Patrick Calvar, directeur général de la sécurité intérieure

La séance est ouverte à dix-sept heures.

M. Philippe Nauche, président. Je suis heureux d’accueillir Patrick Calvar, directeur général de la sécurité intérieure. Je tiens à excuser l’absence de la présidente Patricia Adam qui participe à une réunion de l’assemblée parlementaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) aux États-Unis. Elle a toutefois souhaité que cette importante audition soit maintenue afin que vous puissiez apporter à la commission, Monsieur le directeur général, les informations les plus récentes sur l’évolution de la menace terroriste.

Pour vous avoir déjà entendu dans le cadre de la délégation parlementaire au renseignement, j’apprécie particulièrement votre franc-parler et votre réalisme qui ne tend pas vers le pessimisme mais qui fait fond sur un optimisme raisonnable et surtout vigilant.

La commission s’intéresse beaucoup au continuum entre défense extérieure et sécurité intérieure, prôné par le Livre blanc sur la défense et la sécurité de 2013 et dont le bien-fondé a malheureusement été démontré par les événements de 2015 et le déclenchement de l’opération sentinelle.

M. Patrick Calvar, directeur général de la sécurité intérieure. C’est un honneur et un plaisir de m’exprimer devant vous. Avant d’en venir à l’état de la menace, je souhaite me faire le porte-parole des personnels que je dirige pour souligner qu’à chaque fois que se produit un attentat sur notre territoire, ils le vivent comme un échec alors que leur mission est d’empêcher qu’il ne soit commis. En revanche, certaines critiques non fondées leur font particulièrement mal – d’autant que l’engagement du service est particulièrement fort.

J’en viens à l’état de la menace. La France est aujourd’hui, clairement, le pays le plus menacé. Je vous rappelle qu’un des numéros de la revue francophone de Daech, Dar al Islam, titrait en une : « Qu’Allah maudisse la France ». De leur côté, Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), en tant qu’organisation héritière du Groupe islamique armé (GIA) des années 1990, considère toujours la France comme l’ennemi numéro un et Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) nous stigmatise de la même façon. La menace est par conséquent, j’insiste, très forte ainsi que l’ont montré les attentats de janvier et de novembre 2015. Elle est très forte également hors du pays ainsi que nous avons pu le constater avec les attentats de Bamako, de Ouagadougou et, plus récemment, de Bassam, en Côte d’Ivoire.

J’évoquerai uniquement ici la menace intérieure même si, du fait de notre compétence judiciaire, nous sommes systématiquement saisis de toutes les actions terroristes commises à l’étranger dès lors qu’un ressortissant français en est victime. À ce titre nous sommes saisis des attentats perpétrés à Tunis, Bamako, Ouagadougou et Bassam.

Qui nous menace ? D’abord les organisations, au premier rang desquelles Daech.

L’autopsie des attaques du 13 novembre révèle qu’elles ont été planifiées en Syrie, menées par des individus qui combattaient dans ce pays, pour certains depuis de nombreuses années et donc totalement aguerris. D’autres y ont été entraînés. Elles ont été le fait d’un mélange de ressortissants français — soit partis de notre territoire, soit résidant à l’étranger, notamment en Belgique —, mais aussi belges et irakiens. Ils ont bénéficié d’une logistique particulièrement importante — passeurs, faussaires établis en particulier en Turquie —, et d’un accueil, d’un hébergement en Belgique, là où ils auraient pu se procurer les armes et les explosifs utilisés sur notre sol.

Je tiens à souligner le fait qu’il n’y avait aucune cellule logistique sur notre territoire, comme l’a notamment montré la fuite d’Abaaoud, qui n’a trouvé refuge qu’en appelant sa cousine à son secours — les travers de celle-ci la menant à sa perte —.

Les routes utilisées ont été variées et nous en ignorons encore certaines — notamment pour ce qui concerne Abaaoud ou les ressortissants européens —. En revanche nous savons que la filière des migrants a été utilisée et qu’au moins deux membres du commando sont ainsi entrés en Europe par l’île de Leros. Ils sont arrivés sur notre territoire la veille des attaques. Les véhicules ont été loués en Belgique et les appartements depuis la Belgique. Le délai entre leur arrivée et les frappes a donc été très court. Quant à la volonté de mourir, elle était parfaitement exprimée, comme on a pu le constater, à l’exception de Salah Abdeslam qui a pu s’échapper et d’Abaaoud qui, lui, était vraisemblablement prévu pour accomplir d’autres actions.

Nous savons que Daech planifie de nouvelles attaques — en utilisant des combattants sur zone, en empruntant les mêmes routes qui facilitent l’accès à notre territoire — et que la France est clairement visée. Daech se trouve dans une situation qui l’amènera à essayer de frapper le plus rapidement possible et le plus fort possible : l’organisation rencontre des difficultés militaires sur le terrain et va donc vouloir faire diversion et se venger des frappes de la coalition.

Si les attentats de novembre dernier ont été perpétrés par des kamikazes et par des gens armés de kalachnikov ayant pour but de faire le maximum de victimes, nous risquons d’être confrontés à une nouvelle forme d’attaque : une campagne terroriste caractérisée par le dépôt d’engins explosifs dans des lieux où est rassemblée une foule importante, ce type d’action étant multiplié pour créer un climat de panique.

