Suite au sommet ACL-UE de Lima, le président équatorien Rafael Correa entend accélérer le rapprochement entre la Communauté andine et l’Union européenne. Mais pas à n’importe quel prix. Il rappelle que pour son gouvernement, le respect des droits des migrants n’est pas négociable, pas plus que ne sauraient être imposés des accords léonins de libre-échange.
Monsieur le Président du Parlement Européen
Monsieur le Président de la Commission Européenne
Messieurs les parlementaires européens
Messieurs les chefs d’État et de gouvernement
A l’occasion du sommet Amérique latine et Caraïbe-Union européenne (ALC- UE) célébré à Lima, du 15 au 17 mai derniers, j’ai exprimé la volonté de mon gouvernement d’oeuvrer pour une nouvelle relation entre la Communauté andine et l’Union européenne qui rende compte des changements actuels et d’une réalité qui exige de nous des réponses différentes dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités, et qui, de manière générale, permettent d’atteindre les objectifs de développement internationalement reconnus.
Le défi multiple des crises globales dans des domaines aussi centraux que l’alimentation, le climat, l’énergie et le système monétaire et financier requiert un nouveau type de coopération Nord/Sud, et les Communautés européenne et andine pourraient très bien prendre cette nouvelle direction dès à présent.
Un des éléments essentiels pour la construction de cette nouvelle relation entre nos deux régions est, sans aucun doute, un Accord d’Association global qui soit l’expression effective de la solidarité entre la Communauté andine et l’Union européenne. Cet Accord représente une formidable opportunité d’approfondir des engagements importants - encadrés par les principes de réciprocité et le respect des normes et des règles contenues dans le droit international – qui doivent se traduire par des mécanismes efficaces de dialogue politique et des engagements larges et vérifiables en matière de coopération au développement, qui tendent à engendrer une authentique relation de « partenaires », qualitativement supérieure à une relation purement commerciale.
Le pilier du Dialogue politique doit permettre de traiter tous les thèmes essentiels de la relation bilatérale et servir de base pour trouver des solutions à des problèmes spécifiques liés à des thèmes sensibles, comme par exemple les migrations. La Coopération doit quant à elle s’attacher non seulement à fournir les moyens de remplir les engagements pris, mais elle doit aussi s’orienter vers le renforcement des capacités de l’Accord à générer des bénéfices pour atteindre le développement.
La position de mon gouvernement est que ces deux piliers doivent primer, puisque c’est là que se trouve la clé pour faire de cet Accord d’Association autre chose qu’un traité de libre échange.
C’est sur ces piliers que doivent s’établir les lignes directrices et les engagements majeurs afin de faire face aux asymétries entre les deux régions et entre les pays de la région andine. Un des thèmes fondamentaux est celui du financement du développement, qui comprend des aspects tels que le respect par les États de l’UE de la recommandation des Nations Unies de consacrer 0,7 % de leur PIB à la coopération, et la mise en place de mesures pour avancer dans la reconnaissance de la coresponsabilité entre créanciers et débiteurs sur la question de la dette externe (Consensus de Monterrey).
En ce qui concerne le pilier du Commerce, il est fondamental de se reposer la question du soutien au commerce comme outil de développement en fonction des objectifs internes de résolution de la pauvreté et des grands problèmes globaux. Dans cette perspective, il est important que l’Accord d’Association soit synonyme d’une amélioration substantielle du Système Généralisé de Préférences (SGP +) et que ses avantages soient accordés sans exiger de conditions inacceptables dans d’autres domaines de la négociation comme les Marchés publics, les Services et les Investissements (ou Établissement, selon le terme de la proposition européenne) et la Propriété intellectuelle, qui affecteraient la souveraineté des pays en les empêchant de mettre en œuvre des politiques publiques nationales destinées à promouvoir un développement soutenable.
Dans ce sens, force est de mentionner les effets néfastes que le système financier et commercial international actuel a occasionnés dans mon pays dans les domaines de l’économie, de la démocratie, de l’environnement et des droits humains. L’application des politiques du Consensus de Washington, au travers d’instances telles que le Fonds Monétaire International, la Banque mondiale, les traités de promotion et de protection des investissements, les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce et de ses accords annexes multilatéraux ont, dans la plupart des cas, consolidé et même approfondi les inégalités entre les pays. Cette expérience doit nous servir de leçon pour ne pas répéter les mêmes erreurs à l’avenir.
En effet, la conditionnalité comme principe des relations internationales de coopération n’est que le reflet d’une situation de pouvoir, qui creuse les inégalités entre nos pays, et qui ne correspond pas aux relations amicales et respectueuses des principes, normes et règles de la Charte des Nations Unies, ni à celles de nos droits nationaux et régionaux.
Il est important que les pays fassent un grand effort pour repenser l’ouverture insensée et indiscriminée qui s’est imposée de manière accélérée ces dernières décennies, puisqu’en essayant d’uniformiser les règles du jeu entre des pays structurellement asymétriques, on exacerbe ces asymétries et on condamne ces pays à une situation de polarisation permanente dans la division internationale du travail. C’est pourquoi un des autres thèmes primordiaux est celui de l’établissement d’un nouvel ordre économique, financier et commercial international, et à l’intérieur de celui-ci la révision de la politique des pays membres de l’Union européenne au sein des institutions financières internationales et de l’Organisation Mondiale du Commerce.
