Présidence de M. Louis MERMAZ, Président, puis de Mme Christine BOUTIN, Secrétaire
Mmes Valérie DECROIX, Bénédicte MARTIN, MM. Jean-Louis DAUMAS, Claude LOPEZ, Jean-Michel SUEUR et Georges VIN sont introduits.
M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, Mmes Valérie Decroix, Bénédicte Martin, MM. Jean-Louis Daumas, Claude Lopez, Jean-Michel Sueur et Georges Vin prêtent serment.
M. Georges VIN : Je suis directeur du centre pénitentiaire des Baumettes depuis juin 1997. J’ai exercé dans différents établissements depuis seize ans, dont l’ancienne maison d’arrêt de Strasbourg, le centre de détention d’Ecrouves en Meurthe-et-Moselle et la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré en Charente-Maritime.
Le Centre pénitentiaire des Baumettes accueille aujourd’hui 1 524 personnes, dont 122 femmes. Cet établissement a pour vocation de recevoir les prévenus du ressort du tribunal de grande instance de Marseille ainsi que les condamnés à une peine inférieure à un an ou présentant un reliquat de peine inférieur à un an. La particularité des Baumettes est de recevoir également des détenus en provenance de l’ensemble de la direction régionale à des fins de " désencombrement ". Nous recevons pratiquement autant de détenus venant du milieu libre qu’issus d’autres établissements pénitentiaires, en particulier de la maison d’arrêt d’Aix-en-Provence pour des raisons de gestion de la population pénale liée au programme 13 000, mais aussi des détenus en provenance de structures plus petites et dotées de moins de capacité, comme les maisons d’arrêt de Toulon ou d’Avignon.
Les caractéristiques de la population pénale des Baumetttes sont celles des maisons d’arrêt de grande taille : un public chez les hommes âgé de 36 ans en moyenne, composé à 70 % de condamnés et à 30 % de prévenus. L’on compte 27 % d’étrangers.
L’établissement dispose d’un organigramme théorique de 670 fonctionnaires, dont 600, gradés inclus, sont spécifiquement affectés à la surveillance. La totalité des intervenants au sens large est de 780 lorsque l’on y ajoute les partenaires de santé, assez nombreux - environ soixante personnes - dans la mesure où il existe une équipe de soins pluridisciplinaire pour les soins somatiques, psychiatriques et de lutte contre la toxicomanie. Il convient également d’ajouter une équipe nourrie d’enseignants.
Les particularités et difficultés des Baumettes sont, à l’heure actuelle, de deux ordres. L’établissement, construit entre 1936 et 1939, a toujours connu des taux élevés de surencombrement. Il y a une douzaine d’années, l’effectif était de 2 600 détenus. Aujourd’hui, nous disposons de 1 048 cellules et l’établissement souffre d’un problème évident d’obsolescence des structures, puisque les conditions d’hébergement de la plupart des quartiers sont extrêmement dégradées, en tout cas loin des normes actuelles et très éloignées des normes arrêtées pour le programme 13 000 ou prévues pour le plan 4 000. D’ailleurs, l’établissement, à l’instar de cinq autres établissements importants, fait partie du plan de restructuration décidée par Mme la Garde des sceaux. Le programme, devant débuter en 2001 pour s’étendre sur six à sept ans, doit rénover l’ensemble du site. Il mobilisera des financements pluriannuels très lourds, afin de remettre aux normes tant les conditions d’hébergement des détenus que les conditions de travail des personnels, éloignées de ce que l’on est en droit d’attendre ou de ce qui existe dans des établissements beaucoup plus récents.
Le taux de surencombrement, très élevé les années passées, a tendance à se réduire. Aujourd’hui, il y a 1 500 détenus pour une capacité théorique de 1 040 places. La capacité théorique est calculée en faisant le rapport entre la surface des cellules et le nombre des détenus. La majorité des cellules étant de 9,5 m ?, il ne devrait y être incarcéré qu’un seul détenu. Malheureusement, l’état très dégradé de certains secteurs d’hébergement et le nombre de détenus nous conduisent à placer majoritairement des détenus en double dans des cellules. Il reste une trentaine de cellules triplées ; c’est peu et concerne le secteur spécifique des prévenus ou condamnés pour des infractions liées aux m_urs.
Le second problème important, récurrent dans les établissements pénitentiaires, a trait au personnel de surveillance. Aujourd’hui, une trentaine de postes budgétaires de surveillants sont vacants. A ce chiffre s’ajoutent les absences, les détachements ou mises à disposition diverses. En réalité, il manque une cinquantaine d’agents par rapport à un organigramme théorique pour le personnel de surveillance de base fixé à 531 personnes.
M. Jean-Louis DAUMAS : Je suis directeur du centre de détention de Caen, depuis janvier 1999, après avoir été éducateur à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, directeur adjoint du centre de détention de Melun, directeur du centre de jeunes détenus de Fleury-Mérogis et de la Maison d’arrêt de Loos-lès-Lille. Caen est un établissement pour peines. Il compte 426 détenus qui purgent de très longues peines. Soixante-quinze pour cent de ces détenus ont commis des crimes sexuels, 46 purgent des réclusions criminelles à perpétuité. Cent quatre-vingts fonctionnaires encadrent ces personnes.
Je voudrais vous suggérer quatre pistes de réflexion. Les auditions successives de votre commission ont déjà dû mettre en lumière la question centrale de nos prisons, la situation des grosses maisons d’arrêt urbaines. Les interlocuteurs qui se sont succédé dans cette salle ont, au contraire, vraisemblablement dû indiquer que la situation apparaît à peu près correcte dans l’essentiel des établissements pour peines. Un certain nombre de professionnels considèrent que sur un axe qui passe par Loos, Fresnes, Fleury-Mérogis, la Santé, Lyon et les Baumettes, la question qui " plombe " la mise en _uvre des politiques publiques pénitentiaires est celle du surencombrement. La première piste consiste à étudier toutes les voies législatives et réglementaires qui pourraient, dans ce pays, imposer enfin la règle du numerus clausus. Elle est la question fondamentale d’où découlent toutes les autres. Songez qu’à Loos-lès-Lille, 1 200 détenus occupaient 542 places théoriques ! Face à une telle situation, les politiques publiques sont mises à mal, tous les moyens humains et financiers sont gâchés. Un taux de 210 % d’occupation met à mal les politiques publiques quoi que vous fassiez. Il faudra enfin que le législateur se décide, peut-être en lien avec la refonte de la carte judiciaire - et votre commission devrait se pencher sur la mission qui, auprès du Garde des sceaux, travaille sur la refonte de la carte judiciaire -, car les deux questions sont très liées. Les magistrats instructeurs, lors de la précédente audition, ont effleuré cette question, même si ce n’est pas dans le sens souhaitable.
La deuxième piste a trait à la gestion des ressources humaines. Notre administration vient de saisir à bras-le-corps la question de la formation, qui n’est pas simple. La question ne porte évidemment pas sur la délocalisation de l’école nationale de l’administration pénitentiaire à Agen, qui est relativement anecdotique, mais plutôt sur le contenu des programmes et formations. On forme un gardien de la paix en un an et un surveillant pénitentiaire en huit mois. Il faut de plus soustraire de ces huit mois les quatre mois de stage pratique qui, actuellement, ne revêtent pas un caractère de formation, mais sont une mise en situation professionnelle immédiate pour pallier le manque d’agents. Au centre de détention de Caen, des stagiaires de 21 ou 22 ans, sensés effectuer un stage de formation, comblent en réalité le déficit en personnel.
Pourquoi une durée si brève de formation à la prise en charge de personnes en grande souffrance, exclues et qui ont eu un grave problème de rapport à la loi ? Pourquoi un tel écart de formation avec les gardiens de la paix pour des fonctions, à mon sens, similaires ?
La troisième piste porte sur la nature du rapport culturel que l’administration pénitentiaire entretient avec la Nation. Au cours du colloque qui s’est tenu, il y a trois ans, à Villepinte, sur les questions de mise en _uvre des politiques de sécurité publique, l’administration pénitentiaire était un appendice comparé à la place importante occupée par la gendarmerie et la police nationale. Combien de temps les professionnels de l’administration pénitentiaire vont-ils rester à la remorque des trois autres grandes administrations de l’Etat que sont la police, la gendarmerie et les douanes, culturellement mieux traitées que nous ? Pourquoi les discours tenus sur l’administration pénitentiaire sont-ils toujours misérabilistes et stigmatisants ? Parmi les quatre administrations en charge des questions d’ordre public, il me semble que nous sommes celle qui rencontre les plus graves difficultés dans nos relations avec l’extérieur.