La problématique pour eux est double : il leur faut des artificiers de haut niveau et il faut qu’ils puissent constituer en France des cellules leur permettant de bénéficier de la logistique nécessaire — accueil, armes… —. Or l’un des problèmes pour nous est précisément leur capacité à se procurer des armes. Un des domaines où l’Europe continentale devrait considérablement progresser est la répression du trafic d’armes. À la suite d’une fusillade survenue dans une école de Dunblane, en Écosse, les Britanniques ont adopté une législation des plus rigoureuses prévoyant des peines très sévères, dissuasives au point qu’il est pratiquement impossible, aujourd’hui, de se procurer des armes à feu au Royaume-Uni.

Daech dispose d’individus capables de passer à l’action. Les chiffres que je vais vous donner sont les nôtres et ne reflètent pas nécessairement la réalité — parce qu’il y a toujours un chiffre noir que nous ne connaissons pas.

Pas moins de 645 ressortissants français ou résidents en France sont présents dans la zone syro-irakienne. Parmi eux, nous comptons 245 femmes, qui ne participent pas aux combats, et 20 mineurs qui, au contraire, s’y livrent. Ils sont donc moins de 400 à participer à des opérations militaires. Par ailleurs, 201 individus sont en transit, soit à destination de la Syrie, soit de retour de Syrie pour la France. Nous recensons 173 Français présumés morts — chiffre sans doute inférieur à la réalité, mais il est très difficile d’obtenir des indications précises du fait des bombardements —. 244 personnes sont revenues de la zone syro-irakienne en France. Enfin, 818 personnes manifestent l’intention de se rendre sur place.

Nous n’en constatons pas moins une stagnation des départs : il est plus compliqué de se rendre dans la zone concernée et l’on compte beaucoup moins de volontaires car les bombardements ont un effet dissuasif. On assiste à l’inverse à davantage d’intentions de retour sur notre sol mais qui sont entravées par la politique de Daech qui, dès lors qu’ils souhaitent quitter la Syrie, considère les intéressés comme des traîtres à exécuter immédiatement.

Je souhaite maintenant vous faire part d’une réalité totalement inconnue ou en tout cas jamais soulignée : nous recensons quelque 400 enfants mineurs dans la zone considérée. Les deux tiers sont partis avec leurs parents, le tiers restant étant composé d’enfants nés sur place et qui ont donc moins de quatre ans. Je vous laisse imaginer les problèmes de légalité que posera leur retour avec leurs parents, s’ils reviennent, sans compter les réels problèmes de sécurité car ces enfants sont entraînés, instrumentalisés par Daech : une vidéo est sortie récemment, en français, qui les met en scène en tenue militaire. Ces enfants sont ainsi conditionnés ; il faut savoir également qu’ils s’entraînent aux armes à feu. Nous disposons de vidéos montrant des enfants qui exécutent des prisonniers ; ainsi, sur l’une, on voit un Français de onze ou douze ans — sans manifester aucune émotion — tirer une balle dans la tête d’un individu que Daech suppose être un agent des services israéliens. Il va donc falloir, j’insiste, s’occuper de ces enfants quand ils reviendront.

Pour ce qui est de l’aspect judiciaire, pour la seule DGSI, nous recensons 261 dossiers concernant plus de 1 000 individus. Nous avons procédé à plus de 350 interpellations. Au moment où je vous parle 7 personnes sont gardées à vue. Chaque semaine nous interpellons des gens. Plus de 220 sont mises en examen, plus de 170 ont été écrouées et plus de 50 placées sous contrôle judiciaire. Enfin, depuis août 2013, mon service a bloqué 15 projets terroristes en France.

Nous ne prenons souvent en considération que les Français ou les personnes résidant en France. Or nous sommes désormais obligés de réfléchir dans le cadre plus large de la francophonie. En effet, de nombreux Nord-Africains se trouvent dans les zones considérées : beaucoup de Tunisiens, un peu moins de Marocains et d’Algériens. Ils ont la capacité de venir très facilement sur notre territoire et la plupart sont francophones — on l’a vu avec les Belges qui ont opéré en France —. Ils ont aujourd’hui un intérêt particulier à s’installer en Libye. Sachez qu’il y a quelques semaines, pour la première fois, nous avons interpellé trois individus qui partaient pour la Libye, ce qui signifie que des filières pourraient se mettre en place puisque pour cela il suffit qu’une personne s’y rende et fasse ensuite appel à ses amis. Actuellement, quelques Français se trouvent dans la zone libyenne. Un mouvement s’amorce, et il faudra compter avec ceux qui quitteront la Syrie pour la Libye plutôt que pour l’Europe.

Face à ce péril, notre stratégie est celle du démantèlement judiciaire des réseaux par une action visant à empêcher la commission d’actes terroristes.

Je me suis livré devant vous à l’autopsie des attaques du 13 novembre dernier pour vous montrer que, pour anticiper, nous devons absolument bénéficier de renseignements en amont. En outre, il convient de mentionner l’échelon européen : on a beaucoup parlé du système d’information Schengen (SIS), évoqué les frontières qui n’étaient pas contrôlées, les filières migratoires… bref, on s’aperçoit que l’Europe marche sur un pied et que tout le monde ne fonctionne pas de la même façon, indépendamment des coopérations qui existent bel et bien — je m’inscris d’ailleurs en faux contre de nombreuses allégations : la coopération est en effet totale entre les services de sécurité et les services de renseignement et les informations circulent entre eux de façon très fluide malgré, j’insiste, des systèmes législatifs complètement différents —. Le SIS est un fichier de signalisation dans lequel la DGSI a inscrit quelque 9 000 noms alors que certains de nos partenaires ne l’enrichissent pas faute de pouvoir le faire pour la plupart.

