Assemblée générale (Section de l’intérieur) - n° 346.893 - 27 novembre 1989
Le Conseil d’Etat saisi par le Ministre d’Etat, Ministre de l’Education nationale, de la Jeunesse et
des Sports de la question de savoir :
1 - si, compte tenu des principes posés par la Constitution et les lois de la République et eu
égard à l’ensemble des règles d’organisation et de fonctionnement de l’école publique, le port
de signes d’appartenance à une communauté religieuse est ou non compatible avec le principe
de laïcité ;
2 - en cas de réponse affirmative, à quelles conditions des instructions du ministre, des
dispositions du règlement intérieur des écoles, collèges et lycées, des décisions des
directeurs d’école et chefs d’établissement pourraient l’admettre ;
3 - si l’inobservation d’une interdiction du port de tels signes ou des conditions prescrites pour
celui-ci justifieraient le refus d’accueil dans l’établissement d’un nouvel élève, le refus d’accès
opposé à un élève régulièrement inscrit, l’exclusion définitive de l’établissement ou du service
public de l’éducation, et quelles procédures et quelles garanties devraient alors être mises en
oeuvre ;
Vu la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
Vu le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 :
Vu la convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés
fondamentales du 4 novembre 1950 ;
Vu la convention concernant la lutte contre la discrimination dans le domaine de
l’enseignement du 15 décembre 1960 ;
Vu le pacte international relatif aux droits civils et politiques ouvert à la signature à New
York le 19 décembre 1966 ;
Vu le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ouvert à la
signature à New York le 19 décembre 1966 ;
Vu la loi du 28 mars 1882 sur l’enseignement primaire obligatoire ;
Vu la loi du 30 octobre 1886 sur l’organisation de l’enseignement primaire et notamment
son article 17 ;
Vu la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat ;
Vu l’ordonnance n° 59-45 du 6 janvier 1959 portant prolongation de la scolarité
obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans ;
Vu la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l’Etat et les
établissements d’enseignement privés ;
Vu la loi n° 75-620 du 11 juillet 1975 relative à l’éducation ;
Vu la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 portant répartition des compétences entre l’Etat et
les collectivités territoriales ;
Vu la loi n° 89-486 du 10 juillet 1989 d’orientation sur l’éducation ;
Vu la loi n° 89-548 du 2 août 1989 relative aux conditions de séjour et d’entrée des
étrangers en France ;
Vu le décret n° 76-1301 du 28 décembre 1976 modifié relatif à l’organisation de la
formation dans les écoles maternelles et élémentaires ;
Vu le décret n° 85-895 du 21 août 1985 relatif aux conseils de l’éducation nationale dans
les départements et les académies ;
Vu le décret n° 85-924 du 30 août 1985 relatif aux établissements publics locaux
d’enseignement ;
Vu le décret n° 85-1284 du 28 novembre 1985 relatif aux conseils de l’éducation
nationale dans les régions et départements d’outre-mer ;
Vu le décret n° 85-1348 du 18 décembre 1985 relatif aux procédures disciplinaires dans
les collèges, les lycées et les établissements d’éducation spéciale ;
Vu le décret n° 86-164 du 31 janvier 1986 portant organisation administrative et
financière des établissements d’enseignement dont la responsabilité et la charge
incombent entièrement à l’Etat et portant dispositions diverses applicables aux
établissements de second degré municipaux et départementaux ;
Vu le décret n° 89-122 du 24 février 1989 relatif aux directeurs d’école ;
Est d’avis de répondre aux questions posées dans le sens des observations ci-après :
1 - Le principe de laïcité trouve l’une de ses premières expressions dans la loi du 28 mars
1882, qui dispose que, dans l’enseignement primaire, l’instruction religieuse est donnée en
dehors des édifices et des programmes scolaires et dans l’article 17 de la loi du 30 octobre
1886 sur l’organisation de l’enseignement primaire, aux termes duquel "dans les écoles
publiques de tout ordre, l’enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque".
Ce principe a été consacré par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qui fait de
"l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés un devoir de l’Etat" et
par l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958, qui proclame que "la France est une
république ... laïque" et qu’ "elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans
distinction d’origine, de race ou de religion".
Comme l’indique ce dernier texte, le principe de laïcité implique nécessairement le respect de
toutes les croyances, déjà reconnu par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen du 26 août 1789, aux termes duquel "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même
religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi".
La loi du 9 décembre 1905, tout en procédant à la séparation des Eglises et de l’Etat, a confirmé
que "la République assure la liberté de conscience".