Enfin, la quatrième grande question est plus directement relative au traitement des personnes que l’institution judiciaire nous confie et concerne la force de travail des détenus. Son utilisation pose un grave problème en termes de constitutionnalité. La loi de 1994 a permis que notre pays fasse un bond en avant formidable dans le domaine de la santé et de l’éducation sanitaire des personnes détenues. L’on peut encore certainement faire mieux. Nous n’avons d’ailleurs pas attendu le propos incendiaire du docteur Vasseur pour montrer que la loi de janvier 1994, même perfectible, a permis de mieux traiter la question de la santé. La question que le Parlement doit désormais appréhender est celle du travail des détenus qui soulève un problème grave au regard des recommandations du Conseil de l’Europe, de notre bloc de constitutionnalité et de la déclaration des droits de l’homme. Les détenus sont sous-payés. C’est le prochain défi que vous aurez à traiter.
Enfin, au niveau de l’outil, une loi pénitentiaire est inévitable. Le code de procédure pénale a été plusieurs fois " toiletté ". Pourquoi la dernière grande loi pénitentiaire date-t-elle du 22 juin 1987 ? Cette loi a été votée simplement pour permettre à la puissance publique de concéder à des grands groupes privés la construction et la gestion de 13 000 places de prison dont on avait besoin. Pourquoi, treize ans après, ne pas se donner les moyens d’une grande loi pénitentiaire ? On ne peut se contenter de toiletter une nouvelle fois le code de procédure pénale. Une nouvelle loi pénitentiaire inverserait la question des priorités entre la garde et la réinsertion. Ne faudrait-il pas, en effet, que l’administration pénitentiaire traite d’abord de la réinsertion sans oublier évidemment la fonction de garde.
Pour traiter les quatre questions que j’ai évoquées, il faut se doter d’un outil législatif adapté.
Mme Valérie DECROIX : Je dirige la maison centrale d’Ensisheim depuis un peu plus d’une année. C’est un vieil établissement vétuste comme bon nombre d’établissements pénitentiaires. Il s’agit d’une maison centrale qui aura bientôt deux siècles d’existence après avoir été un hôpital civil, une école latine, un collège de jésuites.
J’ai d’abord été sous-directrice de la maison centrale de Poissy, établissement à l’époque vétuste. J’ai exercé ensuite six ans à l’administration centrale au sein du bureau de l’individualisation des peines. J’ai entrecoupé cette expérience par un séjour au service correctionnel québécois, dans le cadre d’un programme d’échanges de la fonction publique. Cela m’avait apporté beaucoup d’idées et avait suscité chez moi beaucoup d’enthousiasme. Mais mon retour en France a eu lieu au début de 1993, alors que l’administration pénitentiaire venait de vivre des événements dramatiques - l’évasion de Clairvaux et le meurtre d’un surveillant à Rouen.
J’ai ensuite dirigé la maison d’arrêt d’Epinal, structure récente, qui disposait de moyens matériels corrects.
La maison centrale d’Ensisheim, pour la présenter brièvement, accueille 230 personnes incarcérées, dont un tiers sont condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité. Cette population pénale est encadrée par 135 fonctionnaires.
Plus généralement, il faut souligner combien la mission de la prison semble difficile, si ce n’est impossible, et pour le moins paradoxale.
Tout d’abord, le rôle assigné à la prison est d’exclure, c’est-à-dire que l’on attend de l’institution pénitentiaire le silence autour des personnes dont on lui confie la garde. Dans le même temps, de nouvelles attentes se font jour en termes de communication. L’ouverture de l’institution, lieu d’exclusion, devrait simultanément être un espace de communication, si tant est que l’intérêt de la société civile puisse ne pas se limiter à des situations événementielles ou de l’ordre du sensationnel.
Ensuite, l’administration pénitentiaire rencontre les plus grandes difficultés pour s’adapter aux principaux problèmes auxquels elle se trouve confrontée. La prison est une solution monolithique. Dans un même lieu géographique, on incarcère des personnes relevant de situations pénales très différentes. La surpopulation des maisons d’arrêt ajoute aux difficultés, en conduisant notamment à la cohabitation des " primaires " et des récidivistes, des prévenus et des condamnés, des procédures correctionnelles et des procédures criminelles. Seule est claire l’absence de mixité et, désormais, l’incarcération des mineurs dans des quartiers qui leur sont réservés.
La prison est conçue comme la réponse unique à des situations pénales très diverses quant à la qualification des faits et aux problématiques soulevées. Coexistent, au sein d’un même établissement, des auteurs de crimes de sang, de crimes sexuels, des auteurs d’atteintes aux biens. Cette communauté est prise en charge de façon quasi monolithique. L’absence de régimes de détention diversifiés et de réflexion sur une prise en charge plus individualisée des personnes qui nous sont confiées me semble une piste à ajouter à celles proposées par Jean-Louis Daumas.
La troisième raison de ce paradoxe résulte d’une absence de politique pénale. Aujourd’hui, un flou existe sur le sens à donner à la peine. Beaucoup de réflexions ont présidé à la création de la prison moderne tout au cours du XIXe siècle autour des thèmes de la pénitence et de l’amendement. A l’heure actuelle, il manque une réflexion entre ce qui doit procéder de la punition et ce qui relève de l’accompagnement en vue d’une réadaptation. Dès lors, il est difficile de trouver le sens de la mission confiée à l’institution pénitentiaire. Entre garde ou contention et réinsertion, les priorités ne sont pas toujours correctement identifiées. Autour de ces difficultés, se déclinent, en fait, les problèmes de l’identité professionnelle des personnels pénitentiaires, notamment des surveillants qui, depuis quelques années, se trouvent confrontés à l’intervention d’autres catégories socioprofessionnelles et de personnels ayant d’autres cultures. Jean-Louis Daumas a fait état de la réforme de la prise en charge sanitaire des personnes incarcérées. Il s’agit d’une réforme fondamentale qui montre bien qu’en se donnant les moyens, l’on devrait pouvoir participer à l’évolution de cette administration.
Cette absence de repères ne facilite pas notre travail au quotidien et traduit le désintérêt de la part de la société civile et peut-être de l’Etat. Il serait dommage de ne parler des prisons qu’en raison de la parution d’un livre qui a le mérite de permettre d’en débattre, mais il est nécessaire de créer une dynamique, sachant que l’exclusion seule n’est pas réparatrice.
Enfin, deux problématiques sont très présentes dans les fonctions que nous assurons : la problématique des longues peines et la prise en charge des cas psychiatriques. L’abolition de la peine de mort et les débats de qualité qui eurent lieu à l’époque ne permettent plus aujourd’hui de débattre des peines alternatives à la peine de mort. La mise en place de peines de sûreté pour les peines à temps prononcées depuis ou pour les réclusions criminelles à perpétuité n’a donné lieu qu’à très peu de réflexions. Il en a été singulièrement de même pour la mise en place d’une peine qui me paraît irréaliste : la peine incompressible de trente ans. A Ensisheim, cinq détenus sont condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité assortie de périodes de sûreté de trente ans. Je ne sais comment gérer ce désespoir ni comment les condamnés arrivent à survivre avec cette absence de perspective. Cet arsenal répressif mis en place vise, en réalité, plus ou moins une exclusion définitive. Ceci est suffisamment grave pour rendre nécessaire, à nouveau, une analyse des possibilités de faire valoir une évolution du comportement d’une personne condamnée, pour que cela puisse influer sur la perspective d’un projet de sortie et de l’accompagnement nécessaire.
Se pose également, pour les longues peines, la question des libérations conditionnelles et des commutations de peines. Il y aura bientôt en France six cents condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité et l’on arrive à des périodes de peines effectuées de près de vingt ans, en dehors de toute mesure de sûreté.
La prise en charge des cas psychiatriques est une préoccupation réelle. Le médecin psychiatre qui intervient à Ensisheim signale au moins trente cas lourds pour lesquels, ponctuellement, il est procédé à des hospitalisations d’office. Elles nécessitent des prises en charge spécialisées certainement plus adaptées. Les structures pénitentiaires commencent à avoir des vocations asilaires, ce qui ne me semble pas correspondre à la conception moderne de l’institution pénitentiaire.
Mme Bénédicte MARTIN : Je dirige actuellement la maison d’arrêt d’Osny, établissement récent à gestion mixte. J’ai exercé préalablement au centre pénitentiaire de Fresnes et j’ai dirigé le centre pénitentiaire pour femmes de Rennes. En complément des propos de mes collègues, je souhaite appeler votre attention sur trois points.
D’abord, sur la disparité considérable des conditions de détention d’un établissement à l’autre, ce que j’ai pu constater en passant d’un établissement datant de 1870 à un établissement récent. Les locaux offrent des possibilités d’hébergement variées. Ici on peut trouver des détenus seuls en cellules avec des sanitaires isolés, là des cellules à trois ou quatre détenus avec des sanitaires à peine isolés. Ce sont là des conditions essentielles de vie, très perturbantes pour la population pénale.
Les règlements intérieurs des établissements sont également très divers, ce qui ne laisse pas de poser des problèmes entre surveillants et détenus. Des détenus ayant bénéficié de certains objets dans certains établissements se les voient refuser dans d’autres.
