Depuis la fin du communisme, la Pologne est devenue une des principales voie de transit des drogues destinées aux pays de l’Europe de l’Ouest. Ce rôle, elle le doit d’abord à sa situation géographique qui en fait un passage obligé entre la Russie et l’Occident auquel s’ajoute une façade sur la Baltique qui compte deux grands ports, Gdynia et Gdansk ; ensuite à l’existence de nombreuses entreprises commerciales et de transport dont les capitaux sont polonais ou mixtes, très actives en Europe. Les drogues qui transitent dans le pays sont en particulier l’héroïne du Croissant d’or par voie terrestre via le territoire de la Russie ; l’héroïne du Triangle d’or par voie aérienne via Pékin, Ulan Bator, Moscou ; des opiacés turcs et de la cocaïne latino-américaine par la route des Balkans, puis via la Slovaquie et la République tchèque. A cela s’ajoute du haschisch du Maroc et de la paille de pavot des pays de la CEI et même, plus récemment, du Népal, via la Russie. En outre, les trafiquants polonais ont établi des contacts avec des organisations criminelles en Colombie, en Turquie, aux Pays-Bas, en Allemagne et dans les pays scandinaves. Cependant, des organisations russes qui doivent maintenant éviter les Pays Baltes du fait de la situation conflictuelle de ces derniers avec la Russie, utilisent le territoire polonais sans être en relation avec des organisations du pays. En ce qui concerne la production locale, la Pologne produisait déjà sous le régime communiste des amphétamines pour le marché des pays scandinaves. Les dérèglements consécutifs aux privatisations font que la production illicite s’est accrue et participe aujourd’hui à l’approvisionnement de l’ensemble de l’Europe.
Le transit des drogues
Avant même le changement de régime, les toxicomanes polonais préparaient chez eux une héroïne artisanale à partir de la paille de pavot, appelée kompot. Aujourd’hui, des fabriquants qui ne sont pas eux-mêmes des consommateurs, produisent cette préparation afin de l’écouler sur le marché. Par exemple, au cours de l’année 1995, la seule police de Szczecin a démantelé 50 de ces cuisines. Cette activité permet d’obtenir un opiacé à des prix très inférieurs à ceux de l’héroïne importée. Cependant, la Pologne est un important pays de transit de cette drogue. Le 9 janvier 1997 ont été prononcées les sentences dans le procès d’un réseau accusé d’avoir convoyé près de 180 kilogrammes d’héroïne en provenance de Turquie et à destination des Pays-Bas. Le chef polonais du réseau a été condamné à 11 ans de prison et son complice néerlandais à 10 ans. Les 10 autres membres du gang ont écopé de trois à six ans de prison. En 1996, une autre affaire a défrayé la chronique. Les douanes britanniques ont découvert une centaine de kilos d’héroïne dans un véhicule dans lequel un entraineur polonais ramenait chez eux des supporters après un match de qualification pour la Coupe du monde, le 9 octobre, entre l’Angleterre et la Pologne. Le chauffeur et ses 11 passagers ont été relâchés et, un mois plus tard, un jeune Polonais, qui avait loué le véhicule, a été arrêté dans son pays.
Enfin, le 20 janvier 1997, la police polonaise a annoncé avoir démantelé un réseau de trafiquants qui ont acheminé par la Pologne au moins 700 kg d’héroïne turque vers l’Allemagne, la France, l’Espagne et les Etats-Unis. Dix-sept personnes ont été arrêtées dans le cadre d’une enquête menée depuis plusieurs mois en proche collaboration avec l’Office pour la lutte contre la Criminalité de Saxe en Allemagne (LKA) et les douanes britanniques. La police a notamment arrêté une Polonaise considérée comme "le bras droit du chef de ce réseau turc". La route de la drogue partait de la Turquie vers des ports d’Ukraine puis, via la Pologne, vers des pays occidentaux. En Pologne, les organisateurs du trafic engageaient des personnes connaissant des difficultés financières, notamment des garagistes qui préparaient des cachettes dans les voitures, permettant de passer la frontière polono-allemande avec une trentaine de kilos de drogue par véhicule.
Le transit de la cocaïne présente plusieurs modalités. D’abord des mules qui prennent l’avion après avoir ingéré la drogue sous forme de boulettes ou qui la transportent dans leur valise. Comme il n’existe pas de lignes directes avec l’Amérique latine, les passeurs ont transité par des aéroports comme Francfort, Amsterdam, Paris ou même Moscou. Ils se rendent ensuite par la route en Allemagne ou en République tchèque. Ainsi, au début du mois d’août 1996, 40 kg de cocaïne ont été découverts dans les bagages de trois Polonais en transit à l’aéroport de Düsseldorf (ouest). Les trois Polonais, âgés de 21 à 31 ans ont été placés en détention provisoire. En provenance du Venezuela, ils entendaient regagner la Pologne via l’Allemagne. Une variante consiste à envoyer la drogue par colis postal. De grosses cargaisons arrivent également par bateau et sont ensuite dissimulées dans des camions qui se rendent à l’Ouest. En 1995, les gardes-frontières ont saisi 225 kg de cocaïne. Des sources policières affirment que des accords de troc, cocaïne contre précurseurs chimiques, ont été conclus entre des gangs polonais et des organisations criminelles colombiennes.