Cependant, ces défis doivent prendre en compte les nouvelles expressions de la crise que ce système international a provoquée, comme le changement climatique et les crises énergétique, alimentaire et financière. L’Accord d’Association ne peut se négocier en marge de ces problèmes, il doit les inclure et les affronter. C’est pour cela que mon gouvernement s’est proposé de contribuer à la redéfinition des relations économiques internationales, ce qui impliquera une nouvelle concertation Nord/Sud, qui, nous l’espérons, sera appuyée par l’UE.
C’est dans ce sens que nous construisons une nouvelle architecture financière régionale et nationale, qui met en question et défie le système financier international actuel. Nous voulons redéfinir aussi bien le fond que la forme des règles et de la logique mercantiliste avec lesquels ont fonctionné jusqu’à présent l’OMC, les accords de libre échange et les traités de promotion et de protection réciproque des investissements.
Cependant, je dois exprimer ma préoccupation vis-à-vis d’événements qui semblent remettre en cause la recherche de ce nouveau cadre de relations entre les deux régions. L’un se réfère à la politique migratoire et au traitement administratif et juridique des personnes migrantes, sur lesquels le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU lui-même, à travers sa Haut- Commissaire, a attiré l’attention en raison de la radicalisation des politiques de contrôle de l’immigration illégale en Europe, ce qui, indirectement, attise les attitudes d’intolérance et de xénophobie au sein de l’espace communautaire.
Tel est le cas de la Directive Retour, approuvé le 5 juin dernier par les pays membres de l’UE et adoptée par 54,9 % des eurodéputés. Cette Directive représente de toute évidence un recul certain en matière de protection et de garantie des droits des personnes migrantes, en établissant une période de rétention excessive, en facilitant les mécanismes de déplacement forcé et en affaiblissant le droit des détenus à bénéficier d’une assistance juridique gratuite et à faire appel des décisions administratives les concernant. Le texte n’offre pas non plus de garanties suffisantes aux mineurs, ou à ceux qui ont été séparés de leurs parents dans le cas d’une détention ou d’une expulsion des uns ou des autres. Tel est le cas aussi de l’Accord de Prüm, ratifié par 7 États membres de l’Union européenne qui, avec d’autres instruments juridiques, institutionnalise des pratiques qui violent les droits humains fondamentaux et qui sont incompatibles avec des États démocratiques tels que les États européens.
Notre position en tant que gouvernement et président temporaire de la Communauté andine des Nations a été exprimée avec fermeté : nous nous opposons à la tendance générale qui consiste à criminaliser la mobilité humaine dans l’espace européen et nous rejetons frontalement la validité de cette Directive Retour qui, selon nous, impose un véritable « État d’exception » contre les personnes qui exercent leur droit à la mobilité. Au contraire, nous appuyons les démarches qui misent sur le renforcement des processus d’intégration sociale et celles qui reconnaissent et valorisent l’apport extraordinaire que réalisent ces personnes aux économies et aux sociétés d’accueil. Nous avons également exprimé notre volonté d’ouvrir, de manière urgente, un dialogue franc, constructif et horizontal entre les pays d’origine, de transit et d’accueil des processus migratoires, qui permettrait de réviser ces mesures répressives et d’avancer dans l’adoption de politiques communes, véritablement approuvées par tous et qui abordent, dans une perspective globale, les causes structurelles qui motivent les migrations massives forcées de millions de personnes dans le monde entier.
Au cas où ces questions ne seraient pas prises en compte, et où les droits de la population migrante, notamment des Équatoriens et Équatoriennes, seraient gravement affectés, mon gouvernement envisagera sérieusement de se retirer de la négociation de l’Accord d’Association.
Le second thème qui nous préoccupe se réfère à une déclaration qu’aurait faite le Commissaire Mandelson, dans le cadre d’une réunion des Ministres et Représentants du Commerce de l’Union européenne et de la Communauté andine précédant le Sommet des Présidents ALC-UE, selon laquelle le piler commercial de l’Accord d’Association serait un traité de libre échange. Bien que cela ait été par la suite démenti par le Président de la Commission européenne, José Manuel Durao Barroso, il me semble nécessaire de confirmer la décision de mon gouvernement, qui va au-delà de la relation avec l’UE, de ne négocier de traité de libre échange avec aucun pays. Nous croyons au commerce, mais pas à l’ouverture irrationnelle et indiscriminée des marchés.
Au moment de confirmer la haute importance que nous attribuons au processus de négociation UE-CAN (Communauté andine des nations), je désire témoigner de notre préoccupation à propos du report de la IVe ronde de négociation.
Pour terminer, je voudrais vous exprimer, Monsieur le Président, ma plus ferme volonté de travailler en faveur de ce nouveau cadre qui doit régir les relations entre l’Union européenne et la Communauté andine, et qui doit répondre à cette époque de changements, et admettre les différentes conceptions du développement dans un esprit de justice et de respect.
Cordialement,
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