Depuis une dizaine d’année, le Ghana est un important centre de transit pour l’héroïne du sud-est asiatique et la cocaïne sud-américaine destinées aux marchés européens et nord-américains. La consommation des drogues dures progresse dans tous les centres urbains. Les villes ghanéennes constituent également des réserves de main-d’œuvre pour les réseaux qui y recrutent les "mules" du trafic international, qui sont de plus en plus nombreuses à être incarcérées en Asie et en Amérique du Sud. Le pays exporte aussi une partie de son importante production de cannabis, mais c’est sans doute le marché intérieur de la marijuana qui en absorbe la plus grande part. Au Ghana, le cannabis est utilisé comme dopant par les consommateurs des classes pauvres. Avatar structurel de cette consommation utilitariste : l’industrie du cannabis représente un véritable instrument de subvention pour de larges secteurs de l’agriculture ghanéenne, à commencer par la production de cacao, l’une des plus importantes du monde et la première source légale de devises du pays. Stimulant à la fois son économie et sa main-d’œuvre, le cannabis permet au "bon élève" africain du FMI et de la Banque mondiale de faire face à ses obligations financières.
Les féticheurs au secours du trafic
Le gouvernement ghanéen se déclare préoccupé par le développement du phénomène des drogues dures dans son pays. Pourtant, en 1996, les autorités n’ont réussi à saisir que 2,47 kilogrammes d’héroïne et 2,63 kg de cocaïne. Ces quantités sont dérisoires et ne reflètent absolument pas l’ampleur réelle du trafic. Elles sont en revanche un reflet du manque de professionnalisme et de la corruption des agents chargés de la surveillance des frontières terrestres, maritimes et aériennes du pays.
La cocaïne qui entre au Ghana est en général très pure : 92 % à 94 %. Elle provient surtout du Brésil où les organisateurs du trafic - souvent nigérians mais aussi ghanéens - sont bien installés, mais aussi de Colombie, parfois via l’Equateur. Ainsi, fin août 1996, des Ghanéens et d’autres ressortissants africains, tous anglophones, ont été arrêtés à Quito. D’après la police équatorienne, ils se livraient au trafic de cocaïne entre la Colombie, l’Equateur et l’Afrique du Sud. Les Ghanéens, comme d’autres trafiquants de drogues dures ouest-africains, investissent dans l’ancien pays de l’apartheid qui, à leurs yeux, présente des charmes multiples : un vaste marché de la consommation encore sous-exploité, d’excellentes infrastructures d’exportation, sans oublier un système bancaire des plus modernes. Ce pays est en outre moins repéré par les douaniers occidentaux. Pour ce qui est du trafic par courriers individuels, les "mules" ghanéennes se chargent en Amérique du Sud et acheminent la cocaïne jusqu’à Lagos ou Kano, par avion, puis, par la route ou par avion, via Abidjan et/ou Cotonou et/ou Lomé, jusqu’à Accra.
L’héroïne, de marque 999 ou Double uoglobe provient de Birmanie. Elle est achetée à Hong Kong et surtout en Thaïlande. En septembre 1996, la police thaïlandaise a ainsi arrêté trois Ghanéens en possession de 1,5 kg d’héroïne dans la province de Nakorn Sawan, à 250 kilomètres au nord de Bangkok. Ces trois trafiquants iront vraisemblablement rejoindre leurs 46 compatriotes déjà incarcérés en Thaïlande pour des affaires de drogues. Début juin 1995, ces derniers avaient écrit à J.J. Rawlings, le président ghanéen, pour lui demander d’intervenir auprès des autorités thaïlandaises afin de pouvoir purger leurs peines dans leur pays d’origine. Le président a refusé. L’héroïne qui entre au Ghana est, selon les autorités, très pure elle aussi : de 70 % à 90 %. Elle est acheminée à Accra ou Kumasi, la deuxième ville ghanéenne, par avion via Singapour, Djakarta, Karachi, Moscou, Tripoli, Le Caire, Addis Abeba, Harare, Lagos, puis par la route ou par avion via Cotonou et/ou Lomé. Ethiopian Airlines semble être la compagnie préférée des trafiquants d’héroïne et parfois de cocaïne. Ils ont transformé Addis Abeba en véritable plaque tournante du trafic, au même titre que Lagos, Nairobi, Lusaka et Johannesburg. Pour masquer leur provenance réelle, les "mules" changent leur faux passeport pour un autre dans l’une de ces villes, surtout à Lagos et à Lomé, où existe une véritable industrie du vrai-faux passeport. Ces passeurs dissimulent la drogue dans des bagages à double fond, dans des vêtements, dans de l’électro-ménager, dans les cavités anatomiques, ou l’avalent. Cette dernière méthode est de plus en plus utilisée car elle est jugée plus sûre, les douaniers ayant accru leur vigilance. Cocaïne et héroïne voyagent également par la poste, ou, tout comme le cannabis, dissimulées dans des chargements de produits alimentaires ou artisanaux, de grumes, de vêtements, d’électro-ménager, de meubles en bambou, etc.
