Dans un essai magistral, l’ambassadeur singapourien Kishore Mahbubani analyse le déclin occidental : recul démographique, récession économique, et perte de ses propres valeurs. Il observe les signes d’un basculement du centre du monde de l’Occident vers l’Orient.
L’auteur de The New Asian Hemisphere : The Irresistible Shift of Global Power to the East, Kishore Mahbubani, est un diplomate réputé de Singapour. Il est professeur et doyen de la Lee Kuan Yew School of Public Policy rattaché à la National University of Singapour.
Il y a plus de 40 ans – j’avais alors entre 20 et 30 ans – un ouvrage de l’important historien britannique Victor Kiernan m’avait fortement impressionné : il s’intitulait The Lords of Humankind, European Attitudes to the Outside World in the Imperial Age. Il avait été publié en 1969, lorsque la décolonisation européenne touchait à sa fin, à quelques rares exceptions près. Kiernan brossait le portrait de l’arrogance et du fanatisme traversés par un rayon de lumière exceptionnel. La plupart du temps, cependant, les colonialistes étaient des gens médiocres mais en raison de leur position et, surtout, de leur couleur de peau, ils étaient en mesure de se comporter comme les maîtres de la création. De plus, l’ouvrage de Kiernan me montrait que, même si la politique coloniale européenne touchait à sa fin – les puissances coloniales européennes ne pouvant plus garder leurs colonies – l’attitude colonialiste des Européens subsisterait probablement encore longtemps.
En fait, celle-ci reste très vive en ce début de XXIe siècle. Souvent, on est étonné et outré lors de rencontres internationales, quand un représentant européen entonne, plein de superbe, à peu près le refrain suivant : « Ce que les Chinois [ou les Indiens, les Indonésiens ou qui que ce soit] doivent comprendre est que… », suivent les platitudes habituelles et l’énonciation hypocrite de principes que les Européens eux-mêmes n’appliquent jamais. Le complexe de supériorité subsiste. Le fonctionnaire européen contesterait certainement être un colonialiste atavique. C’est là qu’est le problème. Comme l’écrit Mahbubani : « Cette tendance européenne à regarder de haut, à mépriser les cultures et les sociétés non européennes a des racines profondes dans le psychisme européen. » (p. 266)
A l’époque de l’impérialisme, qui, selon Kiernan, a duré des guerres napoléoniennes à la Première Guerre mondiale, le nombre de puissances coloniales européennes était très restreint. L’Espagne et le Portugal ont été chassés de la plupart de leurs colonies américaines au début du XIXe siècle et l’Espagne a perdu les Philippines en 1898, lors de sa guerre contre les États-Unis. Les quatre puissances coloniales importantes à l’époque impérialiste ont été le Royaume-Uni, la France, les Pays-Bas et, à sa manière, la Russie, dont, l’empire, contrairement aux autres, était basé sur la terre. Les autres nations européennes, la Suisse, le Danemark, l’Allemagne et l’Italie notamment, étaient pendues aux basques coloniales du Royaume-Uni, de la France et des Pays-Bas.
Tel est le contexte dans lequel s’inscrit l’ouvrage de Kishore Mahbubani, dans lequel il annonce l’essor d’un nouvel hémisphère asiatique, qui, à son tour, entraînera le transfert inévitable de la puissance mondiale vers l’Orient. Il est choquant – mais malheureusement pas surprenant – d’apprendre, en lisant les remerciements figurant dans le livre, que de nombreux amis occidentaux du professeur lui ont conseillé de ne pas le publier, car il risquerait de heurter de nombreux lecteurs occidentaux. Je souhaite que le plus grand nombre possible d’Occidentaux lisent cet ouvrage. Les lecteurs rejetteront de nombreuses assertions – j’aurais aussi certains points à débattre avec Mahbubani – mais la thèse principale de l’ouvrage est incontestable. Non seulement elle décrit de manière pénétrante la réalité mondiale actuelle, mais elle donne des indications convaincantes sur l’évolution globale future. Mahbubani n’est pas « anti-occidental » ; à maints égards, il admire beaucoup certains de nos acquis et croit que l’Orient devra les adopter – notamment l’État de droit et la justice sociale – s’il veut réaliser sa « marche vers la modernité ».
Pour l’Occident, il est temps de regarder la réalité en face
Ce que Mahbubani attaque c’est l’anomalie absurde d’un pouvoir mondial occidental envahissant et persistant dans un monde sujet à des changements fondamentaux. Cette distorsion est due à la politique occidentale et aux attitudes qui en résultent. L’anomalie est d’autant plus frappante étant donné la démographie actuelle. A l’apogée de l’époque impériale, aux alentours de 1900, la population européenne représentait environ un quart de l’humanité (contre 57% pour l’Asie). Aujourd’hui, la première ne représente plus que 12% de la population mondiale. Bien que même une proportion de 30% de la population mondiale de 1900 (Europe et Amérique du Nord) ne justifiait en aucun cas que les Occidentaux se comportent comme les maîtres de l’humanité, cette prétention est encore plus contestable au XXIe siècle, où 12% entendent faire la loi aux 88% restants. Alors que – quittant la démographie – on pouvait peut-être considérer l’Occident en 1900 comme « supérieur » dans de nombreux domaines, notamment les institutions, les systèmes socio-politiques et industriels, l’éducation et les innovations techniques, cette supériorité est aujourd’hui remise en question par l’Orient en plein essor. Il est temps que l’Occident regarde la réalité en face et Mahbubani lui en donne l’occasion.
