« Aucun objectif n’est assez large pour tout montrer »

No lens is wide enough to show the big picture
The Times (Royaume-Uni)

[AUTEUR] Geoff Hoon est secrétaire à la Défense travailliste britannique.

[RESUME] Nous ne menons pas un nouveau type de guerre en Irak, mais nous voyons cette guerre d’une nouvelle façon car les journalistes peuvent désormais rendre compte de ce qui se passe en temps réel. Malheureusement, l’attrait pour les images « excitantes » ne permettent pas d’appréhender la guerre dans son ensemble.
Ainsi, si l’image excitante du jour est la résistance de petits groupes des forces de sécurité de Saddam Hussein, elle fera les gros titres et on perdra de vue que cela ne se passe que dans la toute petite zone où se trouve le reporter. Ce genre d’approche ne permet donc pas de comprendre le conflit. En effet, les batailles à Umm Qasr sont peut-être impressionnantes à la télévision, mais elles font oublier que nous aurions pu tout bombarder pour gagner du temps. Cependant nous ne le faisons pas parce que nous souhaitons conserver les infrastructures intactes pour les Irakiens après le changement de régime.
En fait, en huit jours, la coalition a entrepris de solides avancées. Umm Qasr et les puits de pétrole du Sud sont sécurisés. Nous avons connu des pertes tragiques, comme toujours en temps de guerre, mais la campagne continue et nous avançons vers Bagdad. Nous avons mené plus de 7 000 sorties aériennes. Elles ont grandement affaibli le régime irakien tout en s’efforçant de diminuer au maximum la perte de vies innocentes. La résistance n’est plus que sporadique, comme nous nous y attendions, mais les médias en ont beaucoup parlé. La lutte contre la résistance irakienne est plus longue car nous faisons tout pour épargner les civils et les infrastructures.
Le public ne doit pas se laisser abuser par certaines images et par la façon dont les médias présentent le conflit, ne donnant pas forcément une appréciation juste. La libération de l’Irak approche.

« Al Jazira dit la vérité sur la guerre »

Al-Jazeera tells the truth about war
The Gardian (Royaume-Uni)

[AUTEUR] Faisal Bodi est rédacteur sur le site internet de la chaîne d’information continue du Qatar, Al-Jazira.

[RESUME] Le 23 mars, la nuit ou Al-Jazira a diffusé les enregistrements des prisonniers de guerre américains en Irak, le site de la chaîne était le plus demandé sur le moteur de recherche Lycos. Si les gens se tournent vers nous, c’est parce que la couverture des évènements par les médias occidentaux est extrêmement pauvre.
Notre chaîne explique que cette guerre est illégale, montre ses horreurs et corrige les allégations officielles selon lesquelles la campagne suit le plan prévu malgré une résistance occasionnelle. De même, alors que les médias occidentaux célébraient le « soulèvement » de Bassora, notre correspondant sur place affirmait qu’il s’agissait d’un non-événement, ce qui fut confirmé par la suite. En revanche, le fait que l’Ayatollah Sistani, le plus estimé des responsables Chiites ait appelé à combattre la coalition n’a pas été reprise ; ni le fait que la Grande Bretagne est désormais associée par l’opinion arabe aux ennemis états-uniens et israéliens. Nous avons présenté la vérité quant aux conséquences du bombardement d’un camp d’« Ansar al-Islam » : 35 morts civils dans une zone contrôlée par un groupe islamiste neutre. Les médias occidentaux reprennent la propagande comme s’il s’agissait de faits et reproduisent les phantasmes de Tony Blair et George W. Bush.
On nous a hypocritement reproché d’avoir montré les images de deux soldats britanniques morts alors que les médias britanniques montrent des soldats irakiens, tués, capturés ou humiliés depuis le début de la guerre. Suite à la diffusion de ces images, cependant, le site Internet d’Al-Jazira a été mis hors service pendant trois jours par des hackers, peu ici doutent du fait que l’attaque vienne du Pentagone.