Je prendrai un exemple très révélateur. L’individu qui voulait s’en prendre aux passagers du Thalys, vivait à Algésiras. Nous recevons un jour, de nos amis espagnols, l’information selon laquelle l’intéressé, qui tient des propos particulièrement virulents sans toutefois présenter, à l’époque, de dangerosité avérée, va s’installer en France. Nous effectuons des recherches et ne retrouvons pas sa trace. Il devait théoriquement être employé par la société Lycamobile mais, ne possédant pas les documents qui lui auraient permis d’y occuper un poste, il n’y est resté que quelques semaines. Nous créons une fiche S — je rappelle qu’une fiche S est un moyen d’enquête, ni plus ni moins qu’un indicateur parmi d’autres pour se faire une idée du potentiel et de la personnalité d’un individu que nous souhaitons surveiller — aussi quand on évoque les fiches S1, S2, S3, S4… on ne renvoie qu’à des conduites à adopter et non à des degrés de dangerosité. Un an plus tard, nos collègues allemands nous signalent que l’individu en question vient d’être contrôlé à l’aéroport de Berlin, sur le point d’embarquer pour Istanbul — fait qui donne une coloration différente à la personnalité de l’intéressé —. Nous informons les Espagnols qu’il se trouve en Allemagne et se rend en Turquie. Ils nous répondent qu’ils sont au courant mais que, depuis, il s’est installé en Belgique. Comme le font les Espagnols, nous informons donc les Belges. Nous perdons dès lors sa trace puisque nous n’avons plus aucune raison de nous en occuper : il ne se trouve pas sur le sol français. C’est depuis Bruxelles qu’il montera dans le Thalys et qu’il tentera de tuer le maximum de personnes au cours de l’action que vous savez. Une polémique s’ensuivra aux termes de laquelle on fera valoir que le service intérieur français connaissait l’intéressé et le surveillait.

Pour ce qui concerne les coopérations, je commencerai par l’échelon national qui recouvre tous les services de la communauté du renseignement. J’ai l’habitude de décrire le renseignement comme une chaîne où chaque maillon, en complémentarité et en coordination avec les autres, accomplit sa mission. Il n’y a donc pas, pour nous, de services nobles et de services qui ne le seraient pas, mais seulement des services spécialisés disposant de moyens que n’ont pas nécessairement les autres. Nous entretenons une relation très étroite avec la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), avec laquelle nous coopérons au quotidien. Nous avons atteint un niveau de coopération jamais égalé.

Sur le plan international la coopération est très forte. Nous nous reposons bien sûr sur les grands services et force est de constater que les plus gros pourvoyeurs de renseignement sont les services américains. Mais nous coopérons également avec les services russes. Quelque 7 à 8 % des individus concernés par les filières syro-irakiennes étant des Tchétchènes, il est bien évident que nous travaillons avec le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB) et que nous cherchons avec lui tous les moyens d’identifier les individus en question, de connaître les actions qu’ils ont l’intention de commettre, et les réseaux auxquels ils sont susceptibles d’appartenir.

Reste que nous nous heurtons à un problème bien connu et qui va grandissant : celui du chiffrement. Sans trahir le secret de l’instruction, à travers les investigations opérées à la suite des attentats de Bruxelles, nous nous sommes rendu compte que nous avions affaire à des structures très organisées, très hiérarchisées, militarisées, composées d’individus communiquant avec leur centre de commandement, demandant des instructions sur les actions à mener et, le cas échéant, des conseils techniques. Cette communication est, je le répète, permanente et aucune interception n’a été réalisée ; or même une interception n’aurait pas permis de mettre au jour les projets envisagés puisque les communications étaient chiffrées sans que personne soit capable de casser le chiffrement. Je rappellerai pour mémoire le conflit ayant opposé Apple et le Federal Bureau of Investigation (FBI) ; quand on connaît la puissance de ce dernier, on voit bien que nous sommes confrontés à un problème majeur qui dépasse largement le cadre des frontières nationales.

J’entends par ailleurs démythifier tout ce qu’on dit en permanence sur le renseignement technique et le renseignement humain, car cette distinction ne signifie rien. Voilà trente-neuf ans que j’exerce ce métier : il y a le renseignement et ensuite les méthodes par lesquelles on peut l’obtenir, l’essentiel étant de l’obtenir. On ne peut toutefois faire abstraction de l’évolution du secteur numérique. Nous sommes bien obligés d’en tenir compte d’autant qu’en face de nous les gens sont très professionnels.

Pour finir avec Daech, nous aurons à nous occuper des vétérans. Nul doute que nous gagnerons le conflit, du moins avec l’organisation telle qu’elle existe — mais le problème, parce que politique, ne sera pas réglé pour autant —. Pour assurer notre sécurité, nous devrons nous occuper des vétérans. Nous avons connu le phénomène des vétérans d’Afghanistan qui a donné le GIA en Algérie et les attentats de 1995 en France. Il ne faudra pas perdre de vue que parmi les futurs vétérans, il y aura des terroristes très aguerris mais aussi des gens relevant d’ores et déjà de la psychiatrie et dont nous ne savons pas ce qu’ils vont devenir.

La deuxième organisation qui nous menace est Al-Qaïda. AQMI se manifeste surtout au Sahel et ailleurs en Afrique mais, à l’exemple du GIA en 1995, n’exclut pas un jour d’exporter la violence. Là aussi, les facilités de communication et de voyage entre l’Afrique du Nord et la France poseront des problèmes. AQPA, de son côté, a revendiqué l’action des frères Kouachi même si le lien paraît tout de même très lointain puisque l’un d’eux s’était entraîné au Yémen en 2011.