Il est inévitable qu’un livre d’une telle ampleur comporte quelques parties peu claires et sujettes à controverses. Une de celles-ci est la présentation globale « kiplinguesque » de l’Orient et de l’Occident ou, plutôt, de l’Orient contre l’Occident. On pourrait voir le continent eurasien comme un continuum plutôt que comme divisé. Dans son Livre des merveilles du monde, Marco Polo raconte les merveilles qu’il a découvertes lors de son voyage en Orient, mais le Vénitien aurait été peut-être autant étonné, voire davantage, s’il était allé en Finlande par exemple, plutôt qu’en Mongolie. En Orient comme en Occident – mais en Orient surtout – l’homogénéité qui permettrait des généralisations fait défaut.
Cela ne vaut pas seulement pour la culture mais également pour le niveau de développement économique et politique. En décrivant le Singapour de son enfance, Mahbubani indique que les toilettes à chasse d’eau étaient un luxe dont ne disposaient que quelques familles. Ayant passé une partie de mon enfance en Espagne, une décennie après la guerre civile, lorsque le pays était encore dans un état désespéré de sous-développement, j’ai des souvenirs semblables. (Et quand on a eu finalement des toilettes à chasse d’eau, elles se bouchaient tout de suite.) Le pays qui, à mon avis, ressemble le plus à l’Espagne, est la Corée du Sud : tous les deux étaient miséreux il y a encore quelques décennies, tous les deux ont été dirigés pendant des décennies par des militaires, tous les deux ont, depuis, connu un développement économique et politique couronné de succès et sont devenus des démocraties solides et prospères.
Deux questions importantes subsistent une fois la lecture achevée.
La Russie, Est ou Ouest ? En présentant les trois principaux scénarios pour le XXIe siècle – la marche vers la modernité, le repli dans des forteresses et le triomphalisme occidental – l’auteur ne précise pas où se place la Russie, en particulier par rapport aux premier et troisième scénarios. La Russie va-t-elle se situer à l’Est dans sa « marche vers la modernité » ou va-t-elle s’allier à l’Occident dans son « triomphalisme » ? Mais poser cette question ne constitue pas une critique adressée à Mahbubani puisque même les Russes (et eux tout particulièrement) seraient sans doute incapables d’y répondre de manière satisfaisante. L’identité de la Russie est une question brûlante depuis que Pierre le Grand a fondé Saint-Pétersbourg en 1706 et le fait qu’elle le soit resté au XXIe siècle prouve que les questions restées en suspens au cours de l’histoire ne meurent pas, qu’elles ne passent pas au second plan mais gardent toute leur complexité.
Il en va de même pour le Japon. Géographiquement, il est des plus à l’est mais qu’en est-il des autres aspects ? Mahbubani montre comment, dans les années 1870, les premiers intellectuels japonais favorables à la modernisation, en particulier Yukichi Fukuzawa, affirmaient que le salut du Japon résidait dans le fait de « quitter l’Asie » et de revêtir le costume occidental. A l’époque impériale, à côté des trois principaux colonisateurs Européens, une puissance coloniale asiatique émergeait, le Japon, qui entreprit de coloniser ses voisins, Taiwan, la Corée et la Mandchourie. Aujourd’hui, mises à part les tensions entre le Japon et la Chine auxquelles Mahbubani fait allusion assez en détail, la question demeure : le Japon est-il asiatique ou pas ? (En Afrique du Sud, sous l’apartheid, les Japonais « bénéficièrent » du statut de « blancs d’honneur » et, ce qui est plus troublant, ils l’acceptèrent !)
Si ces questions demeurent sans réponse dans le livre de Mahbubani, c’est qu’elles sont sans réponse ! Cela ajoute à la confusion régnant dans un environnement global extrêmement complexe. Ainsi, « au début du XXIe siècle, alors que nous entrons dans une des périodes de changements les plus profonds que l’humanité ait jamais vécues » (p. 279), il existe également des structures de continuité qui, finalement, peuvent accentuer les discontinuités.
La thèse de Mahbubani peut être divisée en trois parties : une mise en accusation de l’Occident, une évaluation de l’Orient et de son avenir et une feuille de route pour une future gouvernance mondiale.
1. Mise en accusation de l’Occident
Comme nous l’avons dit plus haut, Mahbubani manifeste une profonde admiration pour de nombreuses réalisations occidentales et croit vraiment que l’avenir de l’Orient réside dans son aptitude à adapter et à incorporer ce qu’il appelle les « sept piliers de la sagesse occidentale » : l’économie de marché, la science et la technologie, la méritocratie, le pragmatisme, la culture de paix, l’État de droit et l’éducation.
