– « Premier rapport de l’Onu sur Daesh », Réseau Voltaire, 9 février 2016.
Rapport du Secrétaire général sur la menace que représente l’État islamique d’Iraq et du Levant (Daech) pour la paix et la sécurité internationales et sur l’action menée par l’Organisation des Nations Unies pour aider les États Membres à contrer cette menace
I. Introduction
1. Par sa résolution 2253 (2015), adoptée le 17 décembre 2015, le Conseil de sécurité a affirmé sa détermination à faire front à la menace que représente pour la paix et la sécurité internationales l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL, également connu sous le nom de Daech) et les autres personnes et groupes qui y sont associés, et a déclaré qu’il fallait empêcher le groupe d’avoir accès à des fonds et de planifier et faciliter des attaques. Au paragraphe 97 de sa résolution 2253 (2015), le Conseil m’a prié de lui présenter un rapport stratégique initial qui montre et traduise la gravité de cette menace et traite notamment de la menace que représentent les combattants terroristes étrangers qui rejoignent les rangs de l’EIIL et des groupes et entités associés, de leurs sources de financement, en particulier grâce au commerce illicite de pétrole, d’antiquités et d’autres ressources naturelles, et de la planification et la facilitation d’attaques, et de le tenir ensuite régulièrement informé tous les quatre mois. Le Conseil a également demandé que le rapport présente l’action menée par l’Organisation des Nations Unies pour aider les États Membres à contrer cette menace.
2. Dans mon rapport initial (S/2016/92), paru le 29 janvier 2016, j’ai abordé les points soulevés par le Conseil et formulé des recommandations visant à renforcer les moyens dont disposaient les États Membres pour atténuer la menace que représentait l’EIIL et ceux dont disposait l’ONU pour appuyer ces efforts.
3. Le présent rapport a été établi avec le concours de la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme et de l’Équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions créée par la résolution 1526 (2004) du Conseil de sécurité concernant Al-Qaida, les Taliban et les personnes et entités qui leur sont associées, qui relève du Comité du Conseil de sécurité faisant suite aux résolutions 1267 (1999), 1989 (2011) et 2253 (2015) concernant la gravité de la menace que représente l’EIIL et son évolution géographique, et en étroite collaboration avec l’Équipe spéciale de lutte contre le terrorisme, le Centre des Nations Unies pour la lutte contre le terrorisme et d’autres des organisations internationales et acteurs concernés du système des Nations Unies. J’y fais le point de la gravité de la menace que représentent l’EIIL et les groupes et entités qui lui sont associés, ainsi que des sources de financement de l’EIIL. Je reviens sur les efforts accomplis par les États Membres et les progrès réalisés dans la mise en œuvre des mesures de lutte contre le terrorisme dans un certain nombre de domaines thématiques, ainsi que sur la menace que représentent les combattants terroristes étrangers qui regagnent leur État d’origine ou se rendent dans d’autres États. J’examine également la présence et l’influence de l’EIIL à l’extérieur de l’Iraq et de la République arabe syrienne, notamment en Afghanistan, en Asie du Sud-Est et en Libye ; l’utilisation faite par l’EIIL des technologies de l’information et des communications ; la question des violences sexuelles liées aux conflits ; l’éventail d’activités d’assistance technique et de renforcement des capacités entreprises par l’Organisation des Nations Unies et ses partenaires.
II. Gravité de la menace
A. Menace que représentent l’EIIL et les groupes et entités qui lui sont associés
4. La menace mondiale que représente l’EIIL reste élevée et continue de se diversifier. Depuis mon rapport initial, la pression militaire que les forces de la coalition internationale continuent d’exercer en Iraq et en République arabe syrienne a entraîné de graves revers militaires pour l’EIIL. Toutefois, même si un coup d’arrêt a été porté à l’expansion territoriale de l’EIIL dans les deux États, qui a même perdu du terrain au cours des derniers mois, de nombreux États Membres ont noté que l’affaiblissement de l’EIIL n’était pas encore de nature stratégique et irréversible. Plusieurs signalent néanmoins une nette augmentation du nombre de combattants terroristes de retour dans leur pays après avoir séjourné en Iraq et en République arabe syrienne. En outre, d’après les informations communiquées par des États Membres, les principaux dirigeants de l’EIIL ont récemment tenu des débats concernant la stratégie future du groupe. Ces discussions n’ont, semble-t-il, pas encore perturbé gravement la cohésion interne entre les principaux dirigeants, mais il faut continuer de surveiller l’évolution de la situation.
5. Plusieurs États Membres ont dit que les principaux dirigeants de l’EIIL cherchaient à promouvoir le rôle de leurs affiliés. En outre, les récentes attaques internationales perpétrées par des membres de l’EIIL montrent que le groupe terroriste entre dans une nouvelle phase ; il existe un risque accru que des attaques bien préparées et centralisées contre des cibles civiles internationales deviennent plus fréquentes. Au cours des six derniers mois seulement, l’EIIL a exécuté, motivé ou revendiqué des attentats terroristes en Allemagne, au Bangladesh, en Belgique, en Égypte, aux États-Unis d’Amérique, dans la Fédération de Russie, en France, en Indonésie, au Liban, au Pakistan et en Turquie. Plus de 500 personnes ont été tuées et des centaines d’autres blessées dans ces attentats, sans parler des attaques et des combats dans les zones de conflit en Afghanistan, en Iraq, en Libye, en République arabe syrienne ou au Yémen. L’EIIL continue donc de représenter une grave menace terroriste au niveau mondial.
6. Les attentats commis à Paris en novembre 2015 et à Bruxelles en mars 2016 montrent que l’EIIL est capable d’organiser simultanément des attaques complexes. Les services nationaux chargés de l’application des lois continuent d’enquêter sur ces attentats, mais il est déjà évident qu’ils ont été coordonnés par des combattants terroristes étrangers de retour en Europe après avoir séjourné sur le territoire contrôlé par l’EIIL en République arabe syrienne. Dans une certaine mesure, ces cellules ont reçu des instructions des dirigeants de l’EIIL et ont été aidées par une série de personnes et de groupes ayant déjà des crimes à leur actif (y compris de groupes terroristes affiliés à Al-Qaida), qui leur ont servi d’intermédiaires. Cela montre que les combattants de l’EIIL de retour dans leur pays sont à même de rejoindre rapidement des partisans d’Al-Qaida et des réseaux extrémistes bien établis et de bénéficier de leur appui, ce qui leur permet de compléter les compétences qu’ils viennent d’acquérir en matière de terrorisme par une connaissance du terrain et un appui sur place.
7. Enfin, les pressions constantes exercées sur l’EIIL en Iraq et en République arabe syrienne augmentent également la probabilité que le groupe terroriste cherche à transférer des fonds à des personnes ou des groupes qui lui sont affiliés à l’extérieur de la zone immédiate de conflit actuelle. Selon les premiers rapports reçus des États membres, il est possible qu’il le fasse déjà.
8. Tous ces éléments montrent que les États frontaliers des territoires placés sous le contrôle de l’EIIL en Iraq et en République arabe syrienne jouent un rôle crucial dans les efforts réalisés pour saper durablement les capacités du groupe terroriste. Le fait que celui-ci continue d’avoir un accès direct aux frontières internationales reste très préoccupant. Plusieurs États Membres font état de difficultés majeures à cet égard. Aucun État Membre n’a signalé que l’EIIL manquait d’une manière ou d’une autre d’armes ou de munitions, ce qui est inquiétant. Ainsi, le risque que des combattants étrangers et des fonds de l’EIIL quittent la région via des États Membres voisins, mais aussi que des armes et des munitions, destinées directement ou indirectement à l’EIIL, y entrent, reste un grave sujet de préoccupation.
B. Sources de financement de l’EIIL
9. Pour la première fois depuis qu’il a proclamé le « califat » en juin 2014, le noyau de l’EIIL connaît des difficultés financières. La réduction de 50 % des salaires des combattants, qu’il a officiellement annoncée à Raqqa (République arabe syrienne) à la fin de l’année 2015 , en témoigne. Bien que leur importance relative ait changé, les sources de revenus de l’EIIL ne se sont guère diversifiées depuis mon rapport initial. L’EIIL continue de prélever des impôts et de recourir à l’extorsion, et tire également des revenus de l’exploitation des ressources énergétiques. Toutefois, selon plusieurs États Membres, la production et le raffinage de pétrole, et les revenus qu’ils lui rapportent, ont diminué en raison des frappes aériennes internationales. En outre, d’après un État Membre, le Gouvernement iraquien a privé le territoire contrôlé par l’EIIL de 2 milliards de dollars de ressources annuelles en décidant de ne plus verser de salaires aux fonctionnaires qui y vivent, ce qui a considérablement amoindri la faculté de l’EIIL d’y lever des « impôts ».
