Ariel Sharon a toute les raisons d’être satisfait car jamais Israël n’a connu une situation stratégique aussi favorable : la menace irakienne n’existe plus, d’après les généraux israélien la défense antiaérienne syrienne est obsolète, la Libye a renoncé à ses armes de destruction massive et Téhéran subit une pression internationale pour qu’il accepte de mettre son programme nucléaire sous contrôle de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), ce que personne ne songe à faire pour le centre de Dimona ou le programme spatial militaire israélien. La Ligue arabe est profondément divisée alors que le mouvement national palestinien vient de subir sa défaite la plus dure depuis 1948. Après trois ans d’Intifada : l’Autorité palestinienne n’existe plus que sur le papier, la Cisjordanie est à nouveau occupée, les communes palestiniennes sont bouclées par près de 600 barrages, Tsahal procède à des « liquidations ciblées », aucune perspective de négociation ne pointe à l’horizon et en déclarant Yasser Arafat persona non grata, Sharon et Bush ont neutralisé le seul dirigeant palestinien qui ait la légitimité pour signer un accord.
Sharon a désormais toute latitude, bénéficiant du soutien indéfectible des États-Unis, de mettre en œuvre son plan, qu’il décrivait dans son autobiographie de 1989 : donner plus de profondeur à la plaine côtière israélienne en occupant le plus possible les hauteurs qui la dominent à l’Est, créer des zones de sécurité dans la vallée du Jourdain, assurer une majorité juive à Jérusalem, « la capitale éternelle réunifiée d’Israël ». Le mouvement Goush Emounim a été un des sous-traitants de ce vaste projet en établissant des colonies dans le Grand Israël biblique.
Sharon vient d’abattre ses cartes, les Palestiniens recevront des enclaves qu’ils pourront appeler « État de Palestine », il se débarrasse de l’encombrante Gaza où la population vit dans la misère et se donne une image de « pragmatique » grâce aux protestations de l’extrême droite, ce qui ouvre la possibilité d’un gouvernement d’union nationale. Sharon est persuadé que le temps travaille pour lui et Arafat, en tardant à combattre le terrorisme après le 11 septembre, a ouvert la voie à la politique de Sharon.

Source
Libération (France)
Libération a suivi un long chemin de sa création autour du philosophe Jean-Paul Sartre à son rachat par le financier Edouard de Rothschild. Diffusion : 150 000 exemplaires.

« La plus dure défaite des Palestiniens depuis 1948 », par Charles Enderlin, Libération, 20 avril 2004.