Nous pensons être correctement informés en Occident de ce qui se passe à Gaza. Il n’en est rien. Les images que nous voyons sont sélectionnées. Les commentaires que nous entendons ne nous permettent pas de les comprendre. Ils nous induisent volontairement en erreur. Toute opinion dissidente est censurée.
Comme toutes les guerres, celle opposant l’État d’Israël à la population palestinienne fait l’objet d’un combat médiatique. La Résistance palestinienne n’a pas besoin de raconter l’injustice contre laquelle elle se bat : il suffit de regarder pour constater. Elle vise plutôt à magnifier telle ou telle de ses composantes. Israël doit, par contre, convaincre de sa bonne foi, ce qui après trois quarts de siècle de violation du Droit international n’est pas une mince affaire.
Avant l’attaque
Depuis l’attaque de la Résistance palestinienne, le 7 octobre 2023, Israël déploie donc tous ses services pour nous faire croire
– que cette attaque est une opération des jihadistes du Hamas ;
– et qu’il ignorait tout de sa préparation.
Le rôle du Hamas
Or, cette attaque a été conduite par l’ensemble des factions palestiniennes, à l’exception du Fatah [1]. Le Hamas se définissait jusqu’il y a peu comme la « Branche palestinienne de la Confrérie des Frères musulmans », ainsi qu’indiqué sur tous ses documents. À ce titre, il a combattu contre les laïques du Fatah de Yasser Arafat et du FPLP de George Habache, puis contre ceux de la République arabe syrienne du président Bachar el-Assad. Tous, à ses yeux, n’étaient que des « ennemis de Dieu ». Le Hamas était financé par Israël et, en Syrie, ses combattants étaient encadrés par des officiers du Mossad et de l’Otan. Cependant, après l’échec de la Confrérie en Égypte et leur défaite en Syrie, le Hamas s’est divisé entre une partie fidèle aux Frères musulmans, conduite par Khaled Mechaal et poursuivant toujours l’instauration d’un Califat mondial, et une autre qui s’est recentrée sur la libération de la Palestine. Cette seconde tendance, à l’initiative de l’Iran, a renoué avec la Syrie jusqu’à ce que son leader, Khalil Hayya, soit reçu, à Damas, par le président Bachar el-Assad. Elle a également renoué avec le Hezbollah libanais, jusqu’à participer, à Beyrouth, à des réunions avec lui et les autres composantes de la Résistance palestinienne.
Toutes les composantes de la Résistance palestinienne étaient convenues de mener une opération « coup de poing » pour enlever des civils et des soldats israéliens et les échanger contre les civils et les combattants palestiniens détenus en Israël. La date du 7 octobre a été choisie par le seul Hamas et les autres factions palestiniennes n’ont été informées que quelques heures auparavant. Au demeurant, les combattants du Hamas étaient majoritaires par rapport aux marxistes du FPLP et aux membres de l’Axe de la Résistance (coalisés autour de l’Iran), le Jidad islamique.
Le secret de polichinelle de l’opération du 7 octobre
L’opération coup de poing avait été planifiée lors d’une réunion de coordination en mai à Beyrouth. La presse libanaise s’en était faite l’écho. Cependant, si le principe, les cibles et le mode opératoire avaient été fixés, personne ne savait quand elle aurait lieu.
Les services de Renseignement égyptiens ont été les premiers à sonner l’alerte. Ils soutiennent la Résistance palestinienne, mais combattent le Hamas sans pouvoir discerner entre ses deux tendances. Ils ne s’inquiétaient pas d’une possible réussite de la Résistance palestinienne, mais
des Frères musulmans. Le ministre du Renseignement, Kamal Abbas, a personnellement prévenu ses homologues israéliens [2].
Le colonel Yigal Carmon, directeur du Middle East Media Research Institute (Memri), a personnellement prévenu son ami, le Premier ministre, Benjamin Netanyahu, que quelque chose se préparait. Mais, selon lui, celui-ci ne l’a pas écouté [3].
La Central Intelligence Agency (CIA) a produit deux rapports sur la préparation de cette attaque. Selon le New York Times, le second, daté du 5 octobre, a été envoyé aux autorités israéliennes. Selon le Corriere della Sera, le directeur du Shin Bet (contre-espionnage) a alors convoqué une réunion des directeurs centraux de tous services de sécurité, le 7 à 8h du matin.
Cependant, des responsables israéliens avaient eu le temps de déplacer la rave party exceptionnelle pour qu’elle se tiennent juste à la frontière de Gaza et de donner congé aux forces chargées de la protéger [4]
Aujourd’hui, un grand nombre de familles des otages sont convaincues que Benjamin Netanyahu a laissé faire afin de disposer d’une justification pour l’opération qu’il mène contre la population de Gaza.
