Audition de : Thierry Meyssan, Yves Frémion et Jean-Claude Ramos
En qualité de : président, vice-président et secrétaire général du Réseau Voltaire
Par : Commission d’enquête parlementaire sur le DPS, Assemblée nationale (France)
Le : 3 mars 1999
Présidence de M. Guy HERMIER, Président
MM. Thierry Meyssan, Yves Frémion et Jean-Claude Ramos sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, MM. Thierry Meyssan, Yves Frémion et Jean-Claude Ramos prêtent serment.
M. Thierry MEYSSAN : Le Réseau Voltaire est une association créée en 1994, dont l’objet principal est la défense des principes républicains. Nous nous attachons particulièrement à la défense de la liberté d’expression et de la laïcité.
L’originalité de notre association est qu’elle rassemble à la fois des personnes morales et des personnes physiques. Les personnes physiques sont généralement des citoyens engagés dans l’action publique, soit à travers des mandats électifs, politiques, soit à travers une action syndicale, associative, soit encore à travers une activité éditoriale. Les personnes morales sont des associations, voire des partis politiques.
Notre travail est un travail d’information, le plus précis possible, sur les sujets qui concernent la défense des principes républicains. Nous travaillons pour cela sur le principe de l’interopérabilité des sources ouvertes, nous tentons de faire des synthèses à partir des renseignements que nous avons réunis, afin que nos membres puissent exercer au mieux les fonctions qui sont les leurs.
Avant de faire cet exposé sur les éléments que nous souhaitons porter à la connaissance de votre Commission, je ferai une remarque préalable : nous ne sommes pas demandeurs du huis-clos. Nous souhaitons que notre déposition figure dans votre rapport et pensons que les éléments que nous amenons devant votre Commission doivent être connus de l’ensemble des citoyens. Nous vous remettrons, à l’issue de cette déposition, une note de synthèse que nous avons mise en distribution ce matin auprès de nos membres.
La question principale est : qu’est-ce que le Département Protection et Sécurité ? Quels sont ses objectifs ? Quels sont les soutiens dont il bénéficie ?
Au départ, cette organisation, qui a changé plusieurs fois de nom, était un simple service d’ordre d’une organisation politique légale. Mais en 1994, avec l’arrivée à sa tête de M. Bernard Courcelle, cette organisation a changé de dénomination, devenant " Département Protection et Sécurité ". Donc, en initiales, on devrait dire " le " DPS, mais vous aurez remarqué cette étrangeté de vocabulaire qui fait que les membres de cette organisation disent " la " DPS, comme s’ils avaient en tête une autre signification de ses initiales.
Ce service d’ordre s’est transformé pour adopter une organisation militaire, sur le principe des huit régions militaires et a commencé à entraîner ses membres. A titre d’exemple, le Front National doit être la seule organisation politique légale qui dispose d’une salle d’entraînement dans son siège. Ses membres, à titre individuel nous assure-t-on, se sont dotés d’un armement, mais surtout la principale modification apportée à cette organisation est qu’elle est sortie de son cadre naturel de service d’ordre pour se livrer à des activités de renseignement : d’abord du renseignement interne - M. Jean-Marie Le Pen, président du Front National, souhaitait en effet disposer d’informations précises sur les nouveaux ralliés à son mouvement et pouvoir surveiller leur loyauté -, puis du renseignement externe sur les opposants à sa formation politique.
C’est très précisément ce point du passage au renseignement qui a attiré notre attention. Selon des témoignages publiés dans la presse, concordants, recoupés, certains membres du DPS auraient pour fonction de " loger ", c’est-à-dire d’identifier des opposants au Front National ; autrement dit, de connaître leurs habitudes, les personnes qu’ils fréquentent, les lieux où ils habitent et où ils travaillent. Nous-mêmes avons fait l’objet de surveillances de ce type et avons pu constater l’important déploiement d’hommes que cela nécessite.
Dès lors, se pose la question suivante : à quoi peut donc servir cette activité qui n’est pas celle d’un service d’ordre et qui n’a, nous semble-t-il, aucun rapport avec l’activité normale d’une formation politique ?
Pour répondre à cette question et pour comprendre comment une organisation de cette nature a pu se déployer, nous pensons utile de vous apporter quelques éléments sur le parcours extrêmement original de son chef, M. Bernard Courcelle.
M. Bernard Courcelle est connu comme instructeur parachutiste, mais il est surtout et avant tout un officier de l’ancienne sécurité militaire. C’est en sa qualité d’officier de la sécurité militaire qu’il a suivi une formation arabisante avant d’être mis en poste au Maroc où il dirigeait un très important ensemble de complexes hôteliers touristiques, permettant à son service de disposer d’informations précises sur les intrigues qui se nouent là-bas. Je vous rappelle que la sécurité militaire a pour objet principal, si l’on se réfère à son décret d’attribution, la surveillance des trafics d’armes et du mercenariat. C’est également ce service qui dispense les habilitations défense au plus haut niveau.
Après cette expérience au Maroc, M. Bernard Courcelle a été chargé de la sécurité de M. Dewavrin, le directeur des établissements Luchaire, dans la période précise où, on l’apprit plus tard, la société Luchaire s’était livrée à un trafic d’armes illégal à direction de l’Iran. Il va de soi qu’il est totalement impossible qu’un officier de la sécurité militaire mis en poste à l’intérieur des établissements Luchaire ait pu ignorer ce trafic. Cela est d’ailleurs confirmé par le rapport du contrôleur général des Armées qui a suivi la révélation de cette affaire.
M. Bernard Courcelle apparaît également un peu plus tard dans l’affaire des Comores, lorsque l’Elysée, souhaitant modifier le dispositif en place, avait requis le retrait de M. Bob Denard de la garde présidentielle. Selon M. Bob Denard lui-même - et ce témoignage a été réitéré plusieurs fois, il est assez ancien - M. Bernard Courcelle avait été envoyé par l’Elysée pour négocier avec les hommes de M. Bob Denard leur retrait. Cela s’expliquait par le fait que la soeur de M. Bernard Courcelle et son beau-frère faisaient partie de l’équipe de M. Bob Denard. Cela s’expliquait également par le fait qu’un frère de M. Bernard Courcelle, Nicolas, est le dirigeant du Groupe 11 France, une officine de recrutement de mercenaires, que l’on a vue en activité non seulement aux Comores mais, par exemple, au Zaïre. Là encore, la responsabilité de M. Bernard Courcelle en tant qu’officier de la sécurité militaire fait qu’une telle activité ne pouvait échapper à son service et ne pouvait exister que par au moins une complicité tacite de son service.