10. Certains États Membres estiment que la production pétrolière de l’EIIL a chuté de 30 à 50 % en raison des facteurs susmentionnés. Cependant, l’Équipe de surveillance souligne qu’il existe aussi probablement un effet de vases communicants : lorsqu’une source se tarit, l’EIIL cherche à obtenir des revenus par d’autres moyens (voir S/2015/739). D’après certains États Membres, il a tenté de compenser la diminution de ses recettes pétrolières par une intensification des mesures d’imposition et d’extorsion (il a par exemple augmenté le prix de certains permis et imposé de plus en plus d’« amendes »). Selon l’un d’eux, il a créé de nouveaux impôts et augmenté le taux de ceux déjà en place.
11. D’après la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq (MANUI), l’EIIL a vu diminuer sa capacité de piller et de vendre de nouveaux biens, ressources et antiquités étant donné qu’il n’a conquis aucun nouveau territoire en Iraq depuis un certain temps. On ignore les montants exacts qu’il tire du trafic d’antiquités, mais cette activité demeure une source de revenus . Depuis mon rapport initial, les services chargés de l’application des lois en Europe occidentale ont ouvert des enquêtes sur ce type de trafic, deux d’entre elles concernant le secteur privé. Les organisations internationales et régionales ont également signalé les risques que couraient les objets artisanaux libyens et yéménites, dont le pillage et la vente pourraient constituer une source de financement pour les groupes terroristes visés par les sanctions.
12. Comme on l’a dit, en raison des difficultés financières qu’il connaît en République arabe syrienne et en Iraq, l’EIIL risque de chercher de plus en plus de nouvelles sources de revenus. La communauté internationale doit donc rester vigilante face aux tentatives déployées par l’EIIL pour diversifier encore ses sources de revenus ou mieux tirer profit de celles de second plan. Par exemple, il est possible que l’EIIL sollicite des dons extérieurs (qui ont jusqu’à présent représenté une part relativement faible de ses revenus) ou qu’il prenne davantage d’étrangers en otage en vue d’obtenir des rançons. Comme l’Équipe de surveillance l’a déjà signalé, cette dernière activité a été très lucrative pour l’EIIL en 2014 (voir S/2014/770 et S/2014/815), nettement moins en 2015. S’il tente encore d’utiliser des otages étrangers en échange de rançons plutôt qu’à des fins de propagande en diffusant d’atroces vidéos de leur exécution, cela témoignera encore de ses difficultés financières croissantes.
13. Étant donné que les frappes militaires contre les champs pétrolifères et les installations connexes contrôlés par l’EIIL se poursuivent et l’empêchent de raffiner le pétrole de façon optimale, l’EIIL risque de redoubler d’efforts en vue de se procurer le matériel et les pièces de rechange nécessaires pour reprendre l’exploitation des hydrocarbures. Il est donc essentiel de prendre les mesures qui s’imposent pour l’empêcher d’obtenir ce matériel et de réparer les installations détruites (voir S/2016/213). Certains États Membres s’emploient à établir une liste de matériel et de pièces de rechange qu’il pourrait tenter de se procurer en vue de la diffuser aux entités du secteur privé, qui pourront ainsi mieux appliquer les mesures en question.
14. Comme l’EIIL demeure sous pression en Iraq et en République arabe syrienne (notamment en raison de mesures militaires visant les sites d’entreposage de liquidités), il tentera vraisemblablement de déplacer ses fonds à l’étranger et d’échanger la monnaie locale contre des devises ou des denrées telles que l’or, qui peuvent être transférées ou utilisées plus facilement au niveau international. Les entreprises de transfert de fonds, les bureaux de change du système bancaire hawala et les autres systèmes officieux de virement peuvent être exploités facilement à des fins frauduleuses. Les nouvelles méthodes de paiement, telles que les cartes prépayées et les monnaies virtuelles, devraient elles aussi faire l’objet d’une vigilance appuyée. L’EIIL continue malgré tout de transférer des fonds grâce à la contrebande d’espèces. La voie bancaire classique ne doit pas non plus être négligée.
15. Certains États Membres, dont l’Iraq, ont déjà pris d’importantes mesures pour limiter la capacité de l’EIIL d’accéder au secteur financier . Toutefois, il faut maintenir une vigilance constante dans ce domaine, en particulier dans les États Membres limitrophes du territoire contrôlé par l’EIIL, ce qui est essentiel pour empêcher celui-ci non seulement de conserver des fonds à l’étranger, mais aussi de les distribuer aux groupes qui lui sont affiliés et d’aider à organiser des attentats dans le monde entier. Comme je l’ai noté dans mon rapport initial, la multiplication de ces groupes et des serments d’allégeance à Abu Bakr al-Baghdadi constatée ces deux dernières années témoigne de la portée et des ambitions mondiales de l’EIIL.
16. Certains groupes ont été affiliés à l’EIIL dès leur création, tandis que d’autres s’y sont ralliés par la suite. D’après plusieurs États, certains groupes terroristes prêtent serment d’allégeance à l’EIIL par opportunisme, pour bénéficier de l’appui, financier notamment, de son noyau, qui ne manque pas de ressources. Selon certains États Membres, l’EIIL fournit des fonds, dont un « capital de démarrage », aux groupes qui lui sont affiliés, notamment en Afrique du Nord et en Afghanistan. Un État Membre affirme que le noyau de l’EIIL utilise sa « province » en Libye comme plaque tournante pour transférer des fonds à d’autres groupes terroristes. En outre, au moins certains des attentats commis à l’étranger par des cellules de l’EIIL ont été partiellement financés par des fonds levés dans la zone de conflit . Les attentats commis par l’EIIL à l’étranger contre des « objectifs non protégés » sont relativement peu coûteux et peuvent, dans bien des cas, être financés localement, notamment par le détournement de prestations sociales et la petite délinquance. Par contre, créer et maintenir un groupe et lui fournir un appui à long terme coûte beaucoup plus cher. Le financement par l’EIIL de ses réseaux et des groupes qui lui sont affiliés demeure donc une préoccupation majeure.
17. Enfin, on ne peut cibler uniquement les sources de financement de l’EIIL en Iraq et en République arabe syrienne. De nombreuses voies de contrebande sillonnent la Libye, où l’EIIL est aussi en mesure de prélever des impôts sur l’activité économique et le trafic (voir S/2015/891). Ainsi, en étendant et en consolidant son territoire, l’EIIL peut diversifier ses sources de financement. Jusqu’à présent, rien n’indique qu’un groupe affilié à l’EIIL en finance le noyau. C’est toutefois un autre domaine dans lequel il faut faire preuve de vigilance, afin d’éviter qu’un quelconque de ces groupes n’obtienne suffisamment de sources de revenus pour le faire.
C. Combattants terroristes étrangers rejoignant l’EIIL et des groupes et entités qui lui sont associés : planification et facilitation des attaques
18. Des combattants terroristes étrangers du monde entier continuent de rejoindre en nombre les rangs de l’EIIL en Iraq et en République arabe syrienne. Selon un État Membre, environ 38 000 personnes auraient tenté de se rendre dans la région au cours des dernières années. D’après plusieurs États Membres, l’EIIL commanderait actuellement une armée d’environ 30 000 individus dans la région, chiffre qui englobe citoyens syriens et iraquiens et combattants terroristes étrangers. À l’heure actuelle, la plupart des combattants terroristes étrangers engagés aux côtés de l’EIIL sont originaires d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et d’Asie centrale. Une bonne partie vient aussi d’Europe, d’Asie du Sud et d’Asie du Sud-Est. Selon les informations fournies par des États Membres, les arrivées de combattants se poursuivent. Alors que dans certaines régions, les départs de combattants terroristes étrangers ont ralenti, dans d’autres, le nombre de ceux qui partent ou tentent de partir a augmenté. Les mesures prises par les États pour repérer et décourager les combattants terroristes étrangers, ainsi que le renforcement des contrôles aux frontières de l’Iraq et de la République arabe syrienne, contribuent sans doute à limiter le nombre d’individus en mesure de rejoindre l’EIIL.
19. Les combattants terroristes étrangers résolus à partir qui sont au fait de ces contrôles savent dissimuler leur intention de voyager ; ils utilisent notamment des forums privés et des services de messagerie cryptée pour communiquer avec ceux qui facilitent leur voyage. Des informations indiquent que certains d’entre eux ont eu recours à des documents d’identité falsifiés ou volés et essayé de cacher leurs déplacements vers l’Iraq et la République arabe syrienne en empruntant des itinéraires détournés.
20. Les individus qui partent rejoindre l’EIIL en Iraq et en République arabe syrienne continuent de présenter des profils variés et de répondre à des motivations très diverses. En conséquence, les États Membres ont encore du mal à identifier les combattants terroristes étrangers en puissance. Certains ont une histoire personnelle dans les zones de conflit, d’autres rejoignent l’EIIL pour des raisons idéologiques ; d’autres encore sont avant tout attirés par le salaire. Le fait que l’EIIL continue de recruter des femmes et que des enfants participent aux combats restent des sujets de préoccupation.
