Le 29 juillet, après la fermeture des marchés boursiers états-uniens, l’Autorité bancaire européenne a remis les résultats du stress test administré aux banques de l’UE, afin de mesurer leur vulnérabilité en cas crise. Elle a divulgué des données sur 51 banques européennes, représentant 70 % des actifs bancaires du vieux continent. La Banque centrale européenne (BCE) a quant à elle passé au crible 56 autres établissements de la zone euro, sans dévoiler les résultats du test.

L’Autorité bancaire ne s’est pas prononcée sur le fait de savoir si chacun des établissements testés pourrait résister à une dégradation brutale de l’environnement économique. L’étude n’est pas suivie d’injonctions adressées aux banques défaillantes. Les données sont simplement transférées aux autorités de supervision, la Banque centrale européenne et les autorités nationales.

Cette série de tests est la troisième depuis la crise financière de 2008 qui avait nécessité le renflouement, sur fonds publics, de banques dans plusieurs États de l’Union européenne. Cette fois, les tests ne comportaient pas de seuil d’échec ou de réussite. Le fait de refuser de parler d’échec de certaines banques donne à penser qu’il s’agit avant tout d’une opération destinée à rassurer les épargnants et les différents acteurs économiques. Globalement les conclusions, qui parlent d’une amélioration sensible de la situation des banques testés, font ressortir une forme de pensée positive que l’on souhaite auto-réalisatrice, une méthode d’autosuggestion sur l’absence de gravité des problèmes actuels, faisant penser à la méthode Coué [1]. Cependant, il ne s’agit là que le résultat d’un premier regard sur l’apparence de cette opération de communication.

Un effet de sidération

Un second regard, sur le contenu de l’étude et non sur sa seule présentation, fait ressortir un autre élément. Elle n’a rien de rassurant, non pas à cause de ses résultats qui ne font qu’annoncer ce qui était déjà connu de tous, mais surtout à cause de la méthode employée. Cette dernière est avant tout une opération de déni de la réalité de ce qu’est une crise économique et financière. Ainsi, pour Peter Garnry, analyste chez Saxo Banque cité par Bloomberg : « Le problème avec ces stress tests est qu’ils sont trop doux, ne tablant que sur une récession douce ou modérée. Ce qui signifie que les résultats ne révèlent finalement pas grand-chose, et que ce n’est pas une surprise que la majorité des banques aient réussi ces tests » [2].

Non seulement les tests ne montrent que ce qui est évident (essentiellement, les difficultés de la banque Monte Paschi), mais, de par leur construction, ils s’avèrent plutôt inquiétants. Une récession sévère est un scénario qui ne peut être envisagé. De plus la méthode utilisée, afin de présenter des résultats acceptables, doit faire l’impasse sur la nature même de la réalité économique, à savoir la connexion et l’interdépendance des différents agents financiers. Surtout, les calculs effectués ne partent pas des prix de marché, mais de la valeur comptable des actifs, indiquant bien par-là que la réalité n’est pas intégrable dans les tests, exhibant ainsi le caractère préoccupant d’une situation qui ne peut être regardée. Cela n’a pas pour effet de rassurer les acteurs économiques, mais plutôt de les plonger dans la sidération, leur indiquant qu’il convient de ne pas faire de vagues. Il semblerait que le message ait été entendu, puisque, à la déferlante d’interventions, sur l’état préoccupant du système bancaire, avant le test, s’est substituée une forme de pensée positive. Elle permet, par exemple, à la bourse de considérer favorablement des propositions considérées comme irréalisables par les protagonistes eux-mêmes, telle une fusion Deutche Bank et Commerzbank [3], deux établissements qui ont montré des faiblesses au niveau du stress test.

Découvrir ce qui était attendu

Seuls deux établissements ont fait preuve d’une grande fébrilité, la banque italienne Monte dei Paschi di Siena, dont l’échec était attendu, et qui, de loin, enregistre la plus mauvaise performance. Son ratio de solvabilité s’est effondré de plus de 14 points pour tomber à -2,44 %. Ce résultat intervient peu de temps après que la banque a réussi à obtenir un accord de sauvetage de dernière minute dans le secteur privé pour se recapitaliser.