Enfin, il me paraît primordial de maintenir la relation entre le surveillant et le détenu, ce que ne facilite pas le surencombrement.
Nous avons mis l’accent sur le fonctionnement des quartiers mineurs ; il faut pouvoir, à terme, en tirer des enseignements pour les quartiers adultes. Dans les quartiers mineurs, l’administration a fait le choix d’affecter de nombreux personnels, des équipes volontaires, formées et pluridisciplinaires. Il est, en effet, essentiel de pouvoir établir un contact permanent avec le détenu, ce qui permet de le reconnaître en tant qu’individu et de pouvoir répondre à ses préoccupations, tout en renforçant la mission de sécurité puisque l’observation y participe.
Par ailleurs, l’administration pénitentiaire a un travail important à engager sur le dispositif de préparation à la sortie. Autant l’on parvient à gérer le temps de détention, autant nombre des détenus sont libérés sans aucune préparation et sans aucun accompagnement. La solution passe par le développement des dispositifs de préparation à la sortie existants. Pour un détenu qui a été condamné à une longue peine, l’existence, ou non, d’un temps d’accompagnement à la sortie, avant et après celle-ci, est essentielle pour réintégrer la société et retrouver des points de repère.
Le dialogue, la préparation à la sortie et, bien sûr, l’individualisation de la peine et de la prise en charge sont primordiaux. La préparation à la sortie passe aussi par une meilleure communication avec le magistrat instructeur pendant le temps de la détention préventive. Beaucoup de détenus sont dans l’ignorance de leur situation, en tout cas, ne connaissent pas bien les rouages de l’institution judiciaire. Chacun est demandeur d’informations : les magistrats, les détenus ainsi que le personnel pénitentiaire. Il faudrait, là aussi, savoir tirer l’expérience des équipes pluridisciplinaires amenées à suivre les mineurs.
Enfin, je rejoins mes collègues sur la nécessité de valoriser les métiers pénitentiaires. La situation des détenus sera améliorée si l’on considère le métier de surveillant, métier difficile et rarement choisi. Beaucoup ont à c_ur de bien faire leur travail et leur reconnaissance passe par des temps de formation plus importants axés sur leur pratique professionnelle et sur des possibilités d’évolution de carrière.
M. Jean-Claude LOPEZ : J’ai 54 ans et suis entré dans l’administration pénitentiaire en mars 1971. J’ai été surveillant à la prison de Lyon, où je me suis occupé du quartier des mineurs jusqu’en 1976. J’ai ensuite été nommé premier surveillant, puis surveillant chef, à la maison d’arrêt de Nîmes. En 1987, je suis devenu chef de service pénitentiaire de première classe et j’ai été nommé à la maison d’arrêt d’Aurillac. En 1991, j’ai été muté à la maison d’arrêt de Privas. Cet établissement a été construit en 1812, son effectif théorique est de 63 places, il compte 30 cellules et abrite à ce jour 64 détenus, 29 prévenus et 35 condamnés. Lors de mon arrivée, la maison d’arrêt avait fait l’objet d’une étude en vue d’une restructuration qui a été abandonnée. Toutefois, nous avons fait réaliser 80 % des travaux par la population pénale et par les personnels. Cette " petite boîte " fonctionne bien !
Depuis quelques mois, nous assistons à une sévère mise en cause de l’administration pénitentiaire par les médias. A mon sens, cette mise en cause n’est justifiée qu’à 50 %, car il est facile aux journalistes de noircir le tableau en ne montrant que les facettes négatives. Mais cette médiatisation n’est pas pour nous déplaire, car nous nous battons depuis des années avec notre administration de tutelle pour faire prendre en compte les besoins matériels nécessaires pour faire face à la vétusté des locaux et pour faire évoluer les structures de manière à contenir l’évolution de la population pénale en quantité et qualité. Cette évolution se caractérise par la promiscuité, la toxicomanie, la psychiatrie, la violence, le racket, les suicides, mais aussi un nombre de mineurs en augmentation depuis cinq ans.
Une inadéquation certaine se fait jour entre les missions confiées au personnel pénitentiaire et les moyens mis à sa disposition. Ces missions s’effectuent sans effectifs supplémentaires. L’organigramme, à Privas, date de 1988 et il était, déjà à cette date, obsolète.
Le " taux compensatoire pour les besoins du service " est fixé à 16 % alors que le taux moyen d’absence atteint 24 %. Le TCBS est de 30 % pour les surveillantes au quartier femmes et il est calculé à 16 % au quartier hommes, alors même que l’on compte de plus en plus de surveillantes en détention hommes.
L’application de la bonification du un cinquième a également déstabilisé les effectifs. Le décalage entre les départs à la retraite, les mutations et affectations perdure. On compte souvent un an d’attente.
Le corps des chefs de service pénitentiaire et celui des premiers surveillants sont lourdement touchés. La revalorisation de l’encadrement est insuffisante, notamment pour les chefs de service pénitentiaire, dont la parité statutaire avec les officiers et les commandants de la police nationale n’est pas assurée. Les CSP sont déconsidérés, dévalorisés, démotivés face au peu de reconnaissance de leur autorité par rapport à leurs fonctions et aux responsabilités exercées. Je rappelle que près de la moitié des établissements est tenue par des chefs de service pénitentiaire.
Les premiers surveillants sont aussi dans une situation très difficile alors qu’ils sont en moyenne 12 heures sur 24 en prise directe avec les événements. Ils ne sont pas suffisamment reconnus en tant que personnel d’encadrement. Il en résulte un phénomène de mimétisme avec les surveillants. Le problème majeur des personnels réside dans la perte de certaines valeurs, telles que le sens du service public et le sentiment d’appartenance à un corps d’Etat sous statut spécial. Cela est dû à la non-reconnaissance des personnels, à la non-valorisation de la profession et à l’absence de considération. La prise en charge d’un personnel de plus en plus jeune confronté aux difficultés d’un métier dur, méconnu et peu reconnu, entraîne une crise identitaire chez les agents. Les mouvements sociaux des années 80 et 90 n’ont rien résolu. Ils ont laissé des ranc_urs, des frustrations et un mal vivre professionnel face aux difficultés de gestion de la population pénale.
On constate, en effet, une augmentation du nombre des détenus présentant des troubles psychiatriques - près de 40 % - qui crée une recrudescence des incidents et l’on déplore au plan national une agression de surveillant par jour. Cela génère des tensions accrues, une insécurité latente, une complexité supplémentaire dans la gestion quotidienne et des dysfonctionnements dans la prise en charge. Les personnes présentant des troubles du comportement, voire des affections psychiatriques, qui refusent d’être hospitalisées dans les services médicaux psychologiques régionaux et pour lesquelles les médecins n’envisagent pas d’hospitalisation d’office, perturbent l’équilibre général des détentions où elles sont maintenues.
L’évolution des mentalités et des m_urs, notamment chez les mineurs et les jeunes adultes, rend le quotidien des surveillants difficile. Insultes, incorrections permanentes, incivilités, absence de références ou de valeurs sont autant de travers décuplés par l’enfermement et le rapport obligé à l’autorité.
L’abandon du projet de création de maisons d’arrêt à vocation régionale pour la gestion des détenus difficiles et au comportement psychiatrique altéré et de maisons centrales à effectif limité pour la gestion des longues peines, avec des moyens élargis en personnel d’encadrement de surveillance et intervenants, n’augure pas d’améliorations prévisibles dans l’ensemble des établissements.
La réforme de la prise en charge sanitaire des détenus, celle des services pénitentiaires d’insertion et de probation sont fondamentales pour l’institution. Il faut donner aux professionnels et spécialistes toute leur place en prison, que ce soit l’Education nationale, les organismes de formation ou les associations.
Nous sommes également partisans d’une plus grande transparence. La prison doit devenir le plus irréprochable possible. Dénoncer ses erreurs et dysfonctionnements la renforcera.
M. Jean-Michel SUEUR : Je suis chef d’établissement depuis décembre 1999 à la maison d’arrêt de Meaux. J’étais auparavant chef de détention à la maison d’arrêt de la Santé. Je suis entré dans l’administration en 1976.
Au-delà des propos de mes collègues, que je partage, je souhaite simplement dénoncer les conditions d’hébergement des détenus à la maison d’arrêt de Meaux. Le taux d’occupation atteint 264 %. L’on compte 50 cellules pour 140 détenus en moyenne, soit actuellement 9 m ? pour trois détenus, avec toutes les difficultés que cela implique. J’attends avec impatience l’ouverture du nouveau centre prévu en 2003.
M. le Président : Comment pouvez-vous organiser, dans les conditions que vous décrivez, le minimum de vie collective ? Comment se déroule dans votre établissement la journée d’un détenu ?