M. Bernard Courcelle a alors été affecté aux Musées nationaux. Il s’est occupé de la sécurité de l’ensemble des musées nationaux mais plus précisément de celle du Musée d’Orsay et de sa conservatrice, Mme Anne Pingeot. Nous soulignons ce point dans la mesure où cette activité le mettait nécessairement en contact avec la cellule élyséenne.
M. Bernard Courcelle apparaît également dans un trafic d’armes à direction de la Tchétchénie qui s’étale sur plusieurs années. Pendant un temps, il se trouvait aux Musées nationaux, mais dans la conclusion de cette affaire, il était à la tête du DPS. Selon des témoignages corroborés, c’est le commissaire Pellegrini, ancien de la cellule élyséenne, qui a servi de contact principal entre M. Jean-Marie Le Pen et M. Bernard Courcelle pour sa nouvelle affectation. Là encore, nous ne pensons pas qu’il soit possible que M. Bernard Courcelle ait développé une milice privée dans ce pays sans que son service traitant en soit informé et sans qu’il ait bénéficié au moins d’une complicité passive.
Qu’est donc la sécurité militaire ? En 1982, elle a changé de dénomination pour devenir " Direction de la Protection et Sécurité de la Défense ", c’est-à-dire " la " DPSD. Nous portons également à votre connaissance que lorsque nous avons mis en cause le fonctionnement de la DPS, une réponse nous a été apportée publiquement par le Front National, non pas par la voix de son président Jean-Marie Le Pen, mais par une conférence de presse organisée au siège de ce parti politique où se tenaient côte à côte MM. Bruno Gollnisch et Bernard Courcelle.
Nous souhaitons vous faire remarquer que M. Bruno Gollnisch est également un officier de la DPSD. Il a révélé ce point lui-même à l’occasion de la polémique suscitée par le livre sur l’assassinat de Mme Piat. A ce moment-là, il a diffusé un communiqué dans lequel il indiquait ne pas être à l’origine des informations publiées par MM. Rougeot et Verne. A cette occasion, il a été amené à préciser ses affectations préalables à la Direction des opérations et du renseignement de l’Etat major de la Marine pour le compte de la DPSD.
Il nous paraît extrêmement étrange que les principaux responsables d’une milice privée au service d’une formation politique extrémiste puissent appartenir, l’un et l’autre, à un service secret de la République dont la mission était précisément de contrôler et d’empêcher de tels agissements.
M. le Président : Vous avez parlé du huis-clos. Je tiens à préciser que nous avons décidé le secret pour le déroulement de nos auditions. Autre chose est la publication du rapport. Notre décision tient au fait que, compte tenu de l’objet de notre commission d’enquête, notamment de la situation du Front National aujourd’hui, nous pensions que le secret nous permettrait d’auditionner de manière approfondie toute une série de personnes. Mais ensuite, naturellement, les informations que nous aurons recueillies feront l’objet d’une publication. Le huis-clos ne porte pas sur ce que nous recueillons ; le secret a pour but de permettre la plus large et la plus pointue des investigations.
M. Yves FRÉMION : Mon ami Thierry Meyssan voulait dire que tout ce que nous relaterons, provient de sources publiques aujourd’hui. L’original dans notre démarche, c’est la compilation de l’ensemble de ces informations et leur recoupement. Mais nous avons publié, dans la lettre du Réseau Voltaire qui est envoyée assez largement, toutes les informations que nous allons vous donner.
M. le Président : Nous avons en effet déjà lu certains de vos documents. Mais je tenais à apporter cette précision sur le secret de nos travaux : nous ne faisons aucune rétention d’information et le rapport fera nécessairement la synthèse des informations que nous aurons recueillies.
Vous avez déjà publié des dossiers très complets comprenant une compilation de coupures de presse, de livres, sur l’activité du DPS. Comment avez-vous recueilli ces éléments ? Avez-vous aussi mené vos propres enquêtes ?
M. Thierry MEYSSAN : Nous avons cherché à rassembler une documentation la plus exhaustive possible sur le sujet et à comparer des sources contradictoires afin de voir comment elles s’éclairent et, éventuellement, se corroborent. Un tel travail nécessite aussi des contacts directs avec les personnes concernées, de sorte que cela oriente la recherche, mais nous ne nous appuyons que sur les éléments publiés. Les entretiens que nous avons pu avoir n’ont eu d’autre but que d’aiguiser notre attention et de nous orienter dans notre recherche. Nous ne donnons aucune valeur à des confidences qui ne seraient pas assumées publiquement.
M. le Président : Vous avez été l’objet de pressions et de surveillances. Pourriez-vous nous en dire plus ?
M. Thierry MEYSSAN : Plusieurs membres de notre association ont fait l’objet de ce type de surveillance. Pour ma part, je peux témoigner devant vous que, pendant près de deux mois, une première équipe a été installée devant mon domicile, surveillant toutes les sorties et entrées, photographiant toutes les personnes qui entraient et sortaient ; travail difficile puisque j’habite dans un immeuble.
Une seconde équipe avait été installée devant mon bureau, là aussi photographiant toutes les entrées et sorties.
M. le Président : A quelle période ?
M. Thierry MEYSSAN : C’était en 1997. Septembre-octobre 1997. Je pourrais éventuellement vous donner des détails plus précis. Je n’ai pas apporté de documents à ce sujet.
J’ai également, pendant toute cette période, fait l’objet d’une filature constante, avec une capacité d’anticipation de mes déplacements qui laissait à penser que mes conversations téléphoniques étaient entendues.
Dans un premier temps, je n’ai parlé de cela à personne. Avouez que c’est difficile de raconter ce genre d’histoire. Mais la police judiciaire m’a elle-même contacté, ayant eu connaissance, je ne sais comment, de cette situation. J’ai donc été entendu par une délégation de la police judiciaire qui ne m’a pas reçu à son siège mais au commissariat qui se trouve juste à côté du Palais Bourbon, au coin de la rue de Lille.
A la suite de cette déposition, qui venait manifestement confirmer du renseignement interne dont disposait la police, le procureur de la République de Paris a ouvert une information judiciaire pour menace d’assassinat sans condition.
Si j’en crois les choses qui m’ont été dites par les policiers à ce moment-là —mais qui m’ont été dites off, je ne pense donc pas qu’ils en témoigneraient aujourd’hui—, ceux-ci avaient eu vent d’un contrat lancé contre moi par l’une des personnes que j’ai nommées tout à l’heure.
A la suite de l’ouverture de cette information judiciaire, le phénomène a continué pendant les quelques jours qui ont suivi, mais j’ai rendu publique l’ouverture de l’information judiciaire et, immédiatement, ce dispositif s’est arrêté.
J’ai eu l’occasion de discuter avec quelques uns de nos partenaires —dirigeants syndicaux, associatifs, responsables d’obédiences maçonniques— qui m’ont dit avoir constaté la même chose les concernant, voire concernant les membres de leur famille.
