Jacques Chirac recevait le 16 décembre 2003 l’émissaire spécial des États-Unis, James Baker. Sa visite visait à négocier avec Paris une réduction de la dette Irakienne qui, s’élevant à 200 milliards de dollars, retarde la pleine exploitation des ressources locales par Washington. L’ancien secrétaire d’État états-unien apparaît une nouvelle fois à un moment clé de la carrière de George W. Bush. Après l’avoir sauvé de la faillite en 1981, James Baker a géré sa fortune à la tête du Carlyle Group. Il s’est ensuite opposé au décompte manuel des voix lors de la présidentielle de 2000, permettant à la Cour suprême de désigner Junior à la présidence des États-Unis.
James A. Baker III a été nommé par le président Bush, le 5 décembre 2003, comme représentant spécial chargé de renégocier la dette irakienne. En effet, avec 200 milliards de dollars de dettes et de réparations de guerre à payer, l’Irak est le pays le plus endetté du monde proportionnellement à son nombre d’habitants. Cette situation hypothèque l’avenir d’un pays qui n’est pas encore reconstruit.
Né le 28 avril 1930 à Houston, James Addison Baker III s’engagea dans les Marines à l’âge de 22 ans, avant d’obtenir un diplôme de droit à l’université du Texas. En 1975, il est sous-secrétaire au Commerce dans l’administration Ford. De 1981 à 1984, il devient chef de cabinet du président Reagan à la Maison-Blanche, puis directeur de campagne pour sa réélection, et de 1986 à 1989, secrétaire d’État du second mandat Reagan. À l’issue de celui-ci, il est directeur de campagne du candidat George H. Bush (le père), puis, après sa victoire électorale, à nouveau chef de cabinet de la Maison-Blanche.
Toujours prévenant, James Baker présenta à George W. Bush (le fils) l’investisseur new-yorkais Philip A. Uzielli qui eut la bonne idée, en 1981, d’investir plus d’1 million de dollars dans la société pétrolière de Junior pour la sauver de la faillite. Philip A. Uzielli était l’ancien camarade de chambre universitaire de James Baker, tandis qu’à l’époque Bush père était vice-président des États-Unis [1].
Cependant, la gestion de Junior étant toujours aussi dispendieuse, la société pétrolière se trouva à nouveau en faillite, en 1986. Elle fut alors rachetée avec ses dettes par un investisseur providentiel, Harken Energy, la société de Salem Ben Laden (frère aîné d’Oussama).
Le monde du pétrole texan étant ce qu’il est, les Bush et les Ben Laden confièrent le soin de gérer leurs avoirs boursiers au Carlyle Group. En 1989, la société, alors dirigée par Fred Malek [2], achète la firme de restauration aérienne Caterair International et y nomme Bush Junior. En 1990, le Carlyle Group est mis en cause pour avoir reçu 1 million de dollars d’un fond de pension qui espérait ainsi obtenir un contrat public dans le Connecticut. La somme avait été extorquée par un lobbyiste du parti républicain pour financer la campagne électorale de Bush Senior, dont Baker était le directeur de campagne. Et c’est naturellement le Carlyle Group que James Baker, George H. Bush et plusieurs de leurs collaborateurs rejoindront lorsqu’en 1993 Clinton chassera les Républicains.
Depuis dix ans, James A. Baker III se partage entre ses activités de conseil pour le Carlyle Group et son travail d’avocat au sein du cabinet Baker & Botts. En outre, il préside l’Institut de politique publique qui porte son nom à l’université de Rice.
Par le biais des firmes qu’il contrôle, le Carlyle Group est aujourd’hui la 11e société sous contrat du Pentagone. Nos révélations sur l’activité de ce fonds de gestion, reprises dans la revue mexicaine Processo, ont suscité de vifs débats aux États-Unis. Au point que certaines des plus importantes manifestations états-uniennes contre la guerre en Irak se sont tenues devant le siège du Carlyle Group.
Le Carlyle Group a acquis, en 1999, des parts du quotidien français Le Figaro, en vue d’influer sur la campagne électorale présidentielle. Il s’est fait représenter au Conseil d’administration du journal par Dominique Baudis. Le Carlyle Group a revendu ultérieurement ses parts et M. Baudis a cessé toute fonction de ce type à sa nomination à la présidence du Conseil supérieur de l’audiovisuel [3].