M. Jean-Michel SUEUR : Elle se compose principalement d’enfermement, puisque l’absence de terrain de sport et le peu de cours de promenade dont nous disposons n’autorisent à l’ensemble des détenus qu’une heure de sortie le matin et une autre l’après-midi. Ceci n’est pas sans conséquence car l’ensemble des détenus se trouve réuni, quels que soient leurs délits, à l’exception des délits de m_urs dont la séparation d’avec les autres crée beaucoup de difficultés. L’occupation principale consiste dans le travail en cellule, confection de petites pièces mécaniques, ce qui n’est pas sans poser de problème tant ils sont décalés de la réalité : ils travaillent la nuit et pour la plupart dorment le jour.
M. le Président : Nous avons entendu avec intérêt vos propos sur les conditions de travail et la carrière des surveillants. Nous avons entendu déjà les représentations syndicales et nous rencontrons toujours les syndicats et les personnels lors de nos visites. Nous nous préoccupons autant des conditions de travail que des conditions de détention ; nous savons que les deux sont liées. A Privas, comment se déroule la journée d’un détenu ?
M. Claude LOPEZ : A Privas, les actions de formation et de réinsertion emploient environ 80 % de la population pénale. Nous avons des ateliers où quinze à vingt détenus travaillent pour des concessionnaires à la confection de cordes, de longes à chevaux et de trapèzes. Douze détenus sont en chantier école dans le secteur du bâtiment. Six à dix détenus sont en semi-liberté, deux sont sur des chantiers extérieurs et une dizaine est employée au service général.
M. le Président : Quel est le temps passé par les détenus dans leur cellule ?
M. Claude LOPEZ : Les détenus sont en cellule entre midi et deux heures et après dix-neuf heures. Le matin, ils sont tous employés au travail, en formation, au groupe scolaire ou au service général, dès 8 heures 30 jusqu’à 11 heures 30. Ils ressortiront de 14 heures à 17 heures 30. Il existe aussi des activités sportives ou culturelles. Nous avons réalisé une salle de sport, mais nous n’avons pas de terrain de football.
M. le Président : Prévenus et condamnés sont-ils mêlés ?
M. Claude LOPEZ : Oui. L’effectif moyen annuel est de 70 détenus. En juillet, avant les grâces présidentielles, nous comptions 87 détenus.
M. le Président : Les condamnés ont-ils la possibilité de téléphoner à leur famille ?
M. Claude LOPEZ : Non.
M. le Président : Dans quels délais s’effectuent les transferts des condamnés à de longues peines ?
M. Claude LOPEZ : Pour une longue peine, le délai qui s’écoule entre le moment où le détenu arrive et la date de son transfert, est de près de trois ans.
Le détenu n’est jugé qu’au bout d’un ou deux ans. Il peut ensuite déposer un pourvoi en cassation qui prendra sept ou huit mois de plus. Après, nous établissons une notice d’orientation ce qui suppose environ trois mois, dans la mesure où les avis de tous les partenaires sont nécessaires. La notice est transmise à la direction régionale puis au ministère. L’affectation revient du ministère après six ou huit mois. Une fois l’affectation acquise, le détenu ne partira que lorsque l’effectif de la maison centrale où il est affecté le permettra.
Actuellement, la maison d’arrêt de Privas compte un détenu condamné à 25 ans, d’autres à 10 ou 12 ans. Ils attendront au minimum trois ans.
M. le Rapporteur : Mesdames, messieurs, je vous remercie de nous avoir livré vos témoignages en tant que professionnels, mais aussi de nous avoir fait part de votre sentiment. Cette commission va s’efforcer de formuler des propositions pour apporter les améliorations nécessaires. Vous avez précisé que cela ne signifiait pas seulement l’amélioration du sort des détenus, mais aussi de celui de tous ceux qui y travaillent. Il est vrai que l’un ne va pas sans l’autre. Mais, dans la plupart des cas, vous décrivez des lieux d’un archaïsme certain dans lesquels effectivement les lois resteront lettre morte, faute d’une amélioration des conditions matérielles.
Comment traitez-vous le problème du caïdat ? On en parle très peu et les réponses obtenues lors de nos visites manquent de précision. On nous explique que le phénomène se serait atténué, mais les anciens détenus ou les personnes qui participent à la vie carcérale, tout en y étant extérieures, révèlent la réalité du phénomène.
M. Jean-Louis DAUMAS : Pour répondre à cette question délicate, il faut rappeler en préalable une évidence. Ce qui est désigné sous le terme de "caïdat" renvoie, hélas, aux comportements similaires en milieu libre, à l’école, dans les cités, où, pour des raisons diverses, les rapports de violence sont devenus omniprésents. Sans cette précision, l’on pourrait imaginer que l’institution même et la privation de liberté généreraient à elles seules ce comportement de caïdat. Ce n’est sûrement pas la privation de liberté qui s’avère intrinsèquement criminogène. Ce sont les conditions de mise en _uvre de la sanction pénale et de la privation de liberté qui rendent la détention criminogène. Dès lors, l’on retombe sur le même problème, celui du surencombrement.
Pour lutter contre le " caïdat ", notre institution et ses professionnels se doivent de rappeler inlassablement la loi, c’est-à-dire valoriser ce socle de valeurs communes que la République se donne pour que l’on puisse vivre ensemble, a minima, dans le respect des cultures, des différences d’âges ou d’opinions. C’est ainsi que nous agissons au quotidien en rencontrant et en écoutant les gens, en dénouant les tensions portées à notre connaissance par les surveillants qui en ont le temps. Dans certaines maisons d’arrêt urbaines, un surveillant est responsable de 130 personnes détenues. Il ne peut, dès lors, rendre compte des rapports de force entre une ou deux personnes au-delà de la perception des tensions collectives.
Cette question nous est inlassablement posée. En milieu libre, des comportements voisins existent, auxquels d’ailleurs il ne faut pas se résigner. Il ne faut donc pas stigmatiser ces comportements en détention.
Ne pas les admettre suppose qu’en détention, les personnes aient accès au droit. Le chef d’établissement, l’équipe pénitentiaire, par les techniques dont ils disposent - les audiences, l’observation, l’accès au personnel disponible, la relation - doivent savoir le prévenir. C’est le c_ur du métier. Le surveillant est un généraliste de la relation humaine ; encore faut-il qu’il puisse l’exercer.
M. le Président : Cela est tout à fait vrai, mais le caïdat, dans un milieu clos et restreint, revêt des formes plus rudes qu’à l’extérieur.
M. Jean-Louis DAUMAS : Les élus en charge de collectivités locales n’ont de cesse de réinjecter de l’humain et du lien social dans les quartiers où ils constatent la montée de la violence et la difficulté de nouer des liens sociaux. En milieu fermé, cette formule, à la base même des relations sociales, doit aussi s’appliquer. Il faut réinjecter de l’humain dans les prisons, ce qui suppose de revoir le taux d’encadrement.
Le taux d’encadrement se situe à l’exacte moyenne des administrations européennes. Nous ne sommes ni les plus mauvais ni les meilleurs. Je m’inscris toutefois en faux contre certaines plaquettes diffusées par l’administration pénitentiaire. Il n’y a pas 30 surveillants pour 100 détenus, ce sont là les résultats de la division trop simple des 52 000 détenus par 20 000 surveillants. C’est sur le terrain, à un moment donné, que le décompte doit être fait. A Loos-lès-Lille, au quatrième étage de la section D, un seul surveillant a en charge 130 détenus !
M. Hervé MORIN : Nous avons acquis le sentiment, à partir des quelques visites et contacts que nous pouvons avoir, qu’en raison d’une présence accrue du personnel, les conditions de détention sont meilleures dans les petits établissements. Confirmez-vous ce sentiment ?
Je suis très choqué que l’on n’oblige pas les détenus à une vie structurée. Ils n’exécutent pas tous de longues peines. Aussi est-il curieux qu’on ne leur apprenne pas à se lever le matin, à faire leur lit ou tout autre geste de la vie quotidienne.
Par ailleurs, il faut admettre que les très longues peines sont prononcées pour des faits d’une extrême gravité, sans inverser les rôles. Il est somme toute nécessaire que la société traite, par l’exclusion, la question des personnes extrêmement dangereuses.
Quel est l’emploi du temps en détention le week-end ? La longueur des soirées est un élément lié à l’absence de personnel et, dès 17 heures 30-18 heures, les détenus sont en cellules. La situation est plus choquante encore le week-end, dans la mesure où, du samedi midi au lundi matin, il ne se passe plus rien. Que préconiseriez-vous en la matière ?
Enfin, il ne faut pas perdre de vue que la prison n’est que le concentré des difficultés de notre société. Nous ne pouvons pas demander à la prison de réussir là où tous ont échoué : l’éducation nationale, la famille... Assigner à l’administration pénitentiaire une mission fondamentale de réinsertion des détenus semble tout à fait surréaliste, dans la mesure où elle reçoit des personnes qui sont déjà passées au travers des mailles de différents filets.