A propos de la « culture de paix », il écrit : « Les États occidentaux ont atteint le sommet du développement humain : non seulement zéro guerre mais zéro projet de guerre entre deux pays occidentaux ». La situation dans les Balkans est sans doute une exception assez sanglante à cette règle, mais ce fait est néanmoins important et ne devrait pas être considéré comme « allant de soi » : il devrait être considéré comme « une des réalisations les plus impressionnantes de l’histoire de l’humanité » (p. 79). En particulier, une guerre entre les deux grands anciens belligérants européens que sont la France et l’Allemagne est inconcevable. Ce n’est pas le cas en ce qui concerne la Chine et le Japon. Une guerre entre ces deux nations aurait des conséquences dévastatrices pour l’Orient, voire pour la planète et bien que cela demeure un scénario relativement lointain, seul un inconscient pourrait affirmer qu’il est absolument impensable.
La mise en accusation possède deux aspects : le premier est que l’Occident ne respecte pas ses propres valeurs et le second qu’il ne veut pas ou ne peut pas reconnaître le besoin de changement de l’ordre mondial qui entraînerait la fin de son quasi-monopole de pouvoir. Ces deux aspects sont liés : « L’incapacité de l’Occident à admettre le caractère non viable de sa domination mondiale représente un grave danger pour le monde. Les sociétés occidentales doivent choisir entre chercher à défendre leurs valeurs ou chercher à défendre leurs intérêts au cours du XXIe siècle » (pp. 7–8).
C’est un sujet sur lequel Mahbubani revient assez souvent dans son ouvrage, démontrant que trop souvent les intérêts priment sur les valeurs.
Repli dans des forteresses
L’auteur établit une distinction entre ce qu’il appelle l’« Occident philosophique » et l’« Occident matériel », celui-ci étant plus important et dominé par des intérêts bornés. Une grande menace pour la planète provient particulièrement du fait que l’Europe surtout, mais aussi plus récemment les Etats-Unis, retombent dans un fort protectionnisme qui risque de mettre en péril la période la plus remarquable de croissance économique que le monde ait jamais connue. La montée du protectionnisme est la force la plus puissante qui pousse le monde dans le second scénario, celui du « repli dans des forteresses ».
Mahbubani reproche à l’Europe sa myopie, son autosatisfaction et son égocentrisme. Il relève en particulier que l’Europe a failli à s’engager vraiment en faveur de ses voisins : « Ni les Balkans ni l’Afrique du Nord n’ont bénéficié de leur proximité avec l’Union européenne » (p. 237). Il note également « l’échec de l’UE à développer des relations constructives à long terme avec la Turquie » (p. 228) Ainsi, tandis que l’Europe continue à aspirer au pouvoir mondial, elle échoue lamentablement face à ses responsabilités mondiales et en réalité face à ses intérêts globaux.
L’échec du Sommet Asie-Europe (ASEM) en est un exemple très frappant. L’ASEM a été mis sur pied à l’initiative de Singapour qui partait du principe que si les relations étaient très étroites entre l’Amérique et l’Europe d’une part et l’Amérique et l’Asie d’autre part, le troisième côté du triangle, Asie-Europe, brillait par son absence. D’où l’idée de l’ASEM. La première rencontre eut lieu en fanfare en 1996 à Bangkok : quasiment tous les chefs d’État de l’UE étaient présents. C’est l’époque où l’Asie était en plein « miracle économique ». Cependant, après la crise financière de l’Asie de l’Est, en 1997, que de nombreux Européens considérèrent (à tort, bien sûr) comme la fin de l’avancée économique de l’Asie, l’intérêt se dissipa totalement si bien que presque aucun chef de gouvernement européen ne daigna assister aux rencontres suivantes.
Georges W. Bush a accéléré le déclin de l’Occident
Cependant, au XXIe siècle, le déclin de l’Occident en termes d’abandon de ses valeurs a été accéléré en particulier par les États-Unis sous le gouvernement de Georges W. Bush. Mahbubani cite George Kennan, un des principaux architectes de la politique étrangère et de l’idéologie politique post-américaines : « Tout message que nous adressons aux autres ne sera efficace que s’il est en accord avec nos attitudes à l’égard de nous-mêmes » (p. 106). Naturellement, Bush n’est pas le premier président états-unien coupable de duplicité et d’atrocités. Mais la guerre en Irak sera sans aucun doute un jalon important dans le déclin de l’Occident en matière à la fois de pouvoir et de valeurs. Les États-Unis et le Royaume-Uni, pays qui revendiquent l’invention et l’application du droit international, ont violé celui-ci en envahissant l’Irak sans véritable mandat des Nations Unies. Et le gouvernement Bush a fait pis encore que de se comporter comme un hors-la-loi international en attaquant l’Irak : « Il a décidé de ne pas respecter le droit international humanitaire » (p. 259). Personne n’est assez naïf pour croire que la CIA ou d’autres n’ont pas commis des violations des droits de l’homme au cours des dernières décennies, mais la principale caractéristique du gouvernement Bush est son cynisme non dissimulé et provocateur.