« Notre coalition »

Notre coalition
Wall Street Journal (États-Unis)
Ce texte est en accès payant sur le site du Wall Street Journal. Nous en avons reproduit la traduction en français sur le site du Réseau Voltaire.

[AUTEUR] Condoleezza Rice est directrice du National Security Council.

[RESUME] Près de 50 nations sont résolues à éliminer les armes prohibées de Saddam Hussein. Ces pays représentent 1,23 milliards d’habitants et leur PIB cumulé est de 22 000 milliards de dollars.
Les pays de cette coalition souhaitent la sécurité de leur population. Tous comprennent ce que sont la menace du terrorisme et le danger des armes de destruction massive. Ils sont prêts à faire face à la plus grande des menaces de notre temps : la conjonction des États voyous, des armes de destruction massive et du terrorisme. Jusqu’ici, le monde n’a pas été en mesure de faire face efficacement aux menaces émergentes et certains pays de notre coalition ont eu à subir ces échecs pendant des décennies. C’est ce qui arrive quand les démocraties ne se saisissent pas des problèmes assez vite.
Les membres de l’actuelle coalition n’ont pas reculé devant l’action. Ils effectuent des apports divers en personnel, services et matériels selon leurs moyens et domaines d’expertise. Plus la guerre avancera et plus nous aurons besoin d’eux et de leurs compétences. À mesure que la guerre contre le terrorisme et que la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive se poursuivent, toutes les nations devront, plus que jamais s’unir pour faire face aux menaces qui définissent notre époque.
Le 11 septembre a été un séisme qui a mis à mal de vénérables institutions. La communauté internationale est capable de relever ce défi et la coalition montre le chemin. Nous sommes déterminés à empêcher Saddam Hussein ou des terroristes utilisant ses armes de rééditer le 11 septembre à une échelle plus vaste. En ralliant une large coalition nous pouvons éviter des catastrophes analogues ailleurs dans le monde.

« Une frappe préventive qui a frappé la démocratie »

A pre-emptive strike that has hit democracy
The Independant (Royaume-Uni)

[AUTEUR] Dominique de Villepin est ministre des affaires étrangères français. Cette tribune est adaptée d’un discours prononcé à l’International Institute for Strategic Studies à Londres dont on trouvera la version française intégrale sur le site du Réseau Voltaire

[RESUME] L’opération au Kosovo était une entreprise légitime et un succès politique. Si elle a été considérée par certains comme la première étape permettant de se passer de mandat de l’ONU, nous l’avons vue comme une exception justifiée par le large soutien international et le risque d’un désastre international.
Dans la crise irakienne, deux différentes approches du monde se font face. Les think tanks états-uniens estiment que la démocratie peut être imposée de l’extérieur. Dès lors, la droit international est plus une contrainte qu’une garantie de la sécurité internationale. Certains vont même jusqu’à dire que les États-Unis pourraient assumer leurs responsabilités seuls, alors que la position de l’Europe reflèterait sa faiblesse. C’est pourquoi certains gouvernements pourraient décider de mener des frappes préventives face à d’hypothétiques menaces.
Nous croyons à la démocratie, tout comme les Américains et les Britanniques. Nous ne nous opposons pas par principe à l’usage de la force, mais nous mettons en garde contre les risques d’instabilité mondiale que représente une doctrine des frappes préventives.

« Une ambition barbare »

Barbaric ambition
Al Ahram (Égypte)

[AUTEUR] Noam Chomsky est professeur de linguistique à l’université du Massachusetts. Intellectuel engagé, il a pris depuis longtemps position contre l’impérialisme états-unien.