M. le Président : Pouvons-nous avoir des dates plus précises, notamment celle à laquelle vous avez été entendu au commissariat ?
M. Thierry MEYSSAN : Je ne l’ai pas ici, mais je pourrai l’adresser à votre Commission.
Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Dans votre propos liminaire, vous nous avez dit que dès la prise de direction du DPS par M. Bernard Courcelle, il y avait eu un entraînement de ses membres, dont l’un des lieux était le siège du Front National. Que savez-vous sur cet entraînement ? Pouvez-vous nous dire ce qui se passe au château de Neuvy ? Nous recherchons des faits précis.
M. Thierry MEYSSAN : La salle de sport installée au siège du Front National à Saint-Cloud permet un entraînement sportif de haut niveau des membres du DPS. Le château de Neuvy-sur-Barangeon, qui a été racheté par M. Roger Holeindre à son ami l’empereur Bokassa, sert à des jeux guerriers auxquels il n’y aurait rien à redire, du type paint-ball donc parfaitement légal.
Des entraînements ont lieu également en forêt de Fontainebleau. D’autres se passent à l’étranger, notamment dans le cadre des universités d’été de Chrétienté solidarité, qui se sont tenues en Espagne. Là, il s’agit évidemment d’entraînements plus sélectifs, dispensés par des combattants provenant du Liban, de l’ex-Yougoslavie et de Birmanie.
La question de l’entraînement doit toujours être liée à celle de l’armement car le même entraînement n’a pas la même signification selon l’armement dont on dispose. Il est difficile de cerner exactement l’armement en question. Seuls des pouvoirs d’investigation légaux permettraient les perquisitions nécessaires à la vérification de cet armement mais nous savons, par diverses affaires au pénal, ce qu’il en est.
J’attire votre attention sur la saisie effectuée auprès des dirigeants du Front National de la Police, par ailleurs responsables de la DPS. Plus précisément, la saisie effectuée en février 1998, en région parisienne, de 120 kilos de tolite, de cartouches de dynamite, de mèches lentes et de détonateurs. Il est bien clair que 120 kilos de tolite, n’ont rien à voir avec de vagues histoires de plasticage corse ou d’intimidation en tout genre. La tolite est un explosif utilisé uniquement sur des théâtres d’opérations militaires. 120 kilos de tolite, c’est une charge considérable qui ne peut avoir aucune utilisation de " droit commun ". 120 kilos de tolite, ne peuvent avoir qu’une utilisation militaire. Il importe de souligner que les personnes interpellées dans le cadre de cette affaire ont été placées sous écrou pour infraction à la législation sur l’armement. Il ne revient pas à la justice de déterminer leur mobile. La question du mobile, qui est une question politique, revient à votre Commission.
Nous devons souligner que lors d’un très récent procès, qui s’est déroulé il y a quinze jours, dans lequel M. Frédéric Jamet, le fondateur du FN Police, portait plainte contre un journaliste du Nouvel Observateur l’ayant mis en cause, M. Frédéric Jamet a été extrait de sa cellule pour venir déposer devant un tribunal et a opposé le secret défense à la question de la détention des 120 kilos de tolite qui se trouvaient chez lui... Pardon ! chez ses amis, ce n’était pas à son domicile personnel.
M. le Président : Cette saisie s’est faite au FN Police ?
M. Thierry MEYSSAN : Non, j’explique que l’équipe qui détenait ce stock d’armes correspond à l’équipe dirigeante du FN Police.
M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Indépendamment de l’entraînement physique ou sportif, avez-vous pu saisir la nature de l’entraînement idéologique ? Avez-vous eu des documents ? Savez-vous ce qui est donné en lecture ? Quelle est la nature de la préparation psychologique non pas des membres lambda du DPS, mais du personnel d’encadrement ou des membres particulièrement vigoureux ?
M. Thierry MEYSSAN : Nous n’avons pas idée d’une formation psychologique particulière, à l’exception de deux points.
D’une part, dans le cadre de la pseudo université d’été de Chrétienté Solidarité dont je vous ai parlé, des conférences de littérature à caractère historiquement fasciste sont données.
D’autre part, si je me réfère, par exemple, aux propos tenus par les policiers chargés de l’information judiciaire pour ma protection, ces derniers disaient avoir connaissance d’associations à caractère caritatif qui se développent en marge du Front National. Celles-ci recruteraient des personnes désocialisées, leur fournissant un minimum de moyens financiers et les tiendraient alors à leur disposition pour des missions de repérage, de surveillance et de " sécurité ".
Il semble que ces informations pourraient concerner l’organisation Fraternité française et le développement, en retrait de cette dernière, d’une autre structure animée par M. Gilles Soulas qui fut le chef du DPS pour la région militaire Ile-de-France. Il est aujourd’hui le gérant de la seule librairie néo-nazie dans ce pays, la librairie L’Æncre. Il est également devenu l’un des principaux responsables de la formation de M. Bruno Mégret. Son épouse Mme Allot siège d’ailleurs au sein des plus hautes instances dirigeantes de ce mouvement.
M. Robert GAÏA : Vous avez parlé d’un rapport du contrôleur général des armées concernant M. Bernard Courcelle et sa place chez Luchaire à l’époque. De quelle époque date-t-il ? L’avez-vous eu en main ?
M. Thierry MEYSSAN : Le rapport porte sur l’affaire Luchaire. Il s’agit du rapport Barba qui doit dater de 1986. Dans le cadre du travail du contrôleur général, il y a forcément quelque chose sur les officiers en poste.
Des éléments de ce rapport figurent dans le livre " Des armes pour l’Iran ", publié en 1988 chez Gallimard par M. Jean-Charles Deniaud.
M. le Président : Vous avez indiqué que MM. Bernard Courcelle et Bruno Gollnisch faisaient partie de la sécurité militaire. En faisaient-ils partie lorsqu’ils étaient au DPS ou au Front National ?
M. Thierry MEYSSAN : Pour M. Bruno Gollnisch, je ne peux pas le dire. Pour M. Bernard Courcelle, dans la mesure où je signalais que le trafic d’armes en direction de la Tchétchénie a continué alors même qu’il se trouvait à la tête du DPS, il me paraît impossible que ce trafic d’armes n’ait pas été sous le contrôle de la DPSD. J’attire également votre attention sur le fait que cette affaire de Tchétchénie a donné lieu à une escroquerie et que, notamment, un versement d’un million de Deutsche Mark a disparu. On a trouvé copie d’un chèque correspondant à la même somme, émis sur une même banque à Zagreb, au domicile de M. Frédéric Jamet, responsable du FN Police dont je vous ai parlé tout à l’heure.
M. le Président : Avez-vous des éléments précis sur ce point ?
M. Thierry MEYSSAN : Je n’ai aucun autre élément que ceux qui ont été publiés dans la presse, de source proche de l’enquête.
Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Etes-vous aujourd’hui libéré de la surveillance dont vous et d’autres avez fait l’objet ou des éléments vous permettent-ils de penser qu’elle continue de façon moins serrée ?
Des informations vous venant de personnes physiques ou morales de votre réseau vous incitent-elles à penser que de telles surveillances s’exercent sur d’autres personnes sur le territoire français ?
Par ailleurs, des événements plus ou moins graves ont été rapportés dans la presse - Strasbourg, Montceaux-les-Mines, etc. - qui nous conduisent parfois à soupçonner une certaine connivence entre les membres du DPS et des éléments de la police républicaine. Auriez-vous des faits à nous livrer nous permettant d’étayer ce sentiment ?
Vous venez de dire qu’un recrutement de personnes désocialisées viendrait abonder les rangs de cette organisation. Pensez-vous que ces recrutements puissent être amplifiés, dans le contexte actuel de scission du Front National et de réorganisation probablement ? Peut-être pourrez-vous nous dire brièvement la façon dont vous voyez le DPS évoluer aujourd’hui ?
M. Thierry MEYSSAN : Concernant la surveillance et les filatures, pour nous, aujourd’hui, ce problème est levé. Nous ne savons pas si d’autres en font l’objet.
Je précise qu’au début, ces surveillances étaient d’une extrême discrétion, mais elles sont vite devenues assez ostentatoires, dans un but manifeste d’intimidation. Je pense qu’aujourd’hui, d’autres pressions sont exercées sur les uns ou sur les autres, mais pas de la même manière. J’attire votre attention sur les pouvoirs de surveillance exorbitants dont dispose la Direction de la protection et de la sécurité de la défense.
M. le Président : C’est-à-dire ?
M. Thierry MEYSSAN : Je m’étonne que ce service ait pu donner des instructions de surveillance de tel ou tel de nos responsables. Je ne pense pas que ce soit une question de défense nationale.
M. le Président : Vous l’affirmez à partir de quels faits ?
M. Thierry MEYSSAN : Je l’affirme à partir de témoignages qu’il m’est difficile de présenter devant votre Commission. Je pense que vous devriez interroger à ce sujet les différentes personnes que vous avez l’intention d’auditionner prochainement.
M. le Président : Notre Commission siégeant sous le régime du secret, on peut très bien dire ici des choses dont nous conviendrions qu’elles ne seront pas publiées. Je vous l’indique à toutes fins utiles.
M. Thierry MEYSSAN : Cela me paraît cependant fort dangereux... si vous voulez bien, je pense que c’est vraiment trop dangereux pour les personnes que je pourrais nommer, mais vous devriez poser, par exemple, ce type de questions aux témoins que vous avez souhaité entendre en fin de matinée.
Concernant les liens avec les forces de l’ordre, il y a eu plusieurs cas où manifestement les instructions n’ont pas été données aux forces de l’ordre pour empêcher des activités outrancières de la DPS. C’est difficile de savoir. Par exemple, dans votre propre département, madame Perrin-Gaillard, les Deux-Sèvres, il y a eu un accrochage avec des membres de la DPS qui portaient un attirail fait de bric et de broc, de casques divers, boucliers et gourdins en tous genres, sans que la gendarmerie mobile n’intervienne correctement. Des reporters sur place ont pris des photographies qu’éventuellement je pourrais transmettre à votre Commission. Cela laisse l’impression d’un certain laisser-aller des forces de l’ordre, dans la mesure où ces gens, dont certains s’avèrent être des élus locaux, apportent tout de même par leur accoutrement un trouble manifeste à l’ordre public. On est étonné du peu d’empressement de la gendarmerie mobile à intervenir.
Or, vous savez que lorsque des policiers ont souhaité s’interposer dans ce genre de situation, ils ont parfois fait l’objet de vives menaces. Il est donc tout à fait normal qu’ils attendent d’avoir confirmation de leurs ordres.
En ce qui concerne le développement du DPS à l’occasion de l’explosion du Front National, nous avions un DPS, maintenant nous en avons deux. M. Bruno Mégret a modifié l’appellation du sien en Département protection assistance. M. Bernard Courcelle a curieusement, semble-t-il, supervisé la réorganisation de chacun des deux DPS, faisant d’étranges allers-retours entre l’équipe de M. Jean-Marie Le Pen et l’équipe de M. Bruno Mégret.
Les forces ont été, dans un premier temps, divisées de manière, semble-t-il, assez équitable. De nouveaux responsables ont été nommés pour chacun des deux groupes, mais je pense que les responsables sur le papier ne sont pas forcément ceux qui les dirigent réellement.
J’ai cité M. Gilles Soulas à propos de la formation de M. Bruno Mégret. Même s’il n’apparaît dans l’organigramme que comme un obscur membre du " conseil national " - je crois que c’est ainsi qu’est désigné le parlement de son organisation - je pense qu’il y remplit des fonctions très précises et que chacun a pu observer lors des dernières manifestations organisées par M. Bruno Mégret. De même, lorsque les amis de M. Bruno Mégret ont tenté de déposer au siège de Saint-Cloud les cantines militaires contenant des pétitions et autres demandes, c’est M. Gilles Soulas et son épouse qui tenaient eux-mêmes les cantines en question et dirigeaient l’opération. C’était délicat dans la mesure où le service d’ordre qui était resté en place au siège de Saint-Cloud, était un autre service d’ordre, puisqu’il avait été fait appel à une société privée pour l’occasion. Tout cela aurait assez facilement pu dégénérer.
Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Le Réseau Voltaire surveille-t-il de près ce qui se passe sur place lors de manifestations, par exemple, ou ne détenez-vous vos informations qu’à travers la presse ?
M. Thierry MEYSSAN : Nous comptons parmi nos membres de nombreux journalistes qui couvrent ces manifestations et qui nous rapportent en détail ce qu’ils y voient. Eventuellement, lorsqu’ont lieu des réunions publiques organisées par le Front National, comme nous nous intéressons à ce que le Front National divulgue, nous venons les écouter.
M. Yves FRÉMION : Je précise que le Réseau Voltaire est un réseau de bénévoles qui sont, dans l’ensemble, extrêmement occupés par d’autres obligations. Evidemment, nous ne disposons absolument pas des moyens dont pourrait disposer un service de police ou même une Commission comme la vôtre. Nous nous attachons donc avant tout aux choses matérielles, à ce qui est écrit, à toutes les sources dont nous pouvons disposer. Nous avons de nombreux correspondants en province qui nous font remonter des informations, qui n’ont peut-être pas un caractère national mais qui nous permettent d’obtenir, par exemple sur certaines personnalités de l’extrême droite ou que nous pouvons supposer appartenir à l’extrême droite, des informations que nous n’aurions pas autrement.