M. Georges VIN : Bien entendu, les problématiques sont tout à fait différentes dans un petit ou dans un grand établissement. Il est clair que l’observation est l’une de nos forces pour traiter plusieurs questions - celles du caïdat ou du racket notamment. Nous sommes confrontés à la loi du silence que les détenus reproduisent de l’extérieur à l’intérieur et il est vrai que les victimes de rackets, d’abus ou d’humiliations sont peu enclines à venir le signaler. Le rôle du personnel de surveillance s’avère donc fondamental. Très souvent, les anomalies sont relevées par l’agent en service de jour. Il peut signaler des changements de comportement ou d’autres, intervenus dans le paquetage du détenu, dans ses effets vestimentaires, etc. Or il est vrai que cette mission, si elle n’est pas abandonnée dans les grands établissements, y est extrêmement difficile à mener. Dans les grands établissements, on compte, à un moment donné, un surveillant pour cent détenus. Aux Baumettes, un seul surveillant peut même couvrir deux ailes. Cela représente, sur une longueur de 200 mètres, 130 ou 150 détenus à gérer !
Dès le matin, le surveillant procède à une première ouverture des cellules et à l’appel des effectifs. Il fait sortir ensuite les détenus devant être extraits au palais, ceux allant en audience ou en promenade, les malades en consultation. Il passe dans les cellules pour opérer un certain nombre de contrôles réglementaires. Il répond aux sollicitations de plus en plus nombreuses des détenus qui ne sortent pas. Dans un tel contexte, l’observation des modifications du comportement relève de la gageure. Notre force de frappe principale pour la surveillance et l’insertion réside dans le personnel de surveillance. Je n’emploie pas le mot "réinsertion", car nous avons affaire à une frange de population qui, lors de son arrivée, n’est aucunement insérée. L’observation est particulièrement difficile dans les maisons d’arrêt. La situation s’est améliorée et se pose en des termes différents dans les établissements pour peines. En matière de préparation à la sortie, l’on peut cependant engager certaines actions en maison d’arrêt même si, majoritairement, le séjour en maison d’arrêt est très court : la moyenne de séjour d’un prévenu en établissement est de cinq mois. Durant cette période, le détenu est davantage centré sur ses rapports avec son avocat et le juge d’instruction que sur un projet de sortie. Des efforts ont toutefois été réalisés et peuvent s’amplifier, notamment en donnant aux détenus les moyens dont ils étaient dépourvus à leur arrivée. Il est vrai que l’on peut mettre l’accent sur les formations professionnelles ou scolaires, ou encore sur le travail pénitentiaire, pour peu qu’il soit qualifiant et rémunérateur.
Des progrès ont été faits dans le repérage des détenus qui connaissent de graves difficultés de santé. C’est souvent en prison que des problèmes de dentition sont réglés, que l’on opère le suivi des vaccinations ou des dépistages qui n’avaient pas été faits à l’extérieur. Le concours de l’équipe pluridisciplinaire peut permettre tout de même d’améliorer les choses. Plus le séjour est long, plus on peut agir, même si la difficulté à agir avec des détenus dont le séjour dépasse largement quinze ans a été rappelée.
La prison, même si elle s’est largement ouverte sur l’extérieur, même si interviennent de plus en plus d’équipes pluridisciplinaires d’autres administrations, restera toujours, par définition, un milieu artificiel. Le rythme de vie, pour ne parler que de lui, restera nécessairement très éloigné de celui de l’extérieur même si pour déstructurer le moins possible, nous nous efforçons de faire en sorte que la journée du détenu se rapproche au mieux de celle des personnes libres.
Pour le week-end, il faut distinguer le samedi du dimanche ou des jours fériés en raison des parloirs. Mais, de manière générale, hormis les visites, le week-end est une période assez passive, pour ne pas dire morte. Il n’y a que peu d’activités, excepté sportives. La majorité du temps se passe en cellule et en cour de promenade pour des raisons essentiellement liées à un manque de moyens humains, puisque le taux de couverture du personnel, dont on sait déjà ce qu’il est en semaine, se trouve considérablement réduit le week-end.
En maison d’arrêt, la journée du détenu s’arrête vers 17 heures 30. La distribution du repas s’effectue vers 18 heures et, à partir de 18 heures 15, il n’y a plus d’ouverture de cellules, hormis pour les interventions d’urgence ou en cas d’appels particuliers.
En établissement pour peines, la journée est plus longue. Elle s’arrête néanmoins vers 19 heures au plus tard, puisque le service de nuit se met en place à 20 heures. Une réflexion avait été ouverte avec la création d’un groupe de travail sur le thème de la journée de détention. Que peut-on faire au cours d’une journée ? Ne faut-il pas diminuer le service de nuit pour que la fin de journée intervienne vers 22 heures ? Je considère que ce serait souhaitable dans un certain type d’établissements.
Mme Valérie DECROIX : Parler des longues peines et de la réinsertion possible des intéressés soulève des questions. Je faisais référence aux quelques personnes incarcérées à Ensisheim, condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de trente ans. Ces incarcérations font suite à des faits particulièrement monstrueux. L’un d’eux est du reste à l’origine du vote de la loi. Je sais que les faits commis sont souvent insoutenables, ce qui engendre d’ailleurs des difficultés d’intégration à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire de la part tant de la population pénale que du personnel à qui il est parfois difficile de n’être que " professionnel ".
Nous sommes au début de l’application des premières périodes d’exclusion aussi longues. Comment gérer au quotidien des personnes qui n’ont pas de perspectives d’aménagement de peines, ni de possibilités de sortie pendant au minimum trente ans ? La prison n’est pas forcément préparée à une telle situation et je regrette l’absence de débat autour de cette question. Même si l’administration pénitentiaire est une administration d’exécution, elle est intéressée au premier chef par l’accompagnement de ces personnes. Quand notre pays a décidé l’abolition de la peine de mort, les Français étaient également prêts à accepter, du moins je l’espère, de ne pas exclure définitivement certains de leurs concitoyens. La prison devrait avoir pour vocation d’opérer une prise en charge, quelle que soit la gravité des faits commis. Les personnes condamnées à ces peines sont souvent des délinquants sexuels. Pour donner du sens à l’emprisonnement, une loi a été votée sur le traitement et la prise en charge des délinquants sexuels. Or en France, il n’y a aucun ou très peu de moyens. Les interventions psychiatriques, psychologiques ont été très peu renforcées et les psychothérapeutes sont peu nombreux. Ces détenus nécessitent une prise en charge particulière, d’autant qu’ils sont rejetés par les autres personnes incarcérées et mis au ban de la vie sociale, à l’intérieur même du milieu carcéral. Ils vivent un isolement de fait compte tenu de l’absence de toutes relations humaines, puisqu’ils provoquent le rejet de leurs pairs ou des personnels.
Quelles que soient les convictions que l’on peut avoir sur "la bonne peine" à imaginer pour ces crimes, nous avons un rôle à jouer - en tout cas, je travaille dans cette administration pour ces raisons - sur l’orientation et le sens à donner à l’incarcération avec l’espoir de rendre meilleures les personnes qui nous ont été confiées. Nous ne sommes pas les seuls à devoir intervenir sur des pathologies lourdes et trop souvent mésestimées dans leur dimension psychiatrique.
M. le Président : M. Morin a évoqué la difficulté à réinsérer certaines personnes. Il serait intéressant de connaître votre point de vue.
Mme Valérie DECROIX : Je ne crois pas que l’insertion procède simplement de l’administration pénitentiaire. La personne incarcérée doit _uvrer en ce sens, car le cheminement est également intérieur. Ce n’est donc pas uniquement une question de moyens, mais souvent de contingences. La réinsertion des personnes dépend beaucoup de l’entourage dont elles peuvent bénéficier et notamment de la possibilité de continuer à entretenir des liens avec ses proches. Il est certain que plus la peine est longue, plus l’entourage se raréfie. Le relais doit alors être assuré par d’autres institutions, des associations, même si ces relations n’ont pas la même chair ou le même c_ur.
Il est délicat de répondre à la question de savoir si certaines personnes ne sont pas réinsérables. S’il s’agit de pronostics négatifs, il est vrai que la dimension psychiatrique complexifie largement les choses. Ces personnes ne peuvent être traitées comme l’ensemble des détenus auxquels nous avons affaire. Il ne faut pas mésestimer la part de plus en plus importante de personnes incarcérées qui, visiblement, souffrent de troubles du comportement importants, vis-à-vis desquelles les personnels se sentent démunis - car nous ne sommes pas formés à leur prise en charge - et vis-à-vis desquelles d’autres personnes incarcérées se trouvent parfois en difficulté, car les relations sont biaisées, les comportements anormaux, atypiques et difficiles à comprendre. Un tel état de fait accroît d’autant la complexité de la vie de la collectivité en détention.
Mme Nicole BRICQ : Mesdames les directrices, messieurs les directeurs, cela fait presque trois mois que nous travaillons et que nous auditionnons tout ce que l’on peut compter de praticiens ou d’observateurs de la vie pénitentiaire. Nous nous sommes donc forgé une certaine idée générale, que nous retrouvons dans vos interventions. Par ailleurs, nous procédons à des visites d’établissement. Nous pouvons donc confronter les propos à la réalité.