Al-Qaïda a besoin de redorer son blason. Cette organisation a pratiquement disparu de la scène islamiste et voudra, à un moment ou à un autre, tenter une action d’envergure à même de lui redonner une importance telle qu’elle puisse recruter à nouveau. Reste que de nombreux Français se trouvent au sein du Jabhat al-Nosra (Front al-Nosra). Il est difficile de savoir combien ils sont exactement et à quelle organisation ils appartiennent, mais il faudra là aussi que nous nous occupions d’eux à leur retour.

Certains groupes, au sein d’Al-Qaïda, sont préparés pour des actions extérieures, planifiées à long terme et qui se veulent d’une telle ampleur qu’elles ne peuvent pas se réaliser de façon très rapide.

Outre les organisations, nous avons une autre source d’inquiétude : des appels sont lancés depuis la Syrie par des gens à certains de leurs amis qui se trouvent sur notre territoire afin qu’ils y commettent des actions. Nombre des réseaux que nous avons démantelés appartiennent à cette catégorie-là.

Nous sommes également confrontés à la présence d’islamistes, sur notre territoire, et qui ne sont liés à aucune organisation.

Je rappelle également que la revue en anglais d’AQPA, Inspire, enjoignait à ses partisans de ne pas se rendre sur place mais de frapper depuis l’endroit où ils se trouvaient en utilisant tous les moyens à leur disposition.

Les velléitaires constituent notre troisième source d’inquiétude, à savoir ceux qui auraient bien aimé partir pour la Syrie et qui, pour diverses raisons, n’ont pu le faire. Dans ce cas, nous sommes confrontés à la propagande massive de Daech et à la capacité de bloquer les messages sur internet. Je classerai dans cette catégorie des gens contre lesquels il est très difficile d’agir : tous ceux qui relèvent de la psychiatrie, des instables psychologiques.

Pour finir, la question relative à la menace n’est pas de savoir « si », mais « quand » et « où ».

Il faut tâcher de comprendre à qui nous avons affaire. Nous constatons chez la plupart de ceux que nous arrêtons un profond mal-être ; or la seule idéologie qui leur donne une raison d’exister en ce bas monde est l’extrémisme religieux. Je passe sur le désir d’aventure, de violence, de vivre dans un autre monde. Reste qu’ils détestent notre société : « Nous aimons la mort comme vous aimez la vie. » C’est très frappant. Je l’ai dit en d’autres lieux : je ne m’explique pas comment une fille de quinze ans quitte la France pour se rendre en Syrie vivre dans des conditions abominables ; je ne m’explique pas comment un gamin que rien n’y prédispose, va poignarder un enseignant juif au seul motif, je le répète, de détester cette société. Aussi, si l’on se limite à une réponse sécuritaire, on se trompe.

Cela d’autant que l’Europe est en grand danger : les extrémismes montent partout et nous sommes, nous, services intérieurs, en train de déplacer des ressources pour nous intéresser à l’ultra-droite qui n’attend que la confrontation. Vous rappeliez que je tenais toujours un langage direct ; eh bien, cette confrontation, je pense qu’elle va avoir lieu. Encore un ou deux attentats et elle adviendra. Il nous appartient donc d’anticiper et de bloquer tous ces groupes qui voudraient, à un moment ou à un autre, déclencher des affrontements intercommunautaires.

La tentation des populismes, la fermeture des frontières, l’incapacité de l’Europe à donner une réponse commune, l’incapacité à adopter une législation applicable en tous lieux, nous posent d’énormes problèmes. Et je note, de plus en plus, une tendance au repli sur soi.

M. Philippe Nauche, président. Je vous remercie, Monsieur le directeur général, pour cette description sans concession.

M. Jean-Jacques Candelier. Vous avez évoqué, Monsieur le directeur général, le marché parallèle des armes. Il est vrai qu’il est facile, en France, en Belgique, d’acheter des armes pour des sommes modiques. Quels moyens sont-ils mis en œuvre pour juguler ce trafic ?

Ensuite, les moyens financiers et humains de Daech, d’Al-Qaïda et d’autres groupes diminuent-ils vraiment ?

Enfin, à l’occasion des manifestations qui ont lieu en ce moment en France, on constate le retour des casseurs qui n’ont rien à voir avec les manifestants, avec les revendications légitimes des travailleurs et des organisations syndicales. Or nous nous interrogeons sur la violence de ces casseurs, leur organisation, leur matériel. Que peuvent faire vos services en amont, afin d’éviter que ces énergumènes ne se mêlent aux cortèges et ne mettent en danger les manifestants et le droit de manifester ?

M. Philippe Folliot. Vos propos, Monsieur le directeur général, nous font froid dans le dos. Les perspectives que vous tracez ne sont en effet guère réjouissantes mais au moins vos propos ont-ils le mérite de la franchise et de la clarté et nous interpellent en tant qu’élus de la Nation. Malheureusement, nombre de nos concitoyens n’ont pas pris conscience de la gravité des risques encourus et du fait que la période que nous vivons est amenée à durer des années voire des décennies.

Vous avez déclaré que l’Europe marchait sur un pied. Que faudrait-il faire, concrètement, pour qu’elle marche sur ses deux pieds ? Comme vous l’avez fort justement rappelé : les attentats du 13 novembre ont été préparés depuis un pays voisin, ce qui implique une meilleure coopération.