21. Certains États affirment que l’Asie du Sud-Est risque à nouveau d’être frappée par des attentats terroristes. Si le nombre de combattants terroristes étrangers de cette région qui partent rejoindre l’EIIL en Iraq et en République arabe syrienne est relativement peu élevé par rapport à d’autres régions, il est tout de même de plusieurs centaines. Les dirigeants de plusieurs groupes d’Asie du Sud-Est, anciens et récents, ont prêté allégeance à Abu Bakr al-Baghdadi (voir S/2015/441). L’existence d’une unité militaire de l’EIIL composée d’Indonésiens et de Malaisiens, connue sous le nom de Katiba Nousantara ou Unité de combat de l’archipel malais, fait craindre que d’anciens combattants ayant pris part aux conflits en Iraq et en République arabe syrienne n’en reviennent avec de nouvelles compétences.
22. Un nombre croissant de combattants terroristes étrangers retournent également dans leur pays d’origine. Certains quittent les zones de conflit déçus par les pratiques de l’EIIL et par le conflit dans lequel ils s’étaient engagés. D’autres en reviennent radicalisés, avec l’intention et les moyens de mener des attentats terroristes dans leur pays d’origine ou de résidence. Pour éviter de se faire repérer, ils effectuent notamment des « itinéraires fractionnés », utilisent des documents de voyage falsifiés ou volés ou se mêlent aux flux de migrants. Comme on l’a vu à Paris et à Bruxelles, ces individus appartiennent à des cellules et à des réseaux. Beaucoup se sont livrés à des activités criminelles par le passé et ont déjà des liens avec des organisations criminelles pouvant les aider à accéder à des armes et à des explosifs. En outre, ils reviennent aguerris, formés à l’utilisation des explosifs et forts d’une connaissance des pratiques appliquées par les services de police et de sécurité. Il est par conséquent difficile de les repérer.
23. Ces cellules commettent des attentats de plus en plus complexes, qui traduisent l’intention de s’en prendre simultanément à des cibles multiples, de mettre à rude épreuve les ressources des services de police et de sécurité, de semer la panique parmi la population et de faire un grand nombre de victimes. Certains de ces groupes terroristes sont semble-t-il dirigés depuis l’étranger. En outre, des combattants sont partis dans d’autres zones de conflit pour rejoindre des éléments affiliés à l’EIIL, créer de nouveaux groupes répondant à l’idéologie de l’EIIL ou mettre en place des filières de financement, dans le cadre de la stratégie de l’EIIL visant à accroître sa présence mondiale. Enfin, et surtout, plusieurs centaines de combattants terroristes étrangers sont retournés en Lybie.
III. Évolution de la menace
24. Dans les sections suivantes, j’appelle l’attention sur la menace émergente que représente l’EIIL pour d’autres États que l’Iraq et la République arabe syrienne, j’examine l’utilisation faite par l’EIIL des technologies de l’information et des communications et je traite de la question des violences sexuelles liées aux conflits.
A. Évolution géographique de la menace que représente l’EIIL
25. Étant donné la forte présence de l’EIIL en dehors de l’Iraq et de la République arabe syrienne, on trouvera dans le présent rapport des informations sur les principaux groupes qui lui sont affiliés et sur les régions où il existe un risque élevé que de nouveaux groupes soient créés. Ces questions seront abordées plus en détail dans les rapports qui seront présentés ultérieurement en application du paragraphe 97 de la résolution 2253 (2015) pour faire le point de la situation.
1. État islamique de Libye
26. Présente depuis 18 mois en Libye, cette branche de l’EIIL reste un élément de la stratégie mise en place délibérément par l’organisation mère pour se développer hors de l’Iraq et de la République arabe syrienne. Les États Membres notent que pour certains des hauts dirigeants de l’EIIL, la Libye pourrait être un autre lieu d’expansion, compte tenu des difficultés grandissantes rencontrées par l’EIIL en Iraq et en République arabe syrienne. En outre, l’EIIL a pris conscience que s’implanter en Libye lui permettrait de créer une plaque tournante qui l’aiderait à se développer dans l’ensemble du Maghreb et du Sahel, et au-delà. L’EIIL continue donc de tirer parti du vide politique et sécuritaire en Libye. La branche libyenne a également bénéficié de conseils fournis par les dirigeants de l’organisation mère, ainsi que de la vaste expérience et des connaissances de l’EIIL, notamment en matière de propagande et de fabrication d’engins explosifs improvisés.
27. Des États Membres affirment en outre que l’État islamique de Libye appuie d’autres cellules de l’EIIL au Maghreb (en particulier en Tunisie, où il a déjà fourni un appui à des individus affiliés à l’EIIL). Des informations indiquent également que des activités de recrutement et d’appui sont menées sans relâche dans la région. Les services de sécurité des États Membres ont récemment démantelé plusieurs cellules associées à l’EIIL basées au Maghreb.
28. De nombreux combattants ont rejoint l’État islamique de Libye depuis sa création. L’organisation mère a renvoyé dans leur pays un groupe d’environ 800 Libyens qui combattaient dans ses rangs en Iraq et en République arabe syrienne afin d’intensifier les activités de l’EIIL dans le pays (S/2015/891, par. 21) et continue d’attirer des combattants du Maghreb, du Sahel, du Moyen-Orient, d’Afrique de l’Est et d’États occidentaux. Bien qu’il y ait sensiblement moins de combattants terroristes étrangers en Libye qu’en Iraq et en République arabe syrienne, les États Membres estiment que les forces armées de l’EIIL dans le pays (qui sont essentiellement composées de combattants terroristes étrangers) comptent entre 3 000 et 5 000 individus. Selon les États Membres, la Libye est un point de cheminement et un sanctuaire pour les combattants terroristes étrangers qui rentrent dans leur pays ou se rendent dans d’autres États. Toutefois, l’État islamique de Libye continue d’être perçu comme « extérieur » par la population locale et par d’autres factions libyennes (ibid., par. 8).
29. L’État islamique de Libye a gagné du terrain dans un délai relativement court. Il a récemment mené des attaques visant la côte est de Syrte (y compris les installations pétrolières) de manière à empêcher d’autres groupes et des factions rivales dans le pays d’accéder à des sources de revenus. L’EIIL s’emploie systématiquement à élargir sa sphère d’influence en attaquant des postes de sécurité, des zones habitées et des installations vitales. Toutefois, il a du mal à mener des opérations et à élargir son champ d’action hors de son fief de Syrte, où se trouvent la plupart des dirigeants de l’État islamique de Libye. D’après les renseignements fournis par des États Membres, l’EIIL contrôle plusieurs cellules à Derna, Ajdabiya et Benghazi, où des opérations militaires ont permis de déloger d’importants groupes de combattants de l’EIIL. Tripoli continue également d’abriter des cellules de l’EIIL. Enfin, des États Membres signalent la présence d’un petit groupe de l’EIIL dans le sud de la Libye, chargé de fournir un appui logistique aux nouveaux combattants terroristes étrangers et de les entraîner. Le 19 février 2016, l’État islamique de Libye a subi un important revers à Sabrata : plus de 40 combattants terroristes étrangers, dont de nombreux Tunisiens impliqués dans des attaques de grande envergure dans leur pays, ont été tués dans une frappe aérienne.
30. D’après les informations communiquées par des États Membres, l’État islamique de Libye continue de s’autofinancer en grande partie grâce à des « impôts » prélevés à Syrte et dans les environs. Cependant, un État Membre a également signalé que l’organisation mère lui apportait un soutien financier par l’intermédiaire d’émissaires. À l’heure actuelle, l’EIIL ne semble pas tirer un revenu direct de l’exploitation du pétrole brut de la Libye .
31. Compte tenu des difficultés qu’il continue de rencontrer pour consolider son territoire, bâtir des alliances et rivaliser avec d’autres acteurs, notamment les réseaux de contrebande transnationale de la région, l’État islamique de Lybie ne devrait pas connaître de nouvel essor dans les prochains mois. Néanmoins, sa présence reste un facteur de risque. Il faudra donc continuer à surveiller ses capacités opérationnelles, l’évolution de son influence dans un contexte local qui ne lui est pas nécessairement favorable et les réactions d’autres groupes terroristes au Sahel et en Afrique de l’Ouest.
2. L’EIIL en Afghanistan
32. Le vide laissé à la tête de l’ « Émirat islamique » des Taliban après la mort du mollah Omar a été comblé à la mi-2015 lorsqu’un nouveau commandeur des croyants, Akhtar Mohammed Mansour, a fait une déclaration dans laquelle il a imploré Abu Bakr al-Baghdadi de ne pas implanter son mouvement en Afghanistan. Le nouveau chef des Taliban, contesté en raison d’une assise tribale étroite, de sa compromission dans le trafic de drogue et d’un train de vie somptueux, a été la cause du ralliement à l’EIIL d’un certain nombre de factions appartenant au mouvement taliban afghan. Le Mouvement islamique d’Ouzbékistan, qui avait jusque-là manifesté sa loyauté envers le noyau dur d’Al-Qaida, s’est également davantage identifié au « califat » de l’EIIL et n’a pas accepté la nouvelle direction en dépit du serment de loyauté fait en septembre 2015 par le chef d’Al-Qaida, Aiman Muhammed Rabi al-Zawahiri, à Akhtar Mohammad Mansour. Certains membres de l’EIIL en Afghanistan sont d’anciens combattants de Tehrik-e-Taliban Pakistan. Ces deux derniers groupes avaient été déplacés de leur refuge au Waziristan du Nord (Pakistan) vers des zones frontalières en Afghanistan. Une poignée seulement d’individus affiliés à l’EIIL en Afghanistan sont venus directement d’Iraq et de la République arabe syrienne.