Mais nous restons évidemment dans un cadre légal tout à fait strict et le cadre d’un réseau de citoyens. C’est la raison pour laquelle il y a un degré au-delà duquel, en tant que Réseau Voltaire, sur certains points, nous ne pouvons aller, contrairement à la justice ou une commission d’enquête parlementaire comme la vôtre.
Pour le moment, il y a très peu d’éléments d’ordre pénal ; la justice n’a traité que de petites choses annexes, trafic d’armes, etc.
En revanche, au niveau parlementaire, l’aspect politique de la déposition que nous venons de faire est extrêmement important ; ce que vous a dit Thierry Meyssan montre qu’il y a au moins un dévoiement important de certains services de la République. Que ces dévoiements viennent de manipulations, d’infiltrations externes ou de manipulations en interne de la part de certaines personnes, pour nous, c’est très difficile d’en juger. Mais il est de l’intérêt de tous les citoyens d’être informés et je pense que vous avez les moyens de mener l’investigation que nous ne pourrons pas mener là-dessus.
Cela dit, bien évidemment, notre travail ne s’arrête pas aujourd’hui. Nous allons le poursuivre. Nous militons, comme vous le savez, pour la dissolution du DPS, mais aussi de toute milice du même ordre. Si elle commence à exploser en plusieurs éléments, suivant les différentes formations politiques du FN, nous poursuivrons ce travail et continuerons d’être vigilants et de donner aux citoyens les informations qui nous paraissent leur être dues dans une république démocratique ; nous fournirons les éléments à ceux qui, comme les élus, la police ou la justice, ont intérêt à ce que ce dévoiement cesse et à ce que la lumière soit faite sur ce qui s’est passé préalablement. C’est notre rôle de citoyen concerné et en tant qu’élu, puisque je suis élu aussi, il m’importe qu’à la veille de l’an 2 000, une telle dérive dans la République ne se poursuive pas.
M. Robert GAÏA : Sur le parcours de M. Bernard Courcelle, avez-vous des dates du moment auquel il est à l’armée, à la retraite, à la sécurité militaire ? Etait-il un honorable correspondant ou dans les cadres ?
Vous êtes-vous penchés sur le braquage par des membres du FN Police du restaurant Pétrossian ? Avez-vous une analyse sur les liens existants ? Ce restaurant a été braqué, alors qu’il n’y a jamais d’espèces - on paie en carte bleue ou en chèque !
Pouvez-vous également nous parler de l’action, en parallèle, ou à l’intérieur, de M. Gilbert Lecavelier ?
M. Thierry MEYSSAN : Le document que nous allons vous remettre vous donnera les dates les plus précises et les références de chacune des imputations que nous apportons, afin que vous puissiez vérifier par vous-même et qu’il n’y ait pas de doute. Cela fait beaucoup d’éléments, mais je pense que vous recherchez la précision.
M. le Président : Nous recherchons du factuel.
M. Yves FRÉMION : Le document qui est ici n’est que du factuel.
M. Thierry MEYSSAN : Nous nous sommes abstenus de tout commentaire sur ces faits. Nous comptons sur vous pour arriver à comprendre ce que veut dire tout cela, qui est pour le moins suspect.
Sur les deux autres points que vous soulevez, je n’ai aucune interprétation. Je remarquerai néanmoins que pour l’affaire de Pétrossian, il est étrange que les services de police qui étaient en filature aient assisté à un braquage sans intervenir, pensant je ne sais quoi, qu’il y avait un intérêt supérieur à attendre, que l’on cherchait autre chose... Je ne comprends pas bien ces méthodes.
Sur le reste, je ne sais pas.
M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : A propos de la surveillance dont vous avez été l’objet, disposez-vous d’éléments qui vous permettent d’être certain que c’était des éléments du DPS qui procédaient à cette surveillance ?
Dans la liste des faits délictueux figurant dans votre document, avez-vous fait référence à des affaires pendantes en ce moment, en cours d’instruction devant la justice ou pour lesquelles vous avez été étonnés qu’aucune suite n’ait été donnée, le cas échéant, par le parquet ?
A propos de la Tchétchénie et des réseaux économiques, financiers et du trafic d’armes, avez-vous eu connaissance de sociétés liées à Mme Le Pen ?
M. Thierry MEYSSAN : Je n’ai pas les moyens d’identifier avec certitude qui s’est livré à des actes de surveillance. D’ailleurs, M. Jean-Marie Le Pen me poursuit en justice pour m’être posé la question que vous me posez là.
Néanmoins, si cela n’avait pas été le DPS, on aurait pu craindre que ce soit, par exemple, un service de l’Etat mal tenu. Nous avons essayé de nous renseigner de ce côté-là. Je pense que la réponse est négative.
Ce n’est pas pour autant que cela désigne avec certitude le DPS. Cependant, lorsque la police judiciaire m’a contacté à ce sujet, c’était son hypothèse et sa base de renseignement pour me contacter.
M. le Président : Si vous me permettez, lorsque vous avez parlé tout à l’heure de pouvoirs exorbitants de la DPSD, c’était vous concernant ?
M. Thierry MEYSSAN : Non, bien que j’aie quelques doutes. Mais ce ne sont que des doutes.
S’agissant des affaires pénales en cours, je pense que le parquet donne suite. Le problème, c’est qu’il donne suite lorsqu’il y a commission d’actes délictueux.
M. le Président : C’est bien notre problème.
M. Thierry MEYSSAN : C’est votre problème, mais c’est la différence entre le judiciaire et le politique. Le parquet ne doit s’intéresser qu’à la commission des délits. Vous, vous avez à vous intéresser à l’intentionnalité dans le déploiement de certains moyens. Le parquet ne s’intéressera à la question de savoir si l’on a logé des gens que le jour où il y aura passage à l’acte.
Votre tâche, en revanche, est de savoir si tous ces moyens ont été déployés uniquement pour faire semblant, pour jouer - on joue avec 120 kilos de tolite chez soi - ou s’ils ont été déployés avec l’intention d’un passage à l’acte, d’une atteinte à la forme républicaine de nos institutions.
Dans les témoignages publiés, je vous rappelle que l’on a signalé que des listes d’opposants avaient été établies. Les premiers témoignages parlaient d’une liste d’environ 500 noms ; aujourd’hui, elle est de l’ordre de 2 000 cibles. Il faudrait évidemment avoir connaissance de cette liste pour pouvoir interpréter correctement l’objectif de tels agissements.