Ma deuxième question porte sur les liens entre le grand banditisme, les trafics en tous genres et les cellules de djihadistes. Avez-vous des informations précises en la matière ? On soupçonne en effet une forte porosité entre les deux.

Enfin, nous sommes tous d’accord sur le fait qu’une réponse qui ne serait que sécuritaire ne suffirait pas. Il conviendra en effet d’apporter une réponse en matière de développement et d’éducation là où l’islamisme aujourd’hui prospère, mais il faudra apporter également, chez nous, une réponse de nature préventive. Estimez-vous que le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation dispose de suffisamment de moyens et vos relations avec ce comité sont-elles satisfaisantes ?

M. Olivier Audibert Troin. Considérez-vous, Monsieur le directeur général, qu’au-delà de l’aspect psychologique – il est très rassurant pour la population de voir des uniformes dans la rue –, les forces armées apportent une vraie plus-value, sur le territoire national, notamment en matière de renseignement ? Le dispositif Sentinelle est-il suffisant, vous apporte-t-il une collaboration efficace ou bien cette dernière est-elle susceptible d’être améliorée ?

Enfin, considérez-vous le monde rural comme le maillon faible des problématiques terroristes, étant donné que la plupart des forces sont déployées, et c’est bien légitime, en région parisienne ? Considérez-vous donc qu’il existe un risque d’attaque avéré dans le monde rural ?

M. Philippe Nauche, président. Pour reprendre le début de la question de M. Audibert Troin, la question de l’implication de ceux qui participent à l’opération Sentinelle à la chaîne du renseignement se pose régulièrement au sein de la commission.

M. Patrick Calvar. Le contrôle de la vente d’armes est l’un des moyens les plus efficaces de parvenir à bloquer un certain nombre d’actions. Les produits nécessaires à la fabrication d’explosifs sont, eux, en vente libre mais il faut pour les assembler disposer d’artificiers de grande qualité. Ainsi savions-nous pertinemment, en Belgique, que tant que l’artificier ne serait pas neutralisé, nous serions confrontés à de graves problèmes. Sa neutralisation a donc été pour nous un moment de soulagement même s’ils peuvent toujours en faire venir d’autres.

Pour acquérir des armes, nos adversaires vont devoir entrer en contact avec des vendeurs ou des individus qui ont pu en récupérer et c’est à cette occasion que nous pouvons éventuellement diagnostiquer un projet terroriste. Comment combattre le trafic d’armes ? Comme les Britanniques. Des peines incompressibles très fortes le feront immédiatement chuter. Il faut par ailleurs renforcer le contrôle : vous pouvez quasiment, aujourd’hui, commander une arme démilitarisée sur internet sans que le vendeur sache qui vous êtes. Cette arme vous sera livrée par la poste et il ne sera parfois pas très compliqué de la remilitariser. On peut trouver une kalachnikov entre 1 000 et 2 000 euros, ce qui n’est pas grand-chose pour des voyous.

M. Michel Voisin. On peut même s’en procurer pour 350 euros !

M. Patrick Calvar. Si vous voulez une vraie kalachnikov, qui fonctionne, qui n’ait pas servi…

M. Michel Voisin. Je vous assure que vous pouvez acheter une kalachnikov pour 350 euros au parc Miribel Jonage !

M. Patrick Calvar. Je puis vous dire que dans le terrorisme c’est plus car les intéressés veulent des armes de bonne qualité.

C’est la petite délinquance qui permet de financer le trafic de tous ceux auxquels nous sommes confrontés. La plupart de ceux qui partent font des crédits à la consommation qu’ils ne rembourseront évidemment jamais. Bref il ne s’agit ici que de microfinancement.

Vous me demandez, Monsieur Candelier, si l’on constate une attrition des moyens humains…

M. Jean-Jacques Candelier. Les moyens humains et financiers de Daech, globalement, ont-ils diminué ?

M. Patrick Calvar. Il faudrait poser la question à Bernard Bajolet ; reste que, globalement, oui, car les frappes ont un fort impact. Mais il s’agit ici de macro-financement, de financement de guerre. Or une opération terroriste ne coûte quasiment rien : louer une voiture, un appartement, acheter des armes, vivre au quotidien… Nous avions saisi la comptabilité de la campagne terroriste de 1995 : elle a coûté au total 150 000 francs — depuis l’assassinat de l’imam Sahraoui jusqu’au démantèlement du réseau —. Beaucoup sont issus du milieu de la délinquance donc ils ont les contacts nécessaires et savent commettre des vols, au besoin, pour se financer.

Vous avez également évoqué les casseurs. Je précise que la DGSI est un service antiterroriste. Aussi relèvent-ils du renseignement territorial et pas de nos services. Nous suivons pour notre part le haut du spectre, c’est-à-dire des individus susceptibles de basculer dans des actions terroristes qui visent à porter atteinte aux institutions de la République.

Tous les extrémismes ont intérêt à se manifester. La capacité de résilience de la société est faible et, dès lors, il faut la provoquer, provoquer le maximum de désordre pour aboutir, suivant son bord, à la grande révolution ou bien à un ordre mieux établi. Reste que l’on sent bien qu’une certaine violence s’installe dans la société, qu’il y a un vide idéologique.