33. Les forces conduites par Akhtar Mohammad Mansour ont mis en échec ces nouvelles factions de l’EIIL dans le sud, le sud-est et l’ouest de l’Afghanistan, retardant dans chaque territoire les poussées offensives qui devaient être menées contre le Gouvernement afghan. Dans ces zones, l’EIIL est donc entré dans la clandestinité tout en demeurant actif. En 2015, il a pu reprendre le contrôle des districts d’Achin, de Deh Bala, de Kot et de Naziyan (province de Nangarhar), le long de la frontière avec le Pakistan. Comme suite à sa décision d’interdire la culture du pavot dans ces districts, l’EIIL en Afghanistan a été également contesté par les élites locales et les hommes forts du cru impliqués dans le trafic de drogue. En 2015, les forces internationales qui luttent contre le terrorisme en Afghanistan ont commencé à prendre systématiquement pour cible l’EIIL. Face à ces offensives, ce dernier a opéré un retrait tactique des principales zones de peuplement vers les territoires montagneux frontaliers du Pakistan. Selon les estimations, entre 1 400 et 2 000 combattants de l’EIIL se trouvaient dans la province de Nangarhar à l’automne 2015, alors qu’au premier trimestre de 2016, leur nombre était estimé à moins d’un millier. D’anciens Taliban qui avaient rejoint les rangs de l’EIIL en 2014 les ont quittés pour prêter à nouveau allégeance à leur ancien dirigeant, Akhtar Mohammad Mansour.
34. En Afghanistan, l’EIIL a prouvé qu’il était capable, en dépit d’une faible emprise territoriale, de mener des attaques dans les grandes villes situées au-delà des limites de son fief. À Kaboul, des attaques au moyen d’engins explosifs artisanaux ont visé une mosquée chiite et un attentat-suicide complexe a été commis contre le consulat du Pakistan à Jalalabad. D’autres attentats sont également perpétrés dans les zones frontalières, au Pakistan.
35. Après la destruction de sa station radio FM fixe en février 2016, l’EIIL a repris les diffusions de la Voix du califat (Voice of the Caliphate) à partir d’un dispositif mobile difficile à détecter. Le groupe terroriste a accès à Internet et continue de produire fréquemment des films de propagande de qualité.
36. Selon un État Membre, l’EIIL en Afghanistan tire une grande partie de ses fonds de l’EIIL en Iraq et en République arabe syrienne, l’argent étant transféré via des États tiers. Ces ressources, qui s’élèveraient selon les estimations à plusieurs millions de dollars, ont permis à l’EIIL d’acheter une grande partie de la récolte d’opium des quatre districts de la province de Nangarhar au cours du premier semestre 2015. Selon plusieurs États Membres, l’EIIL a ensuite brûlé la récolte de pavots, ce qui prouve que ce groupe terroriste dispose d’avoirs financiers en suffisance en Afghanistan et qu’il ne dépend pas à l’heure actuelle des revenus du trafic de drogue pour financer ses opérations dans le pays.
B. Utilisation des technologies de l’information et des communications
1. Utilisation des plateformes informatiques par l’EIIL
37. Les technologies de l’information et des communications constituent un vecteur fondamental pour l’EIIL et jouent un rôle essentiel dans ses activités et celles de ses membres, y compris pour ce qui est du recrutement et de l’organisation d’attentats. Alors que dans les territoires qu’il contrôle, en particulier l’Iraq et la République arabe syrienne, l’EIIL subit une contraction de son activité militaire et économique, sa présence ne s’est pour l’instant pas réduite sur le Web, où il représente une menace importante, active et en constante évolution.
38. En dépit de la fermeture de nombre de ses comptes au cours des dernières années, l’EIIL a poursuivi sa stratégie anticipative pour garder le contrôle de la propagande qu’il diffuse sur les réseaux sociaux. Ainsi, immédiatement après les attentats terroristes commis le 22 mars 2016 à Bruxelles, à l’aéroport de Zaventem et à la station de métro de Molenbeek, plusieurs salons privés de l’application de messagerie Telegram pro-EIIL ont entrepris de coordonner une campagne de propagande sur Twitter en exploitant les mots-dièses liés à Bruxelles les plus utilisés (par exemple, #Brussel #Brussels #Bruxelles #Brusselsattacks) et en inondant les réseaux de matériaux de propagande, dont des vidéos . La coordination des campagnes que l’EIIL lance sur les médias sociaux faisant appel à des diffuseurs qui s’en font les intermédiaires pour propager son discours virulent – sur les instructions ou non du centre névralgique du groupe – marque une évolution dans la conduite de ses activités de propagande.
39. Le partage en ligne de vidéos et de supports de formation, tels que ceux liés à l’organisation et à l’exécution d’attentats terroristes ou à la fabrication d’engins explosifs artisanaux (voir S/2014/770, par. 19) et à l’utilisation d’armes légères et de petit calibre, continue d’être attesté de diverses façons. Même si de telles instructions théoriques nécessitent généralement une formation pratique et des exercices sur le terrain pour être appliquées efficacement, le partage en ligne de ces supports est aisé et facilite les activités susmentionnées. Selon des informations récentes, des organisations terroristes participeraient également au trafic d’armes en ligne en utilisant les médias sociaux et les plateformes de communication d’États qui se trouvent soit dans les zones de conflit au Moyen-Orient soit dans leur voisinage .
40. Il est possible que l’EIIL ne dispose pas actuellement des capacités techniques nécessaires au lancement de cyberattaques contre des infrastructures cruciales, mais le risque qu’il acquiert des logiciels malveillants via le darknet est bien réel et grandissant. Les données (en particulier les données personnelles sensibles relatives au personnel de maintien de l’ordre) sont une cible privilégiée de l’EIIL et de ses sympathisants. La « cyber armée du califat » et d’autres groupes de pirates informatiques, qui semblent actuellement n’être que de simples sympathisants du groupe, pourraient être recrutés en tant que multiplicateurs de force.
2. Renforcement de la coopération avec les sociétés privées du secteur
des technologies de l’information et des communications
41. Il incombe certes en premier lieu aux États de prévenir et de combattre la menace que représente l’utilisation des technologies de l’information et des communications par les terroristes, mais leur succès dans cette lutte dépendra du parti qu’ils sauront tirer des connaissances, des compétences spécialisées et du soutien actif des parties prenantes concernées, telles que le secteur privé et la société civile. Privilégier exclusivement la suppression de contenus et la limitation de l’accès à Internet ne permettra pas de s’attaquer au problème de la radicalisation en ligne. Le secteur privé, en particulier les médias et le secteur technologique, disposent d’une gamme d’outils et de moyens qui pourraient aider les gouvernements et la société civile à renforcer leur résilience face à ce phénomène. Les compétences techniques nécessaires à la maintenance et à la mise à jour des sites Web et des plateformes de médias destinés à maximiser l’efficacité des actions de contre-propagande font souvent défaut aux organisations locales. Il reste encore énormément à faire pour ce qui est d’élaborer et de mettre en ligne des contenus de contre-propagande en appuyant davantage les initiatives locales et en collaborant de manière croissante avec le secteur privé.
42. Beaucoup de grandes sociétés du secteur de l’informatique et des communications ont mis en place des mesures conçues pour empêcher une utilisation abusive de leurs plateformes. Google et Facebook ont annoncé récemment le lancement de campagnes anti-radicalisation qui seront menées avec des organisations de la société civile. En février 2016, Twitter a indiqué avoir fermé, depuis la mi-2015, plus de 125 000 comptes associés à des terroristes. Le 20 mai 2016, Microsoft a fait savoir à son tour qu’il revoyait sa méthode de gestion des contenus numériques à caractère terroriste et ses conditions d’utilisation et qu’il utiliserait la Liste récapitulative relative aux sanctions imposées par le Conseil de sécurité de l’ONU pour supprimer certains contenus. Ces sociétés renforcent leurs capacités afin d’assurer le respect de leurs conditions d’utilisation, de permettre aux utilisateurs et aux gouvernements d’appeler l’attention sur certains contenus et de faciliter la diffusion d’une contre-propagande par des messagers crédibles.
43. Certaines sociétés reconnaissent qu’il est nécessaire de mieux faire connaître les directives opérationnelles à l’usage des responsables des forces de l’ordre qui s’emploient à récupérer des données d’utilisateurs, en particulier par le recours aux demandes urgentes de divulgation, aux demandes de protection des données et à celles portant sur les informations de base relatives aux abonnés. La création d’un réseau et d’une liste de points de contacts dignes de confiance faciliterait la coopération entre les organisations déterminées à lutter contre l’utilisation d’Internet à des fins terroristes.
