Autant que par affinités culturelles et historiques, la Grèce espère l’aide de la Russie pour résoudre son problème économique. Cependant, le putsch organisé par l’Otan, en 1967, rappelle les limites politiques de la souveraineté des États européens en général et de la Grèce en particulier.
Aléxis Tsipras rencontre Vladimir Poutine à Moscou le 8 avril, au moment même où l’UE, la BCE et le FMI tiennent un nouveau sommet sur la Grèce, qui le jour suivant doit rembourser une échéance de 450 millions d’euros du prêt concédé par le Fonds monétaire international.
Les thèmes officiels, dans la rencontre de Moscou, sont ceux du commerce et de l’énergie, dont la possibilité que la Grèce devienne le hub européen du nouveau gazoduc, remplaçant le South Stream bloqué par la Bulgarie sous pression états-unienne, qui, à travers la Turquie, apportera le gaz russe au seuil de l’UE. On parlera aussi d’un possible relâchement des contre-sanctions russes, en permettant l’importation de produits agricoles grecs.
Selon ses déclarations à l’Agence Tass (31 mars), le Premier ministre Aléxis Tsípras a communiqué au président du Conseil européen, Donald Tusk, et à la représentante pour la politique étrangère UE, Federica Mogherini, que « nous ne sommes pas d’accord avec les sanctions contre la Russie » [1]. Et, au premier sommet UE auquel il a participé les 19-20 mars, il a officiellement soutenu que « la nouvelle architecture de la sécurité européenne doit inclure la Russie ».
En confirmation de cette position, Tsípras sera de nouveau à Moscou le 9 mai pour le 70ème anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie, célébration boycottée par la majorité des leaders occidentaux (en commençant par Obama, Merkel et Cameron). Il y aura par contre le président chinois Xi, avec des représentants des forces armées chinoises, qui défileront sur la Place Rouge avec les forces russes pour symboliser l’alliance de plus en plus étroite entre les deux pays. Le président Poutine, à son tour, sera en septembre à Pékin pour célébrer le 70ème anniversaire de la victoire sur le Japon militariste.
En se rapprochant de la Russie, la Grèce de Tsipras se rapproche ainsi de fait aussi de la Chine et de la nouvelle aire économique euro-asiatique, qui est en train de naître sur la base de la Banque d’investissements pour les infrastructures asiatiques créée par Pékin, à laquelle a adhéré la Russie avec environ 40 autres pays. Des organismes financiers de cette aire et aussi de ceux des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) —qui visent à supplanter la Banque Mondiale et le FMI dominés par les USA et les plus grandes puissances occidentales— la Grèce pourrait recevoir les moyens de se soustraire à l’étreinte étouffante de l’UE, de la BCE et du FMI. Parce que, aussi, la Chine veut faire du Pirée un hub de première importance de son réseau commercial. Selon The Independent, « le gouvernement grec est prêt à nationaliser les banques du pays et à créer une nouvelle monnaie », c’est-à-dire est prêt à sortir de l’euro et, s’il le faut, même de l’UE [2].
Mais entre en jeu ici un autre facteur : l’appartenance de la Grèce non seulement à l’UE mais à l’Otan. « Une Grèce amie de Moscou pourrait paralyser la capacité de l’Otan à réagir à l’agression russe », prévient Zbigniew Brzeziński [3]. Des paroles menaçantes à ne pas sous-évaluer, car Brzeziński a longtemps été conseiller stratégique de la Maison-Blanche, avec laquelle il est encore en contact étroit. Même si le ministre de la Défense Pános Kamménos assure que « le nouveau gouvernement grec garde ses engagements dans l’Otan malgré ses relations politiques avec la Russie », à Washington et Bruxelles on est sûrement en train de préparer un plan pour empêcher que la Grèce ne devienne un « maillon faible » dans le nouvel affrontement avec la Russie et, de fait, avec la Chine. Le putsch de 1967, qui amena au pouvoir les colonels, fut opéré sur la base du plan « Prométhée » de l’Otan [4].
Les temps ont changé, mais pas les intérêts politiques et stratégiques sur quoi se fonde l’Otan. Entre-temps devenue plus experte dans les méthodes de déstabilisation interne.
[1] « La Grèce dénonce une manipulation de l’UE sur l’Ukraine », Réseau Voltaire, 28 janvier 2015.
[2] “Greece considering nationalising its banks and issuing new currency, sources claim”, Ian Johnston, The Independent, April 3, 2015.
[3] « La Grèce pourrait "paralyser" l’Otan, estime Brzezinski », AFP, 25 mars 2015.
[4] « La guerre secrète en Grèce », par Daniele Ganser, Réseau Voltaire, 24 août 2013.
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