Un seuil qualitatif vient d’être franchi dans l’instrumentalisation du martyre juif pour présenter sous un jour avenant l’impérialisme états-unien et le colonialisme israélien. Cette infamie, le mot est pesé, a été malheureusement commise par le Centre Simon Wiesenthal et, de ce fait, porte à de très graves conséquences.

Les tentatives d’instrumentalisation de l’holocauste ne sont certes pas nouvelles. Cependant, en quelques années, deux étapes ont été franchies.
Le département d’État des États-Unis en a déjà fait grand usage pour diffamer ses opposants. Mais il ne maniait cette arme médiatique que contre des personnes, plus ou moins isolées, jamais contre des mouvements populaires jusqu’à ce sanglant 11 septembre 2001 où, franchissant un premier seuil, il l’appliqua à toute remise en cause de sa version des attentats, puis à toute contestation de l’invasion de l’Irak.
La seconde étape aura consisté à ne plus seulement instrumentaliser l’horreur nazie, mais aussi ceux qui l’ont rééllement combattue, tel le Centre Simon Wiesenthal, scellant ainsi la faillite spectaculaire de son honorable et salutaire combat.

Reprenons les faits. Le Centre Simon Wiesenthal accuse d’antisémitisme le président de la République bolivarienne du Venezuela et demande aux États du Mercosur de suspendre le processus d’intégration de son pays dans le marché commun latino-américain tant qu’il n’aura pas présenté d’excuses publiques. L’accusation ne provient pas d’un quelconque journaliste aux ordres, mais d’une honorable insitution, lui confèrant ainsi la plus haute crédibilité.

Or, le président du Venezuela n’est autre qu’Hugo Chavez Frias. Pour beaucoup, il est l’héritier de Simon Bolivar, le « Libertador », qui délivra le continent de l’oppression espagnole. Il est le continuateur du Che Guevarra et de Fidel Castro qui repoussèrent l’impérialisme états-unien. Il est le fils des théologiens de la libération qui voient dans l’Empire états-unien le descendant de l’Empire romain dont le Christ aurait voulu libérer l’humanité. Il est une figure légendaire non seulement aux yeux des Vénézuéliens ou des Latino-Américains, mais pour tous ceux qui luttent contre l’impérialisme et le colonialisme, qu’ils soient Palestiniens, Irakiens, ou autres.

L’accusation d’antisémitisme se nourrit d’une citation tronquée, falsifiée et retirée de son contexte. De sorte que le Centre Simon Wiesenthal attribue mensongérement à Hugo Chavez d’avoir stigmatisé les juifs comme étant un peuple déïcide et s’étant accaparé les richesses du monde, lorsqu’il dénonçait en fait une classe sociale transnationale qui exploite les hommes.

Il y a d’ailleurs quelque chose de ridicule dans l’assertion du Centre Simon Wiesenthal, selon laquelle Hugo Chavez, révolutionnaire habile et avisé, désignerait soudain les juifs comme fauteurs des malheurs du monde en lieu et place de l’impérialisme qu’il n’a cessé de combattre. Et c’est bien dans cette substitution que se situe l’infamie ! Les nazis ne cherchaient pas autre chose en érigeant les juifs en bouc-émissaires : cacher les véritables responsabilités, dédouanner les oppresseurs.

La manœuvre est désormais visible. Elle est d’autant plus répugnante qu’elle est associée à une tentative de sabotage du Mercosur pour pousser le projet d’exploitation impérial, la Zone de libre-échange des Amériques que George W. Bush n’a pu imposer au sommet de Mar del Plata. Et comment le Centre Simon Wiesenthal peut-il apporter un quelconque soutien au président George W. Bush, qui a accepté d’hériter de l’argent du sang amassé par son grand-père, le nazi Prescott Bush, dans l’exploitation de la main d’œuvre servile du camp d’Auschwitz ? [1]

Repositionnons-nous. Israël au regard du seul critère d’appréciation partagé par tous, le droit international, est un État colonialiste car il entretient des colonies, selon ses propres termes, hors de ses frontières internationalement reconnues. Les États-Unis sont impérialistes, car ils ont entrepris une guerre en Irak qualifiée d’« illégale » par le secrétaire général de l’ONU, y maintiennent des troupes et s’en approprient les richesses. Tout homme épris de paix, de justice et de liberté se doit de combattre la politique menée par ces deux États.

User des qualificatifs d’antisémite et de négationniste envers tout opposant à l’impérialisme états-unien et au colonialisme israélien est devenu un procédé commun pour les disqualifier et les exclure du débat public. On l’a vu au plan international avec Nelson Mandela et Mohamad Mahatir. On l’a vu en France avec Thierry Meyssan, Tariq Ramadan et Dieudonné Mbala Mbala, alors même que ce sont leurs détracteurs et non eux-mêmes qui furent condamnés par les tribunaux français.

Avec cette rhétorique, on tente d’enrôler les juifs dans le camp du colonialisme. Ainsi donc leur religion exigerait que Tsahal occupe les territoires palestiniens et y comettent des exactions. Elle exigerait que les États-Unis asservisse l’ancienne Babylone et la pillent. Ceux qui combattraient ces horreurs s’opposeraient à la religion des juifs et seraient du même coup antisémites.
Ainsi donc les juifs devraient porter la responsabilité de l’impérialisme et du colonialisme, et en payer le prix. C’est bien ce que l’impérialisme cherche à faire et c’est bien dans ce piège que le Centre Simon Wiesenthal est tombé.

Pourtant les juifs de ma famille sont morts en combattant le fascisme, puis le colonialisme. Les juifs, minoritaires et persécutés, se sont toujours mis au côté des plus faibles telle est leur vocation. Mais, aujourd’hui, on tente de les en détourner et de les recruter comme supplétifs de l’impérialisme.
Si nous, juifs, commettions une telle erreur, les victimes, de plus en plus nombreuses de l’impérialisme seraient fondées à nous haïr.

C’est bien là ou l’action du Centre Wiesenthal est infamante.
Elle est infamante car elle a choisi le camp de l’injustice.
Elle est infamante car elle permet aux bourreaux de se poser en victimes.
Elle est infamante par ce qu’elle décridibilise la lutte contre le nazisme.
Elle est infamante parce qu’elle dénature et banalise l’antisémitisme et le négationnisme au risque de les faire accepter.
Elle est infamante pace qu’en manipulant la mémoire de l’holocauste, elle la ridiculise.
Elle est infamante car elle donne l’impression que tous les juifs soutiennent l’impérialisme.

Il est donc absolument nécessaire pour la mémoire des juifs morts massacrés et pour la tranquillité des vivants que le Centre Simon Wiesenthal, certainement abusé, s’excuse d’avoir commis cette terrible diffamation.

[1« Les Bush et Auschwitz, une longue histoire » par Thom Saint-Pierre, Voltaire, 3 juin 2003.