La question du droit des femmes dans le traité constitutionnel doit être posée car rien n’est acquis, même en Europe. Après tout, notre continent continue de moins bien payer les femmes que les hommes. L’examen de la Constitution exige rigueur et honnêteté. Qu’importe les textes passés, c’est d’avenir dont nous parlons et rappelons qu’il a déjà été difficile de faire adopter l’égalité homme-femme comme une valeur de l’Union européenne dans la Charte des droits fondamentaux. Malheureusement, cette charte n’a aucune valeur contraignante.
Mais il y a plus inquiétant. Dans son article II-62.1, le traité constitutionnel proclame de façon solennel le droit à la vie, droit utilisé par les adversaires de la liberté des femmes pour lutter contre le droit à l’avortement. Récemment, n’oublions pas la tentative d’un député d’octroyer au fœtus les droits de la personne. Evoquer la jurisprudence leur ayant fait échec n’est guère convaincant. Par définition, une jurisprudence évolue. On nous dit pour nous rassurer que ce passage ne vise qu’à interdire la peine de mort mais l’article suivant précise spécifiquement « Nul ne peut être condamné à la peine de mort, ni exécuté ». Il faut saluer cette interdiction mais on ne peut que regretter que la Constitution n’empêche en rien l’interdiction de l’IVG.
Cette affirmation du droit à la vie exigeait une symétrie : la reconnaissance du droit pour les femmes de choisir de la donner. D’autant que le "dialogue ouvert, transparent et régulier avec les Eglises..." (art. I-52), prôné par la Constitution, inquiète alors qu’il n’est à aucun moment question de laïcité. Rappelons que l’avortement est toujours interdit dans cinq pays membres : Portugal, Irlande, Pologne, Chypre et Malte (Malte y insiste dans un protocole additionnel). Avec notre solidarité à l’égard des femmes de ces pays et grâce à la "clause de l’Européenne la plus favorisée" , tout pourrait changer. Cette clause, l’association Choisir-La Cause des femmes la défend depuis 1978 et l’a soutenue devant l’administration européenne de Bruxelles. Nous demandons à ce que l’Union européenne crée un statut unique de la femme se fondant sur les droits les plus élevés dans chaque pays. Hélas ! Ce vieux rêve de féministes européennes ne se réalisera pas. Lisez plutôt : "La loi cadre européenne ne comporte pas d’harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres" (art. III-207).
Au contraire, l’hymne au libéralisme frappera plus durement les femmes que les hommes, celle-ci fournissant 81 % du travail à temps partiel, elles subissent de plein fouet la précarité de l’emploi, sa flexibilité. Cette Constitution recèle menaces et pièges pour les femmes. Il faut lui dire non, ouvrir l’avenir et construire une autre Europe.

Source
Le Monde (France)

« Le traité constitutionnel, une menace pour les femmes », par Gisèle Halimi, Le Monde, 18 mai 2005.