Je voudrais vous poser des questions précises sur votre fonction de directeur d’établissement. Nous avons la chance d’avoir un panel assez représentatif - maison d’arrêt, maison centrale, centre de détention, établissement du programme 13 000.
Comment concevez-vous votre rôle auprès des surveillants ? Vous en occupez-vous directement comme animateurs de ressources humaines ou confiez-vous cette tâche au premier surveillant ? J’ai relevé une grande hétérogénéité des manières de diriger un établissement. Ce point me semble essentiel sur le plan des relations humaines, notamment vis-à-vis des personnels surveillants.
Quelles sont vos relations avec votre hiérarchie régionale ? Comment la percevez-vous ? Quelle aide vous apporte-t-elle ? Quelles contraintes vous impose-t-elle ?
Quel est votre rôle dans la vie interne de la prison ? Comment s’organise le travail en prison ? Vous en occupez-vous directement ou le confiez-vous ? Je mets de côté ce qui est en gestion déléguée même si cela pourrait faire partie de la question. Vous occupez-vous également directement de tout ce qui relève du domaine socio-éducatif ou confiez-vous cette tâche au personnel ?
Quelles sont vos relations avec les détenus ? Entretenez-vous avec eux des relations régulières et directes ?
Quelle est votre appréciation du fonctionnement actuel de la délégation de crédits, des critères qui la fondent, car, là aussi, j’ai relevé une grande hétérogénéité entre les établissements, et quelle est votre appréciation de la gestion de ces crédits ? Dans des établissements à finalité identique, j’ai constaté que le montant des crédits attribué variait fortement, de même que la manière dont ils étaient gérés et celle dont on les obtenait. De plus en plus, dans l’administration, on délaisse des critères très arbitraires, parfois absurdes - je considère comme tel celui que l’on m’a indiqué s’agissant des crédits délégués - et, de plus en plus, est développée la notion de projet d’établissement qui permet de développer une vision plus globale de la prison.
M. le Président : Je vous propose à chacun de répondre pour obtenir un panel diversifié de réponses.
Mme Bénédicte MARTIN : Le rôle de directeur vis-à-vis des surveillants est, selon moi, fondamental. Il s’agit d’un rôle de contrôle : vérifier que les textes sont appliqués. Il a également un rôle d’impulsion des projets à mener au sein de l’établissement, car rien ne peut se réaliser sans les surveillants. Sans l’adhésion des personnels, il n’arrivera pas à les mettre en _uvre.
Je perçois ma direction régionale comme un contrôleur - tel, est du reste, son rôle - pouvant également donner des directives. Cette année, la direction régionale nous a fourni des directives très précises sur des orientations à mettre en place dans l’établissement. Elle a également un rôle de conseil sur les problèmes ponctuels qui peuvent se poser.
Dirigeant une prison à gestion mixte, je joue un rôle indirect sur le travail en prison. La gestion de l’insertion relève davantage des services départementaux de l’insertion, mais il me semble que le directeur doit conserver une vision globale du fonctionnement de l’établissement et ne pas hésiter à intervenir dès lors qu’il perçoit des défaillances, qu’il s’agisse de l’insertion, du travail ou de la formation professionnelle. Là encore, il doit impulser et vérifier qu’il existe des projets et des perspectives d’évolution dans les différents secteurs.
Les relations avec les détenus constituent une partie fondamentale de mon travail. Elles caractérisent, à mon sens, le travail de directeur de prison. J’entretiens des contacts directs avec les détenus, même si ce n’est pas assez à mon goût, car nous sommes pris par beaucoup de tâches administratives. J’essaye de passer au moins une fois par semaine, dans tous les secteurs de la détention. A cette occasion, des détenus peuvent m’interpeller au hasard des couloirs. Je réponds également à des demandes d’audience de détenus qui sollicitent un entretien.
Sur le fonctionnement actuel de la délégation des crédits, une grande disparité existe d’un site à l’autre. Tous les ans, nous formulons des demandes de budget, acceptées ou non par la direction régionale. On ne sait pas toujours quels sont les critères qui font que tel projet sera retenu plutôt que tel autre. L’une des difficultés réside dans le principe de l’annualité budgétaire : nous recevons les crédits au mois d’avril. Nous assurons les crédits de fonctionnement courant, puis, au mois de novembre, nous parvient une enveloppe supplémentaire qu’il faudra dépenser en trois semaines, car il nous faut rendre les comptes fin décembre. Cela ne facilite pas une gestion sereine et planifiée des crédits, car, finalement, on ne sait jamais ce que l’on va recevoir ni à quel moment.
Mme Valérie DECROIX : Le personnel de direction a un rôle de conseil et d’orientation à jouer auprès des personnels de surveillance, sachant, pour mettre le point sur une problématique particulière à laquelle je suis actuellement confrontée, que ma préoccupation première est de donner des repères à de très jeunes fonctionnaires. Au cours de l’année 1999, la maison centrale d’Ensisheim a accueilli trente-cinq surveillants stagiaires. Agés d’une vingtaine d’années, il s’agit de leur première expérience professionnelle alors qu’ils se trouvent affectés dans une maison centrale, un établissement pénitentiaire à vocation sécuritaire, où parfois des difficultés d’ordre disciplinaire sont à gérer. Ils sont donc confrontés à une première expérience professionnelle très difficile, sans préparation adaptée de l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire.
La proximité avec les personnels de surveillance est essentielle et doit être menée parallèlement avec l’équipe d’encadrement.
J’ai le sentiment que les directions régionales sont quelque peu prises entre les situations du terrain et l’administration centrale. Mais cet échelon intermédiaire ne joue peut-être pas suffisamment son rôle en termes de prise d’initiatives. Elle n’est pas suffisamment audacieuse alors même qu’elle bénéficie, par sa proximité, d’une grande connaissance des établissements de son ressort. Cependant, les choses évoluent. Les situations sont très différentes d’une direction régionale à une autre et sont également très dépendantes de la personnalité du directeur régional qui la dirige.
L’organisation du travail pénitentiaire en établissement pour peines constitue souvent un des axes importants de la vie en détention. Nous disposons à Ensisheim d’une centaine de postes en ateliers de concession. C’est une tradition dans l’établissement que d’essayer d’assurer le plein emploi. Actuellement, 75 à 80 % des détenus sont employés au sein de l’établissement. L’organisation est confiée au directeur adjoint. Les décisions importantes sont prises de façon collégiale, c’est-à-dire en y associant un chef de service pénitentiaire, responsable des ateliers, et les six surveillants qui travaillent à l’encadrement de chacune des activités développées dans les ateliers de concession.
Les relations avec les personnes incarcérées forment également le c_ur du travail de l’ensemble des personnels pénitentiaires. Les détenus, notamment en établissement pour peine, souhaitent fréquemment obtenir des audiences avec les différents interlocuteurs et le directeur n’est jamais oublié ! J’ai le sentiment qu’assurant les fonctions de sous-directrice, je disposais de plus de temps à consacrer à la détention qu’aujourd’hui en qualité de chef d’établissement. Je le vis comme une frustration compte tenu d’un emploi du temps de plus en plus encombré par des tracas administratifs, des réunions ou des problèmes, parfois éloignés de la vie quotidienne en détention. Il n’en reste pas moins que j’accorde souvent des audiences aux détenus, au moins une à deux fois par semaine sur des questions parfois déjà soulevées avec d’autres interlocuteurs.
En matière de délégation de crédits, la complexité caractérise les différents critères qui président à la répartition budgétaire d’un établissement à l’autre. Le budget de mon établissement est quasiment constant depuis dix ans alors que les réalités d’aujourd’hui ne sont pas celles d’alors. Je partage l’idée que vous avez émise sur la nécessité d’un projet d’établissement. Peut-être n’est-il pas encore suffisamment présent dans la culture de notre administration, mais il est également de notre responsabilité que de savoir inscrire nos demandes dans un schéma directeur et dans la perspective dans laquelle nous voulons que l’établissement s’inscrive à court, à moyen et à long terme. Il s’agit pour nous d’être cohérents par rapport à l’ensemble des demandes formulées.
Mme Christine Boutin, Secrétaire de la commission d’enquête, remplace M. Louis Mermaz au fauteuil de la présidence.
M. Georges VIN : La taille, la structure des Baumettes, le nombre de personnels et de détenus en cause, expliquent que son mode de management et de direction soit sensiblement différent. En effet, le directeur y a davantage un rôle de coordination, d’animation et de contrôle, plutôt que de contacts directs avec la population pénale ou avec le personnel de surveillance.