Sachant que vous avez auditionné les responsables du ministère de l’Intérieur, je suppose que vous avez demandé communication du rapport établi par la Direction centrale des renseignements généraux sur cette question. Je suppose que vous vous êtes fait également communiquer les bordereaux de mise à jour établis par chaque direction départementale tous les deux mois. J’espère qu’il ne vous en manque aucun... (Sourires.) et que, sur la base de ces informations fiables, vous avez sous les yeux de quoi reconstituer, au moins partiellement, cette liste. En conséquence, vous avez une idée très précise de l’objectif visé.
M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Je voudrais revenir là-dessus parce que c’est au coeur de notre problématique et des difficultés de la Commission.
C’est la première fois que j’entends parler de cette affaire de tolite. Peut-être d’autres auditions l’ont-elles déjà soulevée. Ce sont des faits extraordinairement importants pour nous, parce qu’en effet, cela donne un aspect très différent de ce que peut être le fonctionnement de ce service d’ordre, même faisant le coup de poing de manière agressive et parfois délictueuse. Cela n’a plus rien à voir.
Ces éléments sont essentiels ; contrairement à ce que vous pensez, la qualification politique, c’est important, mais faute de suffisamment d’éléments de qualification délictuelle, il sera très difficile - on ne peut certes pas préjuger des conclusions de la Commission - de conclure définitivement sur un certain nombre de problèmes que vous avez évoqués. Tous les éléments, même annexes, qui sont pendants devant la justice sont extrêmement importants pour nous.
M. le Président : Le fameux rapport dont vous parliez fut serpent de mer jusqu’à ce que, finalement, il apparaisse, encore que nous l’attendons ! (Sourires.) Mais nous savons qu’il existe, après nous être entendu dire qu’il n’existait pas.
Si je vous entends bien, dans ce rapport ou ces bordereaux mis à jour tous les deux mois, il y a la liste des cibles ?
M. Thierry MEYSSAN : Ecoutez, il me semble que dans les missions fixées par le ministre au moment où il a demandé ce rapport, M. Jean-Louis Debré avait légitimement demandé que l’on établisse les objectifs du DPS. Parmi les demandes faites, il y avait à définir toute son organisation, son architecture. Il y avait aussi la question des moyens de cette organisation de fait, en matière d’armement et en matière financière.
Il appartenait au directeur central des renseignements généraux de trouver la liste en question ou, au moins, d’en reconstituer ce qui pouvait l’être. Or, je ne doute pas que nous ayons de hauts fonctionnaires compétents.
Sur Mme Le Pen, je n’ai rien de particulier à vous apporter avec certitude.
M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : En avez-vous entendu parler ?
M. Thierry MEYSSAN : Oui, bien sûr. J’ai entendu parler non seulement de Mme Le Pen mais de tout un entourage assez étrange. J’ai entendu parler des activités en Suisse, aux Seychelles, etc., mais je n’ai pas d’éléments que je puisse présenter à votre Commission avec certitude.
Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Je reste malgré tout, comme nombre de personnes ici, sur ma faim concernant un point ; je comprends que vous ne veuillez pas l’aborder puisqu’il mettrait probablement en danger les personnes susceptibles d’être citées, mais nous avons besoin d’éléments plus clairs.
Je souhaiterais donc revenir sur les pouvoirs exorbitants de la DPSD, sur les connivences et les ordres d’écoute qu’elle aurait pu donner. Auraient-ils été donnés par rapport à des noms que vous avez cités dans votre propos liminaire ? Comprenez qu’il faut qu’on avance.
M. le président vous a dit que nous travaillions sous le régime du secret mais nous avons besoin de tout comprendre. Peut-être que je ne comprends pas tout, mais j’aimerais que vous alliez plus loin.
M. Thierry MEYSSAN : Madame Perrin-Gaillard, nous ne comprenons pas tout nous-mêmes.
Nous nous sommes contentés d’attirer votre attention sur le fait qu’il n’est pas possible que des officiers hauts correspondants de la DPSD aient eu les activités que nous avons évoquées sans, au moins, la complicité passive de leurs services. Premier point.
M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : C’est important. Par officiers, vous entendez les officiers de réserve aussi. M. Bruno Gollnisch, par exemple, a-t-il encore des fonctions officielles à la DPSD ?
M. Thierry MEYSSAN : J’espère que vous le lui demanderez et que vous aurez l’extrême privilège de rencontrer le général commandant la DPSD, cet homme invisible, mais...
M. Yves FRÉMION : Son nom et son adresse sont dans le document.
M. Thierry MEYSSAN : Vous ne le trouverez ni dans l’annuaire administratif ni ailleurs.
M. le Président : Nous nous étions posé la question. Vos propos nous amènent une réponse et nous allons demander cette audition.
M. Thierry MEYSSAN : Pour ce qui est de M. Bernard Courcelle, il dit, lui, être en " réserve active " depuis 1985. " Réserve active ", vous comprendrez ce que cela veut dire...
Dans sa réserve active, il se livrait à des trafics d’importance. Pour que ces trafics d’armes et de mercenaires aient une quelconque crédibilité auprès de ses clients, il fallait qu’il soit en mesure de fournir. S’il l’était, c’était évidemment au vu et au su de son service traitant. J’insiste sur le fait que l’affaire de la Tchétchénie a continué alors qu’il avait déjà pris ses fonctions à la tête de la DPS.
Il ne me paraît pas possible d’envisager que M. Bernard Courcelle n’ait pas eu au moins dans les deux premières années, de 1994 à 1996, une activité au sein de la DPSD.
M. Jean-Claude RAMOS : Je vais intervenir pour vous faire part des préoccupations du Réseau Voltaire de manière concise. Elles sont de trois ordres.
Premièrement, nous nous interrogeons sur le rôle qu’a pu jouer un service de l’Etat, soit dans l’infiltration, soit dans la création du DPS et sur le fait que cet organisme peut avoir des velléités de contester la forme républicaine de l’Etat. Qu’un organisme dépendant du ministère de la défense risque d’avoir été associé de près ou de loin à ce genre d’opérations, sauf pour des raisons qui restent à découvrir, serait encore d’autant plus grave.
Je pense que les citoyens de ce pays ont besoin d’obtenir des réponses. C’est là un réel danger qui pèse sur l’avenir de la République et de ses institutions. Je comprends que l’on veuille faire du factuel mais c’est aussi en termes politiques que ces questions se posent. Votre Commission qui est éminemment politique, doit donc pouvoir obtenir des éléments d’information là-dessus, notamment en rencontrant les responsables de la DPSD —cela me paraît le moins — pour vérifier que tout ce qui a été apporté là est parfaitement réel et pour essayer de comprendre quel rôle ce service, celui-ci mais peut-être d’autres que vous découvrirez au passage, a pu jouer. En tout cas, cela nous inquiète et nous tenons à poser la question.
Deuxièmement, il est absolument indispensable pour la connaissance de l’affaire que vous disposiez du rapport établi depuis un certain temps par la DCRG à la demande du ministre de l’Intérieur.