Il y a trente ans ou plus, on a fermé les yeux sur les premiers incidents survenus dans les banlieues. Cela a abouti à ce que les zones concernées soient dirigées par de petits caïds — il s’agissait de délinquance et elle n’affectait pas le consensus social —. Aujourd’hui nous nous trouvons dans une situation de « conscientisation » d’une partie d’entre eux. Comment expliquer qu’un voyou qui, toute sa vie, n’a eu pour idée que de voler son voisin pour pouvoir jouir de l’existence, va tout à coup basculer dans un extrémisme morbide puisqu’il va l’amener au sacrifice de sa vie. C’est pourquoi j’estime que si l’on ne raisonne qu’en termes de sécurité, on va dans le mur. La sécurité est en effet une sorte de SAMU : or un SAMU a pour mission de vous conduire vivant à l’hôpital mais pas de vous soigner.

Pour être franc avec vous : je crains cent fois plus la radicalisation que le terrorisme. Avec le terrorisme, nous prendrons des coups mais nous saurons faire face — nous avons connu des événements très graves tout au long de l’histoire — ; mais cette radicalisation rampante qui va bouleverser les équilibres profonds de la société est à mes yeux beaucoup plus grave.

Pour en revenir aux casseurs, pourquoi ne parvient-on pas à les neutraliser ? Ils sont très bien organisés et jamais ils ne se mettent en situation d’être « pris ». Et ceux qui se font interpeller sont ceux qui se sont à un moment donné agrégés et qui vont rester sur place alors que les autres auront disparu. Les casseurs sont beaucoup plus professionnels qu’on n’imagine : ils ont des relations au plan international et savent partager leurs modes opératoires ; c’est pourquoi on les retrouve systématiquement dans les grandes réunions internationales et, donc, avec les mêmes modes opératoires.

En ce qui concerne l’Europe, le problème est l’absence de consensus. Il suffit de regarder ce qui se passe avec le PNR. Nous ne parlons pas le même langage et sommes donc incapables d’harmoniser nos législations, ce qui nous place en situation de faiblesse. Il faut accepter l’idée qu’un certain nombre de pays — ceux concernés par la menace — puissent fonctionner différemment. La loi pénale, la répression ne sont pas les mêmes partout.

Les terroristes sont issus du milieu du banditisme. Cette porosité entre terrorisme et banditisme ne concerne pas la finalité, les objectifs, mais traduit le fait que des individus ont grandi ensemble dans les mêmes quartiers, ont parfois été incarcérés ensemble, et ont de ce fait développé une certaine forme de complicité.

Sans prévention nous n’y arriverons pas. Cependant, les individus en question sont largement inaccessibles au discours. Les gamins se « shootent » aux vidéos de Daech. J’aurais pu, pour cette audition, apporter et projeter une de ces vidéos, par exemple « Tends ta main pour l’allégeance ». Leur capacité d’attraction est extraordinaire. Face à cela, nous disons à ces gamins d’aller à la mosquée, alors qu’ils ne comprennent pas tout ce qu’ils y entendent, ne connaissant souvent rien à l’islam et au Coran. Le décalage est très grand. Il faut trouver des gens qui soient crédibles auprès d’eux. C’est difficile avec les repentis car, pour eux, un repenti est un traître.

Nous participons aux campagnes de déradicalisation. Dans ce cadre, nous observons ce qui a été fait dans des pays qui sont très en avance, comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. Il faut, comme le Premier ministre l’a fait, réunir autour de la table des gens d’horizons divers, des psychologues, des sociologues, des jeunes, afin de ne pas aborder le problème sous le seul angle sécuritaire. Mais ne nous leurrons pas, la situation ne se réglera pas là-bas — si le problème ne s’appelle plus Daech, il s’appellera autrement —, et nous faisons face à deux cancers : l’un ici, l’autre là-bas.

Les militaires peuvent apporter des éléments permettant de se faire une idée plus précise d’un profil ou d’une action qui pourrait être commise. C’est du renseignement ou de l’information de proximité. Mais il est essentiel de disposer de renseignements plus larges depuis la Syrie, par interceptions. Nous nous raccrochons aussi au travail sur les trafiquants d’armes ou sur la logistique… En 1995, le chef des commandos du GIA, responsable de tous les attentats en France, habitait rue Félicien David, dans le seizième arrondissement. Il se promenait en blazer, pantalon gris, attaché-case, et n’a jamais été contrôlé par une patrouille Vigipirate. L’opération Sentinelle a une dimension psychologique importante — les terroristes ne vont pas attaquer une cible où des militaires sont présents car ils savent qu’il y aura une riposte —. Mais je suis plus réservé sur le renseignement, car ce n’est pas le métier premier des militaires.

La ruralité est aussi concernée : en tout et pour tout, 91 départements français le sont. Le cas le plus célèbre est Lunel, mais, globalement, le contingent est jeune, d’origine nord-africaine, issu du milieu urbain, et c’est dans ce milieu que se trouve le plus grand danger. Cela ne signifie pas qu’il faille négliger la ruralité. Les gendarmes font à cet égard un excellent travail car ils ont une bonne connaissance des habitants des communes. Il est bien plus difficile de repérer quelqu’un dans la banlieue d’une grande ville.

M. Daniel Boisserie. La coopération avec la gendarmerie se fait au sein du service central du renseignement territorial. Des gendarmes — pas assez nombreux selon moi — travaillent dans les services départementaux, comme dans les bureaux de liaison départementaux. Quels liens la DGSI entretient-elle avec la gendarmerie ?