Toutefois, la gestion du personnel, le suivi et l’encadrement de situations collectives ou privées, revêtent une dimension grandissante. On a coutume de dire que le personnel pose plus de problèmes que les détenus. Le taux de renouvellement du personnel a été extrêmement rapide. Les personnes recrutées sont plus jeunes, ont un niveau d’études plus élevé, mais n’ont pas d’expérience professionnelle antérieure. Des dispositifs doivent être mis en place.
Je ne délègue pas au niveau de l’établissement le suivi du climat social. Je le gère directement par les relations avec les organisations syndicales, mais aussi, à travers des organes institutionnels, telles les commissions de logement ou les comités d’hygiène ou de sécurité spéciaux actuellement en place. Je regrette l’annulation de la disposition sur les conseils d’établissement, lesquels, quoi que l’on ait pu en dire, fonctionnaient bien en certains endroits. Ils donnaient au chef d’établissement, notamment dans une structure comme les Baumettes, la possibilité, non pas d’avoir un contact direct avec les sept cents membres du personnel, mais avec des personnes mandatées chargées de rapporter les difficultés. Un travail intéressant pouvait y être réalisé. Je regrette que l’on soit revenu en arrière, même si, localement, des réunions sont toujours menées avec l’ensemble des organisations
On a déconcentré aux directions régionales un certain nombre de problèmes plutôt que de leur donner un véritable pouvoir décentralisé. Les directions régionales sont un intermédiaire obligé, mais n’ont pas les moyens de répondre concrètement à notre attente, notamment en matière de gestion des effectifs. Elles ne peuvent que jouer le rôle de courroie de transmission et de mise en exergue de nos problèmes.
L’équipe de direction des Baumettes est assez développée, on compte un directeur par bâtiment et un directeur adjoint. Chaque directeur, outre un certain nombre de dossiers transversaux traités en liaison avec le chef d’établissement, reçoit délégation de gérer son bâtiment.
Nous mettons en _uvre la réforme des services pénitentiaires d’insertion et de probation. Elle se réalise en liaison directe avec les nouveaux interlocuteurs que sont les directions départementales de ces services. Ce sont des enjeux politiques majeurs auxquels les chefs d’établissement ne peuvent se soustraire.
Il y a environ 1 700 détenus aux Baumettes. Je reçois les personnes qui le demandent et je suis particulièrement un certain nombre de dossiers à problèmes. L’ensemble des relations avec les détenus est géré de façon déléguée, mais tout dépend, bien sûr, de la portée de la délégation et du contrôle exercé. Au travers des rapports quasiment quotidiens avec des équipes pluridisciplinaires plus ou moins larges, l’ensemble des difficultés remonte jusqu’au niveau du directeur adjoint et au mien.
Les critères de répartition des crédits de fonctionnement n’ont pas changé depuis des années. Ils sont largement obsolètes. Comment peut-on appliquer de façon uniforme le critère de la journée de détention ?
Mme Nicole BRICQ : Il est préférable que la prison soit surpeuplée.
M. Georges VIN : En effet. Les maisons centrales relèvent d’une autre logique. Elles sont sous-peuplées comparées aux maisons d’arrêt et sont moins bien loties alors que les politiques qui seront mises en place et par conséquent, leurs impacts financiers seront différents. Une importante réflexion sur les budgets de fonctionnement est donc souhaitable.
En ce qui concerne les projets d’établissement, la situation s’est considérablement améliorée. Tous les ans, nous pouvons formuler un certain nombre de demandes par l’intermédiaire des programmes régionaux, mais aussi des budgets complémentaires qui constituent un plus par rapport au budget de fonctionnement. C’est par ce biais que nous pouvons faire porter l’accent sur des actions de prévention de la santé, sur des dispositifs de formation professionnelle ou bien visant à une meilleure hygiène. C’est ainsi que nous pouvons avoir une action personnelle, localisée et individualisée.
Notre action est encadrée par les directives du garde des sceaux - c’est bien normal -, par la direction de l’administration pénitentiaire et par les directions régionales qui envoient des lettres d’orientation locale spécifiques, où des points sont mis en exergue. Elles constituent en quelque sorte le carnet de route annuel du chef d’établissement.
De plus en plus, les chefs d’établissement, en dehors de leur rôle de coordination, d’animation et de direction de l’établissement, ont un rôle de représentation à l’extérieur. Nous sommes de plus en plus appelés, ce qui est positif, à participer à des réunions où nous rencontrons des interlocuteurs qui jouent un rôle direct ou indirect dans la prison. Nous avons aussi un rôle de communication auprès des médias, rôle plus ou moins variable. En effet, à certains moments, nous avons une délégation générale, à d’autres moments aucune, à d’autres encore nous disposons de délégations plus réduites. Ces dimensions ont tendance à être de plus en plus présentes dans le travail des chefs d’établissement.
M. Jean-Louis DAUMAS : Le rôle du chef d’établissement auprès des surveillants passe par une fonction de contrôle, qui s’exerce quotidiennement. Nous consultons des documents, de nombreux documents papiers que nous visons. Nous nous informons de ce qui s’est passé la journée et la nuit précédentes. La fonction de contrôle ne doit donc pas être négligée. Mais il nous incombe surtout une fonction d’animation. A mon sens, le directeur d’une prison est quelqu’un qui doit avoir une grande capacité à animer et à laisser vivre professionnellement les personnels en leur donnant une réelle autonomie, quelle que soit la taille de l’établissement car cette mission peut s’exercer selon des modalités très différentes.
Les relations avec la hiérarchie régionale vont du pire au meilleur. Je dois dire que j’ai surtout connu le pire, c’est-à-dire un contrôle pesant, tâtillon, par des personnes qui furent souvent de bons chefs d’établissements, mais qui n’ont absolument pas les qualités requises pour être des " managers " régionaux, c’est-à-dire des personnes qui mettent en _uvre des politiques publiques à un échelon déconcentré régional. J’ai rarement connu le meilleur et souvent le pire, sous forme de pressions, par exemple, lorsque l’on est confronté à l’événement. C’est peu le cas actuellement à Caen, mais j’y ai été confronté lorsque j’ai dirigé une maison d’arrêt urbaine terrible, celle de Loos-lès-Lille : le pire est le rôle éminemment réactif de l’échelon régional dès lors que le drame se produit en prison. On presse alors l’établissement pour se dédouaner auprès de l’administration centrale. J’en garde un assez mauvais souvenir.
Sur l’organisation du travail pénitentiaire comme sur d’autres aspects de la vie quotidienne, on hérite souvent d’une situation : les entreprises concessionnaires sont déjà là et on doit négocier la quantité de travail proposé, les tarifs et la rémunération des personnes détenues. Cela ne me satisfait pas. Dans la plupart des cas, les rémunérations sont insuffisantes. Dans l’établissement que je dirige, le travail pénitentiaire est suivi par le directeur adjoint. Or le poste est vacant depuis le 14 janvier ! Je traite donc mal cet aspect des choses, puisque mon collaborateur, chargé de ce suivi, n’est pas remplacé.
En établissement pour peine, on dispose de plus de temps qu’en maison d’arrêt pour entretenir des relations avec les personnes détenues. A Caen, je rencontre les détenus sur deux créneaux horaires : d’abord, le matin, où j’étudie à fond un secteur de la détention ; Ensuite, je reçois en rendez-vous les détenus qui me l’ont demandé, tous les soirs, de seize heures trente à dix-huit heures. Ils sont entre trois et dix, plus quelques rendez-vous ajoutés, après dix-sept heures trente, car des personnes demandent à être reçues en urgence. C’est une formule que je pratique chaque jour. A Loos-lès-Lille, une telle organisation eût été impossible. Cette fonction était assurée par les directeurs adjoints. J’ai souhaité revenir en établissement pour peines un peu pour cette raison : on peut rencontrer les détenus tous les jours pour peu que l’on s’en donne les moyens.
La répartition sur la base du critère des journées de détention n’est pas satisfaisante. Mais il existe, selon l’échelon régional avec lequel on travaille, une possibilité de négociation et de contractualisation sur des projets. Là aussi, le pire et le meilleur se côtoient. Soit la règle mathématique absurde de la " journée de détention " prévaut et empêche toute marge de man_uvre. Soit la possibilité d’une conférence budgétaire régionale est ouverte, qui donne lieu à la présentation d’un projet et à une négociation avec le directeur régional avec explication du projet. C’est une bonne chose.
M. Jean-Michel SUEUR : La maison d’arrêt de Meaux emploie trente-cinq surveillants, soit en moyenne sept par jour au travail. Le rôle d’encadrement pour les premiers surveillants réside principalement dans des charges administratives comme le greffe ou la comptabilité, ce qui leur laisse peu de temps pour encadrer le personnel.
En général, quatre agents s’occupent uniquement de gérer la détention. Le chef de la détention reçoit les détenus et est chargé de l’encadrement du personnel.
Dans la mesure où la maison d’arrêt de Meaux est un établissement non autonome, toutes les décisions sont prises au niveau régional, c’est-à-dire que tout projet est soumis à contrôle et à autorisation du directeur régional.
