La presse nord-américaine et européenne en a peu parlé, mais l’élite politique mondiale, les penseurs en vogue et les puissants de l’industrie et de la finance se sont à nouveau rassemblés cette semaine au Canada, à Ottawa, pour une la conférence annuelle ultrasecrète du groupe Bilderberg, tandis qu’une sécurité renforcée tenait les curieux et les conspirationistes à l’écart. De nombreux médias canadiens s’offusquent du secret qui entoure les réunions de ce groupe influent.
Des « grands esprits » tel que l’ancien Secrétaire d’Etat états-unien Henry Kissinger, le banquier états-unien David Rockefeller et la Reine Beatrix des Pays-bas étaient attendus à l’aéroport par des chauffeurs en livrée tenant des panneaux portant seulement la lettre B, avant de les emmener discrètement vers la banlieue calme d’Ottawa, à l’hôtel Brookstreet. Au programme : trois jours de discussions sur les marchés pétroliers, les craintes face aux ambitions nucléaires de l’Iran, le terrorisme et l’immigration. Richard Perle, ancien conseiller états-unien à la défense, à nié, lors de son arrivée à Ottawa, que le groupe se réunit en secret pour peser sur les politiques des Etats. « Nous en discutons, c’est tout, nous ne faisons pas la politique à la place des gouvernements ».
Les autres invités entrevus à l’aéroport Jeudi dernier sont l’ancien ambassadeur canadien à Washington, Frank McKenna, le PDG de la Royal Dutch Shell Jorma Ollila, l’ancien président de la Banque Mondiale James Wolfenson et le PDG de Scandinavian Airlines Egil Myklebust. L’ancien gouverneur de New York George Patakis, le vice-premier-ministre irakien Ahmad Chalabi, les PDG de Coca-Cola, Credit Suisse, la Royal Bank of Canada, plusieurs dirigeants de groupes de médias, ainsi que des ministres espagnols et grecs sont également attendus.
Ceux qui gardent un œil sur les activités de Bilderberg affirment que c’est lors de leurs réunions que le principe de la monnaie unique pour l’Europe a été adopté, que c’est eux qui ont forcé Bill Clinton à mettre en place l’ALENA (accord de libre échange américain, auquel il s’opposait au début). Cette semaine ils vont discuter pour savoir ce qu’il convient de faire face à la montée du prix du pétrole ainsi que l’attitude à adopter face à cet énervant président iranien fondamentaliste, Mahmoud Ahmadinejad.
Même la police n’a pas le droit de s’approcher de trop près. Les policiers canadiens en uniforme qui patrouillent les alentours de l’hôtel ne peuvent pénétrer dans le périmètre de sécurité sans montrer leur carte d’accréditation. Dans le périmètre, la sécurité est assurée par un groupe de mercenaires de la société de sécurité Globe Risk. « C’est plutot inhabituel, » explique un policier d’Ottawa.
Le groupe Bilderberg a été fondé il y a 50 ans et rassemble 130 des personnalités les plus riches et les plus puissantes de la planète. Son nom provient de l’hôtel dans lequel s’est déroulé la première rencontre, en 1954
L’auteur canadien Daniel Estulin, qui enquête sur Bilderberg depuis des années, le décrit comme un groupe « puissant« de politiciens et d’affairistes dotés d’un objectif commun : « créer un gouvernement mondial qui fera disparaître les états-nation individuels - il n’y aura plus qu’une seule région, une seule religion, une seule constitution, une seule église, une seule devise et un seul pays. Et vous le voyez en ce moment, avec l’ALENA, l’accord de libre-échange américain, ou encore la Communauté européene »
L’auteur affirme avoir plusieurs « amis intimes » qui sont membres de Bilderberg, et qui l’alimentent constamment en informations sur les discussions en cours. La presse est interdite de ces réunion, sauf dans des cas spéciaux, et les participants ne parlent jamais de ce qui s’est dit ou passé lors de ces réunions.
« Personne n’a le droit d’en parler - pourtant assistent à la conférence les membres du réseau de presse Bilderberg : Le New York Tmes, leWashington Post , Newsweek, le Financial Times et The Times sont de service. »
Ce groupe n’a pas de membres officiels. Chaque année, un comité de coordination secret envoie des invitations à des personnalités considérées comme « leader » dans le monde des affaires et de la politique. Le groupe dispose d’un siège social à la Haye aux Pays Bas - une simple adresse qui prend les appels téléphoniques : une voix pré-enregistrée vous donne les instruction pour laisser un message, mais - comme de bien entendu - on ne vous rappelle jamais.
Les critiques comme Estulin affirment que le groupe est dangereux et élitiste, et qu’il n’est mû que par le seul souci de s’enrichir. Si les motifs du groupe sont légitimes, disent-ils, pourquoi maintenir les réunions secrètes ?
« Aujourd’hui, ici, vous avez 125 des personnes les plus puissantes du monde qui se réunissent, et personne ne semble s’intéresser à ce que ces personnes disent. Si ça n’est pas une conspiration, alors je ne sais pas ce que c’est. » Les porte-parole du groupe affirment de leur côté que le secret des débats permet une discussion plus stimulante.
« Certains disent que je vois des conspirations partout. C’est faux. Ici je ne fais que constater un fait qui est indéniablement symptomatique d’une conspiration, » explique James P. Tucker. Ce journaliste états-uniens de 74 ans enquête sur le groupe Bilderberg depuis des décennies.
Basé à Washington, D.C., Tucker et ses observateurs traquent les hélicoptères et les limousines. « Je pourchasse ces gamins à travers toute l’Europe et l’Amérique du Nord depuis plus de 20 ans déjà, » explique Tucker, avec son accent traînant du Sud. « Et tout ce que nous avons écrit sur Bilderberg depuis cette époque s’est avéré. »
Même les critiques plus modérés du Bilderberg confirment que le groupe est élitiste, antidémocratique et ne rend jamais de comptes. D’autres accusent les Bilderberg de vouloir établir un gouvernement planétaire au service de leurs propres intérêts, de tirer les ficelles en coulisse et de planter leurs candidats dans la politique et dans d’autres postes à fort pouvoir de décision, afin de servir leurs intérêts.
Cette année encore, on discutera du prix du pétrole. Comme le dit Tucker : « l’année dernière nous avons divulgué leurs plans en faveur d’une forte augmentation du prix du pétrole. On nous a ri au nez, à l’époque le baril était à 40 dollars US et personne ne croyait à ce que nous disions. Aujourd’hui il a quasiment doublé, à 70 dollars le baril. Et plus personne ne rit.
Nous ne sommes pas des synarchistes ou des conspirationistes. Une conspiration c’est quand vous avez 120 des hommes les plus puissants de la planète qui se réunissent pour décider de politiques publiques et qu’ils le font derrière des portes fermées, défendues par des gardes armés. »
« Shadowy group meets amid secrecy in Ottawa », par la rédaction CTV News, Canada, 9 juin 2006.
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