C. Violences sexuelles liées aux conflits
44. La violence sexuelle continue d’être utilisée par l’EIIL comme tactique terroriste pour accroître son pouvoir et ses recettes et élargir sa base de recrutement, ainsi que pour détruire le tissu social des communautés visées. Comme je l’ai signalé dans mon récent rapport sur les violences sexuelles liées aux conflits (S/2016/361), si la menace de la violence sexuelle est l’une des causes des déplacements forcés de civils, la perspective de recevoir une épouse ou une esclave sexuelle favorise le recrutement d’hommes et de garçons, les jeunes membres des communautés locales et les combattants étrangers étant ainsi incités à rejoindre les rangs de l’EIIL (ibid., par. 19 à 22). Celui-ci considère l’enlèvement et l’asservissement des femmes et des enfants « infidèles » comme une conséquence inévitable de sa conquête de tout nouveau territoire et s’emploie à réglementer et codifier l’esclavage sexuel afin de le légitimer.
45. La traite des femmes et des filles demeure une source essentielle de revenus pour l’EIIL et les groupes qui lui sont affiliés, qui continuent de recourir à l’informatique et aux moyens de communication pour soutirer de l’argent en pratiquant la traite et en vendant des femmes. L’utilisation « novatrice » de plateformes de communication, comme les applications de messagerie privée, permet à l’EIIL et aux groupes qui lui sont affiliés de communiquer secrètement par messages cryptés et de vendre des femmes et des filles au moyen d’enchères en ligne.
46. Il est nécessaire que, dans le cadre de ses stratégies de lutte contre le terrorisme, l’Organisation des Nations Unies veille à ce que les auteurs de violences sexuelles aient à répondre de leurs actes. Les responsables de violences sexuelles doivent être poursuivis en justice avec autant de fermeté que les auteurs d’actes terroristes. Lorsqu’il a adopté ses observations finales relatives à l’Iraq (A/HRC/28/18) à sa cinquante-cinquième session, le Comité contre la torture s’est dit préoccupé par le fait que l’EIIL avait institué un ensemble de pratiques infligées aux femmes et aux filles appartenant à des minorités religieuses et ethniques, comprenant les violences sexuelles, l’esclavage, les enlèvements et la traite. En outre, il a recommandé à l’Iraq de prendre des mesures pour promouvoir la protection des femmes et de faire en sorte que les responsables de ces actes ne restent plus impunis. Il est donc important de consentir un effort collectif pour conserver des preuves des agissements de l’EIIL, y compris des actes de violence sexuelle.
47. Les États doivent continuer de s’employer à mieux comprendre la violence sexuelle utilisée comme stratégie terroriste et considérer officiellement les personnes qui y ont été soumises comme des victimes du terrorisme, en vue d’élaborer des discours et des stratégies de lutte contre ce fléau et de permettre aux victimes d’obtenir réparation. Ils devraient également collaborer avec les chefs coutumiers et religieux, qui peuvent les aider à reporter sur les auteurs de violences sexuelles la honte et la stigmatisation dont souffrent les victimes. Cela est crucial pour empêcher les extrémistes de gagner la bataille des idées qui sous-tend leur action. Il s’agit pour cela de contrer les tentatives de légitimation du viol sous couvert de religion. Les actions nationales de lutte contre l’extrémisme violent doivent non pas porter atteinte aux droits des femmes mais donner à celles-ci des moyens d’action dans le cadre des démarches engagées pour encourager les familles et les communautés à résister à la menace terroriste, comme l’a demandé le Conseil de sécurité dans sa résolution 2178 (2014) sur la lutte contre la menace terroriste. Enfin, les États doivent ériger en infraction dans leurs législations internes le recours aux médias sociaux et aux applications de messagerie pour la vente de femmes et d’enfants.
IV. État d’avancement de la mise en œuvre par les États Membres des résolutions relatives à la lutte contre le terrorisme
A. Justice et législation pénales
48. La nécessité d’agir face à l’évolution et à l’aggravation rapides de la menace terroriste, dues notamment à l’émergence de l’EIIL et au fait qu’il parvient à recruter des combattants terroristes étrangers, a créé de nouveaux enjeux juridiques dans la lutte contre le terrorisme. Les États Membres continuent d’œuvrer pour que l’ensemble des dispositions de la résolution 2178 (2014) soit transposé dans leur législation et pour que celle-ci offre des moyens efficaces de contrer le phénomène des combattants terroristes étrangers, notamment en s’attaquant à tous les types d’infraction graves qu’ils commettent pendant leurs séjours (en particulier les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les infractions à caractère sexiste) (A/HRC/28/18).
49. À l’heure actuelle, seulement un tiers des 77 États Membres (voir S/2015/975) considérés comme étant « les plus touchés » par la menace que représentent les combattants terroristes étrangers ont modifié leur législation en application de la résolution 2178 (2014). Dans bon nombre d’États Membres, la législation présente des lacunes dans plusieurs domaines, notamment pour ce qui est de prévenir le départ de combattants terroristes à l’étranger en incriminant l’ensemble des agissements préparatoires et des faits de complicité. En outre, dans beaucoup d’États Membres, la législation nationale est trop générale ou vague et risque par conséquent de ne pas protéger convenablement les droits garantis par le droit international des droits de l’homme, le droit international humanitaire et le droit des réfugiés.
50. Les États Membres continuent également de s’employer à renforcer leurs capacités pour mener les enquêtes efficacement et porter devant la justice les affaires complexes liées au terrorisme, et plus particulièrement au phénomène des combattants terroristes étrangers. Il reste difficile de recueillir des éléments de preuve dans les zones où les combattants se rendent ou en provenance de ces zones.
51. Plusieurs États ont indiqué que parmi leurs nationaux suspectés de revenir de lieux de destinations de combattants terroristes étrangers, beaucoup n’avaient pas été poursuivis faute de charges suffisantes ou bien avaient écopé de courtes peines de prison. Actuellement, seulement la moitié environ des États les plus touchés par la menace que représentent les combattants terroristes étrangers ont élaboré et appliqué des stratégies de poursuite en justice, de réadaptation et de réinsertion des combattants de retour dans le pays. Les principes directeurs relatifs aux combattants terroristes étrangers adoptés à Madrid et publiés par le Conseil de sécurité (S/2015/939, annexe II) fournissent des orientations utiles dans ce domaine, notamment les principes 30 à 32 .
B. Coopération internationale
52. Étant donné que les réseaux terroristes et les zones où voyagent les combattants terroristes étrangers ne couvrent pas seulement une région en particulier, les États Membres de différentes parties du monde doivent de plus en plus compter sur des formes de coopération dépassant leurs réseaux traditionnels de coopération bilatérale et régionale. Les évaluations du Comité contre le terrorisme montrent cependant que la coopération internationale visant à endiguer le flot de combattants terroristes étrangers se heurte à de nombreux problèmes, comme la durée des procédures d’entraide judiciaire, les rigidités procédurales et le manque de moyens.
53. Les évaluations du Comité montrent également que l’entraide judiciaire reste sous-exploitée, les procédures étant souvent longues et compliquées. Certains États Membres – y compris parmi les plus touchés par la menace que représentent les combattants terroristes étrangers – n’ont pas encore désigné d’autorité centrale chargée de gérer les demandes d’entraide judiciaire et d’extradition. Les retards dans les procédures peuvent entraîner la perte de tous les éléments de preuve. Les principes directeurs de Madrid et les publications de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) apportent un éclairage utile aux États Membres pour les aider à coopérer efficacement en matière pénale en vue de traduire les terroristes en justice et d’endiguer le flot de combattants terroristes étrangers.
54. La création de réseaux de coopération judiciaire comme Eurojust, le Réseau judiciaire européen et le Groupe consultatif des procureurs d’Europe du Sud-Est a démontré que les dispositifs régionaux étaient utiles pour renforcer la coopération formelle et informelle. Mettre en place un réseau de points de contact pour la coopération fonctionnant 24 heures sur 24, sept jours par semaine, peut être très efficace pour assurer des échanges entre forces de l’ordre en temps opportun. L’élaboration d’une stratégie régionale de mise à jour de la législation peut aussi améliorer la coopération entre États Membres en favorisant la cohérence juridique. À titre d’exemple, le Conseil de l’Europe a récemment adopté un protocole additionnel à sa Convention pour la prévention du terrorisme, qui établit une méthode pour mettre en application la résolution 2178 (2014) de façon harmonisée.
C. Lutte contre le financement du terrorisme : faire obstacle au financement de l’EIIL et des combattantes terroristes étrangers
55. Bien que les États Membres aient continué de progresser considérablement dans la mise en œuvre des dispositions des résolutions du Conseil de sécurité relatives à la lutte contre le financement du terrorisme, ils ont toujours des difficultés à appliquer effectivement celles, récentes, qui visent à englober le financement des voyages de combattants terroristes étrangers dans l’infraction de financement du terrorisme. Plusieurs États ont proposé l’inscription d’individus liés à l’EIIL sur la Liste relative aux sanctions contre l’EIIL (Daech) et Al-Qaida et certains ont recouru aux mesures de gel des avoirs énoncées dans la résolution 1373 (2001) pour établir des listes nationales recensant les individus et les entités liés à l’EIIL, y compris les combattants terroristes étrangers.