Notre troisième préoccupation est notre demande, réitérée à plusieurs reprises, de dissolution du DPS en application de la loi de janvier 1936. Il nous paraît que les critères qui figurent dans cette loi sont largement remplis et que cette dissolution devrait intervenir dans des délais qui ne soient pas trop longs.
Je tenais à intervenir sur ces trois points de manière à bien résumer les orientations et l’intérêt que nous avons en cette affaire.
M. Thierry MEYSSAN : Je souhaite également attirer votre attention sur notre étonnement face aux tentatives effectuées pour essayer de nous décourager d’attirer votre attention sur ces questions et de constituer cette commission d’enquête.
Je vous rappelle que lorsque nous avons diffusé à chacun d’entre vous ce document, et j’espère que chacun d’entre vous l’a reçu - il paraît qu’un certain nombre d’exemplaires ont disparu alors qu’ils ont été remis en main propre, sous pli nominatif cacheté, à la questure. Si certains d’entre vous ne l’ont pas reçu, il faudrait se poser la question de leur disparition de l’enceinte de l’Assemblée.
Je constate que des documents de ce type sont arrivés je ne sais comment en possession de M. Jean-Marie Le Pen. Il s’agit soit d’exemplaires volés, soit d’exemplaires destinés à certains de vos collègues. M. Jean-Marie Le Pen a porté plainte, vous le savez probablement, pour diffamation fondée sur le simple fait que mon introduction soulignait la nécessité d’une commission d’enquête, compte tenu de la gravité des faits rapportés par la presse. C’est le premier point qu’il conteste, le deuxième étant qu’il y avait un avis sur le côté qui, sans établir de lien formel, faisait référence à la surveillance dont certains d’entre nous avaient fait l’objet. M. Jean-Marie Le Pen considère donc que le fait d’y faire référence dans le même document est diffamatoire à son encontre. Le troisième est que l’une des lettres d’accompagnement personnalisées, adressées à chacun d’entre vous, lui est parvenue et il a considéré que faire allusion à l’éventuel danger que pouvait représenter pour vous la participation à une telle Commission était également diffamatoire.
Ces péripéties sont sans importance. Mais il est étrange que M. Jean-Marie Le Pen, ayant obtenu la désignation d’un juge d’instruction pour vérifier si les éléments formels —et non pas sur le fond— d’une éventuelle diffamation publique étaient réunis, ce juge d’instruction ait délivré une commission rogatoire à la 4ème DPJ ; celle-ci s’est empressée, sur demande explicite du juge, d’interroger des assistants parlementaires afin qu’ils violent le secret de la correspondance de leurs parlementaires, révèlent le type de contact que nous pouvions avoir avec tel ou tel parlementaire, en violation évidente des principes constitutionnels les plus élémentaires.
Ce juge d’instruction devait avoir conscience de se livrer à un acte sans aucun précédent dans l’histoire de la République puisque les policiers ont dû demander aux assistants parlementaires de sortir de l’enceinte du Palais Bourbon afin de recueillir leur déposition. Ils les ont reçus dans la brasserie en face, le policier prenant en note la déposition de l’assistant parlementaire, lui demandant de la signer avant de retourner rue du Château des Rentiers où était tapée à la machine ladite déposition, qui se trouve jointe, non signée, au dossier d’instruction, avec la mention " pour signature, prière de se reporter au document manuscrit ". C’est aussi, me semble-t-il, une innovation en matière de procédure pénale.
M. Robert GAÏA : J’avais alerté le président de l’Assemblée nationale.
M. Thierry MEYSSAN : En effet.
M. le Président : Où en est la procédure aujourd’hui ?
M. Thierry MEYSSAN : Je suis cité à comparaître le 8 avril pour diffamation publique envers M. Jean-Marie Le Pen au motif —je cite ce que m’a dit le juge d’instruction, ce qui m’a paru, là encore, une grande innovation judiciaire— qu’un pli nominatif cacheté envoyé à un parlementaire est adressé, en fait, à un représentant du peuple, donc au peuple dans son ensemble : il n’y a donc pas de secret de la correspondance adressée à l’un d’entre vous dans l’exercice de son mandat. C’est pourquoi les éléments formels de la diffamation publique seraient réunis !
M. le Président : Qui est le juge ?
M. Thierry MEYSSAN : Il s’agit du juge Ducoudray, qui ne passe pas pour avoir quelques accointances que ce soit avec l’extrême droite... je ne sais pas, je vous laisserai juger de tout cela.
Bref, toujours est-il qu’après votre sollicitation et celle de plusieurs présidents de groupes, le président de l’Assemblée nationale a saisi le Garde des sceaux et a notifié cette violation de la constitution au cabinet du Président de la République. Je remarque qu’aucune mesure n’a été prise par le Conseil supérieur de la Magistrature alors qu’il s’agit d’une violation absolument incroyable du travail parlementaire...
M. Renaud DONNEDIEU de VABRES : Les membres de la Commission ne sont même pas au courant.
M. le Président : Cela se passait il y a un an et demi.
Mme Geneviève PERRIN-GAILLARD : Nous n’étions pas encore membres de la Commission.
M. Thierry MEYSSAN : Le document a été envoyé à tous les parlementaires, à l’exception du parlementaire du Front National qui siégeait alors dans votre Assemblée. Ceci montre bien que des pressions de toutes sortes sont exercées. Je remarque que le Conseil supérieur de la Magistrature n’est pas intervenu et je vous rappelle, si besoin était, que M. Bernard Courcelle a beaucoup travaillé avec M. Pellegrini, que l’on connaît comme étant l’employeur des individus ayant mis sur écoute des personnels du Conseil supérieur de la Magistrature...
M. Yves FRÉMION : Nous répondrons à vos questions, mais je veux juste faire une remarque, en ma qualité d’historien. Je voudrais rappeler que dans l’histoire de notre République il y a eu —en tout cas, de façon connue— au moins un autre cas de dévoiement de certains services de la République, qui a conduit à l’époque à un véritable complot contre la République. C’était à la veille de la seconde guerre mondiale et pour ne pas avoir voulu faire toute la lumière sur les crimes de la Cagoule à l’époque, ceux-ci sont restés impunis et le ministre de l’intérieur qui les avait révélés et dénoncés y a laissé la vie. Pour mémoire, c’était Marx Dormoy. Je pense qu’il vaudrait mieux que la République aujourd’hui ne répète pas les erreurs de Daladier hier et que cette investigation aille jusqu’au bout avant que des choses plus graves ne se produisent.
Je pense —et je parle là peut-être en homme politique—, que nous nous situons au-delà des clivages politiques de ce pays, —gauche-droite. Nous sommes vraiment entre représentants de la République face à des gens qui veulent la mettre à terre, la détruire.