Crise de gestion de notre ordre mondial si l’Occident ne change pas de cap
Il y a là aussi une hypocrisie stupéfiante : « La plupart des États-uniens n’ont aucune idée du choc que le gouvernement Bush a provoqué en se détournant des conventions, universellement reconnues, sur le respect des droits humains et en particulier contre la torture. » « Bien qu’ils aient violé plusieurs dispositions sur les droits humains, les États-Unis continuent de publier chaque année un rapport du Département d’État sur la situation des droits de l’homme dans tous les pays du monde sauf le leur » (p. 259).
On peut accuser l’Europe de complicité dans cette violation flagrante des droits de l’homme à la fois directe et indirecte. Directe, dans la mesure où l’on dispose de preuves patentes de la participation européenne au « tristement célèbre » Extraordinary Rendition Program [1], des actes de torture ayant été perpétrés dans certains pays de l’UE et d’autres pays de l’UE ayant autorisé le transport d’individus vers des destinations où l’on pratiquait la torture. Indirecte en ce que, contrairement aux virulentes condamnations, par les Européens, des violations des droits de l’homme commises par des pays comme le Zimbabwe, la Birmanie, le Soudan, la Chine et Cuba, pas un seul gouvernement européen n’a condamné publiquement les Etats-Unis pour leur usage de la torture et leurs atteintes flagrantes aux Conventions de Genève.
La baisse de la part de l’Occident à la population mondiale, la baisse de sa puissance économique relative et le déclin de ses valeurs, tout cela contribue à rendre illégitime sa prétention à gouverner le monde. Sept des pays du G8 sont des nations occidentales et cinq sont européens. Même si l’on place la Russie en Orient, cela reste une anomalie ahurissante. Et même en ce qui concerne le Japon, seul membre considéré jusqu’ici comme non-occidental, on peut se demander, mis à part sa situation géographique et la race de ses habitants, s’il appartient vraiment à l’Orient.
Le nombre de membres devrait à la fois être réduit (un seul représentant pour l’UE devrait suffire) et étendu (à la Chine, à l’Inde, au Brésil, à l’Afrique du Sud ou au Nigeria et à l’Égypte) afin de refléter les réalités contemporaines.
L’arrogance et la domination occidentales peuvent être également illustrées par les droits de vote et les postes de cadres supérieurs que l’Occident s’est attribués dans les deux institutions financières les plus importantes, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, et par la composition des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies qui n’a pas changé depuis 1945. Comme l’écrit Mahbubani, il y aura « une véritable crise de la gestion de notre ordre mondial si l’Occident ne change pas de cap » (p. 9).
2. Evaluation de l’Orient et de son avenir
La citation la plus parlante de l’ouvrage de Mahbubani est peut-être celle de Robert Sirota, président de la Manhattan School of Music : « Je crois honnêtement que dans une certaine mesure l’avenir de la musique classique dépend du développement de la Chine au cours des 20 prochaines années » (p. 150). La folle passion des Chinois pour la musique classique occidentale apparaît d’autant plus remarquable quand on se souvient qu’à l’apogée de la révolution culturelle, qui prit fin il y a trois décennies seulement, il y avait trois « campagnes anti » : anti-Confucius, symbole de l’idéologie féodale, anti-Lin-Biao (accusé d’avoir tenté de fomenter un coup d’État contre Mao) et anti-Beethoven (symbole de la décadence de la culture bourgeoise impérialiste). Et la Chine n’est pas la seule en Orient à cet égard. Il y a quelques années, j’ai découvert que la Corée du Sud présentait le taux par habitant le plus élevé d’achats de CD de musique classique. Il y a plus de Sud-Coréens que de Polonais qui achètent des œuvres de Chopin alors que les deux pays ont à peu près le même nombre d’habitants !
L’essor économique de l’Orient a été remarquable. Il y a quatre décennies encore, en 1968, l’économiste suédois Gunnar Myrdal, lauréat du prix Nobel, publiait son œuvre maîtresse en trois volumes intitulée Asian Drama : An Inquiry into the Poverty of Nations [2]. Selon l’auteur, non seulement l’Asie était pauvre, mais elle allait très probablement le rester. Asie et pauvreté, et en particulier Chine et pauvreté étaient considérés comme des synonymes. Jusque dans les années 1970, lorsque les occidentaux envisageaient d’investir ailleurs qu’en Occident, les principales destinations étaient des pays comme l’Iran, le Nigeria et le Mexique alors qu’on se tenait à distance de l’Asie de l’Est et du Sud. Comme les choses ont changé !