Cette liberté, qui doit être regardée comme l’un des principes fondamentaux reconnus par les
lois de la République, s’exerce dans le domaine de l’éducation, dans le cadre des textes
législatifs qui définissent la mission du service public et les droits et obligations des élèves et
de leurs familles dans les termes suivants :
Article 1er de la loi du 31 décembre 1959 relative aux rapports entre l’Etat et les établissements
de l’enseignement privé :
"Suivant les principes définis dans la Constitution, l’Etat assure aux enfants et
adolescents dans les établissements publics d’enseignement la possibilité de recevoir
un enseignement conforme à leurs aptitudes dans un égal respect de toutes les
croyances".
Article 1er de la loi du 11 juillet 1975 relative à l’éducation :
"Tout enfant a droit à une formation scolaire, qui, complétant l’action de sa famille,
concourt à son éducation.
Cette formation favorise l’épanouissement de l’enfant, lui permet d’acquérir une culture,
le prépare à la vie professionnelle et à l’exercice de ses responsabilités d’homme et de
citoyen ...
L’Etat garantit le respect de la personnalité de l’enfant et de l’action éducative des
familles".
Article 1er de la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 : "Le droit à l’éducation est
garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d’élever son niveau de
formation initiale et continue, de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle, d’exercer sa
citoyenneté ...
Les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur ...
contribuent à favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes. Ils dispensent une formation
adaptée dans ses contenus et ses méthodes aux évolutions technologiques, sociales et
culturelles du pays et de son environnement européen et international".
Article 1er de la même loi :
"Les obligations des élèves consistent dans l’accomplissement des tâches inhérentes
à leurs études ; elles incluent l’assiduité et le respect des règles de fonctionnement et
de la vie collective des établissements.
Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et
du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression.
L’exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement ...".
Article 1er deuxième alinéa de la loi du 2 août 1989 relative aux conditions de séjour et d’entrée
des étrangers en France :
"Les agissements discriminatoires des détenteurs de l’autorité publique, des
groupements ou des personnes privées, la provocation à la discrimination, à la haine ou
à la violence, la diffamation et l’injure au motif de l’appartenance ou de la
non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion sont interdits".
Article 2 de la même loi :
" ... L’école ... doit inculquer aux élèves le respect de l’individu, de ses origines et de ses
différences".
Enfin, par les conventions internationales susvisées la République française s’est engagée :
à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire le droit d’accéder à
l’enseignement sans distinction aucune notamment de religion et à prendre les
mesures propres à donner effet à un tel droit ;
à assurer la liberté de pensée, de conscience et de religion, et la liberté de manifester
sa religion ou ses convictions individuellement ou collectivement, en public ou en privé,
sous la seule réserve des restrictions prévues par la loi et nécessaires à la protection
de la sécurité, de l’ordre et de la santé publics, de la morale ou des libertés et des droits
fondamentaux d’autrui ;
à respecter, dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, le droit des parents
de faire assurer cette éducation conformément à leurs convictions religieuses ;
à prendre les mesures nécessaires pour que l’éducation favorise la compréhension et
la tolérance entre tous les groupes raciaux et religieux.
Il résulte des textes constitutionnels et législatifs et des engagements internationaux de la
France sus-rappelés que le principe de la laïcité de l’enseignement public, qui est l’un des
éléments de la laïcité de l’Etat et de la neutralité de l’ensemble des services publics, impose
que l’enseignement soit dispensé dans le respect d’une part de cette neutralité par les
programmes et par les enseignants et d’autre part de la liberté de conscience des élèves. Il
interdit conformément aux principes rappelés par les mêmes textes et les engagements
internationaux de la France toute discrimination dans l’accès à l’enseignement qui serait fondée
sur les convictions ou croyances religieuses des élèves.
La liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit d’exprimer et de manifester leurs
croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme
et de la liberté d’autrui, et sans qu’il soit porté atteinte aux activités d’enseignement, au contenu
des programmes et à l’obligation d’assiduité.
Son exercice peut -être limité, dans la mesure où il ferait obstacle à l’accomplissement des
missions dévolues par le législateur au service public de l’éducation, lequel doit notamment,
outre permettre l’acquisition par l’enfant d’une culture et sa préparation à la vie professionnelle
et à ses responsabilités d’homme et de citoyen, contribuer au développement de sa
personnalité, lui inculquer le respect de l’individu, de ses origines et de ses différences, garantir
et favoriser l’égalité entre les hommes et les femmes.
Il résulte de ce qui vient d’être dit que, dans les établissements scolaires, le port par les élèves
de signes par lesquels il entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par
lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la
liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses, mais que cette liberté ne
saurait permettre aux élèves d’arborer des signes d’appartenance religieuse qui, par leur
nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou
collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de
pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou
à la liberté de l’élève ou d’autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur
santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités d’enseignement et le rôle
éducatif des enseignants, enfin troubleraient l’ordre dans l’établissement ou le fonctionnement
normal du service public.