56. Les États membres du Groupe d’action financière et de ses homologues régionaux ont entrepris un examen des risques que représentent l’EIIL et les groupes qui lui sont affiliés en matière de financement du terrorisme. Ils cherchent en particulier à repérer les obstacles opérationnels au partage d’informations financières et à accroître la contribution des organismes de lutte contre le financement du terrorisme aux activités de prévention du terrorisme et aux enquêtes relatives aux affaires de terrorisme.
57. Les États utilisent les mécanismes interinstitutions existants pour renforcer la coordination dans le cadre des affaires liées au terrorisme et au financement du terrorisme. Certains États permettent aux institutions financières d’échanger entre elles des informations sur les comptes ou les clients, mais ces pratiques sont généralement limitées. Récemment, certains États ont expérimenté des plateformes de partage d’informations relatives au financement du terrorisme qui permettent l’échange de renseignements confidentiels aux niveaux opérationnel et stratégique entre organismes publics et représentants du secteur privé autorisés. Les entités du secteur privé ont aussi besoin d’obtenir de plus amples informations, non seulement pour protéger le système financier international, mais aussi pour pouvoir aider à repérer des réseaux terroristes et à les démanteler, par exemple en établissant des profils financiers. Les États ont également constaté que certains produits financiers, comme les cartes prépayées, étaient par nature plus susceptibles d’être utilisés à des fins frauduleuses par des terroristes, comme l’ont montré les attaques terroristes récentes associées à l’EIIL, y compris les attentats qui ont eu lieu à Paris en novembre 2015.
58. Le transport physique d’argent liquide demeure l’une des méthodes favorites de l’EIIL pour transférer des fonds d’un pays à un autre. Les États sont de plus en plus conscients de la nécessité de contrôler plus strictement les fonds et les biens qui passent les frontières, et certains ont dernièrement agi en ce sens, par exemple en procédant à des évaluations nationales des risques liés au financement du terrorisme ou en prenant des contre-mesures. Ainsi, des États Membres situés dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord et jouxtant la zone de conflit ont recensé d’importants risques liés au transport physique d’argent liquide à travers les frontières. Malgré tout, d’après les statistiques, le nombre de cas enregistrés entre 2014 et 2016 est très faible.
59. L’EIIL continue de recourir aux méthodes de la criminalité transnationale organisée pour contourner le système international de lutte contre le terrorisme. Par conséquent, les États sont encouragés à utiliser non seulement les instruments internationaux de lutte contre le terrorisme et le régime de sanctions de l’ONU, mais aussi d’autres instruments internationaux comme la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée de 2000 et ses protocoles. Tous ces instruments peuvent renforcer les mesures prises par les États pour enrayer le financement de l’EIIL et servent également à favoriser une coopération internationale et régionale efficace.
D. Répression et surveillance des frontières
1. Répression
60. Des enquêtes préventives et coordonnées sont indispensables pour déceler les activités de recrutement et de financement, les déplacements et les communications liés au terrorisme en vue d’arrêter les suspects, de démanteler les cellules et d’empêcher toute activité terroriste. Plusieurs États sont parvenus à faciliter la collecte, le suivi et l’échange de renseignements stratégiques concernant la lutte contre le terrorisme en mettant en place des bases de données centralisées accessibles à tous les services répressifs compétents. Des bases de données nationales ont également servi à échanger des informations aux niveaux régional et international. Dans certains États, des équipes spéciales mixtes de lutte contre le terrorisme assurent la coordination des enquêtes liées à la lutte antiterroriste et la collaboration entre acteurs nationaux et internationaux.
61. Les accords bilatéraux et multilatéraux continuent d’accroître les capacités des États de faire face à la menace que constituent l’EIIL et les combattants terroristes étrangers. Les États tirent également profit de leur participation aux travaux des organes internationaux et régionaux chargés de l’application de la loi, comme l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL), l’Office européen de police (Europol) et l’Association des chefs de police des États membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEANAPOL).
62. Le rôle que les services chargés de l’application de la loi jouent en appliquant des mesures de prévention de la radicalisation est d’autant plus important que l’EIIL et les autres organisations terroristes exploitent habilement les liens familiaux et les relations de voisinage pour recruter de nouveaux membres. La police de proximité et les activités de renseignement préventives figurent parmi les outils que les États utilisent pour prévenir la radicalisation et empêcher le recrutement de combattants terroristes étrangers. Si certains États ont déjà bien amélioré la coordination interne de leurs travaux et l’échange d’informations en temps réel, d’autres commencent tout juste à mettre au point des systèmes et des moyens d’application des lois relatives à la lutte antiterroriste. De nombreuses insuffisances doivent encore être palliées en ce qui concerne les capacités de nombreux États d’élaborer et de mettre en œuvre efficacement les mesures et pratiques répressives nécessaires pour lutter contre le terrorisme en général et, plus particulièrement, pour empêcher les déplacements des combattants terroristes étrangers.
2. Surveillance des frontières
63. De nombreux États Membres continuent d’éprouver des difficultés à élaborer et à mettre en œuvre des stratégies globales de gestion des frontières portant notamment sur la porosité de celles-ci et le repérage des combattants terroristes étrangers en partance ou en transit. Les États Membres reconnaissent toutefois que la mise en place de contrôles efficaces aux frontières reste indispensable pour lutter contre le terrorisme et endiguer le flux de combattants. Les principaux moyens disponibles aux points d’entrée et de sortie officiels sont, entre autres, les renseignements préalables concernant les voyageurs, les dossiers passagers, les outils biométriques et l’accès aux bases de données nationales et à celles d’INTERPOL. Depuis l’adoption de la résolution 2178 (2014), le nombre d’États qui utilisent un système de renseignements préalables concernant les voyageurs est passé de 51 à 56. Cependant, compte tenu du haut niveau de complexité et de l’ampleur des ressources nécessaires pour mettre au point un tel système, il est probable qu’au moins quatre ou cinq années s’écouleront avant que ce nombre augmente sensiblement. La récente recommandation du Groupe d’experts de la facilitation de l’Organisation de l’aviation civile internationale visant à modifier l’annexe 9 de la Convention relative à l’aviation civile internationale (Convention de Chicago) pour rendre obligatoire l’utilisation de renseignements préalables concernant les voyageurs pourrait accélérer les avancées dans ce domaine. Il convient néanmoins de noter que ni les renseignements préalables ni les dossiers passagers ne peuvent, à eux seuls, empêcher le déplacement des combattants terroristes étrangers.
64. Pour faire face à la menace que représentent les combattants terroristes étrangers, certains États ont augmenté le nombre de postes frontière et le nombre d’agents qui y sont affectés, ou renforcé les moyens techniques des postes existants. Certains utilisent des moyens de communication et de surveillance modernes pour surveiller leurs frontières sur toute la longueur.
65. Néanmoins, l’EIIL ne cesse d’utiliser de nouveaux moyens technologiques performants pour organiser les déplacements des combattants terroristes étrangers (S/2016/92, par. 32). Il se sert notamment des forums de discussion en ligne pour indiquer aux intéressés comment passer les frontières sans se faire repérer, notamment en empruntant des itinéraires qui n’éveillent pas les soupçons, et quels sont les éléments particuliers que les autorités cherchent à déceler lors des contrôles aux frontières . Afin d’endiguer le flux des combattants terroristes étrangers, les États doivent élaborer et appliquer de nouvelles mesures de gestion des frontières qui soient flexibles, complémentaires, coordonnées et adaptées à la situation locale.
E. Mesures de lutte contre le recrutement de combattants et l’extrémisme violent et de prévention de celui-ci
66. Les États Membres continuent d’exprimer leur profonde inquiétude quant au fait que l’EIIL et les groupes qui lui sont affiliés utilisent frauduleusement Internet et les réseaux sociaux pour recruter de nouveaux membres, inciter à commettre des actes de terrorisme et faire l’apologie de tels actes. Au cours des débats thématiques du Conseil de sécurité qui se sont tenus le 14 avril 2016 et le 11 mai 2016 sous la présidence de la Chine puis de l’Égypte, les États Membres ont souligné qu’il importait de prendre des mesures efficaces pour interdire et empêcher cette pratique, notamment en appliquant intégralement la résolution 1624 (2005) relative à la menace posée par l’incitation à commettre des actes terroristes, et insisté sur la nécessité de contrer le discours terroriste. Ils ont également noté qu’il convenait de veiller à ce que les interventions menées à cette fin respectent les obligations internationales en matière de droits de l’homme.
67. Les États Membres s’efforcent avec une attention accrue de mettre au point des approches globales pour lutter contre le recrutement à des fins terroristes et prévenir et combattre l’extrémisme violent, notamment en établissant des partenariats avec des organisations non gouvernementales. Il est largement admis au niveau international que l’application de stratégies efficaces en la matière nécessite la collaboration d’entités gouvernementales qui ne participent généralement pas à la lutte contre le terrorisme, notamment celles qui s’occupent de l’éducation, de l’aide sociale, du développement régional, des droits de l’homme et des questions religieuses. Il convient également de faire participer les populations locales et les organisations non gouvernementales compétentes et de donner voix au chapitre aux groupes de la société civile concernés, comme énoncé dans la résolution 2178 (2014). Les progrès dans ce domaine ont été lents. Il importe de délimiter soigneusement les attributions respectives des pouvoirs publics et des acteurs de la société civile. Pour ce qui est de la société civile et des défenseurs des droits de l’homme, il convient de mettre l’accent sur la préservation de la capacité des organisations non gouvernementales d’opérer dans un environnement sûr et sur le strict respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, y compris les libertés de pensée, de conscience, d’expression, de religion, de réunion pacifique et d’association.