Le remarquable essor économique de l’Orient est dû en partie à une dynamique interne qui attachait beaucoup de prix aux réformes du marché ainsi qu’à leurs fondements institutionnels, et particulièrement au développement du capital humain et aux effets bénéfiques de la globalisation. Ce que certains groupes anti-mondialisation occidentaux ne peuvent tout simplement pas comprendre, c’est combien l’effet de la croissance économique est libérateur. Ce n’est pas seulement l’acquisition de biens matériels qui pourvoient aux besoins et à la dignité des hommes – par exemple les toilettes à chasse d’eau – mais également, selon Mahbubani, « la transformation de l’esprit humain qui a lieu quand les gens connaissent cette croissance économique rapide » (p. 55).
« En 2010, 90% de tous les scientifiques et ingénieurs titulaires d’un doctorat vivront en Asie »
Alors que l’économie de marché et la mondialisation provoquent un grand désenchantement en Occident, l’Asie considère que « la vraie valeur de l’économie de marché ne réside pas seulement dans l’augmentation de la productivité. Elle élève l’esprit humain, elle libère l’esprit de centaines de millions de personnes qui sentent maintenant qu’ils peuvent enfin prendre leur destin en main. C’est pourquoi l’Asie va de l’avant » (p. 18).
Un exemple clé de cette libération est la liberté de choisir sa profession. C’est « une liberté que la plupart des occidentaux considèrent comme allant de soi. Pourtant, au cours des 3000 ans de la civilisation chinoise, la grande majorité des Chinois n’ont commencé à en jouir qu’au cours de ces 30 dernières années, période représentant à peine 1% de la durée de la civilisation chinoise » (p.136).
L’essor de l’Asie, selon Mahbubani, provient en grande partie de son adaptation réussie aux « sept piliers de la sagesse occidentale ». On ne la mesure pas seulement dans ses succès en matière de musique classique mais peut-être d’une manière encore plus redoutable en sciences et en technologie : en effet, « en 2010, 90% de tous les scientifiques et ingénieurs titulaires d’un doctorat vivront en Asie » (p. 58). Les changements intervenus sont vraiment profonds : « L’Asie explose parce que tant de cerveaux asiatiques, sous-employés pendant des siècles, débordent de créativité » (p. 13). « Au cœur de l’histoire de l’Asie – et cela a souvent été négligé – on trouve la responsabilisation de centaines de millions de personnes qui ressentaient auparavant un manque total de pouvoir sur leur vie » (p. 17)
La principale menace est la résurgence du protectionnisme occidental
Tandis que les horizons asiatiques offrent de nombreuses occasions de développement futur, il existe inévitablement un certain nombre de menaces, à la fois internes et externes. La principale menace externe est la résurgence du protectionnisme occidental et également son incapacité à adapter les structures de l’esprit de gouvernance globale aux nouvelles réalités, tout particulièrement en répondant aux besoins des puissances orientales émergentes.
Mieux comprendre la pensée musulmane
Mahbubani voit trois principaux foyers de défis pour l’Occident : la Chine, l’Inde et le monde islamique. A propos du dernier, alors que le terme de « musulman » est associé dans l’esprit des Occidentaux à celui d’« arabe », la grande majorité des musulmans vivent en Asie où l’on trouve la plupart des pays qui ont les plus importantes populations musulmanes : Indonésie, Inde, Pakistan, Bangladesh et Iran. L’invasion anglo-américaine de l’Irak a considérablement aggravé les relations entre l’Occident et les États et peuples musulmans. Le caractère grotesque des erreurs commises est dû en partie au degré stupéfiant d’ignorance des États-uniens au sujet de l’Irak, laquelle provient de leur arrogance. Mahbubani oppose le manque de préparation à l’occupation de l’Irak à la préparation à l’invasion du Japon en 1945 lorsque, entre autres choses, des milliers d’États-uniens ont dû apprendre le japonais afin d’augmenter l’efficacité de l’occupation qui suivrait la défaite. Mahbubani exhorte l’Occident à « faire de toute urgence des efforts pour mieux comprendre l’esprit musulman » (p. 213).
Tandis que 6 des 7 piliers de la sagesse occidentale semblent tout à fait solides en Orient, le septième aurait besoin d’être renforcé : la « culture de paix ». Comme l’écrit l’auteur, « l’occasion actuelle de devenir un pays développé est la meilleure qu’ait eue la Chine. La chose la plus stupide qu’elle pourrait faire serait de la gâcher en s’engageant dans toute espèce de conflit militaire » (p. 81). Certainement. Mais tandis que beaucoup va dépendre de sa dynamique politique intérieure et de sa politique étrangère, beaucoup de choses vont également dépendre de ce qui se passera hors de Chine. Il y a de nombreuses failles dans l’espace géopolitique asiatique : la Corée du Nord, Taiwan, le Cachemire, la mer de Chine méridionale, les relations sino-japonaises, etc. qui rendent la région potentiellement sujette aux troubles.