Ensuite, l’irlandaise Allied Irish Bank n’a pas non plus satisfait au ratio de solvabilité, puisqu’elle est à 4,31 %. Le plancher retenu, lors des tests conduits l’année dernière correspondait à un ratio de fonds propres durs de 5,5 % et peut être considéré comme le taux « officieux » de réussite. Il faut aussi savoir que la dernière mouture du comité de Bâle de supervision bancaire recommande un ratio de 7 % [4]. Ce dernier taux est aussi le seuil de déclenchement des dépréciations des obligations subordonnées, émises par les banques pour renforcer leurs fonds propres. Or, Banco Popular, Bank of Ireland et Raiffeisen ont toutes les trois terminé les tests avec un ratio inférieur à ce niveau, à respectivement 6,62 %, 6,15 % et 6,12 %

Sur 51 banques testées, dix, telles l’espagnole Banco Popolar, l’irlandaise Bank of Ireland, la première banque italienne Unicredit et la première banque allemande, la Deutche Bank considérée comme « la banque la plus risquée du monde » par le Fonds monétaire international (72 000 milliards de dollars de produits dérivés en portefeuille, soit 20 fois le PNB allemand) [5] présentent des fragilités, tout en ayant satisfait aux tests.

Cette dernière a obtenu, comme la Commerzbank, un ratio CET1 inférieur à 8 %. Or, durant les années 80, la Banque des règlements internationaux (BRI) a adopté une règle, devant être respectée par les banques, selon laquelle celles-ci pouvaient emprunter 12,5 fois le montant de leurs capitaux propres pour financer leurs actifs, ce qui correspond au ratio dit CET 1 qui devait être supérieur à 8 %. Après les turbulences de la crise financière de 2008, Alan Greenspan, le président de la FED, la banque centrale tats-unienne, a relevé ses exigences, en préconisant un multiple d’endettement de 10 seulement [6]. La très grande majorité des banques testées sont largement en dessous de cette exigence.

Un déni de la réalité

Le stress test est une mesure du manque en capital des établissements bancaires européens en cas de choc. Cependant, le rapport ne donne pas d’indications chiffrées sur les besoins de capitalisation des banques. Il établit un ensemble de ratios de fonds propres, exprimant l’évolution de leur solvabilité dans une situation de stress. Le scénario est celui d’une récession de l’économie de l’UE, pendant une période de 3 ans commençant fin 2015. Il envisage une chute du produit intérieur brut de l’Union européenne de 7,1 % pour les trois prochaines années et une baisse de 20 % des revenus d’intérêt. Il ne s’agit donc pas de la simulation d’une crise financière, telle qu’elle a existé en 2008.

Début 2016, les cotations des grandes banques européennes ont considérablement baissées.

D’ailleurs, le test considère comme constante la valeur des actifs financiers des banques, durant cette période de trois années de récession. Ce qui ne peut être envisagé en cas de crise financière, comme celle de 2008 qui a enregistré une baisse substantielle de ceux-ci. D’ailleurs, dans les calculs effectués, le prix réel des actifs, tel qu’il est fixé par le marché importe peu, seule sa valeur comptable est considérée. Ce choix permet de travailler à partir des chiffres de la capitalisation bancaire de décembre 2015. Or celle-ci a déjà baissé de 40 % depuis cette date et le marché reste baissier. Quant à l’action de la Deutche Bank, elle a diminué de plus de 60 % sur un an.

La valeur comptable des actifs est donc une grandeur fictive. Ce n’est pas le seul élément virtuel fondant l’évaluation faite par l’autorité bancaire. Les banques grecques et portugaises, celles des deux pays membres les plus fragiles, ne font pas partie du rapport. Les stress tests de ces banques seront effectués, mais non publiés.

Les tests posent également problème dans la mesure où ils ne considèrent pas une période prolongée de taux bas, voire négatifs, alors qu’il s’agit là d’un point essentiel minant la rentabilité du secteur. Ainsi, il s’agit là du facteur explicatif avancé par la Deutche Bank afin d’expliquer la chute de 98 % de ses bénéfices. Les conséquences du Brexit n’ont pas non plus été considérées.

Les dangers les plus importants sont aussi sous-estimés. Par exemple, les risques de contrepartie sur les dérivés sont calculés sur la base de la faillite de l’acheteur et/ou du vendeur, or en cas de faillite, le risque s’arrête rarement à ces deux parties, il est en chaîne [7].