[RESUME] Nous ne pouvons rien faire pour arrêter l’invasion de l’Irak, mais cela ne signifie pas que la mobilisation des personnes qui se sentent concernées par la justice, la liberté et les Droits de l’homme est terminée.
En effet, personne ne connaît les conséquences de la bataille, mais elle pourraient être désastreuses sur le plan humanitaire. Il faut donc nous tenir prêts à aider les victimes de la guerre et d’un embargo qui a renforcé le tyran. La décence élémentaire exigerait que les États-Unis versent d’énormes réparations afin que les Irakiens puissent reconstruire leur pays comme ils le veulent et pas comme l’ont décidé des gens à Washington et Crawford qui croient que la puissance vient des armes.
La mobilisation contre la guerre doit aussi se maintenir car elle porte sur un sujet plus large que la seule attaque de l’Irak : la crainte d’une puissance états-unienne déterminée à diriger le monde par la force et à ce qu’aucun concurrent n’émerge. Pour cela Washington utilise la guerre préventive, c’est-à-dire l’élimination de tout adversaire en le présentant comme une menace.
Cette logique n’est pas propre à Dick Cheney ou Donald Rumsfeld et se trouvait déjà dans les discours anti-cubain de Dean Acheson quand il était conseiller de Kennedy. L’actuelle administration est dangereuse et se trouve à l’extrémité du spectre politique, mais ce spectre n’est pas si large que ça et d’autres extrémistes ultra réactionnaires sont prêts à les remplacer. Bien avant l’arrivée de George W. Bush à la Maison Blanche, beaucoup de spécialistes des questions internationales estimaient que la politique de Washington allait augmenter la prolifération des armes de destruction massive et du terrorisme. Pour répondre à cela, les États-Unis avaient deux choix : devenir un membre civilisée de la communauté internationale ou développer plus d’armes pour continuer à exercer leur domination.
Ils ont choisi la deuxième solution et le monde a raison d’avoir peur de ce qui se passe à Washington.

« L’Irak et les inspecteurs »

Iraq and the inspectors
Al Ahram (Égypte)

[AUTEUR] Fawzi H Hammad est ancien président de l’Autorité de l’énergie atomique égyptienne.

[RESUME] Saddam Hussein a coopéré avec les inspecteurs de l’ONU, mais il semble que son attitude peu constructive des années 91-98 ait altéré la perception de son comportement vis-à-vis des équipes d’Hans Blix. À chaque rapport des responsables des inspections, la population mondiale s’attendait à ce qu’on lui annonce la découverte d’une bombe atomique ou d’une autre arme de destruction massive et la question de la coopération irakienne est revenue fréquemment. Ainsi, Jack Straw a récemment déclaré que le manque de coopération était une des raisons de la guerre et George W. Bush continue de dire que l’Irak pourrait produire une arme atomique dans un an.
Finalement, alors que les inspecteurs n’ont rien trouvé, l’Irak subit le « Shock and Awe ». La résolution 1441 exigeait un accès sans limites à tous les sites pour les 115 inspecteurs (dont 60 Américains). Ils disposaient d’un bureau à Mossoul, un à Bagdad, puis d’un à Bassora, et disposaient d’une assistance aérienne pour le transport et la surveillance largement supérieure à celles des années 90. Entre 780 et 460 sites furent visités, et certains plusieurs fois. Tout cela n’aurait pas été possible sans la coopération irakienne, ce qu’Hans Blix à reconnu. Les inspections ont duré trois mois et n’ont trouvé ni armes nucléaires, ni armes chimiques ou biologiques. L’International Atomic Energy Agency a même affirmé catégoriquement que l’Irak n’avait pas tenté de relancer son programme nucléaire, ni d’importer d’uranium du Niger.
Le prolongement des inspections avait le soutien du monde mais les États-Unis ont décidé de retirer leurs inspecteurs unilatéralement en violation de la résolution 1441. Aujourd’hui, sous le prétexte des armes de destruction massive, la campagne militaire cherche à démanteler et restructurer le Proche-Orient. La résolution 1441 n’a jamais vraiment été une question d’inspection ou de coopération. Elle était une partie d’un plan plus large que Bush affiche aujourd’hui au grand jour.

« Protéger les innocents »

Protecting the innocent
International Herald Tribune (États-Unis)

[AUTEUR] Irene Khan est secrétaire générale d’Amnesty International.