On compare souvent – à juste titre ou non – l’Asie du début du XXIe siècle à l’Europe du début du XXe siècle, mais il n’est aucunement prouvé que lors de la Première Guerre mondiale (contrairement à la Seconde) un des belligérants, y compris l’Allemagne, ait eu vraiment l’intention de faire la guerre. En 1914, on a plutôt vu des pays « entraînés » dans une guerre survenue à la suite de ce que l’épistémologiste Nassim Taleb décrit comme l’apparition d’un « cygne noir » (Nassim Taleb, The Black Swan : The Impact of the Highly Improbable). Le « cygne noir » est un événement imprévu, non détecté par les radars mais qui a un impact considérable et est parfaitement explicable rétrospectivement. Dans le cas de l’Europe de 1914, le cygne noir est apparu dans les rues de Sarajevo le 28 juin lorsque le nationaliste bosno-serbe Gavrilo Princip assassina l’archiduc d’Autriche François-Ferdinand et sa femme Sophie. Ce crime déclencha une série d’événements rapides qui conduisirent très vite à la guerre la plus barbare et la plus sanglante que la planète ait jamais vécue.
La Chine, le Japon et la Corée, pacificateurs de la région
Mahbubani pense que les perspectives de guerre en Asie sont atténuées par « la remarquable réalisation diplomatique qu’est l’ASEAN » [3] (p. 84). Les grandes puissances de l’Asie du Nord-Est, la Chine, le Japon et la Corée n’ont pas réussi à établir de solides liens institutionnels économiques, politiques ou culturels et cela a été le mérite de l’ASEAN qui a non seulement transformé la région, faisant d’un champ de bataille un grand marché, mais a également engagé les trois grands dans diverses initiatives, par exemple l’ASEAN Plus Trois en en faisant le « pacificateur de la région » (p. 85).
C’est un aspect auquel, à mon avis, Mahbubani n’accorde pas assez d’attention. Parmi les raisons de tancer l’Occident, il voit l’hypocrisie et la duplicité de ce dernier à propos du changement climatique et je suis d’accord avec lui. La quantité d’émissions à effet de serre dont l’Occident a été responsable pendant les deux derniers siècles fait entièrement reposer la responsabilité du leadership sur ses épaules. L’Occident est riche alors qu’en comparaison l’Orient reste pauvre malgré ses importants progrès économiques récents. Pour assurer la paix, la croissance de l’Asie doit se poursuivre. Le « compromis » entre la croissance et l’environnement est beaucoup plus délicat et complexe en Orient qu’en Occident. L’attitude de l’Occident, en particulier des Etats-Unis, à propos du changement climatique constitue une des nombreuses accusations justifiées.
Les perspectives de l’Orient sont très positives
Mais, et il y a un grand mais ! Quand, par exemple, un smog épais et toxique, qui provient des incendies de forêt d’Indonésie, enveloppe Kuala Lumpur et Singapour – lequel empêche notamment les vols entre les deux villes – et qu’on le qualifie de « légère brume » afin de ne pas choquer, il n’est pas exagéré de dire que l’Asie est confrontée à des défis environnementaux considérables dont elle est responsable et dont la maîtrise ne nuirait pas à la croissance de la région, bien au contraire, mais qui résultent en grande partie d’une mauvaise gouvernance, de la corruption et de l’incapacité à appliquer la loi. Mahbubani aurait peut-être pu ajouter un huitième « pilier de la sagesse occidentale » (en tout cas un pilier européen, si ce n’est américain) : l’écologie.
Il n’est pas difficile d’imaginer toutes sortes de « cygnes noirs » possibles en Asie en ce début de XXIe siècle. Un scénario environnemental pourrait être l’un des plus plausibles.
Cela dit, non seulement les récentes réalisations et les perspectives de l’Orient sont très positives mais ce sont, comme Mahbubani le fait remarquer très justement, des évolutions dont l’Occident devrait se réjouir. « La réalisation du rêve occidental devrait représenter un moment de triomphe pour l’Occident » (p. 5). L’essor de l’Asie est incontestablement une bonne nouvelle. Une cause possible de tragédie en ce début de XXIe siècle pourrait être qu’il ne soit pas reconnu comme tel mais plutôt comme une menace, comme un jeu à somme nulle qui doit être affronté.
3. Feuille de route pour une future gouvernance mondiale
Comme Mahbubani le reconnaît au début de son ouvrage, « les Asiatiques sont devenus un des grands bénéficiaires de l’ordre multilatéral créé par les États-uniens et les autres vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale en 1945. « Peu de sociétés asiatiques désirent aujourd’hui déstabiliser un système qui leur est venu en aide » (p. 2). Par conséquent, un thème important de ces perspectives pour une future gouvernance mondiale est la préservation de la structure actuelle qu’il faut toutefois moderniser pour l’adapter aux défis du XXIe siècle. Mais pour le moment, il faut reconnaître que « l’Asie et l’Occident doivent encore parvenir à une compréhension commune de la nature de ce nouveau monde » (p. 4). Il s’agit là d’une tâche cruciale. L’histoire récente de l’Asie pourrait avoir beaucoup plus d’implications globales positives : « Quand des milliards de personnes deviennent parties prenantes de la paix et de la prospérité, elles mènent le monde dans une direction positive » (p. 17). Aussi est-il essentiel d’assurer « la propagation d’un ordre basé sur des règles – aux niveau du pays, de la région et du monde » (p. 21).
