Réunion du Groupe international de soutien à la Syrie (Vienne, 17 mai 2016).

L’implication états-unienne en Syrie est toujours aussi confuse. Alors que, le 22 février 2016, John Kerry avait négocié une cessation des hostilités et que la Russie avait retiré ses bombardiers, la Turquie —membre de l’Otan— a poursuivi son soutien à Daesh.

Le 8 mars, la Russie déposait au Conseil de sécurité un rapport accusant Ankara de contrôler le trafic d’antiquités au profit de Daesh [1]. Le 18 mars, elle en déposait un nouveau l’accusant de livrer des armes et des munitions à Daesh [2]. Dans les deux cas, la Turquie « réfutait totalement » ces allégations et accusait la Russie d’organiser une manœuvre de diversion pour « détourner l’attention de la communauté internationale des pertes civiles, du chaos et des destructions considérables causés par le régime syrien et les opérations militaires russes en Syrie ». L’état-major russe persistait en révélant qu’Ankara venait de laisser entrer en Syrie 9 000 nouveaux jihadistes. Cependant, on pouvait alors penser que la Turquie agissait de son propre chef sans en référer aux États-Unis.

Or, le 7 avril, le département US de la Défense livrait 2 000 tonnes d’armes aux « groupes armés modérés », dont environ 500 ont été immédiatement redistribués à Al-Nosra (Al-Qaïda) et 500 autres à Daesh [3].

Quoi qu’il en soit, le soutien de la Turquie à Daesh semble avoir brusquement diminué au cours des derniers jours.

Il semble, qu’à l’abri des regards, Moscou ait violemment protesté de sorte que le 9 mai, John Kerry et Sergeï Lavrov publiaient une déclaration commune [4]. Ils y exhortent « tous les États à mettre en œuvre la résolution 2253 (2015) du Conseil de sécurité, en empêchant tout soutien matériel ou financier à l’ÉIIL [Daesh], au Front al-Nosra ou à tout autre groupe qualifié de terroriste par le Conseil de sécurité de l’ONU, et de couper court à toute tentative de ces groupes de franchir la frontière de la Syrie ».

Il était surtout convenu que Washington fixait à ses alliés une date butoir, début juillet, pour parvenir à un accord négocié à Genève. Au-delà, il retirait toutes ses forces armées, tandis que la Russie amènerait le porte-avions Amiral Kutznesov au large de la Syrie pour reprendre, à moindre échelle, sa campagne de bombardement des organisations terroristes (désormais ré-armées) [5].

Cependant, le flou n’était toujours pas définitivement éclairci. Un vif incident opposa Russes et États-uniens à l’Onu à propos de l’Armée de l’islam (Jaysh al-islam) et du Mouvement islamique des hommes libres du Sham (Ahrar al-Sham). Moscou entendait les inscrire sur la liste des « organisations terroristes », alors que Washington souhaite les considérer encore comme « groupes armés modérés ».

L’Armée de l’islam est une formation payée par l’Arabie saoudite et encadrée par des SAS britanniques. D’abord dirigée par Zahran Allouche, elle sema la terreur dans la banlieue de Damas et menaça la capitale durant trois ans. son chef, qui vouait un culte à Ossama Bin Laden, se caractérisa par sa cruauté, faisant décapiter de nombreux habitants et en utilisant d’autres, enfermés dans des cages, comme boucliers humains. En définitive, les bombes pénétrantes de l’Armée de l’Air russe eurent raison du bunker souterrain qui avait été construit pour abriter son état-major. Après une période de flottement, l’un des 17 adjoints d’Allouche, Issam el-Bouaydani, prit temporairement sa succession. Il fut rapidement évincé au profit d’un religieux wahhabite, cheikh Abou Abdarrahman Kaaké. Ce dernier favorisa la nomination d’un cousin de Zahran Allouche, Mohamed Allouche, pour diriger la délégation de l’opposition saoudienne aux négociations de paix intra-syriennes de Genève. Ce dernier s’est illustré en précipitant des Syriens accusés d’être gays du haut des toits —la République arabe syrienne est le seul État arabe à respecter la vie privée et à ne pas pénaliser les homosexuels—.

Le Mouvement islamique des hommes libres du Sham est également encadré par les Britanniques. Comme l’Armée de l’islam, sa communication est assurée par InCoStrat [6]. Son « ministre des Affaires étrangères », Labib al-Nahhas, circule librement en Occident. C’est en réalité lui-même un Britannique, membre du MI6. Il a publié une tribune libre dans le Washington Post [7], et s’est secrètement rendu à New York en décembre dernier présenter son rapport à Jeffrey Feltman, dans les bureaux de l’Onu.