Une sous-évaluation du problème des créances douteuses

Le fait que le résultat des tests se soit soldé par l’échec de l’inévitable Monte Paschi, à laquelle on a ajouté une banque espagnole, revient à laisser en plan le problème des créances douteuses dans leur ensemble. Le problème est particulièrement aigu en Italie ou le montant brut de celles-ci s’élève à 360 milliards d’euros, l’équivalent de 22 % du PIB. Si en Italie, les créances douteuses comptent pour un peu plus de 17 % du total des prêts, elles représentent 47 % en Grèce, 19 % au Portugal, 18 % en Irlande pour 4 % en France et seulement 2 % en Allemagne [8]. Il existe quelque 1 100 milliards de francs de créances douteuses en Europe selon le Fonds monétaire international (FMI). Selon l’institution internationale, elles ont plus que doublé depuis 2009, Une augmentation qui menace la solidité des banques du continent, dénonce le FMI dans un rapport publié le 24 septembre 2015 [9].

Les créances douteuses sont normalement comptabilisées dans le bilan jusqu’à leur liquidation et consomment peu de capital. Lorsqu’elles passent le compte résultat, les pertes apparaissent, mais sont normalement provisionnées à hauteur de 60 %, selon une enquête réalisée par la Banque d’Italie. Les banques prévoient ainsi de récupérer en moyenne 40 % de la valeur de la créance lorsqu’ils la liquide. Cependant, le prix du marché est plus proche des 20 % du montant de la valeur brute du bilan. Ici aussi se pose le problème de l’évaluation des actifs fondée sur une base fictive et non leur valeur de marché. On peut ainsi considérer, que le danger constitué par les créances problématiques est largement sous-estimé dans les résultats du stress test puisque ceux–ci tiennent uniquement compte de leur valeur estimée par les banques elles-mêmes, à savoir environ le double de leur valeur réelle.

Une autre analyse

Le Centre pour la gestion du risque de l’Université de Lausanne a, quant à lui, mis au point un autre modèle d’évaluation, basé non plus sur les valeurs comptables, mais sur les prix de marché des actifs bancaires. Ses résultats sont nettement plus négatifs que ceux avancés par l’Autorité bancaire. En enregistrant les pertes cumulées depuis décembre 2015, le besoin de recapitalisation des banques européennes seraient, selon l’Université de Lausanne, de l’ordre de 882 milliards d’euros en juin 2016 [10].

Remarquons également que, selon Diane Pierret de l’Université de Lausanne, si les règles d’évaluation états-uniennes, basées également sur les valeurs comptables, mais plus contraignantes, avaient été appliquées, 29 banques européennes auraient échoué au test. Les grandes banques publiques devraient être recapitalisées, à elles seules, à une hauteur de 92 milliards d’euros [11].

L’institut allemand de recherches économiques ZEW, qui a mené des tests de résistance selon cette méthode états-unienne, confirme ces résultats. Il estime, quant à lui, que « Les banques européennes ne disposent pas des fonds suffisants pour compenser les pertes attendues en cas de nouvelle crise financière » [12]. L’étude indique les manques de fonds les plus importants, qui sont respectivement de 19 milliards pour Deutsche Bank, 13 milliards pour Société Générale et 10 milliards pour BNP Paribas. D’après ce centre d’étude, il manque au total 123 milliards d’euros aux 51 établissements européens testés.

Ces études ne sont pas isolées. Elles font suite à d’autres recherches montrant que le système bancaire européen est plus fragile et moins apte à résister à un choc important que les banques états-uniennes. Déjà, une recherche effectuée en 2012, conjointement par le la Faculté des hautes études commerciales de Lausanne (HEC) et la Stern School of Business de l’Université de New York, sur le risque systémique en Europe, montre une insuffisance significative de capitaux dans plusieurs pays européens en cas de krach. Les risques systémiques étaient particulièrement importants en France et au Royaume-Uni. Ils représentaient ensemble environ 52 % de l’exposition totale des institutions financières européennes. En 2012, les cinq institutions les plus à risque étaient la Deutsche Bank, le Crédit Agricole, Barclays, la Royal Bank of Scotland et BNP Paribas. En décembre 2014, l’étude a été actualisée et le classement est similaire, avec BNP Paribas, la Deutsche Bank, le Crédit Agricole et Barclays occupant les quatre premières places, la Royal Bank of Scotland étant classée sixième après avoir cédé la cinquième place à la Société Générale [13].

Cette double étude offre une approche alternative aux stress tests de la BCE : une approche fondée sur la réalité de la valeur du marché. La capacité à fournir un instantané du risque systémique des institutions en Europe à un moment donné.

Afin que rien ne change

Lors de la présentation des résultats du stress test, le 29 juillet 2016, l’Autorité bancaire a insisté sur le fait que la santé globale du secteur bancaire se serait grandement améliorée depuis la crise de 2008. Les marchés financiers ont été, en ce qui les concerne, plus dubitatifs en ce qui concerne l’évaluation des résultats. Malgré un rebond des bourses, les valeurs bancaires restent à la traîne.

Suite aux bons résultats enregistrés par les établissements français lors du stress test européen, le ministre des Finances Michel Sapin a estimé que « Les banques françaises se sont renforcées en réponse aux exigences accrues imposées après la crise, et sont aujourd’hui parmi les plus solides » [14]. Pourtant, si on procède par la méthode mise au point par l’Université de Lausanne, si l’on chiffre les besoins en capital (calcul auquel ne procède plus l’autorité bancaire européenne) à partir des valeurs actuelles de marché, les choses se renversent et à la tête du classement des banques à problèmes, se trouvent trois établissements français à la tête desquels se trouve la BNP Paribas, en quatrième position vient alors la Deutche Bank. Ainsi, selon les calculs hebdomadaires du centre de crise helvétique, en cas de crise sévère, c’est-à-dire en cas d’une perte de 40 %, en 6 mois, des marchés mondiaux des actions, les besoins de recapitalisation de la BNP Paribas, se monteraient à 93 milliards d’euros [15].

Pourtant, la Fédération bancaire française, en osmose avec le pouvoir politique, n’est pas en reste et voit dans les résultats de ces tests une preuve de « la solidité des banques françaises » et surtout une confirmation de « la pertinence de leur modèle de banque universelle », une structure qui fusionne banques d’affaires et banques de dépôt.

Marie-Anne Barbat-Layani, directrice générale de la Fédération, a même déclaré que ce modèle « assure une bonne diversification des risques et des revenus et un bon financement de l’économie » [16]. Or c’est précisément cette structure qui avait été pointée du doigt comme une des causes principales de la crise de 2008 et qui devait absolument être réformée. Il s’agit en effet d’une organisation qui permet aux banques d’utiliser l’argent des épargnants pour décupler la spéculation sur les marchés financiers, mettant ainsi en péril l’ensemble du système financier.

Ces différentes réactions, politiques et professionnelles, mettent en lumière les objectifs du stress test. Elles donnent à penser que tout doit continuer comme avant, que le secteur bancaire ne doit pas être radicalement réformé et que la politique « ultra-accommodante » de la BCE ne met pas en péril la rentabilité des banques, malgré les appels de celles-ci.

[1Au XIXe siècle, le Dr. Émile Coué avait imaginé, à titre préventif et curatif, une méthode thérapeutique basée sur l’auto-suggestion.

[2« Banques européennes : les tests de résistance rassurent peu la Bourse », Francais-express.com, 1er août 2016.

[3Marcel Linden, « Deutsche Bank et Commerzbank ont parlé de fusion », La Libre, 1er septembre 2016.

[5« Deutsche Bank : Une arme de destruction massive de l’Allemagne », Le blog de Liliane Heldkhawan, 15 février 2016.

[6« Stress test des banques : 5 questions qui dérangent », Contrepoints.org, 4 août 2016.

[7Bruno Bertez, « Un stress test qui en dit peu sur les banques », Agefi suisse, 30 juillet 2016.

[8Marjorie Encelot, « Le "pire des scénarios" serait que seule Monte Paschi échoue aux stress tests », Les échos.fr, 29 juillet 2016.

[9« Trop de créances douteuses en Europe, dénonce le FMI », La Tribune.fr, 25 septembre 2015.

[10« Les banques européennes ont besoin de 882 milliards d’euros », Interview de Diane Pierret, professeur de finance à l’Université de Lausanne, Le Temps, 1er août 2016.

[11« Les banques européennes ont besoin de 882 milliards d’euros », Op. Cit.

[12Pascal Hérard, « Banques en Europe : le risque systémique est-il là ? », TV5Monde.com, 19 août 2016.

[13Robert Engel, Eric Jondeau , Michael Rockinger, Systemic Risk in Europe Swiss, Review of Finance (2015) 19(1), 145-190. « Systemic Risk in Europe ».

[15« Interview. Stress tests, l’Italie se trouve en point de mire », Agefi.com, 29 juillet 2016.