La délégation parlementaire au renseignement s’étonne de la frilosité de la DGSI à l’égard de nouvelles techniques autorisées par le projet de loi sur le renseignement. Où en est la mise à niveau de votre personnel ?

Je vous ai senti amer, au début de votre intervention. On entend beaucoup les minorités qui critiquent votre action, mais, si nous procédions à un sondage, vous seriez plébiscité, Monsieur le directeur général.

M. Philippe Nauche, président. Je pense que le directeur général faisait référence, au début de son propos, à certains experts, au moins autoproclamés.

M. Alain Moyne-Bressand. Pensez-vous que la coopération entre les différents services soit bien organisée ? Des améliorations pourraient-elles être apportées ? J’ai eu l’occasion de me rendre à Europol, à La Haye : cette organisation contribue-t-elle au renseignement au plan européen ?

M. Michel Voisin. J’ai beaucoup apprécié votre présentation. Les propos tenus dans cette commission, où je siège depuis vingt-huit ans, sont rarement aussi directs.

Je maintiens que l’on peut acheter dans ma région une kalachnikov à 350 euros. Vous pouvez aussi trouver un fusil à pompe à 150 euros. Ce marché se trouve dans le parc de Miribel Jonage, devenu une zone de non-droit. Arguant du terrorisme, une directive européenne soumet la possession d’un fusil de chasse, d’un coût de 2 500 euros, à toutes sortes de contrôles. Or je ne pense pas que les terroristes utilisent des carabines de chasse. Par ailleurs, un islamiste qui va se sacrifier pour la cause se moque de la traçabilité.

Il est question de créer des centres de réinsertion pour les djihadistes. Je suis, dans cette commission, politiquement incorrect car j’ai rencontré deux fois Bachar el-Assad. Les renseignements fournis montrent que l’État islamique possède une armée de 20 000 combattants et, en parallèle, quelque 20 000 combattants étrangers, dont 1 400 à 2 000 Français. Vous avez fait allusion aux peines insuffisamment fortes. N’est-il pas temps de prévoir des juridictions d’exception avec des procédures rapides et des peines incompressibles pour les islamistes pris ?

M. Charles de La Verpillière. J’ai voté sans état d’âme la loi sur le renseignement. Quel est son bilan en ce qui concerne l’efficacité des interceptions de télécommunications ?

S’agissant du chiffrement et du déchiffrement, je comprends que les services français ont besoin d’avoir de bonnes relations avec les services américains. Ne pensez-vous pas qu’il y ait une part de cinéma quand les Américains prétendent qu’Apple, Google, Facebook ou autres, leur refusent le déchiffrement ? Dans le cadre de la commission des Affaires européennes, je me suis rendu aux États-Unis pour étudier ces questions, et j’en ai retiré l’impression qu’en réalité les opérateurs acceptent sans problème de communiquer les informations dont ils disposent.

M. David Comet. Que pensez-vous de la disparition des renseignements généraux ? N’existe-t-il pas trop de services de renseignement dans notre pays ? Quid d’une fongibilité entre la DGSI et la DGSE pour prendre en considération le continuum entre sécurité intérieure et extérieure ?

Si j’ai bien compris, vous soutenez la thèse d’Olivier Roy sur l’islamisation de la radicalité, dans le débat avec Gilles Kepel, qui est plus sur l’idée d’une radicalisation de l’islam.

Sur les réseaux sociaux a circulé l’information selon laquelle de 3 000 à 5 000 djihadistes se trouveraient parmi les réfugiés en Europe. Ces dires étaient attribués au directeur d’Europol. Or, quand nous avons rencontré ce dernier à La Haye, il a affirmé qu’il n’avait jamais tenu ces propos et qu’il s’inscrivait en faux contre de telles allégations. Comment jugez-vous l’état de la menace s’agissant des réfugiés ?

M. Patrick Calvar. Les gendarmes sont intégrés au sein du service central du renseignement territorial (SCRT), y compris à des postes de commandement, notamment dans les départements ruraux. C’est le bon système. L’important est de bien définir les missions des uns et des autres, et d’assurer la coordination entre les structures. Je crois que les gendarmes font parfaitement leur métier et qu’ils s’intègrent bien dans les structures. Je ne suis pas non plus convaincu qu’il faille multiplier à l’envi les services. La question un temps posée était celle de la place du renseignement territorial : fallait-il le sortir de la direction de la sécurité publique ? Force est de constater que la plupart de nos « clients » sont en zone police ; ce qui compte à mon sens, c’est de s’appuyer aussi sur le maillage des gendarmes, pour détecter l’ensemble des signaux faibles.

La loi sur le renseignement a le mérite de nous avoir fait passer au stade de démocratie mature, en légitimant, par des autorisations et des contrôles, l’action des services de renseignement et en mettant un terme aux procès en barbouzerie. Nous avons dû former 2 500 de nos personnels à cette loi. La DGSI est en révolution permanente. Nous devons recruter des compétences à l’extérieur et acculturer ces nouveaux personnels, alors que nous sommes en même temps confrontés à une actualité extrêmement chargée ainsi qu’au défi technologique.

Nous ne manquons pas de données ni de métadonnées, mais nous manquons de systèmes pour les analyser. Nous ne sommes pas frileux vis-à-vis des nouvelles techniques ; nous les déployons progressivement.

M. Philippe Nauche, président. Il semblerait que certaines techniques autorisées par la loi sur le renseignement ne soient pas mises en œuvre car c’est difficile. Par ailleurs, certains éléments du contrôle n’avanceraient pas aussi vite que prévu.

