Selon la presse suisse (L’Hebdo du 11 avril 2013), Jérôme Cahuzac a été dénoncé par une faction du lobby militaro-industriel dont il projetait de diminuer drastiquement le budget.

J’ai rencontré Jérôme Cahuzac le 12 décembre 2012, il y a exactement 4 ans, alors qu’il donnait une conférence à HEC Paris. La question à laquelle il répondait laisse penseur en cette fin de législature socialiste : « Peut-on gouverner à gauche en temps de crise ? ».

Personne ne le savait encore, mais c’était une semaine après l’e-mail qui lui était adressé par Mediapart, et le terrible engrenage qui l’entraînerait.

Que reste-t-il de la gauche ? Que reste-t-il de la crise ? Et que reste-t-il de Jérôme Cahuzac ?

Un ministre banalement humain

En bon étudiant d’alors cherchant à décrocher son stage de fin d’année, j’abordais le ministre à la fin de la conférence à laquelle il venait de répondre par l’affirmative. Nous avons discuté de sa circonscription de Villeneuve-sur-Lot que je connais un peu pour raison familiale. Puis je lui ai fait part de l’intérêt que j’aurais à rejoindre son équipe à Bercy pour être au plus proche de mes recherches de thèse… sur les paradis fiscaux . Je remettais mon curriculum à son SPHP, et son cabinet me recontactait la semaine suivante.

Si ce terrible hasard importe peu, parce je rejoindrai finalement l’équipe d’Olivier Metzner et ne travaillerai jamais avec Jérôme Cahuzac, l’anecdote est surtout prétexte à s’interroger sur ce jugement en première instance et son issue en appel.

Il serait superflu de revenir sur les faits après les fleuves d’encre qui ont déjà coulé sur le sujet. Pourtant, un article remarquable d’Hervé Gattegno pour Vanity Fair mérite d’être cité. Il permet de comprendre cette affinité prononcée pour le mensonge et le drame intérieur qui rongeait le ministre :

« Je n’ai pas eu d’autre choix que de mentir à mes amis, explique aujourd’hui Cahuzac. Leur dire la vérité, c’était les placer face à une alternative insupportable : soit ils se taisaient et je faisais d’eux mes complices, soit ils me dénonçaient et notre amitié était détruite. Dans tous les cas, je les perdais ».

Ou encore :

« J’avais ce secret enfoui dans un coin de mon esprit mais je n’ai jamais été schizophrène. Comme ministre du budget, j’ai fait mon devoir sans états d’âme. J’étais bien placé pour savoir à quel point il est facile de tricher – et combien il est difficile de résister à la tentation. Quand on vous paie en espèces, il faut être un héros pour tout déclarer – moi, je n’ai pas été un héros. C’est pourquoi il faut placer des garde-fous, instaurer des mécanismes de surveillance et des sanctions dissuasives. »

Et de préciser :

« J’ai construit ma vie politique de façon scrupuleusement honnête – intellectuellement et matériellement. Quand j’ai ouvert ce maudit compte, je n’avais aucun mandat, je n’étais candidat à rien, je n’imaginais même pas que je le serais un jour. Je suis devenu un homme respecté, écouté, on me reconnaît une compétence, j’ai une influence sur la politique de mon pays... J’ai fait des sacrifices pour arriver là. Je ne peux pas accepter de laisser tout détruire à cause d’une imbécillité qui date d’il y a vingt ans... »

Le mensonge, l’ambition, l’abnégation puis la déchéance, la peur et les pleurs.

Tout cela est banalement humain.

Un jugement populiste d’une sévérité exceptionnelle

Dans ces conditions, cette condamnation en première instance à trois ans fermes est lourde, très lourde. Elle est la preuve que l’ancien ministre n’a pas été traité comme il aurait dû l’être, c’est-à-dire comme un primo-délinquant. Elle est la preuve que la mauvaise publicité faite au gouvernement se paye d’un traitement particulier. Elle est la preuve que l’égalité dont nous avons fait notre devise n’est qu’un mot et que la balance, symbole de sa justice, n’a pas le même poids lorsqu’il s’agit d’un ministre ou d’un commun. Elle est la preuve qu’à vouloir être exemplaire, cette justice en devient injuste.

Pour défendre tous les jours une misère humaine multirécidiviste, allant du chauffard imbibé d’alcool et de stupéfiants, au père de famille non moins sobre qui perd patience sur femme et enfants, en passant par les petits trafiquants de drogue empoisonnant quelques dizaines d’âmes, la pratique veut que la prison ferme ne soit prononcée qu’après un sursis simple, puis au moins un ou deux sursis mise à l’épreuve, accompagnés le cas échéant de travaux d’intérêt général.

Cette pratique veut en effet — sauf infractions d’une particulière gravité comme les crimes, les agressions sexuelles, les violences ayant entraîné une incapacité de travail considérable, privilège des assises — que les juges évitent de prononcer une peine ferme à la première condamnation. Et, au plus sévère, dans le cas où le juge condamne à du ferme, la pratique veut toujours qu’il soit inférieur ou égal à deux ans afin d’envisager un aménagement ab initio, c’est-à-dire à tout prix éviter, dès le début, l’incarcération pour l’effectuer en semi-liberté ou sous bracelet électronique.

Cette pratique est tellement bien ancrée, qu’en droit, c’est ce que l’on appelle la subsidiarité de la peine d’emprisonnement, disposé au Code pénal, et d’ailleurs renforcé par la loi Taubira du 15 août 2014. Cette pratique codifiée, que l’on appelle la loi, signifie donc que la peine de prison ne doit être prononcée qu’en dernier recours, s’il n’existe aucun autre moyen de protéger la société et d’éviter la récidive.

Quand on y pense, qu’a vraiment fait Jérôme Cahuzac, combien de vies a-t-il brisées, combien de destins a-t-il bouleversés ? L’ancien ministre a virtuellement placé sur une ligne de compte (suisse) des fonds, dûment gagnés, qui auraient dû l’être sur une autre (française). Personne n’est mort, personne n’a souffert. Il s’est simplement soustrait au contrat social [1].

Jérôme Cahuzac ne représente donc aucun danger et sa potentialité de récidive est nulle. Comme tel, il ne doit pas aller en prison.

Que gagne donc la société à son enfermement ? Rien, sinon l’esprit de vengeance — symptomatique d’une société morose — sur un homme de 64 ans écrasé jusqu’à la fin de ses jours par l’un des plus grands scandales de la Vème République. Absolument rien, sinon pénaliser davantage son contribuable à hauteur de cent euros par jour la place en maison d’arrêt. En ignorant les aménagements et remises de peine possibles, et le coût supplémentaire qui lui sera réservé en quartier VIP, cela fait donc au moins une note sur trois ans à plus de 100 000 euros, soit 1/6 de ce qu’on lui reproche.

Il est donc à espérer qu’après l’émotion en première instance, le droit, et le bon sens, l’emportent en appel.

[1Article 13 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».