Il faut le garder à l’esprit et penser qu’il y a, d’un côté, une vitrine légale avec des mouvements politiques qui se présentent aux élections et bénéficient du financement des partis politiques, et de l’autre, de façon plus obscure, clandestine, un type d’activités liées à ces formations politiques et qui élabore une stratégie de pourrissement de la République et de certaines de ses instances.
C’est cela qui, en tant que citoyens et réseaux de citoyens, nous interpelle le plus.
M. Robert GAÏA : Monsieur le président, sous votre autorité, je voudrais dire que si le politique a des pouvoirs, ils s’exercent malgré tout dans un état de droit. D’où notre attachement à collecter des faits pour mener des investigations et ne pas s’en tenir à des impressions.
En ce qui concerne les liens armée-DPS, nous étions convaincus avant la création de la commission d’enquête, cela a été confirmé depuis, que des réseaux liés au passé existent. Mais ce n’est pas suffisant ; nous avons donc besoin d’obtenir plus d’informations pour matérialiser d’éventuels liens organiques ; c’est le lien organique qui est intéressant, ce n’est pas le réseau de copinage, de proximité idéologique ou autre.
Nous en sommes demandeurs. C’est la raison pour laquelle je vous ai posé les questions sur l’époque à laquelle M. Bernard Courcelle était en activité.
Pensez-vous qu’il soit utile de rencontrer un chargé d’affaires du gouvernement Tchétchène et qui ?
Vous avez insisté sur la lettre de mission du ministre de l’intérieur à la Direction centrale des renseignements généraux, en avez-vous eu connaissance matériellement ou seulement entendu parler ?
M. Thierry MEYSSAN : Nous n’avons pas eu connaissance de la lettre de cadrage.
Quant à M. Doudaïev, il est mort.
M. Robert GAÏA : Je parlais d’ici, en France.
M. Thierry MEYSSAN : C’est bien le problème : à qui s’adresser pour avoir les informations les plus précises ? Je suis un peu pris au dépourvu. Je vais y réfléchir et vous soumettre une proposition.
M. le Président : L’objet de notre commission d’enquête est d’examiner si les agissements du DPS tombent sous le coup de la loi de 1936 et remplissent les critères cumulatifs. Nous avons beaucoup discuté de cette question. On peut avoir une opinion mais comme l’a dit M. Robert Gaïa, il nous appartient - puisque si la dissolution a été demandée et n’a pas eu lieu, c’est qu’il y a une incertitude - de travailler à déterminer si elle est fondée ou s’il reste des points d’interrogation. Nous sommes dans un état de droit.
A cet égard, je crois vous avoir entendu mais je préfère vous poser la question : vous avez demandé, notamment dans votre introduction, et publiquement, que MM. Bob Denard, Paul Barril, Charles Pellegrini, Christian Prouteau et même Mme Pingeot soient entendus par notre commission d’enquête. Pour vous, quel rapport cela a-t-il avec notre objectif ? Notre commission d’enquête n’est pas là pour refaire l’histoire mais pour traiter la question que vous posez et que je viens d’évoquer.
M. Thierry MEYSSAN : Nous nous interrogeons sur d’éventuels soutiens apportés au développement du DPS. Notre idée est que, pour arriver à le comprendre, il faut avoir une connaissance du milieu dans lequel évoluait M. Bernard Courcelle lorsqu’il a pris ses fonctions et de la raison réelle pour laquelle il a pris ce type de fonctions. Il faut donc rencontrer les gens qui ont servi de go-between, si l’on peut dire.
Tel était le sens de notre propos. Nous pensions, en effet, que votre Commission, si elle avait entendu ces personnes, aurait été portée à orienter ses recherches en direction des services militaires de la DPSD. Mais peut-être pouvez-vous désormais brûler cette étape ?
M. le Président : C’est une discussion qui nous appartient. Sachez que nous ne souhaitons brûler aucune étape. Cela étant, nous ne sommes pas là pour refaire l’histoire mais pour essayer d’apporter une réponse à la question qui nous préoccupe tous. Tout ce qui peut concourir à apporter cette réponse fera l’objet de nos investigations.
M. Thierry MEYSSAN : Nous avons évoqué d’autres points ici et là, dont vous avez peut-être eu connaissance. Nous nous étions posé la question, cela pourrait peut-être répondre à la préoccupation de M. Renaud Donnedieu de Vabres, des affaires de droit commun qui ont pu se dérouler alentour de la DPS. Dans la mesure où existe une telle milice, il est évident que des gens entraînés et armés ont tendance, même si on ne leur en donne pas l’ordre, à déborder. Ces débordements peuvent paraître individuels, mais on peut aussi se poser la question de certaines affaires de droit commun qui pourraient être voulues par la DPS.
Yves Frémion citait tout à l’heure l’exemple historique de la Cagoule. On se souvient que lorsque Marx Dormoy a révélé l’existence de cette organisation, dans les jours qui ont suivi il y a eu des perquisitions, des saisies de documents : l’on s’est rendu compte que des affaires qui avaient été considérées soit comme des histoires de droit commun, soit comme des affaires politiques, mais sans lien entre elles, avec des mobiles qui avaient été parfois imputés de façon tout à fait erronée, qui avaient été mis en scène pour servir de divertissement, toutes sortes d’affaires restées non élucidées, sont apparues tout d’un coup comme ayant été une série d’actions criminelles et de meurtres organisés de manière concertée, délibérée et planifiée.
Logiquement, l’existence d’une telle armée, une petite armée privée que nous voyons certes aujourd’hui sous une forme déjà plus achevée - en cinq ans, elle a beaucoup évolué -, conduit à se demander dans quelle mesure on peut maintenir ces troupes bien sagement en laisse pendant cinq ans quand on leur donne de tels objectifs.
Nous formons de nombreuses hypothèses, mais j’attire votre attention sur une société privée de convoyage de fonds, en marge de la DPS, la société ACDS, qui vient d’être mise en liquidation judiciaire. Les propriétaires étaient d’anciens responsables de l’OAS et le directeur était M. Régis de la Croix Vaubois, qui vient d’être nommé dans la direction très rapprochée de M. Jean-Marie Le Pen.
Il faudrait se poser des questions sur les affaires de braquage dont cette société de convoyage de fonds a fait l’objet et qui l’ont conduite à déposer son bilan.
M. Yves FRÉMION : De très nombreux braquages !
M. Thierry MEYSSAN : Disons que cette société n’a vraiment pas eu de chance. C’est pour cela qu’elle a déposé le bilan.
M. Yves FRÉMION : Nous n’affirmons pas, mais nous nous interrogeons.
M. Thierry MEYSSAN : Je pense que vous devriez vous poser des questions à ce sujet.
M. le Président : Nous vous remercions.
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