Quand Mahbubani écrit que « le moment est venu de restructurer l’ordre mondial », que « nous devrions le faire maintenant » (p. 235), il est évident que la restructuration doit être basée essentiellement sur les structures existantes, mais pas toutes. Ainsi, le G8 devrait être abandonné. Le grand sujet de plainte de Mahbubani est l’incapacité de l’Occident à maintenir, à respecter et encore plus à renforcer les institutions qu’il a créées. Et l’amoralité avec laquelle il se comporte trop souvent sape davantage les structures et l’esprit de la gouvernance mondiale.
Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont perdu leur autorité morale
Prenons le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Selon Mahbubani, il « est légalement vivant mais spirituellement mort » (p. 193). Le fait même que les États-Unis et le Royaume-Uni soient entrés en guerre sans l’autorisation du Conseil de sécurité signifie que ces deux membres permanents ont « perdu l’autorité morale nécessaire pour demander à l’Iran de se soumettre aux résolutions du Conseil de sécurité » (p. 195). « Le monde, écrit-il, a perdu pour l’essentiel sa confiance dans les cinq États nucléaires. Au lieu de les considérer comme des gardiens honnêtes et compétents du TNP, il les perçoit généralement comme faisant partie de ses principaux violateurs » (p. 199).
Leur décision d’ignorer le développement par Israël d’un arsenal nucléaire leur a été particulièrement préjudiciable. Lors d’une rencontre à Bruxelles au début de 2008, j’ai demandé à l’un des participants, Javier Solana, Haut-Représentant de l’UE pour la politique étrangère et de sécurité commune, son avis sur la question de l’arsenal nucléaire d’Israël mais il a refusé catégoriquement d’aborder le sujet. La conspiration du silence – alors que chacun sait qu’Israël possède l’arme nucléaire – a entraîné la création d’une « brèche dans le régime de non-prolifération dans laquelle d’autres pays peuvent s’engouffrer » (p. 199). La prolifération nucléaire est une des menaces majeures de ce début de XXIe siècle. Il faut renforcer le TNP afin de pouvoir demander à Israël de démanteler son arsenal nucléaire. Sinon il n’y a aucune raison légitime de refuser à l’Iran de devenir une puissance nucléaire, ce qui conduira sans doute l’Arabie saoudite et d’autres pays à faire de même.
Échec de l’Occident
C’est cette incapacité à exercer convenablement un leadership qui fait que l’Occident est aujourd’hui davantage le problème que la solution. En même temps, comme le reconnaît Mahbubani, « les pays d’Asie ne sont pas encore prêts à intervenir ». L’Occident viole certes ses principes, mais c’est en assimilant et en appliquant les trois principes occidentaux de « démocratie, d’État de droit et de justice sociale [que] le monde peut devenir meilleur » (p. 236).
Actuellement, aucun des prétendants au leadership mondial ne possède de tels principes universels. La Chine est nettement en train de retrouver l’aura et la puissance qu’elle possédait dans les siècles passés, mais, selon Mahbubani, à considérer son histoire, on constate que l’esprit chinois s’est toujours concentré sur le développement de la civilisation chinoise, et non sur celui de la civilisation globale » (p. 239). Mais ce pays pourrait établir ce qu’il appelle une société globale harmonieuse, qui consisterait en un « rajeunissement de la civilisation chinoise dans l’esprit de la dynastie Tang (618-907) ». Ce serait « une bénédiction pour le monde ». « Cette civilisation chinoise rajeunie serait ouverte et cosmopolite et non pas fermée et insulaire » (p. 149). Toutefois il est peu probable que cela se réalise de sitôt.
Quant à l’Inde, « son rôle naturel […] est d’être un pont entre l’Orient et l’Occident. Aucune autre société n’est aussi qualifiée pour cela » (p. 170).
Je suis tout à fait d’accord avec Mahbubani et je crois vraiment que l’Inde est déjà en position de devenir le leader intellectuel du monde. La quantité de productions dans tous les domaines – sciences, littérature, cinéma, sciences politiques, philosophie, métaphysique, technologie, management, etc. est tout simplement prodigieuse. Mais en même temps, l’Inde doit résoudre de nombreux problèmes intérieurs. C’est également un pays dont les principes et la civilisation échouent au « test de réalité ». Pour ne citer qu’un exemple, comme le savent les lecteurs de l’article sur la pollution en Inde paru dans un récent numéro de The Economist (« India and pollution : Up to their necks in it », 19 juillet 2008), quelque 700 millions d’Indiens sont littéralement dans la merde jusqu’au cou. Le Premier ministre Manmohan Singh a demandé un programme de « croissance globale » qui devrait être réalisé pour le bien des Indiens et avant que le pays puisse assumer légitimement tout rôle mondial sérieux.