Après l’attaque
Depuis le 7 octobre, Israël s’évertue à nous faire croire que :
– la Résistance palestinienne dans son ensemble n’est qu’une meute de jihadistes ;
– les personnes soutenant le Peuple palestinien sont des antisémites ;
Le montage vidéo des FDI
Les Forces de Défense Israéliennes (FDI) ont réalisé un montage vidéo à partir des enregistrements filmés par les assaillants, de ceux de caméras de surveillance et de ceux qu’elles ont réalisées. Ce montage vise à convaincre que la Résistance palestinienne est un ramassis de barbares antisémites. On y voit des scènes insoutenables d’une famille dont le père est assassiné sous les yeux de ses enfants. On y voit un jihadiste qui tente de couper la tête d’un cadavre avec une pelle. Mais, ni viol, ni démembrement. On y voit aussi des corps carbonisés, dont le spectateur pense qu’ils ont été brûlés par les résistants. En réalité, ils ont été les cibles des missiles air-sol de l’armée israélienne venue arrêter les assaillants. La « directive Hannibal » précise en effet que les soldats doivent tuer les « terroristes » sans se préoccuper des victimes collatérales israéliennes.
Ce montage a été visionné par des députés de la Knesset, puis du Congrès des États-Unis, avant d’être projeté dans les différents parlements des États membres de l’Otan. Seuls le Parlement belge a refusé de voir cette œuvre de propagande, sans expertise extérieure. En outre, ce film a été montré à des journalistes choisis dans les différentes capitales.
Les autorités israéliennes n’ont diffusé au grand public que les 10 minutes ci-dessous. Elles ont assuré ne pas vouloir diffuser l’intégralité du montage au grand public, par respect pour les victimes. Mais en quoi un public restreint serait-il plus respectueux ? En réalité, il s’agit d’empêcher que des spécialistes ne dénoncent sa supercherie en se demandant, victime par victime, qui l’a tuée.
Les manifestations contre l’antisémitisme
Pour rallier les opinions publiques occidentales à leur cause et relativiser le massacre qu’il perpètre à Gaza, Israël suscite des manifestations de soutien partout en Occident. Comme il serait impossible d’appeler à soutenir une armée qui pratique un génocide en direct sur les écrans de télévision, le Mossad suggère des manifestations contre l’antisémitisme dont le Hamas a fait preuve.
Sauf que le Hamas est pétri de l’idéologie des Frères musulmans. Il est suprémaciste sunnite. Il a longtemps combattu prioritairement les musulmans chiites et druzes. Il était certes antisémite, mais comme il était contre toutes les autres confessions musulmanes et toutes les autres religions, ni plus, ni moins.
Le Mossad a donc parfois utilisé un autre argument : les immigrés arabes soutiennent le Hamas et sont donc antisémites. Les États européens devraient prendre des mesures pour protéger leurs populations juives.
La manifestation de Washington a donc dénoncé avant tout la barbarie supposée du Hamas, tandis que la manifestation de Paris a mis en avant la lutte contre l’antisémitisme. Mais aucune des deux n’a fait le plein. Celle de Washington a été boycotté par de nombreuses associations juives. Elle n’a pu réunir que 200 000 personnes, principalement chrétiennes sionistes. Les gens sont plus venus pour entendre le télévangéliste John Hagee que pour voir le président de l’État d’Israël, Isaac Herzog. Celle de Paris était ouverte par les présidents des deux assemblées et tous leurs prédécesseurs, la Première ministre et tous ses prédécesseurs, et le président du Conseil constitutionnel et ses prédécesseurs. Mais il n’y avait derrière eux que quelques dizaines de milliers de personnes. Deux absents de marque : les ministres des Affaires étrangères Roland Dumas (également ancien président du Conseil constitutionnel) et Dominique de Villepin (également ancien Premier ministre). Ils se sont illustrés comme des résistants à l’impérialisme, donc aux gouvernements états-uniens et israéliens.
Depuis des décennies, Israël accuse les antisémites de se cacher derrière un antisionisme de façade. Progressivement, il amalgame les deux concepts. Or, l’antisémitisme européen est une forme de xénophobie qui a débuté sous l’empire romain, s’est poursuivi sous l’Église catholique et s’est prolongé sous le nazisme. Il consiste à accuser successivement tous les juifs collectivement d’insurrection, d’avoir tué le Christ ou dégénérer la race aryenne. Tandis que l’antisionisme est une opinion politique selon laquelle le nationalisme juif ne doit pas se mettre au service d’un projet colonial. Aujourd’hui, la plupart des juifs états-uniens sont antisionistes, tandis que la majorité des juifs européens sont sionistes.