Pour la société ghanéenne, cette situation a des retombées de deux ordres. D’abord, une partie de la drogue qui entre au Ghana a créé un marché local de consommation en pleine expansion. L’héroïne et, dans une moindre mesure, le chlorhydrate de cocaïne et un crack fabriqué localement à partir de ce dernier, de noix de muscade et de jus de citron, sont vendus dans les principales villes du pays. Les petits trafiquants nigérians, réfugiés au Ghana suite au "nettoyage" effectué à Lagos ces deux dernières années par le général Bamaiyi, se spécialisent dans la vente directe de chlorhydrate, et parfois d’héroïne, à la "jet-set" d’Accra (politiciens, hauts fonctionnaires, hiérarques militaires et hommes d’affaires ghanéens, expatriés occidentaux, diplomates de toutes nationalités et immigrés libanais et indiens) et/ou dans l’approvisionnement des réseaux de rue, très actifs dans le quartier chaud autour de N’Krumah Circle, le cœur d’Accra, et dans le quartier populaire et commerçant de Tudu, à quelques encablures de la plus grande police station du centre de la ville. La police manque de moyens pour faire face, et se contente donc de contenir trafic et consommation à certaines zones. Mais des policiers sont aussi payés par les "bosses" du trafic, tout comme les douaniers qui, à la frontière togolaise, laissent passer les importateurs en provenance de Lagos contre l’équivalent d’un mois de salaire, c’est-à-dire moins de 50 dollars... Ainsi, au Ghana, pays pauvre mais paisible, le trafic de drogues ne donne que très rarement lieu à des violences, et encore s’agit-il souvent de policiers rossés par des dealers ou des cultivateurs.
Ensuite, un véritable marché du travail s’est créé autour du trafic international de drogues : le Ghana est aujourd’hui un pourvoyeur de première importance de "mules" qui introduisent dans le pays la cocaïne brésilienne et l’héroïne du Triangle d’or, ou l’acheminent vers les grands marchés de consommation du monde occidental. Là, les réseaux de distribution sont souvent africains, et ils reproduisent les modes de fonctionnement du trafic prévalant dans les villes d’Afrique de l’Ouest. Ils sont tenus par des "bosses", souvent ghanéens ou nigérians, qui dirigent une petite bande de "boys", de diverses nationalités africaines, qui sont chargés des tâches subalternes, comme le deal de rue. C’est ainsi que fonctionnait cette bande de trafiquants de crack, qui opérait à Londres et New York, dont le démantèlement en Angleterre avait donné lieu à la plus grosse saisie de cette drogue jamais effectuée, et dont trois membres, tous ghanéens, ont été condamnés respectivement à 20 ans, 16 ans et 5 ans de prison par un tribunal londonien en avril 1995. Ou encore cette autre, qui revendait de l’héroïne pakistanaise à partir de deux restaurants parisiens, et dont 15 membres, dont des Ghanéens, ont été condamnés à Versailles en novembre 1995. Les mules se recrutent dans les grandes villes, et avec les taux de chômage et de sous-emploi astronomiques prévalant au Ghana, les candidats ne manquent pas. D’autant moins que le "métier" est bien rémunéré - 2 000 dollars par voyage, alors que le salaire mensuel moyen n’atteint même pas 50 dollars -, et qu’il comporte une sorte d’assurance sociale : en cas d’arrestation du passeur, les bosses enverront de l’argent à sa famille qui pourra ainsi continuer de croire que le fils ou la fille prodigue travaille à l’étranger. Les trafiquants font circuler la rumeur que les peines de prison encourues ne dépassent pas trois ans et qu’un séjour en prison pourra même être bénéfique puisqu’il permettra de faire des connaissances qui s’avéreront utiles pour le reste de la "carrière". On se garde bien de dire que les passeurs risquent la peine de mort dans certain pays asiatiques, en particulier à Singapour et en Thaïlande, ou encore la prison à vie, comme ce Ghanéen condamné à Manille, en janvier 1996, pour un trafic d’héroïne. Souvent naïfs, de nombreux petits passeurs prennent soin, avant d’entreprendre leur voyage, de se faire personnellement "protéger" par un sorcier, un juju man.
Les "mules" ont en général fait leur premières armes comme dealers dans les rues des grandes villes. Ils sont "promus" au rang de passeur international vers l’âge de 30 ans. Le contrat qui les lie au patron n’est pas seulement un arrangement financier. La "signature" donne parfois lieu à une cérémonie juju pendant laquelle le passeur s’engage à garder secrète l’identité du commanditaire et ce dernier à pourvoir aux besoins de la famille de son employé en cas de malheur : les sangs du passeur et du représentant du "master", le grand patron, qui vit en Europe - aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, notamment - ou aux Etats-Unis, sont mélangés dans une calebasse au dessus de laquelle le sorcier prononce quelques incantations, avant que son contenu ne soit bu par les contractants. Le vivier ne semble pas près de se tarir : à l’abondante main-d’œuvre déjà présente dans le pays se sont récemment ajouté un grand nombre d’immigrés ghanéens qui travaillaient notamment au Nigeria, au Togo et en Côte d’Ivoire. Les troubles politiques et économiques dont souffrent actuellement ces pays, où les étrangers sont souvent pris comme boucs-émissaires, et la situation comparativement stable et prospère prévalant au Ghana, ont poussé de nombreux émigrés à rentrer au pays. Mais ils sont rares à trouver un emploi stable, et doivent en plus affronter la concurrence de réfugiés togolais et nigérians (sans parler des Libériens, présents depuis la fin 1989, et dont certains se prostituent et dealent) qui, eux aussi, ont fui les troubles de leurs pays d’origine et s’échouent au Ghana, victimes de l’illusion du "miracle" économique ghanéen proclamé par le FMI et la Banque mondiale.
La Côte de l’Or vert
Le Ghana produit, consomme et exporte un cannabis réputé en Afrique de l’ouest et au delà pour sa forte teneur en principe actif (THC). Comme dans le cas des Nigérians, ce sont des soldats qui, après avoir combattu en Inde et en Birmanie dans les rangs de l’armée britannique, ont introduit cette culture dans leur pays à la fin de la deuxième guerre mondiale. L’herbe, connue dans le sud et le centre du pays sous le nom d’abonsam tawa ("le tabac du diable"), et plus généralement sous le nom de wee, pousse sur l’ensemble du territoire de manière "virtuellement incontrôlée", selon un fonctionnaire des douanes. En général, les plantations, ou ganja farms, n’excèdent pas 3 hectares, mais des rumeurs, qui n’ont pu être vérifiées, font état de surfaces plus importantes : on parle par exemple de 15 ha protégés par la police locale - dans la région de Tamale, capitale régionale du nord du pays, région pauvre et enclavée. Le cannabis peut-être soit planté en alternance avec d’autres cultures (tomates, manioc et légumes en général), soit seul, dans des zones peu accessibles. Il permet deux ou trois récoltes annuelles. D’après les autorités, la plus importante région de production de cannabis, en volume et en nombre de planteurs impliqués, est le Brong-Ahafo, situé à l’ouest du pays, le long de la frontière ivoirienne. Le Brong-Ahafo est également la plus grande zone de production de cacao.
Les plantations de cacao, de taille réduite, appartiennent à de petits propriétaires qui les exploitent avec leur famille et quelques employés. D’après un ancien planteur qui vit aujourd’hui à Paris, la plupart des cacaoyères de cette région produisent également du cannabis, massivement exporté vers la Côte d’Ivoire par les réseaux qui se chargeaient, il n’y a pas si longtemps, d’exporter en contrebande le cacao ghanéen vers ce pays, où on le payait plus cher. Le même phénomène existe de l’autre côté du Ghana, sur la frontière est, où les planteurs de l’Eastern Region exportaient cacao et café en direction du Togo. Aujourd’hui, la tendance est inversée, et ce sont les planteurs ivoiriens et togolais, qui sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à planter de l’herbe, qui font passer en contrebande leur production vers le Ghana.