F. Droits de l’homme
68. Les États doivent surmonter certaines difficultés en ce qui concerne la compatibilité des mesures qu’ils prennent pour faire face à la menace que font peser l’EIIL et les autres groupes terroristes avec leurs obligations au regard du droit international, en particulier le droit international des droits de l’homme. On peut craindre que la décision récente d’incriminer certains comportements n’ait pas été suffisamment étudiée et que les politiques en découlant aient été adoptées impulsivement ou hâtivement. Les États doivent donc continuer de veiller à ce que, avant d’être adoptés, les projets de lois, de politiques et de mesures visant à combattre l’EIIL et les autres organisations terroristes aient été débattus publiquement et que leur conformité aux droits de l’homme ait été vérifiée.
69. Les mesures prises pour incriminer les tentatives de combattants terroristes étrangers de se rendre dans les territoires contrôlés par l’EIIL peuvent présenter des difficultés plus particulières. Il peut s’avérer délicat de déclarer une personne pénalement responsable avant même qu’elle ne soit partie lorsqu’il n’existe que peu d’éléments attestant clairement de son intention de se rendre dans les territoires contrôlés par des terroristes pour commettre des actes de terrorisme. Dans certains cas, les poursuites sont engagées en partie sur la base de propos tenus sur Internet et les réseaux sociaux, ce qui peut poser la question du droit à la liberté d’expression et de conscience. Quoi qu’il en soit, les États doivent veiller à ce que les principes de légalité et de présomption d’innocence soient respectés, et les peines emportées pour intention ou tentative de commettre des actes de terrorisme doivent être proportionnées.
70. Si certains États continuent de prendre des mesures visant à annuler les documents de voyage, d’autres envisagent de déchoir de leur nationalité les combattants terroristes étrangers présumés et ceux qui reviennent au pays. À cet égard, il convient de veiller au respect de la légalité et de garder à l’esprit l’objectif de réduction des cas d’apatridie. De même, les États doivent continuer de chercher à établir des critères clairs et objectifs en ce qui concerne l’inscription de personnes sur des listes de terroristes présumés ou de personnes interdites de vol. En constituant de telles listes, ils doivent s’assurer que toutes les données personnelles sont conservées et traitées en accord avec l’objectif pour lequel elles ont été collectées, sans préjudice du droit au respect de la vie privée.
71. Certains États ont montré une forte propension à placer des combattants terroristes étrangers présumés en garde à vue ou en détention à leur retour au pays, y compris à des fins de prévention. Cependant, sur le plan juridique, il se peut que ces mesures soient contraires au droit des droits de l’homme. Plusieurs États ont envisagé des mesures alternatives applicables aux combattants terroristes étrangers qui tentent de partir ainsi qu’à ceux qui reviennent au pays, notamment l’assignation à résidence et la surveillance ciblée. Ces mesures aussi doivent respecter les droits de l’homme. On peut craindre que l’augmentation du flux de migrants, qui découle en partie des conséquences de la présence de l’EIIL dans les zones de conflit, ait eu un effet négatif sur le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile face aux persécutions. Les États doivent continuer de respecter le droit international des réfugiés lors de l’examen des demandes d’asile des migrants, ainsi que le principe de non-refoulement. Ils doivent également étudier avec soin les conséquences que leurs lois, politiques et mesures pourraient avoir sur la fourniture d’une aide humanitaire aux populations dans le besoin.
V. Action menée par l’Organisation des Nations Unies pour aider les États Membres à lutter contre la menace de l’EIIL
72. Depuis la publication de mon rapport initial, les entités des Nations Unies ont pris plusieurs initiatives présentées ci-après visant à aider les États Membres à lutter contre la menace que constitue l’EIIL, chacune conformément à son mandat et en partenariat avec les organisations internationales et régionales compétentes.
A. Combattants terroristes étrangers
73. En étroite consultation avec la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme et l’Équipe de surveillance, l’Équipe spéciale de lutte contre le terrorisme a mis au point un plan de renforcement des capacités destiné à endiguer le flux de combattants terroristes étrangers qui tient compte des principales recommandations formulées par le Comité contre le terrorisme dans son troisième rapport sur la question (S/2015/975). Ce plan comprend 37 propositions de projets qui touchent à tous les aspects de cette problématique, y compris la radicalisation, les déplacements et le financement (ainsi que la réadaptation et la réinsertion des combattants qui reviennent au pays).
74. Le 21 janvier, l’Équipe spéciale de lutte contre le terrorisme, le Centre des Nations Unies pour la lutte contre le terrorisme et les représentants des 12 entités qui ont soumis des rapports à l’Équipe spéciale ont présenté le plan de renforcement des capacités aux membres du Conseil et aux autres États Membres intéressés. Le Centre des Nations Unies pour la lutte contre le terrorisme financera sept des projets, mais des ressources non négligeables devront être fournies par des donateurs pour permettre la mise en œuvre intégrale du programme, comme l’a demandé le Conseil dans la déclaration de son président publiée sous la cote S/PRST/2015/11. Le Centre a poursuivi la mise en œuvre de son projet visant à approfondir notre compréhension du phénomène, notamment des motifs qui poussent des individus à rejoindre des groupes terroristes au Moyen-Orient, des principaux éléments qui influencent leur pensée et des raisons pour lesquelles certains reviennent dans leur pays d’origine.
75. Depuis la publication de mon rapport initial, l’ONUDC a poursuivi l’application de son programme quinquennal d’assistance technique relatif au renforcement de l’arsenal juridique de lutte contre le phénomène des combattants terroristes étrangers, qui porte sur le renforcement des cadres juridiques nationaux, la formation des fonctionnaires de police et de justice grâce à l’organisation d’ateliers thématiques et l’amélioration de la coopération aux niveaux international, régional et sous-régional, notamment par la mise en place de plateformes d’échange d’informations entre certains États du Moyen-Orient. À l’issue de la première phase du programme, l’Office a publié deux rapports détaillés dans lesquels sont recensés les besoins des États de la région en matière d’assistance technique, ainsi qu’une liste des bonnes pratiques.
B. Justice et législation pénales
76. Partout, le ministère public est de plus en plus souvent amené à collaborer avec les opérateurs de communications privés, les institutions internationales et ses homologues d’autres pays. Pour aider les États à traduire en justice les terroristes et appuyer la coopération internationale en matière pénale, la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme s’est associée à l’Institut d’études sur la sécurité et à l’Association internationale des procureurs et poursuivants en vue d’élaborer, sous les auspices de l’Association, un réseau de procureurs antiterroristes, qui rassemblera des procureurs représentant 173 juridictions et leur permettra de coopérer et de tirer les enseignements de l’expérience des uns et des autres en matière de gestion des aspects complexes des poursuites liées au terrorisme.
C. Lutte contre le financement du terrorisme
77. Les membres du Groupe de travail sur la lutte contre le financement du terrorisme, qui relève de l’Équipe spéciale de lutte contre le terrorisme, ont participé activement à l’organisation d’une formation concernant le gel des avoirs et les mesures à prendre en cas d’enlèvement contre rançon. En ce qui concerne le gel des avoirs, l’Équipe spéciale de lutte contre le terrorisme et le Centre des Nations Unies pour la lutte contre le terrorisme ont mis au point un projet de renforcement des capacités visant à renforcer l’application des dispositions des résolutions 1267 (1999), 1373 (2001) et 1989 (2011) grâce, notamment, à des activités de formation et de conseil à l’intention des États Membres.
78. L’ONUDC a organisé des ateliers dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord sur le gel des avoirs des terroristes inscrits sur la Liste en application du régime des sanctions des Nations Unies. En avril 2016, aux côtés des autorités iraquiennes, elle a examiné le projet de loi contre le terrorisme (qui est devant le Parlement depuis 2011) et le récent projet de loi relatif au gel des avoirs des terroristes. Les révisions faisaient également suite au recensement des besoins prioritaires en matière d’assistance technique fait à l’occasion de la visite d’évaluation effectuée par le Comité sur la lutte contre le terrorisme en Iraq en septembre 2015.
79. Le Centre des Nations Unies pour la lutte contre le terrorisme a lancé un projet de renforcement des capacités visant à empêcher les terroristes de percevoir des rançons en donnant aux États et aux organisations non gouvernementales compétentes les moyens d’assurer le retour des otages en toute sécurité sans verser de rançon ni faire de concessions politiques. Il a également organisé une conférence régionale à Nairobi, en mars, à laquelle ont assisté des organisations non gouvernementales, des institutions financières et des représentants des secteurs de l’assurance et des médias pour examiner les besoins en matière de renforcement des moyens de combattre et de prévenir les enlèvements contre rançon en Afrique.