Le sénateur français Stéphane Le Rudulier (Républicain) vient de déposer une proposition de loi visant à aggraver les peines encourues pour injure, provocation à la haine ou à la violence lorsqu’elles visent l’État d’Israël. Outre que l’on ne voit pas en quoi ces incriminations seraient plus graves dans ce cas que dans les autres, on se souvient, qu’en 1975, le monde fut agité par un débat sur la nature du sionisme. L’Organisation de l’Unité Africaine affirma que « le régime raciste en Palestine occupée et le régime raciste au Zimbabwe et en Afrique du Sud ont une origine impérialiste commune, qu’ils forment un tout et ont la même structure raciste, et qu’ils sont organiquement liés dans leur politique destinée à opprimer la dignité et l’intégrité de l’être d’humain ». Identiquement le Mouvement des pays non-alignés qualifia le sionisme de « menace pour la paix et la sécurité du monde, et a appelé tous les pays à s’opposer à cette idéologie raciste et impérialiste ». Enfin l’Assemblée générale des Nations unies adopta une résolution qualifiant le sionisme de « forme de racisme et de discrimination raciale » [5].
Seule la résolution des Nations unies a été abrogée, en 1991, afin d’aider Israël à appliquer les résolutions de la conférence de Madrid sur la Palestine. Les deux autres textes sont toujours en vigueur et, compte tenu de la non-application par Israël des décisions de Madrid, comme de tous les textes internationaux sur la Palestine, la question du rétablissement de la résolution 3379 a plusieurs fois été posée.
La mise en scène de l’hôpital Al-Shifa
C’est dans ce contexte que les FDI ont mis en scène la découverte du QG militaire du Hamas, sous le plus grand hôpital de Gaza. Un officier des relations publiques nous a expliqué que des armes avaient été découvertes sur place et, au vu d’une corde attachée à un pied de chaise, qu’un abri souterrain avait hébergé des otages.
Pendant que le public débat de savoir si ces preuves sont convaincantes ou non, il oublie l’histoire de cet hôpital. Il a été construit en 1983 par Israël [6]. Les FDI en possèdent donc tous les plans. Le Mossad y a installé le Hamas dans les sous-sols lorsqu’il luttait contre le Fatah. Par la suite, l’hôpital est devenu le lieu de rendez-vous des responsables du Hamas avec les journalistes étrangers. Mais tout cela n’en fait ni un arsenal, ni un QG militaire.
Au cours de l’épisode actuel de la guerre israélo-palestinienne, les FDI ont accusé le Hamas d’avoir creusé des tunnels sous l’hôpital. Elles ont d’abord décidé de le détruire avec des bombes pénétrantes pour atteindre ses profondeurs. Mais vu les objurgations de l’Organisation mondiale de la Santé, les FDI ont admis que leur objectif ne légitimait pas de raser un hôpital. Ils ont donc rapporté leur ordre d’évacuation et l’ont encerclé. 2 300 personnes, patients, personnels soignants et réfugiés se sont rendus à l’armée israélienne qui les a fouillés sans ménagement.
Ce n’est que deux jours après avoir donné l’assaut que les FDI ont déclaré avoir découvert le quartier général militaire du Hamas sous l’hôpital Al-Shifa. En réalité, les images qu’elles ont diffusées attestent bien qu’un puits, à proximité de l’hôpital, menait à des galeries, mais absolument pas que celles-ci conduisaient à une salle pouvant servir de quartier général.
Les tirs, les coupures de courant et la perquisition de l’hôpital ayant provoqué de nombreux décès, les FDI ont apporté une dizaine de couveuses qui ne peuvent pas fonctionner, précisément à cause des coupures de courant, ainsi que l’ont rapporté Reuters et la BBC. Cependant, le Mossad sert à quelque chose puisque la BBC a présenté ses excuses à ses téléspectateurs pour ne pas leur avoir rapporté les dons de couveuses et la présence de traducteurs hébreu-arabe.
[1] « La censure militaire israélienne vous cache la vérité », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 17 octobre 2023.
[2] « Egyptian General Intelligence Director supposedly warned Netanyahu about ’something fierce from Gaza’ », Smadar Perry, YNetNews, October 10, 2023. « What went wrong ? Questions emerge over Israel’s intelligence prowess after Hamas attack », Tia Goldenberg, Associated Press, October 9, 2023.
[3] « L’ex 007 Carmon : « Ho avvertito dell’attacco di Hamas, Netanyahu non ha ascoltato. I servizi hanno agito tardi », Federico Fubini, Corriere della Sera, 23 novembre 2023.
[4] "C.I.A. Reports Contained General Warnings of Potential Gaza Flare-up", Julian Barnes, Adam Entous, Edward Wong & Adam Goldman, New York Times, November 13, 2023.
[5] « Résolution 3379 de l’Assemblée générale de l’ONU », ONU (Assemblée générale) , Réseau Voltaire, 10 novembre 1975.
[6] « Top Secret Hamas Command Bunker in Gaza Revealed », The Tablet, July 9, 2014.
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