Le 17 mai, le Groupe international de soutien à la Syrie se réunissait à Vienne. Dans sa déclaration finale [8], il met en cause la poursuite par l’Armée arabe syrienne de sa stratégie d’encerclement des villages contrôlés par les jihadistes de « l’opposition modérée ». Mais surtout, il valide à nouveau l’ensemble des décisions russo-US des derniers mois, à savoir :
 former un mécanisme de transition commun entre le gouvernement syrien et tout l’éventail de l’opposition à l’étape de la transition ;
 élaborer une nouvelle Constitution ;
 puis organiser de nouvelles élections présidentielles et parlementaires sur cette base.

Or, bien que l’Arabie saoudite soit membre du Groupe international de soutien à la Syrie, l’opposition modérée refuse toujours ces trois points. Elle persiste à exiger le départ du président el-Assad et de la plupart des hauts-fonctionnaires chrétiens, chiites et alaouites avant la formation du mécanisme de transition. En outre, elle n’entend pas affronter les dirigeants actuels au cours d’élections démocratiques.

Il n’est pas indifférent qu’au cours de la réunion de Vienne, un diplomate ait déclaré que son pays était prêt à lutter contre Al-Qaïda, mais qu’il s’interrogeait pour savoir qui occuperait alors le terrain. Sergeï Lavrov releva ce qu’il considéra comme un « lapsus » : ce diplomate admettait de facto que son pays préférait une victoire d’Al-Qaïda à une de la République arabe syrienne. Ce faisant, il s’éloignait de la décision du Conseil de sécurité de faire de la lutte contre le terrorisme son objectif numéro 1.

Le même jour, 17 mai, le représentant spécial du secrétaire général de l’Onu, Terje Rød-Larsen, présentait son dernier rapport sur l’application de la résolution 1559 et annonçait sa démission. Cette résolution avait été rédigée en 2004 à l’initiative des États-Unis, de la France et de l’Arabie saoudite pour exiger le désarmement du Hezbollah libanais, la non-reconduction du président Émile Lahoud et le retrait de la force de paix syrienne du Liban. Elle n’a jamais été appliquée bien que la Syrie ait elle-même retiré ses soldats à la demande de la rue libanaise lors de la « révolution du Cèdre ». M Ban a immédiatement chargé son adjoint pour les Affaires politiques, Jeffrey Feltman, de prendre en charge jusqu’à la fin de l’année les fonctions de M. Terje Rød-Larsen en plus des siennes. Or, de très nombreux observateurs considèrent que Jeffrey Feltman, ancien ambassadeur US à Beyrouth, est le véritable rédacteur de la résolution 1559 et qu’il dirige aujourd’hui en sous-main depuis New York la coalition militaire contre la Syrie.

Le 19 mai, Jeffrey Feltman participait à une cérémonie à Paris aux côtés des membres de l’opposition syrienne de l’étranger, Burhan Ghalioun, Michel Kilo, Bassma Kodmani et Samar Yazbeck.

En France toujours, le général Benoît Puga a annoncé sa démission de ses fonctions de chef d’état-major particulier du président de la République pour rejoindre la Chancellerie de la Légion d’honneur. Chrétien intégriste, nostalgique de la monarchie et de la colonisation, il avait été le seul militaire à occuper ce poste auprès de deux présidents successifs, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Il avait personnellement dirigé les opérations secrètes de la France en Syrie —parfois contre l’avis de l’état-major des armées— notamment grâce à des officiers de la Légion étrangère détachés auprès de la présidence.

On se dirige inexorablement vers une interruption des négociations de Genève. Au demeurant, si un accord y survenait entre les parties syriennes présentes, il serait invalide au regard des décisions internationales antérieures vu l’exclusion —à la demande de la Turquie— du principal parti kurde. C’est pourquoi, l’échec de Genève devrait être suivi d’une reprise des négociations intra-syriennes avec ceux qui le souhaitent —c’est-à-dire sans les pro-Saoudiens, mais avec les Kurdes—. Puis à la formation d’un mécanisme de transition avec ces nouveaux participants. Au plan militaire, l’Armée arabe syrienne devrait reprendre les principales villes du pays, mais les combats devraient persister à la frontière irako-syrienne.

[3« Les États-Unis violent le cessez-le-feu en Syrie et arment Al-Qaïda », « Qui arme les jihadistes durant le cessez-le-feu ? », par Thierry Meyssan, Télévision nationale syrienne, Réseau Voltaire, 25 et 30 avril 2016.

[5« Retour imminent des avions russes en Syrie », par Valentin Vasilescu, Traduction Avic, Réseau Voltaire, 13 mai 2016.

[6« Comment le Royaume-Uni met en scène les jihadistes », Réseau Voltaire, 13 mai 2016.

[7The deadly consequences of mislabeling Syria’s revolutionaries”, Labib Al Nahhas, Washington Post, July 10th, 2015.

[8Statement of the International Syria Support Group”, Voltaire Network, 17th May 2016.