M. Patrick Calvar. Dans quatre ou cinq ans, les technologies inscrites dans la loi seront obsolètes. Cela me rappelle la loi de 1991 sur les interceptions de sécurité : quatre ans après, le téléphone portable se répandait, alors que l’on était parti sur le « 22 à Asnières ». Ce problème résulte du fossé qui se creuse entre, d’une part, les élites politiques et administratives et, d’autre part, les élites scientifiques.

Europol est une agence de coopération policière et non de renseignement. Nous sommes aujourd’hui polarisés sur la lutte antiterroriste et nous ne voyons plus les dégâts causés par l’espionnage. Certains viennent de les redécouvrir, avec stupéfaction, à la suite des révélations de M. Snowden, qui nous a appris l’existence de nouveaux outils. Il en va de notre souveraineté, de notre capacité industrielle et économique, de notre recherche. C’est pourquoi nous avons ouvert les portes de notre service à des profils de plus en plus divers.

Il est hors de question de partager notre souveraineté, sauf à mettre en place une gouvernance politique de l’Europe.

L’organisation du système français me paraît cohérente. Il faut arrêter les bouleversements et ne pas voir non plus que la seule dimension terroriste, car les dimensions de souveraineté restent à mon avis extrêmement importantes.

Nous avons du mal à savoir combien de combattants étrangers sont présents au sein de Daech, qui n’est d’ailleurs pas qu’une organisation terroriste. Daech est né de l’absence d’État sunnite dans une région confrontée à la prise de contrôle de Bagdad par les chiites. Si Daech disparaît, une autre forme d’État sunnite le remplacera.

En matière d’interceptions, nous sommes confrontés à une énorme masse de données et à la problématique du chiffrement. Demain, les iPhone auront un chiffrement aléatoire. Je crois que la seule façon de résoudre ce problème est de contraindre les opérateurs.

Je ne crois pas que nous ayons trop de services de renseignement. Il faut que les périmètres soient définis de façon très stricte et qu’il y ait une réelle coordination, ce qui est le cas.

La DGSI et la DGSE ne font pas le même métier. La DGSE est par nature un service offensif. Nous sommes des services complémentaires et il faut davantage développer cette complémentarité car nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres.

Je ne sais d’où Europol sort ses chiffres. Nous avons été très surpris et, en tout cas, cela ne me paraît pas crédible. Qu’il y ait des commandos sur le territoire européen, oui, mais cela se compte en unités, non en milliers.

M. Jean-François Lamour. Vous avez dit que vous n’aviez d’autre solution, pour le traitement de la masse de données dont vous disposez, qu’américaine ou israélienne. Cela signifie-t-il qu’aucune entreprise française ou européenne ne peut aujourd’hui proposer un projet qui vous permette rapidement de devenir indépendants dans le traitement de ces données ? C’est un peu surprenant, alors que nous possédons des fleurons dans le secteur.

Sans aller jusqu’à une fusion DGSE-DGSI, n’est-il pas envisageable de créer une plateforme technique qui permettrait une meilleure circulation de l’information ?

M. Jean-Yves Le Déaut. Les Israéliens disent que nos techniques de big data ne sont pas bonnes. J’ai étudié ces questions en tant que président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. De petites entreprises françaises travaillent sur l’extraction et le traitement de données. Dans notre pays, le renseignement informatique est cloisonné entre le civil et le militaire. C’est par le décloisonnement que nous pourrons progresser.

M. Patrick Calvar. Les entreprises françaises qui développent des systèmes ne sont pas encore capables de répondre à nos besoins, alors que nous devons acquérir ce big data immédiatement. Nos camarades européens sont dans la même situation. Le choix n’a pas encore été fait mais, en tout état de cause, la solution sera temporaire.

Tout ce que nous développons se fait en relation directe avec la DGSE, afin d’éviter les doublons, et la plupart de nos ingénieurs en charge de ces questions viennent de la DGSE.

La moindre perquisition nous permet de récupérer des milliers de données. Nous avons donc besoin d’outils de big data pour répondre immédiatement à nos besoins.

M. Jean-Yves Le Déaut. Quand nous demandons à connaître les contrats du ministère de la Défense, comme la loi sur l’accès des documents administratifs nous le permet, on nous transmet des documents presque entièrement noircis. Nous ne pouvons rien savoir.

M. Philippe Nauche, président. Pourriez-vous rappeler la part de vos moyens consacrés à la lutte contre le terrorisme ?

M. Patrick Calvar. Pratiquement les trois quarts de nos capacités sont affectés à la lutte antiterroriste, alors que nous avons aussi comme missions le contre-espionnage, la contre-prolifération, la défense des intérêts économiques, la cyberdéfense. Nos personnels vont passer de 3 200 à 4 400 entre 2013 et 2018. Il faut recruter ces gens, dont certains avec des profils nouveaux, les former, les acculturer. Ce n’est pas évident.

Membres de la Commission de la Défense présents ou excusés
Présents. - M. Olivier Audibert Troin, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, M. David Comet, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Christophe Guilloteau, M. Jacques Lamblin, M. Jean-François Lamour, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. Alain Rousset, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin
Excusés. - Mme Patricia Adam, Mme Danielle Auroi, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-David Ciot, M. Guy Delcourt, Mme Carole Delga, Mme Geneviève Fioraso, M. Serge Grouard, M. Éric Jalton, M. Frédéric Lefebvre, M. Bruno Le Roux, Mme Lucette Lousteau, M. Alain Marty, M. Damien Meslot