80. Le 14 avril 2016, le Comité contre le terrorisme et le Comité du Conseil de sécurité faisant suite aux résolutions 1267 (1999), 1989 (2011) et 2253 (2015) concernant l’État islamique d’Iraq et du Levant (Daech), Al-Qaida et les personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés a, en collaboration avec le Groupe d’action financière, tenu une réunion d’information publique conjointe au Siège de l’ONU, au cours de laquelle l’accent a été mis sur les tactiques et les bonnes pratiques permettant de priver les groupes terroristes de sources de financement.
D. Répression et police des frontières
81. La Direction exécutive du Comité contre le terrorisme et l’organisation non gouvernementale suisse ICT4Peace ont lancé un projet conjoint sur la participation du secteur privé à la lutte contre l’utilisation des technologies de l’information et des communications par les terroristes lors d’une manifestation qui a rassemblé des représentants d’entreprises concernées et, plus largement, du secteur privé, d’entités des Nations Unies spécialisées dans la lutte contre le terrorisme et les droits de l’homme, de la direction générale de la migration et des affaires intérieures de l’Union européenne, de l’unité chargée du signalement des contenus sur Internet créée par Europol et de laboratoires d’idées.
82. Dans le cadre de ce projet, la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme et ICT4Peace collaboreront avec le secteur privé et la société civile pour mieux comprendre les mesures que prend actuellement le secteur de l’informatique et des communications pour faire face à l’utilisation de ses produits et services par les terroristes, en particulier les contenus, et répertorier les bonnes pratiques. L’objectif ultime du projet est de créer une instance où ces mêmes pratiques et données d’expérience pourront être examinées et échangées avec un plus grand nombre d’acteurs. À cette fin, une série d’ateliers se tiendra au cours des prochains mois en Europe, en Asie et en Amérique pour mobiliser les acteurs du secteur privé et de la société civile.
83. Dans le cadre des efforts déployés par l’ONU pour intensifier l’utilisation des systèmes renseignements préalables concernant les voyageurs par les États, deux ateliers régionaux sur les cinq qu’il est prévu de tenir à des fins de sensibilisation et de renforcement des capacités ont eu lieu à Bangkok, en mars 2016, pour les pays d’Asie du Sud et du Sud-Est, et à Amman, en mai 2016, pour ceux de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. Ces réunions ont été organisées par l’Équipe spéciale de lutte contre le terrorisme et le Centre des Nations Unies pour la lutte contre le terrorisme, en étroite collaboration avec la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme et avec la participation de l’Association du Transport aérien international, de l’Organisation de l’aviation civile internationale, d’INTERPOL et de l’Organisation internationale pour les migrations. Tous les États invités ont estimé qu’il était nécessaire de mettre en œuvre des systèmes de renseignements préalables concernant les voyageurs en application de la résolution 2178 (2014) et que les États ayant peu de moyens devraient bénéficier de l’appui des Nations Unies.
84. Le Centre des Nations Unies pour la lutte contre le terrorisme collabore également avec le Forum mondial de lutte contre le terrorisme dans le cadre d’une Initiative conjointe pour la sécurité aux frontières (qui, dans un premier temps, était centrée sur le Sahel et la corne de l’Afrique), laquelle porte sur la collecte et la diffusion de bonnes pratiques dans les domaines de la sécurité, de la gestion et de la surveillance des frontières, et sur l’évaluation de la capacité des États d’appliquer ces pratiques et d’endiguer le flux de combattants étrangers aux frontières. Les deux premiers ateliers régionaux ont été organisés en décembre 2014 et mai 2015.
E. Lutte contre le recrutement de combattants et l’extrémisme violent et prévention de celui-ci
85. En collaboration avec le Gouvernement suisse, j’ai accueilli les 7 et 8 avril 2016 la Conférence de Genève consacré au thème « La prévention de l’extrémisme violent : la voie à suivre ». En tout, 745 participants de 125 États Membres, 23 organisations internationales et régionales, 26 entités des Nations Unies et 67 organisations de la société civile et entreprises privées y ont assisté.
86. Les débats de la Conférence ont offert aux États Membres, aux organisations internationales et régionales et à la société civile une précieuse occasion d’échanger vues, données d’expérience et pratiques exemplaires sur les grandes questions ayant trait à la prévention de l’extrémisme violent. Cadre idéal, la Conférence a également permis la poursuite de l’examen de mon plan d’action pour la prévention de l’extrémisme violent (voir A/70/674), que l’Assemblée Générale examinera au moment du cinquième examen de la Stratégie antiterroriste mondiale des Nations Unies, qui aura lieu les 30 juin et 1er juillet.
F. Lutte contre les facteurs de propagation du terrorisme
87. Le Groupe de travail sur les facteurs de propagation du terrorisme, qui relève de l’Équipe spéciale de lutte contre le terrorisme, s’attache à renforcer les capacités et à faire un travail de sensibilisation concernant la jeunesse, la communication et l’éducation. La Direction exécutive du Comité contre le terrorisme a continué d’aider les États membres à se doter de moyens de combattre les situations propices au terrorisme dans le cadre de stratégies nationales globales de lutte contre l’incitation, en organisant des ateliers et dans le cadre du dialogue constructif qu’elle entretient avec des fonctionnaires et des représentants de la société civile. L’ONUDC et le Centre international d’excellence pour la lutte contre l’extrémisme violent ont accueilli à Abou Dhabi une conférence régionale visant à réfléchir au processus d’élaboration et de mise en œuvre d’une stratégie pénale efficace de prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent axée la menace que constituent les combattants terroristes étrangers, y compris à l’élaboration de stratégies nationales destinées à contrecarrer et prévenir l’extrémisme violent.
88. L’Alliance des civilisations de l’Organisation des Nations Unies aide les organisations de jeunesse qui touchent des centaines de milliers de personnes. Des jeux électroniques (sur ordinateur ou sur des médias sociaux) destinés à promouvoir la paix ont été mis au point et diffusés. L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture a organisé une conférence et établi des mécanismes de suivi sur le rôle d’Internet dans la radicalisation et le recrutement. Pour ce qui est de la communication, le Département de l’information du Secrétariat a couvert les activités de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent et diffusé des programmes en plusieurs langues sur la radio et la télévision en ligne des Nations Unies, ainsi que sur les médias sociaux. Pour aider les réfugiés et les autres déplacés, notamment les enfants et les jeunes, et dans le dessein de réduire au minimum le risque de radicalisation et de conversion à l’extrémisme, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés donne accès à des ressources et à des services et offre aux intéressés la possibilité bien réelle de jouir de droits tels que l’éducation, les soins de santé et l’emploi.
G. Lutte contre le terrorisme et protection des droits de l’homme
89. Les membres du Groupe de travail sur la promotion et la protection des droits de l’homme et de l’état de droit dans le contexte de la lutte antiterroriste, qui relève de l’Équipe spéciale de lutte contre le terrorisme, ont poursuivi l’exécution du projet consacré à la formation et au renforcement des capacités des responsables du maintien de l’ordre dans les domaines des droits de l’homme, de la primauté du droit et de la prévention du terrorisme, en partenariat avec des pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord et de l’Ouest. Les États partenaires font actuellement le point des enseignements tirés de l’expérience et des bonnes pratiques qui ressortent de la formation, et ils sont mieux à même de mettre leurs politiques et pratiques en matière de lutte contre le terrorisme en conformité avec le droit international des droits de l’homme et de modifier ainsi les comportements en profondeur et de façon durable. La série de guides de référence sur les droits de l’homme publiée par le Groupe de travail est restée, pour les États Membres, une source de conseils pour l’adaptation des politiques et des pratiques dans des domaines importants tels que la détention, le droit à un procès équitable et la législation antiterroriste nationale.
H. Organes de l’ONU et missions sur le terrain
90. La Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) a établi des rapports d’évaluation sur l’EIIL, qu’elle diffuse auprès des États Membres pour les aider à combattre la menace que celui-ci constitue. Elle continue de soutenir les efforts déployés par le Conseil de la présidence aux fins de la transition et de la création d’un gouvernement d’entente nationale, grâce auxquelles on compte empêcher l’EIIL de progresser davantage.
91. La Direction exécutive du Comité contre le terrorisme et la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq coopèrent étroitement à l’élaboration d’un dispositif de coordination qui permettra de répondre aux besoins prioritaires en matière d’assistance technique qui ont été recensés dans le pays lors de la visite d’évaluation effectuée par le Comité contre le terrorisme en septembre 2015. Les recommandations relatives aux priorités en matière d’assistance technique visent à renforcer les capacités de l’Iraq dans les domaines de la législation, des finances, de la répression et de la police des frontières. La Direction du Comité contre le terrorisme s’emploie actuellement à solliciter divers prestataires d’assistance, dont les États Membres, les entités des Nations Unies et les organisations internationales et régionales partenaires, en vue d’organiser les activités d’assistance technique en faveur de l’Iraq.
Source : S/2016/501
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter