A côté des militaires d’active, visibles ou clandestins, la France envoie en Afrique toutes sortes de gens d’armes, ex-policiers, officiers " retraités ", ou mercenaires. Les dictateurs africains sont friands de conseils extérieurs en sécurité. A ce jeu, les anciens de l’Élysée font très fort : Paul Barril se multiplie auprès de chefs d’Etat africains, recommandé par François de Grossouvre, le conseiller et ami de François Mitterrand (25) ; Pierre-Yves Gilleron, son ancien associé dans la société SECRETS, et désormais rival, fait de même à la tête de sa société Iris Services - tous deux ont " servi " le général Habyarimana (26) ; l’ineffable général Jeannou Lacaze a pu cumuler les fonctions de chef d’état-major des Présidents Mitterrand et Mobutu, avant, retraité, de devenir le conseiller militaire de ce dernier, du général Eyadéma, et de quelques autres sommités honorées fin 1994 à Biarritz (27).

Paul Barril est un très redoutable manipulateur. Mais ce que l’on connaît par ailleurs de la tragédie rwandaise ou de l’" anarchie " zaïroise porte un écho sinistre à son éloge des interventions des agents de la DGSE et de son propre engagement au côté du Hutu power (28). Il ajoutait (29) :

Ce qui me motive encore [...], c’est de faire oeuvre utile en Afrique, parce qu’on est en contact direct avec des événements qui sont à notre mesure [...]. J’ai l’impression, c’est vrai, de revivre ce qu’ont pu vivre, peut-être, il y a une génération, des gens qui ont colonisé l’Afrique, mais uniquement pour leur amener le bien, le développement, la culture, la santé. Depuis une vingtaine d’années, j’ai gardé une amitié très forte avec certains chefs d’Etat africains. [...]

J’aime beaucoup le maréchal [Mobutu]. Il est sûr qu’il y a de la corruption au Zaïre, mais elle est surtout autour du maréchal, qui ne peut pas, personnellement, tout contrôler. Je pense que le fond de l’homme est infiniment bon. [...] La pâte est bonne [...]. Je n’ai pas la preuve que Mobutu ait commandité le moindre assassinat. Je vous le redis, cet homme va à la messe tous les jours. [...] J’espère de tout coeur, pour le Zaïre, que le Maréchal sera réélu en juillet 95 sans aucune contestation possible ".

On l’a expliqué, l’homme et ses propos sont loin d’être marginaux dans le village franco-africain (30). Son délire de " privé " demeure singulièrement branché sur la confusion du privé et du public, du militaire et du civil, qui constitue son ordinaire.

D’anciens responsables de la DGSE ont aussi constitué une société privée de sécurité, Arc International Consultants, impliquée dans l’affaire de la vente avortée de 50 missiles Mistral à l’Afrique du Sud, via une fausse commande au Congo. On trouvait sur cette même affaire Pierre Lethier, autre ancien de la DGSE, puis " consultant hors contrat " de Matra, proche aussi de l’officier DGSE qui traitait Bob Denard (31). Un autre ancien de la " Piscine ", Yanni Soizeau, mêlait, à Abidjan et Paris, le trafic d’armes aux relations d’amitié et/ou d’affaires avec Félix Houphouët-Boigny, son futur successeur Konan Bédié, et Jean-Claude Méry, cheville ouvrière du gigantesque réseau de fausse facturation en Ile-de-France, au profit du RPR (32).

Les aléas de la coopération militaire française au Cambodge permettent d’apprendre de témoins indignés qu’elle passe en partie par des " caisses noires, comme en Afrique ", et qu’elle est largement sous-traitée à des officines, telle la Cofras, qui emploient des militaires " versés dans le civil (33) ". Autrement dit, la France est si peu fière des méthodes employées dans ses interventions extérieures qu’elle préfère payer des mercenaires plutôt que de risquer d’y démoraliser son armée...


25. Selon Stephen Smith, Habyarimana, retour sur un attentat non élucidé, in Libération du 29/07/94.

26. D’après Hervé Gattegno, La " boîte noire ", le Falcon et le capitaine, in Le Monde du 08/07/94.

27. Dans le Dossier noir n° 2 (Fiche n° 8 : Filières : vraie-fausse monnaie et casinos, or et diamants, pétrole et matières premières, armes et milices, drogues et narco-dollars) on a relaté comment le général Lacaze, devenu aussi député européen (quelle carrière !), s’était fait l’émissaire des intimidations de son collègue Eyadéma envers les détracteurs du régime togolais.

28. Cf Dossier noir n° 1, p. 11-12.

29. In Playboy, mars 1995.

30. Cf Dossier noir n° 1, p. 12-13.

31. D’après Stephen Smith et Antoine Glaser, Les réseaux africains de Jean-Christophe Mitterrand, in Libération du 06/07/90.

32. D’après Alain Léauthier, in Libération du 21/10/94.

33. D’après Alain Lebas et Romain Franklin, Libération des 31/08/94 et 19/10/94.


"Présence militaire française en Afrique : dérives..." / Dossier Noir numéro 4 / Agir ici et Survie / L’Harmattan, 1995