Dans le Brong-Ahafo, comme dans de nombreuses autres régions du Ghana et de Côte d’Ivoire, le cacao et le cannabis vont main dans la main, car ils sont complémentaires. Produit à forte valeur ajoutée requérant peu de travail et de terre, le cannabis agit comme une subvention pour les planteurs. Il est ce "petit plus" qui permet d’absorber la baisse des rendements des cacaoyères, qui intervient au bout d’une vingtaine d’années d’exploitation, tout en préservant une rentabilité de façade. Jusqu’à la fin des années 1970, les subventions de l’Etat, lorsqu’elles ne se perdaient pas dans les méandres corrompus de l’administration ghanéenne, aidaient également les planteurs à faire face à la baisse de rendements. Mais les Programmes d’ajustement structurel mis en place au milieu des années 1980 y mirent définitivement fin, ne laissant aux planteurs que le recours au cannabis. Par le biais de la corruption, le "tabac du diable", comme le cacao de contrebande, améliore l’ordinaire de nombre de fonctionnaires. Ainsi, les postes dans les régions frontalières et/ou cacaoyères sont très recherchés par les douaniers et les policiers ghanéens. Parce qu’ils ont recours à une foule de services, ceux des transporteurs et des pêcheurs par exemple, qu’ils paient plus chers que s’ils étaient des clients normaux, les réseaux du trafic redistribuent aussi une partie de la richesse qu’ils génèrent au sein de la société civile. En outre, comme les trafiquants de drogues dures, ils stimulent l’activité économique en investissant dans la construction et l’immobilier, en plein boom en ce moment, ainsi que dans la restauration et l’hôtellerie. Les bureaux de changes, qui prolifèrent dans les villes depuis la libéralisation du marché des changes à la fin des années 1980, restent néanmoins l’instrument privilégié du blanchiment.
Les cultivateurs, qui ignorent la destination finale de leur produit, emploient deux unités de mesure pour la commercialisation du cannabis : le mini-bag - ou fertilizer bag-, sac contenant normalement de l’engrais - qui peut contenir jusqu’à une dizaine de kg de cannabis est vendu autour de 25 000 cédis (20 dollars) ; et le maxi-bag - sac de 50 kg de cacao - qui peut contenir jusqu’à 25 kg de cannabis, et vaut environ de 55 000 cédis (45 dollars). Un hectare de cannabis donne approximativement une dizaine de maxi-bags. En ce qui concerne les exportations hors Afrique, il est probable que des quantités importantes de marijuana passent par les ports de fret de Tema (port d’Accra) et de Takoradi, le deuxième port du Ghana, à l’ouest, non loin de la frontière ivoirienne, même si les saisies y sont rares. Les hauts fonctionnaires des douanes avouent sans difficultés que la surveillance des ports est pratiquement inexistante, et que les centaines de bateaux de pêche opérant depuis les petites villes et les villages côtiers ne sont jamais contrôlés. Il y a longtemps que certains pêcheurs ghanéens exportent du cannabis vers les pays voisins, et jusqu’en Angola où la guerre avait créé une forte demande. Les méthodes de contrebande sont variées. La "classique" dissimulation de drogues dans des chargements de produits licites a, bien sûr, ses adeptes : 500 kg d’herbe ghanéenne ont été saisi par la douane belge à la frontière française en novembre 1995. Ce lot avait vraisemblablement été embarqué directement sur un cargo au départ d’un port de fret. Mais la marijuana peut aussi être transportée par des bateaux de pêche vers des navires attendant en haute mer. J.K. Afari, porte-parole du Ghana Narcotics Control Board estime, en l’absence de données précises, qu’environ 50 % de la production nationale de cannabis est exportée, le marché intérieur absorbe le reste.