Le 11 septembre 2001, le Carlyle Group organisait une réunion de gala au Ritz Carlton de Washington, en présence de Baker, Bush père, plusieurs frères Ben Laden et divers invités prestigieux. Ils assistèrent en direct aux attentats sur écrans géants [4].
La cabinet Baker & Botts dispose d’un bureau à Houston et d’un autre à Riyad. Il a notamment défendu la famille royale saoudienne accusée abusivement par des familles de victimes du 11 septembre d’avoir financé les attentats. Baker est aussi l’avocat de grandes sociétés pétrolières, et bien sûr du premier équipementier pétrolier mondial, Halliburton (dont Dick Cheney était le Pdg jusqu’à son accession à la vice-présidence des États-Unis).
Enfin, il reste encore un peu de temps à James A. Baker III pour présider l’institut éponyme de l’Université Rice (Texas). Il y est entouré d’un conseil d’administration prestigieux où siègent aussi bien l’ancien Premier ministre britannique John Major (aujourd’hui conseiller du Carlyle Group) que l’ancien ministre des Affaires étrangères français Roland Dumas (qui jure tout ignorer du pétrole en général et d’Elf en particulier). L’institut Baker s’intéresse surtout aux conséquences des affaires énergétiques sur la politique internationale.
Lors de l’élection présidentielle de 2000, George W. Bush (le fils) désigna James Baker pour le représenter en Floride et s’opposer au décompte manuel des voix. Cette action permit à la Cour suprême de désigner Junior président des États-Unis avant qu’on ne connaisse le résultat du scrutin et que l’on constate qu’il avait perdu. Le nouveau président ne manqua pas d’honorer son vieil ami en lui confiant diverses missions, comme cette étrange tournée en Géorgie qui précéda la « révolution ». Et il nomma Robert W. Jordan (n°3 de Baker & Botts) ambassadeur en Arabie saoudite.
En janvier 2003, l’Institut Baker et le Conseil des relations étrangères (CFR), dont le président est administrateur de l’Institut Baker, publièrent ensemble un plan pour l’Irak d’après-guerre. Il préconisait de placer le pétrole sous administration états-unienne et de développer d’intenses campagnes de propagande à l’étranger pour faire admettre cette politique.
En octobre 2003, l’Institut Baker a publié un rapport sur la propagande à direction des populations arabes. Il avait été préparé sous la direction du directeur de l’Institut, Edward P. Djerejian, ancien ambassadeur en Israël. James Baker a mené campagne pour la nomination de son amie Margaret DeB. Tutwiler au sous-secrétariat d’État à la diplomatie publique.
Le 12 décembre, un éditorial du New York Times s’interrogeait sur les conflits d’intérêt de James A. Baker III : envoyé spécial du président Bush pour renégocier la dette irakienne, il défend indirectement les intérêts de ses clients pour qui la solvabilité de l’Irak est indispensable. Qu’il s’agisse de l’Arabie saoudite (alors que son collaborateur y est ambassadeur et qu’il est l’avocat de la famille royale), d’Halliburton (qui répare les installations pétrolières et fournit l’armée d’occupation, et dont il est l’avocat). La Maison-Blanche a immédiatement répliqué en assurant que la mission diplomatique de l’ancien secrétaire d’État était bénévole et le président Bush en personne lui a exprimé publiquement sa reconnaissance pour avoir accepté de servir ainsi son pays.
[1] Cf. Le Cartel Bush ou l’itinéraire d’un fils privilégié par James Hatfield, Timéli éd., 2003
[2] Ancien collaborateur de Richard Nixon, Fred Malek est l’auteur de la " liste juive ". Il établit une liste des personnalités juives qu’il rendait responsables des attaques contre le président Nixon.
[3] Selon un hebdomadaire de télévision, un collaborateur de Dominique Baudis au CSA aurait joint par téléphone les principales chaînes de télévision française, en mars 2002, pour les enjoindre de ne plus jamais donner la parole à notre rédacteur en chef, Thierry Meyssan, auteur de L’Effroyable imposture. Par ailleurs, le Conseil supérieur de l’audiovisuel a convoqué le directeur de Radio Méditerranée, Taoufik Mathlouthi, le 16 décembre 2003, à propos de la Chronique de l’Empire de Thierry Meyssan, diffusée la veille par sa station.
[4] Informations confirmées par Carlo de Bendetti, qui avait été invité à cette festivité Cf. « La societa civile fermi Berlusconi », Corriere della Sera du 20 décembre 2002.
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