Nous, les participants au congrès de la paix de Göttingen tenu lors du 50e anniversaire de la Déclaration de Göttingen des 18 physiciens nucléaires opposés à l’armement nucléaire de l’armée allemande, nous nous sommes penchés sur les problèmes de la guerre, de l’armement et des stratégies militaires. En raison d’une lutte mondiale qui s’exacerbe et vise à s’emparer des matières premières minérales et énergétiques ainsi que de l’imposition militaire toujours plus visible des intérêts économiques de quelques grandes puissances, nous nous adressons à l’opinion publique et exprimons notre point de vue au sujet des points brûlants de la politique de la paix.

Militarisation de la pensée et de la politique

Ces dernières années, les obstacles ayant empêché que l’Allemagne renonce, après la Deuxième Guerre mondiale, à la limitation de l’armée à la défense nationale imposée par la constitution ont été levés les uns après les autres. L’armée allemande se livre maintenant à des interventions militaires dans le monde entier et participe même à des guerres d’agression ainsi qu’à des occupations. L’exigence d’interventions à l’étranger a été justifiée ouvertement dans les directives de défense de 1992 déjà par la nécessité « d’assurer la liberté du commerce mondial ainsi que l’accès aux matières premières et aux marchés du monde entier ». Selon cette argumentation, les interventions militaires à l’étranger doivent continuer à faciliter et à assurer la croissance économique exponentielle des nations riches.

Actuellement, presque 10 000 soldats allemands et membres d’unités secrètes opèrent à l’étranger, notamment en Afghanistan, au Kosovo, en Bosnie-Herzégovine, au cap Horn, au Soudan, en Géorgie, en Ethiopie et dans la Méditerranée orientale. Pour justifier ces interventions, on invoque la lutte contre le terrorisme, l’aide humanitaire et le développement de la démocratie. En fait, il s’agit cependant de géopolitique et de l’accès aux ressources naturelles. Nous nous opposons à l’intervention de l’armée allemande qui a lieu à l’étranger sous ces prétextes et exigeons que le gouvernement et le Bundestag lèvent ces mesures.

Nous nous opposons donc aussi à l’engagement des Etats membres de l’UE à s’armer contenu expressément dans le projet de constitution européenne et visant à « améliorer graduellement leurs capacités militaires » et à instituer une « Agence européenne dans le domaine du développement des capacités de défense, de la recherche, des acquisitions et de l’armement ».

Nous exigeons que les gouvernements et parlements de l’UE éliminent l’obligation de s’armer du projet de constitution. Un accord de base d’Etats démocratiques ne doit pas contenir de telles exigences. En lieu et place, nous exigeons la création d’une « Agence européenne du désarmement et des stratégies de résolution civile et non militaire de conflits » qui n‘a pas été mentionnée jusqu‘ici. En outre, nous exigeons un arrêt strict des exportations d’armements, qui permettent et accentuent les conflits guerriers.
L’Europe et, en particulier l’Allemagne, doivent se distinguer parmi les nations comme des champions tentant de résoudre pacifiquement et civilement les conflits. Comme le projet de constitution de l’UE le mentionne, cela implique tout d’abord « la solidarité et le respect mutuel entre les peuples », la lutte contre la pauvreté, la faim et la misère, ainsi que la préservation de l’environnement et des bases de vie naturelles « dans la solidarité envers les générations futures et la terre ».

La sécurité de l’Europe ne peut pas être assurée par la puissance militaire. L’Europe doit opposer à la militarisation croissante des relations internationales une force civile convaincante et considérée comme modèle dans le monde entier. Elle doit recourir à ses potentiels financiers et humanitaires pour résoudre les grands problèmes de l’humanité que sont la faim, la polarisation sociale ainsi que la protection du climat et de l’environnement.

Abolir les armes nucléaires – en commençant par chez nous

Plus de 40 000 ogives nucléaires continuent de menacer l’humanité. Les puissances nucléaires officielles – de même que les puissances cachées – refusent de procéder au désarmement nucléaire auquel elles se sont engagées par l’accord de non-prolifération des armes nucléaires. Bien au contraire. De nouvelles générations d’armes nucléaires sont fabriquées et testées.

Simultanément, le monopole des armes nucléaires est utilisé sans vergogne pour soumettre d’autres pays au chantage et les menacer de guerre et même d’attaque nucléaire. Selon l’avis consultatif de la Cour internationale de Justice du 8 juillet 1996, non seulement le recours aux armes nucléaires, mais aussi la simple menace d’y recourir violent le droit international et « notamment les règles du droit international humanitaire ».

Les plateformes de défense contre les missiles, qui se sont révélées totalement inefficaces, sont ressenties comme des provocations et peuvent inciter des Etats dépourvus d’armes nucléaires à se procurer leur propre système nucléaire de défense contre les missiles. Cette situation provoque une nouvelle spirale de l’armement. Seul un désarmement nucléaire radical peut renforcer la non-prolifération nucléaire et dissuader d’autres Etats de produire des armes nucléaires.

Les « 18 de Göttingen » s’étaient opposés à l’armement de la Bundeswehr, connaissant les conséquences d’une guerre nucléaire. Mais l’aviation militaire allemande procède à un recours potentiel aux armes nucléaires dans le cadre de la « participation nucléaire » aux armes de l’OTAN. Ainsi, on élude la requête des physiciens nucléaires de Göttingen, qui avait été acceptée alors politiquement. Dans l’esprit et dans la tradition des « 18 de Göttingen », nous exigeons la renonciation à la participation nucléaire. Nous avons besoin d’un monde dépourvu d’armes nucléaires. Nous demandons une interdiction internationale et la destruction de toutes les armes ABC. L’Allemagne doit donner l’exemple et se débarrasser d’armes de destruction massive.

Les « 18 de Göttingen » se sentaient encore concernés par les suites d’Hiroshima et de Nagasaki. C’est pourquoi ils voyaient dans l’utilisation civile de l’énergie nucléaire une solution pacifique de substitution. Conscients de la multiplicité des dangers (pas seulement Tchernobyl) et du double aspect de la technologie nucléaire, de la prolifération et de l’utilisation militaire de la technologie nucléaire, nous nous élevons aussi contre une nouvelle expansion de la soi-disant utilisation pacifique de l’énergie nucléaire.

Nous demandons également à tous les scientifiques de ne pas participer aux projets d’armement. La recherche et l’enseignement ne devraient être consacrés qu’à des objectifs pacifiques et civils. Les scientifiques doivent, de surcroît, renseigner l’opinion publique sur l’inanité et les effets destructeurs des guerres, en raison notamment des nouveaux systèmes d’armes.

Fait à Göttingen, le 30 juin 2007

Signataires :
Scientifiques de Göttingen partisans de la paix et du désarmement
Association de recherche sur l’environnement et les conflits (VUK)
Institut de formation et de recherche (IFB)
Bureau de la paix de Göttingen
Communauté de travail de recherches sur la paix à l’université de Kassel (AGF)
Association de scientifiques allemands (VDW)
Initiative des spécialistes de sciences naturelles « Responsabilité de la paix et de l’avenir »
Etablissement de formation Rosa Luxemburg
Communauté de travail « Science et critique » à l’université technique de Brunswick

Source
Horizons et débats (Suisse)