En ce qui concerne le haschisch, les douaniers du port de Casablanca ont saisi, en février 1996, 5 tonnes de cette drogue soigneusement emballée et dissimulée au fond d’un conteneur chargé de conserves de sardines et destiné à la Pologne via l’Espagne. L’expéditeur du conteneur est une société d’import-export appartenant à un Hollandais et le destinataire est une société polonaise.
Les cartels des amphétamines
Selon les estimations concordantes de différents organismes internationaux de lutte contre la drogue, la Pologne fournit 15 % à 20 % du marché illicite des amphétamines en Europe. Ce qui est nouveau, c’est que l’on est en train de passer d’une phase de production relativement anarchique à la mise en place de véritables cartels structurés et compartimentés : le chef des ventes ignore la localisation du laboratoire ; les dealers ne connaissent que le grossiste et les courriers internationaux leur fournisseur. Trois de ces cartels monopolisent l’essentiel de la production destinée au marché international, en particulier aux pays scandinaves : celui de Varsovie, celui des Trois villes et enfin celui de la Poméranie occidentale. Chacun d’entre eux est composé de "syndicats" et est dirigé par un "baron du narco-business" qui manipule un chiffre d’affaires pouvant varier annuellement de 5 à 40 millions de dollars. Au moins la moitié de ces syndicats est composée d’hommes d’affaires ayant pignon sur rue : ils investissent les fonds nécessaires à l’entreprise, livrent les produits chimiques permettant la fabrication des amphétamines et reçoivent les commandes. Leurs entreprises légales servent à blanchir les bénéfices.
Au début des années 1990, les laboratoires ne produisaient, en moyenne, que 6 kg de drogue par mois. En septembre 1995, la police a investi une fabrique capable d’en produire plusieurs kilos par jour. Malgré une baisse constante des prix, le business reste florissant. Il y a trois ans, un kilo d’amphétamines qui se négociait, au prix de gros, entre 8 000 et 10 000 dollars, ne vaut plus aujourd’hui que de 2 500 à 3 500 dollars, en fonction du nombre d’intermédiaires.
Sur le marché interne, ces produits sont largement consommés, sous forme injectable. Une dose de 100 milligrammes vaut de 5 à 6 zloty (environ 2 dollars) à Gdansk, 4 dollars à Cracovie et 5 dollars à Wroclaw. Les prix sont également à la baisse avec le développement du marché et la concurrence que se livrent de petits laboratoires de plus en plus nombreux. Depuis 1993, le nombre de ceux qui sont découverts par la police double chaque année. Les trafiquants ont engagé de véritables spécialistes pour diriger la production : un chimiste diplômé de l’université de Varsovie, un administrateur adjoint d’une faculté de Lodz, un technicien du Collegium Chemicum de Poznan. Cependant, tous les gangs n’exigent pas de diplômes de leurs spécialistes. Ainsi la police de Wroclaw a saisi trois laboratoires qui appartenaient à un propriétaire de bureaux de change dont le "chimiste" était un ex-étudiant en médecine qui travaillait quasi bénévolement. Pour ce qui est de la matière première, on se contente le plus souvent d’utiliser des produits chimiques en vente légale qui entrent dans la fabrication de médicaments, de produits de beauté, de teintures ou de vernis. Par ailleurs, certains produits placés sur la liste des produits interdits par la législation internationale sont autorisés en Pologne. C’est le cas, par exemple, d’un dérivé amphétaminique très populaire, le MDEA, fabriqué également aux Pays-Bas, qui est meilleur marché que l’alcool et produit des effets proches de ceux de l’ecstasy.
Un gang international a proposé, il y a peu, un contrat de production de cette substance, contrat qui n’aurait pas enfreint la législation en vigueur, à une usine du sud de la Pologne. Cependant, des trafiquants n’ont guère tardé à tirer avantage de nouvelles dispositions du code pénal qui limitent la détention provisoire à une année. Un des premiers à bénéficier de cette mesure a été Wieslaw N, le frère de "Dziad", le chef du gang des amphétamines de Wolomin. Sa libération risque de mettre fin à l’enquête le concernant. Il avait été arrêté le 20 septembre 1995, à la suite de la découverte de la plus grande fabrique de cette drogue, à Wola Karczewska, près de Varsovie. Mais sa détention, qui avait un autre motif, permettait à la justice de rechercher des preuves dans cette affaire : il avait été arrêté auparavant en Allemagne, libéré contre une caution de 50 000 Deutschmark. Grâce à un faux passeport, il s’était enfui en Pologne où on l’avait arrêté pour détention d’armes et présentation à la frontière d’un document d’identité falsifié. Le tribunal d’Otwock n’a pas répondu favorablement à la demande du parquet de prolonger la détention.
La fabrique d’amphétamines était officiellement gérée par un comparse au nom duquel l’entreprise était enregistrée. Ainsi, l’achat de produits chimiques était légal. Des factures étaient signées par Wieslaw N, mais sous un faux nom. Sur le terrain de la propriété ont été trouvés un camion contenant de grandes quantités d’alcool et un deuxième laboratoire. Les analyses ont confirmé que les produits saisis étaient de dérivés amphétaminiques semi-élaborées. Des experts estiment que le laboratoire a produit au moins 350 kg d’amphétamine pure.
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