Marijuana utilitariste
De fait, le marché ghanéen soutient de manière très significative la production locale. Les services antidrogues estiment à environ 3 millions le nombre des consommateurs de cannabis, pour une population totale d’un peu moins de 20 millions d’habitants. Le cannabis est le plus souvent fumé sous forme de marijuana, mais peut aussi être consommé en infusion ou, plus rarement, mélangé à la soupe accompagnant les plats traditionnels locaux. Certains trafiquants produisent en outre un "haschisch" local en pulvérisant du cannabis avec un peu d’eau dans un mortier. On ajoute à la pâte ainsi obtenue de l’amidon de manioc pour obtenir une substance brun-noir, très malléable. Ce "haschisch", de piètre qualité et qui n’entretient avec son homonyme marocain ou afghan que des relations très lointaines, peut-être plus facilement dissimulé lorsqu’il est destiné à l’exportation. Mais il est avant tout consommé localement, fumé avec du tabac, dilué dans la soupe, mais surtout dissout dans l’akpeteshe, le gin local (en général du vin de palme distillé). Cette boisson, à laquelle on prête des vertus aphrodisiaques, prend alors le nom de "bitters". Les consommateurs peuvent s’approvisionner en ville comme à la campagne. A Accra, la dose la moins chère, ou "wrap" ou "wrapper" (ainsi nommée car l’herbe est vendue enveloppée dans la feuille de papier dactylo qui servira à la fumer) coûte 100 cédis et contient de 2 à 5 grammes d’herbe non triée, c’est à dire contenant encore des graines et des morceaux de branches. Pour 1 000 cédis, on achète un packet, c’est à dire un morceau de sac de ciment contenant principalement des sommités florales, encore en branche, et pesant environ 30 g. A la campagne, les consommateurs sont principalement les ouvriers agricoles et les personnes âgées. En ville, se sont surtout les chômeurs des quartiers pauvres, les chauffeurs de camion et de taxi, les dockers, les étudiants, les prostitués, les expatriés, les policiers de base (spécialement lorsqu’ils sont en faction de nuit aux barrages routiers installés dans et autour des villes), etc. Les militaires sont également de grands utilisateurs de marijuana, surtout lorsqu’ils partent en opération.
On peut, en gros, diviser les consommateurs ghanéens de marijuana en deux catégories : la jet-set et la petite classe moyenne d’une part, et les pauvres d’autre part. Le plus grand nombre des consommateurs appartient aux classes défavorisées, qui constituent l’immense majorité de la population de ce pays parmi les plus pauvres du monde. Alors que les riches et la classe moyenne, occidentalisés, reproduisent les modes de consommation "de loisir" prévalant dans les pays industrialisés où ils ont souvent été formés ou dont ils ont directement issus, les classes défavorisées n’utilisent pas le cannabis de manière récréative. Pour les consommateurs pauvres, les plus nombreux, l’herbe est un complément, une aide, parfois indispensable à la vie professionnelle, c’est-à-dire à la survie. Leur consommation de cannabis est ainsi basée sur une représentation utilitariste des effets de la plante. En ce sens, ils se rapprochent du mode de consommation de cocaïne qui prévaut dans certains milieux occidentaux, les financiers ou les gens des médias et du show-business par exemple. Ainsi, au Ghana, la majorité des utilisateurs ne fume pas l’herbe pour "s’éclater", mais au contraire, de l’aveu même des consommateurs des milieux populaires interrogés par l’envoyé spécial de l’OGD, pour travailler dur et pendant de longues heures (paysans, mineurs, chauffeurs, etc.), avoir du courage (militaires en opération, pêcheurs en haute mer) ou passer outre un tabou (c’est le cas des prostitués, hommes et femmes, et des cambrioleurs) ou tout cela à la fois. Les pauvres du Ghana, surtout ceux qui vivent dans les villes, sont souvent obligés, pour survivre, d’avoir plusieurs emplois et de travailler de longues heures dans des conditions pénibles et en ne faisant souvent qu’un seul repas par jour. Ils sont convaincus que la marijuana les y aident, et y ont recours, certains régulièrement, d’autres de manière plus ponctuelle. Le cannabis peut ainsi être assimilé à une denrée de première nécessité, en tout cas à un produit dont on ne peut pas se passer facilement.
Disposant d’un marché captif, les trafiquants semblent donc avoir de beaux jours devant eux, car dans les conditions économiques actuelles, on voit mal ce qui permettrait de réduire le nombre des pauvres. D’autant qu’avec le développement des infrastructures touristiques, on assistera vraisemblablement, dans les années à venir, à l’arrivée en nombre d’un autre type de consommateurs du "tabac du diable" : les narco-touristes. On peut déjà en trouver à Accra, comme cette jeune "routarde" allemande, déclarant qu’elle avait tenu à inclure le Ghana dans son périple en Afrique de l’Ouest pour goûter l’herbe dont on lui avait vanté les mérites dans son pays. Ou comme ce touriste, allemand lui aussi, arrêté en janvier 1996 à l’aéroport d’Amsterdam en provenance d’Accra après qu’un chien eût détecté les 500 g de marijuana qu’il dissimulait dans sa jambe artificielle.
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