio, ce dernier les ayant réunies et réélaborées dans un livre très documenté (Operazione Hotel California, Feltrinelli, 2005), ainsi que les articles de Stephen Grey (America’s Gulag, The New Statesman, 17 mai 2004 ; US Accused of Torture Flights, The Sunday Times, 14 novembre 2004 ; Les États-Unis inventent la délocalisation de la torture , le Monde Diplomatique, avril 2005) ; Alfred McCoy (Cruel Science. CIA Torture and U.S. Foreign Policy, New England Journal of Public Policy, Boston, 2004, article qui a été par la suite développé et publié sous forme de livre publié aussi en allemand Foltern und foltern lassen, Zweitausendeins, 2005 ; Torture by Proxy : international and Domestic Law Applicable to « Extraordinary Renditions », rapport publié en 2004 par The Committee on International Human Rights of the Association of the Bar of the City of New York and The Center for Human Rights and Global Justice, New York University School of Law, dont la conclusion ne pouvait être plus claire : Extraordinary Rendition is an illegal practice under both domestic and international law, and that, consistent with U.S. policy against torture, the U.S. government is duty bound to cease all acts of Extraordinary Rendition, to investigate Extraordinary Renditions that have already taken place, and to prosecute and punish those found to have engaged in acts that amount to crimes in connection with Extraordinary Rendition.
[11] Temporary Committee on the alleged use of European countries by the CIA for the transport and illegal detention of prisoners (TDIP ; http://www.europarl.eu.int/comparl/tempcom/tdip/default_en.htm).
[12] Le Monde du 27 avril 2006.
[13] Le Monde du 18 mai 2006.
[14] La proposition de résolution du Parlement Européen annexée au rapport intérimaire peut être consultée sur http://www.europarl.europa.eu/comparl/tempcom/tdip/interim_report_fr.pdf. Je tiens à remercier la Commission Temporaire et le Rapporteur M. Fava d’avoir permis la participation d’un membre de mon équipe lors des visites en Macédoine et aux États-Unis.
[15] Paroles de la Juge Sandra Day O’Connor dans l’affaire José Padilla, jugée par la Cour Suprême le 28 juin 2004.
[16] L’idée du renversement de la charge de la preuve, quand les autorités concernées ne remplissent pas leurs obligations positives d’investigation n’est pas nouvelle : l’article 39 du Règlement de la Commission Inter-Américaine des Droits de l’Homme prévoit que les faits allégués dans une requête, transmis à l’État en question, sont présumés véridiques si l’État n’a pas donné des informations pertinentes en réponse, pendant le délai imparti par la Commission à cet effet, pour autant que d’autres preuves ne justifient pas un résultat différent. Au sein du Conseil de l’Europe, cette idée a été appliquée dans le Rapport des Experts Indépendants du Secrétaire Général (MM. Alkema et Trechsel) sur les prisonniers politiques en Azerbaïdjan (doc SG/Inf (2001)34 Addendum I), dans lequel il est indiqué que les cas ont été soumis aux autorités pour leurs commentaires et observations et qu’en l’absence d’observations substantielles des autorités, les experts ont dû se baser sur des allégations plausibles provenant d’autres sources (id., p. 20).
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