Au vu de cette période de transition pendant laquelle l’Occident décline et l’Orient monte en puissance mais pas encore au point de « prendre la relève », on peut qualifier les exhortations de Mahbubani de « b.a.-ba ».
Ainsi, ayant été pendant sept ans ambassadeur de Singapour auprès des Nations Unies, dont une mission de 2 ans en tant qu’ambassadeur auprès du Conseil de sécurité lorsque Singapour occupait un siège temporaire au Conseil de sécurité, Mahbubani est un multilatéraliste convaincu et un fervent partisan de l’institution et de l’esprit des Nations Unies bien qu’il reconnaisse qu’elles ont besoin d’une réforme radicale. Mais il faut reconnaître quelle considérable innovation et quelle amélioration l’ONU a représentées dans l’histoire de l’humanité. Mahbubani lance un appel passionné à ses lecteurs : « Je vous en prie, trouvez un exemplaire de la Charte des Nations Unies et lisez-la. » (p. 250)4. L’ONU doit être réformée, renforcée, relégitimée. C’est une demande très exigeante qui n’est défendue activement à l’heure actuelle par aucun leader politique. Je suis cependant d’accord avec Mahbubani quand il écrit que dans la situation actuelle agitée, il est préférable de réformer et de renforcer les institutions existantes plutôt que d’essayer de créer quelque chose ex nihilo. La roue est inventée, elle a juste besoin d’être réparée.
Désoccidentaliser la Banque mondiale, le FMI et l’OMC
Il en va de même des institutions financières internationales. Bien qu’on ait de bonnes raisons de douter qu’aucune des trois plus importantes – la Banque mondiale, le FMI et l’OMC – ne subsistera jusqu’à la prochaine décennie, Mahbubani estime qu’il est d’une importance capitale de les conserver. Mais, bien entendu, il faut les transformer et les désoccidentaliser. Il ne faut plus que les postes de directeur de la Banque mondiale et du FMI ne soient attribués automatiquement à des États-uniens ou à des Européens, comme si c’était écrit dans l’Évangile ; ils doivent être globalement ouverts à des talents du monde entier. Il est également important que la Banque mondiale n’ait plus son siège à Washington DC et dissémine ses employés dans les pays où elle opère.
L’esprit internationaliste tel qu’il s’incarne dans la Charte des Nations Unies doit donc être maintenu, voire revivifié. L’auteur intitule son dernier chapitre « Pragmatisme ». Le pragmatisme, celui auquel Deng Xiaoping a eu recours pour opérer la remarquable transformation de la Chine, est « le meilleur guide pour avancer dans le nouveau siècle » (p. 279) qui sera, Mahbubani nous le rappelle, « un des plus complexes de l’histoire de l’humanité » (p. 272).
Développer des relations personnelles approfondies
Et le meilleur moyen de servir la cause du pragmatisme serait que les États-Unis étudient la civilisation perse et acceptent sa réalité actuelle et ses aspirations futures : « Par conséquent, un grand pas pragmatique que l’Amérique pourrait faire consisterait à regarder au-delà du voile de la théocratie islamique et à essayer de développer une meilleure compréhension de la culture et de la civilisation perses. Elle devrait établir des relations diplomatiques avec le gouvernement et développer des relations personnelles approfondies avec la société iranienne. […] L’Amérique devrait investir en Iran et même lui proposer un accord de libre-échange » (p. 274).
« Mieux vaut discuter que faire la guerre »
J’ai passé quelque temps en Iran en 2006 et je dois dire que je suis absolument d’accord avec Mahbubani dans ce qu’il propose et lorsqu’il écrit que « l’engagement aide ceux qui désirent ouvrir et réformer la société iranienne » (p. 216). Comme il le souligne, pendant la guerre froide, les relations diplomatiques et les dialogues ont été maintenus avec Moscou et les autres capitales importantes. Le fait que les États-Unis et l’Europe aient entretenu des relations diplomatiques avec l’URSS et ses satellites n’impliquait pas qu’ils approuvaient les goulags et bien d’autres mesures totalitaires ou les violations des droits de l’homme. Les relations ont été maintenues pour des raisons pragmatiques de saine et intelligente diplomatie. Des compromis ont finalement été trouvés qui ne l’auraient probablement pas été sans dialogue. La tendance actuelle à ne pas « reconnaître » ses ennemis – Iran, Cuba, etc. – est absurde. Comme le disait un autre grand pragmatiste, Winston Churchill : « Mieux vaut discuter que de faire la guerre. »
En conclusion, il devrait être évident que les Occidentaux qui poussaient Mahbubani à ne pas publier son ouvrage avaient absolument tort. Il faudrait qu’en Occident, le plus grand nombre de personnes le lisent et réfléchissent à ses thèses. Il faudrait le faire connaître aux leaders occidentaux et – dans l’idéal – obliger le président états-unien à le lire.
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