L’année dernière, 477 détenus sont entrés à la maison d’arrêt de Meaux, soit 1,3 détenu par jour, ce qui, en matière d’insertion et de réinsertion, empêche tout travail. Nous nous limitons à désencombrer la maison d’arrêt. Il n’est pas une semaine sans qu’ait lieu un transfert de désencombrement de personnes condamnées, celles pour lesquelles on pourrait éventuellement parler de réinsertion. Nous les transférons sur des maisons d’arrêt, telles que Fleury-Mérogis ou Osny depuis quelque temps.
Je passe tous les jours en détention ; je réponds à la demande, mais les détenus sont principalement reçus par mon collaborateur, chef de détention, mieux à même de répondre aux questions, qui, du reste, sont toujours les mêmes : demande de travail, contacts avec la famille, soucis de la vie quotidienne.
M. Claude LOPEZ : Dans les petites maisons d’arrêt, il en va autrement que dans les grandes maisons d’arrêts ou dans les établissements pour peines. Le chef d’établissement passe trois ou quatre heures par jour en détention. Nous sommes donc proches des personnels. La maison d’arrêt de Privas compte 23 surveillants, quatre étant en service dans la journée. Sur un effectif de 65 détenus, quasiment tous travaillent dans la journée. Nous les voyons régulièrement.
Comme l’ont souligné mes collègues, je pense que la direction régionale sert de fusible à l’administration centrale. Elle ne peut toujours répondre efficacement et pare au plus pressé. La déconcentration des emplois se traduit ainsi : si, dans une direction régionale il manque 80 surveillants, un état est envoyé à l’administration centrale, laquelle répond que seulement 22 surveillants seront affectés. Ces surveillants sont ensuite répartis dans les établissements selon le souhait de la direction régionale. Nous ne maîtrisons rien. Il en va de même des crédits. La direction régionale nous aide, nous conseille, nous dirige, mais elle ne dispose pas de l’ensemble des éléments nécessaires pour répondre aux chefs d’établissement.
Comme l’ont souligné mes collègues, plus la maison d’arrêt compte de détenus, plus le montant des crédits alloués est élevé. Depuis 1992, 80 % des petites maisons d’arrêt de la direction régionale de Lyon disposent d’un budget global. Depuis 1992, ces budgets n’ont pas évolué.
Si l’établissement souhaite mener des actions et disposer à cette fin de mesures nouvelles, il présente un dossier qu’il transmet à la direction régionale qui l’accepte ou le refuse. Tous les établissements transmettant un dossier, l’un obtiendra des crédits pour financer une action du domaine socio-éducatif alors qu’un autre n’obtiendra rien.
Mme la Présidente : Je pense que nous sommes tous d’accord pour dire que c’est aberrant.
M. Claude LOPEZ : Le budget pour l’alimentation est de 18 francs par jour. Il faut, avec cette somme, préparer le petit-déjeuner, le déjeuner et le dîner. J’ai été économe de la maison d’arrêt de Nîmes qui comptait 400 détenus, il était alors possible de négocier les prix avec les commerçants. A Privas, depuis des années, nous achetons dans le commerce local au prix fort. Fort heureusement, pour 2000, des marchés régionaux sont mis en place. Mais il n’empêche pas moins que 18 francs par jour sont insuffisants à mon sens.
Par ailleurs, il faut savoir que 50 % des établissements n’ont pas de personnels techniques. Aux cuisines, il n’y a que des détenus livrés à eux-mêmes. Si vous ne trouvez pas de détenus qui savent plus ou moins cuisiner, vous imaginez ce que cela peut donner !
Nous n’avons pas non plus de personnels techniques d’entretien. Lorsque surviennent des problèmes d’entretien des bâtiments, on demande à un détenu de procéder à la réparation. C’est aberrant.
Nous n’avons pas évoqué un sujet grave qui est celui des services de nuit dans les petits établissements, où il n’y a pas de gradé présent. Les clefs sont enfermées dans un coffre. C’est un problème grave qui engage la responsabilité pénale des chefs d’établissement. Le procureur de Privas m’a déjà demandé de lui décrire par écrit le fonctionnement du service de nuit.
M. le Rapporteur : Il vient parfois vous voir ?
M. Claude LOPEZ : Oui. Si un surveillant détecte un incident, par exemple une personne qui se pend, vingt-cinq minutes sont nécessaires. La famille porte plainte, les avocats, les associations interviennent et on se retrouve mis en examen.
Mme Yvette BENAYOUN-NAKACHE : Je vous remercie du courage qui vous anime, en qualité de directeurs, pour diriger vos établissements.
Quelle est votre motivation profonde et qu’est-ce qui vous permet de toujours aller de l’avant dans les conditions que vous décrivez ?
Que pensez-vous de la séparation des enfants de leurs mères à l’âge de dix-huit mois ?
Que pensez-vous de la pratique sportive en prison ? Est-elle suffisante et demandée ? Pensez-vous qu’un accroissement des infrastructures sportives serait nécessaire ? S’agit-il pour les détenus d’un facteur important et est-il à développer de façon intensive ?
Mme Bénédicte MARTIN : Le problème des enfants en prison avec leur mère est extrêmement douloureux. La question n’est pas tant celle de l’âge de la séparation que celle, primordiale, de la préparation à la séparation. Il est absolument nécessaire de l’étaler dans le temps pour faire en sorte que l’enfant qui vit quasiment un temps fusionnel avec sa mère jusqu’à dix-huit mois ne se retrouve pas, du jour au lendemain, complètement séparé d’elle. C’est un projet sur lequel nous avions travaillé notamment à Rennes, mais je crois que l’on y travaille partout. Un travail en continu est mené avec les services sociaux pour que le temps de séparation soit échelonné et bascule progressivement d’un jour, d’un week-end jusqu’à la séparation avec, toujours, des moments de retrouvaille avec la mère.
On dit souvent que les pères ont les mêmes difficultés que les mères. Je n’en suis pas certaine. L’impossibilité pour certaines femmes de voir leur enfant qui habitait en province provoquait des situations extrêmement douloureuses. Une réflexion est à mener.
Les équipements sportifs sont très inégaux d’un établissement à l’autre. Le sport est un facteur d’équilibre pour certains détenus, qui les fréquentent tous les jours. C’est un moyen de décompenser, de se détendre et d’échapper au poids de la détention. Les installations sportives ne sont pas suffisantes. La politique de développement des installations sportives avec les gymnases "euronef" s’est interrompue il y a quelques années. C’est dommage, car c’était là l’occasion de mettre en place des structures conformes à ce que l’on trouve à l’extérieur et qui offraient davantage de possibilités aux détenus.
Mme la Présidente : Je m’associe aux remerciements des parlementaires pour le travail que vous effectuez et pour temps passé à nous livrer des explications. Les questions de Mme Bricq, notamment, nous ont permis de percevoir l’approche très différenciée des problèmes selon la taille des établissements.
Etes-vous d’accord avec l’idée selon laquelle les nouvelles prisons devraient se situer en ville ?
M. Jean-Louis DAUMAS : Oui, c’est fondamental. Des établissements ont été construits dans des déserts : par exemple, Joux-la-Ville et Villenauxe-la-Grande. Ces établissements à l’écart posent de gros problèmes pour le maintien des liens familiaux et l’organisation des visites. De surcroît, la question de la prison dans la ville devrait conduire à réfléchir sur la signification républicaine de ce type d’établissement. De même que la vie dans la cité est organisée autour de l’école, il faut aussi réfléchir à ces lieux que sont les prisons, car, pour l’heure, la République n’a pas trouvé mieux. Nous aspirons tous, j’imagine, à des villes avec des prisons plus petites, voire pas de prisons du tout. Tant que la cité sera organisée ainsi, on ne pourra en faire l’économie. Autant ne pas construire ces prisons en périphérie. Lorsque la prison de Fresnes a été construite, c’était la périphérie de Paris et puis la ville a rejoint la prison. Il en va de même pour Fleury-Mérogis. A chaque fois que l’on met à l’écart, on recrée des problèmes et l’on exclut un peu plus. Les exemples que j’ai cités sont, de ce point de vue, éclairants.
Mme la Présidente : Je me suis permis de poser la question, car, personnellement, je partage votre analyse, mais j’ai été surprise d’entendre des chefs d’établissement déclarer que cela posait des difficultés, en particulier en raison du bruit occasionné par la prison. Cela dit, je suis contente de vous entendre répondre comme vous venez de le faire.
M. Jean-Louis DAUMAS : La prison est un lieu où l’on vit. Il est d’autres lieux dans la ville qui provoquent du bruit. Des nuisances sonores émanent de certains équipements industriels, de transports aériens, qui sont autrement plus dérangeantes pour les populations. Il existe aussi des méthodes pour diminuer le bruit, pour ramener la paix ; toute l’organisation de la vie dans la prison peut être différente.
M. le Président : Mesdames, messieurs, je vous remercie.
Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr
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