[RESUME] La menace que représente une action militaire contre l’Irak a été peu évoquée dans les débats d’avant-guerre. Nous y sommes confrontés aujourd’hui.
Malgré les appels internationaux en ce sens, les États-Unis et la Grande-Bretagne n’ont pas renoncé à utiliser les bombes à fragmentation et les armes à l’uranium appauvri. On peut également craindre que les prisonniers irakiens soient torturés comme ceux de la guerre en Afghanistan. Il faut aussi craindre les prévisions de l’ONU affirmant que des millions d’Irakiens pourraient manquer de nourriture et que des milliers vont peut-être fuir. Le régime irakien pourrait s’en prendre également à la population comme il l’a déjà fait en gazant les Kurdes, en visant des cibles civiles en Arabie saoudite et en Israël, en réprimant la population ou en l’utilisant comme bouclier humain.
Pourtant les lois de la guerre sont claires et tous les belligérants doivent s’y plier : il est interdit d’attaquer des civils et d’utiliser des armes prohibées, il faut protéger les civils en leur accordant une assistance humanitaire et traiter humainement les prisonniers. La responsabilité en ce domaine est individuelle et touche tout le monde. Il est d’ailleurs du devoir des États de traduire en justice tout ceux qui commettent ces crimes.
Mais plus que la loi, c’est la responsabilité morale des belligérants de minimiser l’impact du conflit sur les civils, de respecter les lois humanitaires et les Droits de l’homme. Ils doivent agir sous la surveillance de la Croix rouge ou de l’ONU. Le Conseil de sécurité doit prendre ses responsabilités en ce domaine et ne doit pas laisser se reproduire les crimes du Kosovo et de l’Afghanistan. Pour cela, il doit s’impliquer dans la reconstruction du pays et mettre en place un système judiciaire juste.

« Le premier affrontement militaire américano-arabe »

Al-Safir (Liban)

[AUTEUR] Faysa Salman est chroniqueur d’Al-Safir.

[RÉSUMÉ] Chaque jour supplémentaire de résistance en Irak rapproche les Irakiens de la victoire politique que les Anglo-états-uniens n’auront pas, malgré leur victoire militaire.
Même si les résultats de l’offensive sont encore invisibles, c’est la première fois que les États-uniens s’affrontent aux soldats arabes.
 L’armée de l’air américaine a déjà bombardé la résidence du colonel Khadafi et tué sa fille.
 Les marines ont déjà débarqué en Somalie. Les coups durs qu’ils y ont reçus les ont obligé à fuir rapidement le pays.
 Il leur est difficile d’oublier ce qu’ils ont subi à Beyrouth qu’ils ont tenté d’occuper après l’invasion du Liban par l’armée israélienne, en 1982.
 Lors de l’opération « Tempête du désert » en 1991, les données étaient différentes : les Irakiens n’ont fait qu’évacuer le Koweït qu’ils avaient occupé l’année précédente.
C’est donc le premier affrontement militaire réel, c’est-à-dire les premiers combats au sol entre deux armées, là où le courage et la motivation doivent être déterminants.
D’autre part, il s’agit de la troisième bataille d’occupation d’une capitale arabe, après Jérusalem et Beyrouth.
Les armées arabes n’ont pas eu l’occasion de défendre Jérusalem en 1947, par contre les Libanais et les Palestiniens, soutenus par les Syriens, ont résisté farouchement à Beyrouth, en 1982. La triste conclusion est que, lors de la bataille de Jérusalem, les armées arabes avaient tenté de donner l’impression d’être toutes unies ; pour défendre Beyrouth elles n’étaient plus que trois ; aujourd’hui Bagdad n’est défendu que par les seuls Irakiens.
Les capitales arabes tombent les unes après les autres, tandis que les Arabes observent passivement et attendent chacun leur tour. Nous pouvons dire que la quatrième capitale tombera, sûrement, sans résistance.
Malgré tout cela il ne faut pas perdre espoir. Il faut tenir tête, peut être que les États-uniens sauront un jour pourquoi nous les détestons.