2 - Le port de signes d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires peut, en cas
de besoin, faire l’objet d’une réglementation destinée à fixer les modalités d’application des
principes qui viennent d’être définis, compte tenu de la situation propre aux établissements et
dans les conditions énoncées ci-après :
La réglementation de la discipline dans les écoles et notamment des conditions dans
lesquelles pourrait être restreint ou interdit, le port par les élèves de signes d’appartenance à
une religion, relève, par application de l’article 14 du décret du 28 décembre 1976 et des articles
7 et 25 du décret du 21 août 1985, de la compétence d’une part de l’inspecteur d’académie, qui
arrête le règlement-type du département après consultation du Conseil de l’éducation nationale
et d’autre part du conseil d’école, qui vote le règlement intérieur, compte tenu des dispositions
du règlement-type du département, conformément à l’article 17 bis du même décret du 28
décembre 1976.
Dans les lycées et collèges, cette réglementation est de la compétence du conseil
d’administration de l’établissement qui, en vertu de l’article 3 du décret du 30 août 1985 et de
l’article 4 du décret du 31 janvier 1986, adopte, sous réserve du contrôle de légalité, le
règlement intérieur de l’établissement, lequel "définit les droits et les devoirs de chacun des
membres de la communauté scolaire" et "détermine notamment les modalités selon
lesquelles sont mis en application :
le respect des principes de laïcité et de pluralisme ;
le devoir de tolérance et de respect d’autrui dans sa personnalité et dans ses
convictions ;
(...)
l’obligation pour chaque élève de participer à toutes les activités correspondant à sa
scolarité organisées par l’établissement et d’accomplir les tâches qui en découlent ;..."
Le ministre auquel il appartient, au titre de ses pouvoirs hiérarchiques ou de tutelle, de prendre
les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous son autorité,
peut, par voie d’instructions, définir les orientations ou donner les indications susceptibles de
guider les autorités compétentes dans l’élaboration de la réglementation intérieure des
établissements scolaires et pour l’application de celle-ci.
3 - Il appartient aux autorités détentrices du pouvoir disciplinaire d’apprécier, sous le contrôle du
juge administratif, si le port par un élève, à l’intérieur d’un établissement scolaire public ou dans
tout autre lieu ou s’exerce l’enseignement, d’un signe d’appartenance religieuse qui
méconnaîtrait l’une des conditions énoncées au 1 du présent avis ou la réglementation
intérieure de l’établissement, constitue une faute de nature à justifier la mise en oeuvre de la
procédure disciplinaire et l’application, après respect des garanties instituées par cette
procédure et des droits de la défense, de l’une des sanctions prévues par les textes
applicables, au nombre desquelles peut figurer l’exclusion de l’établissement.
L’exclusion d’une école, d’un collège ou d’un lycée est possible, malgré le caractère obligatoire
de l’instruction, dès lors que l’instruction de l’enfant peut être donnée, conformément à l’article 3
de l’ordonnance du 6 janvier 1959 portant prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à l’âge
de seize ans "soit dans les établissements ou écoles publics ou libres, soit dans les familles
par les parents, ou l’un d’entre eux, ou toute personne de leur choix", et que notamment l’élève
peut être inscrit au centre public d’enseignement par correspondance, comme le prévoit
d’ailleurs expressément le décret du 18 décembre 1985 relatif aux procédures disciplinaires
dans les collèges, les lycées ou les établissements d’éducation spéciale.
Le directeur d’école, conformément à l’article 20 du décret du 28 décembre 1976 et à l’article 2
du décret du 24 février 1989, et le chef d’établissement, conformément aux articles 8 et 9 du
décret du 30 août 1985, sont responsables de l’ordre dans l’établissement et de son bon
fonctionnement. Ils doivent notamment veiller à l’application du règlement intérieur. Ils peuvent
dans la mesure et pour la durée nécessaires au rétablissement du déroulement normal des
enseignements et de l’ordre dans l’établissement, refuser l’admission dans l’établissement ou
à l’un des enseignements d’un élève régulièrement inscrit dont comportement perturberait
gravement le fonctionnement du service public, ou dont l’attitude a entraîné le déclenchement de
poursuites disciplinaires, dans l’attente de la décision de l’autorité compétente. Un refus
d’admission d’un élève mineur ne peut être exécuté sans que ses parents ou ses
représentants légaux en aient été préalablement avertis.
Un refus d’admission dans une école d’un élève nouvellement inscrit ou un refus d’inscription
dans un collège ou un lycée ne serait justifié que par le risque d’une menace pour l’ordre dans
l’établissement ou pour le fonctionnement normal du service de l’enseignement.
Source : Conseil d’État
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