Le nouvel élargissement de l’Union européenne entraînant l’adhésion de dix pays d’un seul coup est une décision admirable par son courage et sa détermination, mais elle ne semble pas avoir été prise en conscience. Aujourd’hui, l’Union européenne paraît avoir peur de son propre courage.
Cet élargissement pose la question des limites de l’intégration européenne et de la détermination des « frontières de l’Europe » . Aujourd’hui, il n’est plus question de savoir comment procéder avec les nouveaux élargissements, mais comment leur faire face, voire les éviter. La question se pose pour la Turquie.
L’élargissement soulève aussi une inquiétude dans l’opinion publique européenne concernant les effets sur l’avenir de la communauté. Cet élargissement est le résultat de la fin de la Guerre froide qui a été obtenu par le soulèvement des peuples des pays entrants. Pour eux, cette adhésion marque la fin de la guerre mondiale avec la mort de Yalta. Toutefois, cette division Est-Ouest repose également sur des siècles d’histoire. Un travail considérable a déjà été mené en vue des adhésions de 2004, mais il faudra tenir compte des rattrapages économiques nécessaires à l’Est pour qu’il se rapproche de l’Ouest et permettre la vraie unification de l’Europe. Il s’agit d’un des plus formidables défis de l’histoire moderne de notre continent.
L’élargissement pose également la question de l’unité politique de l’Europe. l’année 2003 a vu les « nouveaux » membres soutenir les États-Unis en Irak, avec quelques anciens, et c’est à la Pologne (en oubliant l’Espagne) qu’on attribue la responsabilité de l’échec de la constitution européenne. En fait, les Polonais (et les Espagnols) ne sont pas hostiles à une constitution, ils s’opposent simplement à la règle de double vote et veulent rester à la règle fixée par le traité de Nice qui marquait la prudence de l’Europe et de la France vis-à-vis de la puissance allemande. Aujourd’hui, cette nouvelle règle marque la méfiance vis-à-vis des nouveaux entrants.
La Pologne est simplement prudente devant les risques d’hégémonie des « grands » sur les petits. Trop souvent, les « grands » se prononcent pour l’Union européenne sans avoir consulté les petits. Les citoyens des nouveaux pays veulent une Union européenne forte et, tout en se rappelant de l’importance de l’OTAN, ils veulent une armée européenne. Pour cela, nous devons apprendre à nous parler.

Source
Le Monde (France)

« Unité ou divisions de l’Europe ? », par Bronislaw Geremek, Le Monde, 30 janvier 2004. Ce texte est extrait de la conférence annuelle de l’école doctorale de l’Institut d’études politiques de Paris en partenariat avec la fondation Robert Schuman, prononcée le 27 janvier.